jeudi 29 novembre 2012

Méditation sur la Parole de Dieu


Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi?





Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi ?

Qui donc est Dieu pour nous parler ?

Nous sommes ici parce que nous avons rendez-vous au carrefour de la Parole, de l'Écriture et de l'Église. Qui donc est ce Dieu qui nous a donné rendez-vous à ce carrefour ?



Parole en Trinité



Souvent, à la fin de nos lectures liturgiques, nous disons « Parole du Seigneur ». L’agir révèle l'être. Quel est l'être révélé par cette parole dite « de Dieu » ?

Dieu est étonnant : il nous parle, il est un Dieu parlant. Il y a beaucoup de dieux qui sont muets dans le monde : nous leur parlons mais eux ne parlent pas. Ce sont des idoles : « Elles ont une bouche et ne parlent pas » (Ps 115, 5)

Notre Dieu nous parle, il a quelque chose à nous dire. Il a en lui un secret. Bien avant ses paroles, il y a en lui déjà LA Parole, une Parole en lui, un verbe, LE Verbe.

Dieu est parlant en lui-même. Il est une Parole, il se dit, il tient sa parole. Il est lui-même en dialogue, en communion de parole. Il y a en Dieu, éternellement, un phénomène incandescent de Parole.

Dieu est silence et pourtant il se dit une parole en lui. Ce verbe, cette parole, est heureusement conjointe avec l’amour. Dieu est Amour car en Dieu la parole n'est pas une lumière froide, une intelligence qui glace par sa clarté, mais un feu chaleureux qui accompagne sa parole. Le feu de la parole est l'Esprit, amour en personne du Verbe et du Père. En Dieu, à partir du Père-source, il y a comme deux mains qui prient, se croisent, se rejoignent et s'allient pour exprimer à la fois la clarté de l'intelligence lumineuse et la chaleur de l’amour.



Parole en création



Il faut que cette lumière puisse sortir et déborder dans une générosité spirituelle : Parole créatrice. Dieu ne fait pas exister pour s'amuser avec des concepts, mais il fait exister par amour, pour étaler une tendresse. Exister et faire exister est toujours une affaire d’amour pour Dieu.

On voit dans la Genèse combien la création est à la fois un exercice de beauté et une démonstration de tendresse, dans toutes les variétés de l’existence. Cette création, signe d’une paternité immense, s’exerce par lui, avec lui et en lui -le Verbe- et sous toutes les énergies de l’Esprit qui planait sur toutes choses.

Parole d’engendrement, de mise à l’être, générosité par similitude, ressemblance, surtout pour l’homme, la femme et l’enfant. Divine différence avec le reste de la création : quelqu'un est créé à l'image et la ressemblance de Dieu.

Nous voyons là le lien entre le Père et le Fils : créer à l'image est le propre de l'engendrement, à l'image et la ressemblance de ceux qui nous ont donné la vie. Dans la vie de l'être humain, il y a la signature de la filiation éternelle du Verbe : comme le Verbe est à l’image du Père, nous sommes créés à la ressemblance du Christ, à l'image de Dieu.



Parole dans l’histoire



Pour Dieu, après le prodige explosif de l’existence donnée, suscitée, après l'exploit des engendrements, commence la longue aventure des relations, communications, alliances. Il ne suffit pas d'exister et d’être là. Il faut être avec : avec Lui, avec les autres, s'exprimer. Entrer en relation par amour, c’est la mise en route de l’histoire, de nos histoires.

La Parole majuscule entre dans nos paroles minuscules. Le Verbe se dit dans des paroles humaines, au risque de nos langages, de nos contextes sociaux et culturels. Par le Verbe, dans le souffle de l’Esprit, Dieu se fait histoire avec nous en épousant nos petites ou nos grandes histoires. Il tricote la sienne avec les nôtres dans la grandeur et les misères de nos vies. Il se dit en nos paroles en prenant tous les risques. Tant qu'on n'a pas pris tous les risques, on n'a pas vraiment aimé. C’est la grande aventure de l'histoire du salut. Dieu choisit des porte-paroles. Pas des êtres parfaits ni extraordinaires, mais des êtres submergés par un appel, par une vocation. Toujours au service d’une communauté, ils sont capables de dire prophétiquement quelque chose de Dieu, sur Dieu et à Dieu, pour un peuple.

C’est cela que nous percevons, bruissant sous les Écritures, murmurant à l’oreille de notre cœur jusqu’à susciter notre foi, à travers les fatigues de nos lectures mais aussi la joie de partager cette parole au carrefour des Écritures bibliques.



Parole faite chair



Et puis tout-à-coup, il y a l’évènement et l’avènement de Jésus-Christ. Dieu nous a finalement parlé par son fils, « resplendissement de sa gloire et expression de son être ». (Cf. Ep. aux Hébreux ch. 1.) L’invraisemblable nous tombe dessus et c’est encore un amour. « Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils » nous dit Saint Jean. La Parole de Dieu a investi complètement un homme, né d’une femme, de chair et d’esprit. La Parole de Dieu a là une concentration humaine extraordinaire. La Parole s’est faite chair en Jésus-Christ.

Quand la Parole dresse sa tente dans notre histoire, ce n’est pas pour l’effleurer mais pour l’habiter complètement. Au centre du monde, du cosmos, en chacune de nos vies est plantée désormais la tente de la présence de Dieu. Évènement extraordinaire, tellement divin qu’il passe par l’humain : une femme qui permet la rencontre entre nos histoires et l'histoire de Dieu. C’est avec le cœur d’une femme, au corps d’une femme, que la Parole majuscule se lie définitivement à nos paroles humaines pour « faire » le Verbe fait chair, et cela renverse beaucoup de choses dans les relations humaines…

Ses paroles deviennent bonne nouvelle, révélation du mystère. Elles agissent, guérissent, pardonnent, accueillent, consolent, ressuscitent, en particulier les plus blessés. C’est encore une manière de dire Dieu : Jésus va au bout de la marge où nous mettons beaucoup de gens. Lui ira les chercher : la brebis perdue, le fils prodigue, la femme adultère… pour montrer qu’il n’y a pas de marge à l’amour de Dieu. Le don devient pardon, c'est à dire un don par-dessus la marge. Ces paroles sont allées jusqu’au bout : « Aujourd’hui, tu seras avec moi », dit Jésus à un rejeté maximum…

« Debout ! » La parole s'est mise debout au matin de Pâques. Par le Christ, l’amour a fait triompher la vie. Par la Résurrection, Dieu a repris parole au milieu de nous et plus personne ne fera taire cet amour-là.



Parole en semence



Parole à mettre en pratique. Nous ne pouvons que nous positionner face à cette parole, comme le terrain face aux semences que le semeur jette sans demander la permission à la terre. Mais il revient à la terre d’accueillir : cette Parole va devenir Écriture et paroles d’Eglise. Entre la Parole qu’est le Verbe et notre humanité, il y a désormais des noces, une alliance, mariage indissoluble, bonne nouvelle pascale. Nous pouvons alors, dans la force de cet Esprit et dans la lumière du Père, laisser Dieu nous parler, le Christ nous illuminer et l’Esprit nous entraîner, afin de devenir des porte-paroles, portés par le Père et porteurs de la Parole.

Jésus dit sa parole à chaque personne qui est pour lui tout un monde. Il le dit aussi dans les civilisations, les cultures, les communautés qui, tant bien que mal, essaient d'humaniser le fait d'être un humain. Dieu se faufile dans les sagesses, les philosophies, de toutes les ères culturelles. Il ne faut jamais oublier -je crois- que le murmure de Dieu suinte dans l'âme de tout homme et même dans les constructions culturelles, les institutions religieuses qui nous paraissent loin de l'évangile,

Dieu prend des risques calculés car il veille sur l'essentiel de ce qu'il veut nous dire et c'est le rôle de l'Esprit de veiller, de réveiller, d'éveiller, pour que, à travers l'histoire, cette parole continue sa course. Des éveillés, on pourrait les appeler ainsi les prophètes, les sages, parfois des prêtres. Des éveillés et des éveilleurs, des veilleurs conscients d'une mission qui les dépasse, les submerge et parfois les déprime. Ils parviennent malgré tout à continuer de dire quelque chose de la part de Dieu à des personnes, peuple souvent sourd, réticent comme il est dit « à la nuque raide ».





Parole d’écriture



La parole poursuite sa course sans cesse. Puis vint l'écriture. En soi c'est une avancée décisive dans l'histoire, que la parole divine puisse devenir écriture. Par là même la parole de Dieu relève le défi du temps. Il y a quelque chose de fugace qui devient presque éternel. Que cette parole soit enfermée dans la tête ou dans les lettres, c’est un nouveau risque ou une nouvelle chance. La nouvelle chance de pouvoir partager la parole en la ranimant sous la lettre, mais en même temps le risque de la bétonner de sorte qu’on ait alors ce qu'on appellerait le littéralisme ou le fondamentalisme. L'écriture doit demeurer un parole, c'est-à-dire qu’il doit y avoir dans l'écriture, encore et toujours, un message de quelqu'un à quelqu'un pour dire quelque chose d'essentiel sur Dieu, sur nous et sur le monde.

L'écriture et la parole sont comme les deux faces d'un même amour qui s'exprime toujours quand il s'agit de Dieu à l'humanité sous le mode d'un signe ou d'une rencontre, quelqu'un qui dise à quelqu'un « je t'aime ». On peut confisquer la lettre, on peut aussi la relire à haute voix, et alors l'écriture redevient parole.

A partir du moment où l'écriture et la parole dialoguent, se donnent la main du coeur, nous sommes dans un dialogue de Dieu avec nous. Que les facilités de l'écriture ne perdent jamais l'épaisseur tendre de la parole.



Parole en Eglise



C'est à ce moment là qu'intervient finalement l'Eglise et d'abord les Apôtres et les premiers témoins de Jésus Christ. C'est vrai, le Christ, c'est d'abord une expérience faite dans la rencontre d'homme à homme qui mérite d'être écrite, non pas une philosophie, des idées. C'est la palpitation d'une rencontre qui finalement appelle, engendre l'écriture, ce qu'on appelle le nouveau testament. Une expérience d'abord vécue puis racontée, une expérience de narration mais aussi une interprétation.

Ce Christ qui n'a rien écrit, voici qu'on commence à écrire sur lui, de lui et alors il devient lui même une écriture personnelle délivrée au monde. Finalement Jésus est la clef et en même temps la clef de voûte des écritures. A la fin on comprend qu'en nous parlant à nous, ceux qui ont écrit ne parlaient que de Lui. Mais lui, c'est très intéressant pour nous, c'est même essentiel : des souvenirs, des paroles, des actes de Jésus, interprétés à la lumière du mystère pascal, car ce mystère a évidemment transfiguré la vision et la signification de ce qu'il était, de ce qu'il a fait, de ce qu'il a dit. Regarder ainsi les vérités du Christ dans le prisme de Pâques.

Toutes sortes de sciences humaines nous aident à faire en sorte que l'écriture nous révèle son coeur brûlant. C'est refaire le chemin d'Emmaüs. On accepte aussi que quelqu'un nous explique, que d'autres qui savent mieux certaines choses nous aident. Il y a comme une fraternité dans l'approche des écritures, grâce à certains spécialistes, à certains interprètes. Réjouissonsnous que l'écriture soit pour nous un message à la fois découvert personnellement, offert communautairement et délivré spirituellement.



Au service de la parole



Prendre donc au sérieux la tradition des interprétations, et là il faut reconnaître que dans l'Eglise on n’est pas laissé simplement avec notre Bible et « débrouilles toi ». On sait bien à terme ce que cela peut produire. Chacun peut fonder sa secte ou créer son Eglise. On a dans notre Eglise un équipement fraternel - il faut qu'il soit fraternel, qu'il ne soit pas autoritaire ou vertical- pour qu'on puisse parcourir ensemble le chemin des écritures à la manière d'Emmaüs.

Il y a des ministères pour cela. On a les Pères de l’Eglise, très intéressants, on a des docteurs de l'Eglise, il y a des saints et des saintes. On peut rajouter les musiciens bien sûr, les peintres, les sculpteurs : c'est merveilleux le trésor que l'Eglise met à notre disposition. Les beautés mais aussi les livres, le cinéma, tout ce qu'on veut. Bien sûr, il y a les théologiens, il y a les exégètes, il y a le sens chrétien des gens. Et puis il y a le magistère -et là c'est une notion plus catholique- y compris le rôle du successeur de Pierre, le Pape. On a un magistère qui balise les interprétations, qui rappelle les choses essentielles, qui nous évite heureusement de dérailler. Il ne faudrait pas que le magistère nous empêche d'avancer. Il suffit qu'il nous empêche de sortir de la route, mais la route doit rester ouverte à de nouvelles découvertes, parce que le magistère n'est pas une barrière sur la route, mais des barrières au bord de la route.

Et là, je vous invite à relire Romains 10,14-17 : «Si de ta bouche tu confesses que Jésus est Seigneur et si dans ton coeur tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé». Et ensuite l'apôtre dit « Comment l'invoquerait-il sans avoir cru en lui? Comment croirait-il en lui sans l'avoir entendu? Comment l'entendrait-il si personne ne le proclame? Et comment le proclamer sans être envoyé? Aussi est-il écrit « Ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent les bonnes nouvelles. Ainsi la foi naît de la prédication, et la prédication se fait par la parole du Christ. »

Relisez aussi le chapitre 2 de la première lettre aux Thessaloniciens. Il y a six fois « la parole de Dieu », « l'Evangile de Dieu ». Et aussi la relation entre la Parole et celui qui porte la parole, c'est à dire Paul qui dit son ministère toujours imprégné par cette parole, imprimé par la parole, toujours au service de la parole. En même temps vous verrez le lien avec les Thessaloniciens, le lien avec la communauté. Cet apôtre ne travaille pas à son compte. Il ne crée pas une secte. Sa joie, c'est de partager avec sa communauté. Il aime cette communauté et il a deux manières de le lui dire : comme un père et comme une mère.





Parole sur le cœur



Enfin je voudrais juste vous lire dans la deuxième lettre aux Corinthiens (3,2-4) le but de l'écriture : c'est qu'elle s'écrive finalement en nous.

« Notre lettre, c'est vous, lettre écrite dans nos coeurs, connue et lue par tous les hommes. De toute évidence, vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos coeurs. » C'est bien là que l'apôtre veut écrire sa lettre, car le parchemin, c'est nos coeurs. C’est aussi notre rôle à tous : laisser écrire par l'Esprit en nous la parole et ensuite devenir peu à peu des écrivains de l'Evangile sur le coeur de ceux que nous rencontrons.

Jésus parle encore chaque jour. Ses paroles sont lancées comme des graines au fond des champs préparés de l'intérieur. Ses mots sont des soleils qui mettent en pleine lumière les désirs et les projets du coeur. En vérité, ses paroles sont déroutantes, ses paroles sont tranchantes. Il est terrible de tomber aux prises de sa parole vivante. Elle chasse l'ombre des recoins où se tassent les sombres projets et se tissent les troubles toiles du mensonge, elle casse les serrures des caveaux où s'enterrent les sales billets et s'impriment les égoïsmes du superflu. Elle touche au coeur et au corps. Elle aide à transfigurer et la loi est mutée en acte de liberté. La pierre est roulée et la beauté est mise au jour comme pain sorti du four.

Parole partage, parole ravage, parole nue, parole crue, parole d'amour, parole lumière. Dieu-parole, parole de Dieu, tendresse pour l'homme, pour l'homme de désir, parole libre qui accouche la vie. (Cf. Charles Singer).



Claude Ducarroz







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