lundi 7 janvier 2013

Au chevet de l'oecuménisme

Au chevet de l’oecuménisme




C’est grave, Docteur ? On le pressentait, mais maintenant, on l’exprime ouvertement: l’oecuménisme est gravement malade.



Le docteur (en théologie) Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, a estimé le 5 novembre dernier à Berne, que « l’oecuménisme officiel protestant-catholique traverse sa phase la plus difficile depuis le début du mouvement œcuménique. » Pour justifier ce diagnostic pessimiste, il y a des signes qui ne trompent pas. Pour Gottfried Locher, « ne pas se reconnaître en tant qu’Eglise et ne pas avoir de but commun pour l’unité, voilà la crise de l’œcuménisme ». Et le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, de lui répondre en écho: « Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables d’avoir une compréhension commune de ce but, à savoir l’unité visible des chrétiens. » Bref, pire que la cacophonie, c’est l’impasse !



En Suisse

Pour ne citer que quelques exemples helvétiques, nous devons constater que les sujets de divergences s’accumulent. Protestants et catholiques ne sont pas d’accord, et ils le disent publiquement, sur l’accès à la Cène pour les non-baptisés, sur une liturgie de « mariage » pour les homosexuels, sur l’accueil réciproque à la communion eucharistique, sur les questions éthiques posées par les débuts et la fin de la vie humaine, etc... La commission chargée de revisiter l’accord du 5 juillet 1973 sur la reconnaissance mutuelle du baptême entre l’Eglise catholique, les Eglises protestantes (FEPS) et l’Eglise catholique-chrétienne peine beaucoup à étendre ce progrès œcuménique à d’autres communautés. Quant aux diverses commissions de dialogue, il faut bien reconnaitre qu’elles cherchent leur second souffle, quand elles ne sont pas saisies par la léthargie.

On ne peut que déplorer une telle situation. Certes, de toutes parts, nos autorités disent et redisent que l’oecuménisme est devenu une dimension essentielle de la vie de nos Eglises. Le cardinal Koch l’a répété à Berne le 8 novembre dernier : « L’oecuménisme est obligatoire parce qu’il répond à la demande du Christ et irréversible parce que le concile Vatican II et tous les papes de Jean XXIII à Benoît XVI en ont fait le cœur de leur prédication et de leur action. » Dont acte. (1)



L’élan de Vatican II

On s’en souvient. C’était il y a 50 ans. L’oecuménisme avait soulevé une immense espérance à partir du moment où l’Eglise catholique était –enfin !- montée dans le train du mouvement œcuménique. Mais, au niveau doctrinal, on ne pouvait pas faire l’impasse sur presque cinq siècles de divergences séparatrices et de différences pratiques. Vatican II a inversé le cours de notre triste histoire d’éloignement. Encore fallait-il refaire le chemin en sens inverse pour se rapprocher et si possible se donner la main dans le respect de nos identités en ce qu’elles ont de conforme à l’Evangile.

Il semble que l’on ait épuisé actuellement la marge de réconciliation sur les liens les plus faciles à renouer. Des progrès incontestables ont été réalisés, tant au plan des doctrines que des pratiques. L’encyclique de Jean-Paul II sur l’œcuménisme –Ut unum sint 1995- a signifié un pas en avant dans la ferme volonté œcuménique de l’Eglise catholique. Il n’est pas anodin de dire, par exemple au sujet du ministère de l’évêque de Rome: « La communion réelle, même imparfaite, qui existe entre nous tous ne pourrait-elle pas inciter les responsables ecclésiaux et leurs théologiens à instaurer avec moi sur ce sujet un dialogue fraternel et patient dans lequel nous pourrions nous écouter au-delà des polémiques stériles, n’ayant à l’esprit que la volonté du Christ pour son Eglise, nous laissant saisir par son cri : « Que tous soient un… afin que le monde croie (Jn17,21) » ? (no 96) Beau programme !

Pour sa part, le Groupe des Dombes a contribué à rendre plausibles et même possibles des avancées décisives sur des points délicats comme la conversion des Eglises (1990), la place de Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints (1999), l’autorité doctrinale dans l’Eglise (2005) ou la réconciliation des divers ministères dans la symphonie des charismes (1972), y compris le ministère épiscopal (1976) et le ministère de communion dans l’Eglise universelle (1985).

Un coup de froid a certes soufflé sur ce beau temps œcuménique lorsque la Congrégation pour la doctrine de la foi a insisté pour dire que les Eglises protestantes n’étaient, à ses yeux, que des « communautés ecclésiales » et non pas des Eglises au sens propre du mot (Dominus Jesus 2000 no 17). Mais ne pouvons-nous pas vivre encore des espérances soulevées par le document de Foi et Constitution (Lima 1982) intitulé « Baptême, eucharistie et ministère » ? (2) Ne devons-nous pas tout faire pour mettre en œuvre la Charte œcuménique européenne du 22 avril 2001 ?



Sur le chantier

Nous sommes maintenant confrontés ensemble aux nœuds les plus coriaces. Car on ne dénoue pas d’un coup de baguette magique les oppositions les plus fondamentales qui ont malheureusement justifié entre nous des siècles de divisions, d’affrontements et même de guerres. Il faut donc s’attaquer aux plus gros points de résistance théologique. Quel rôle pour l’Eglise dans la vie chrétienne ? Quelles figures et configurations d’autorité pour conduire le peuple de Dieu, au plan local et au niveau universel ? Comment revisiter la théologie et la pratique des sacrements ? Et la communion des saints ?

J’entends déjà le chœur des pessimistes : « On n’arrivera jamais à s’entendre sur ces sujets, acceptons nos différences telles qu’elles sont -à savoir irréconciliables- et allons de l’avant ainsi ». Mais est-ce bien cela que le Christ a voulu dans sa prière pour l’unité trinitaire de ses disciples dans la diversité assumée? Est-ce ainsi que se présente, dans le Nouveau Testament, la symphonie des Eglises apostoliques, certes fort différentes, mais toujours unies par une communion pascale fondamentale ? Suffit-il que nous soyons gentiment divisés pour annoncer l’Evangile dans notre société, « afin que le monde croie »?

On sent que nos principaux responsables se contentent de dresser la liste des travaux qui restent à accomplir au lieu de se mettre à l’ouvrage sur le chantier, fût-ce en commençant modestement. L’attentisme n’est pas une vertu chrétienne quand urge le devoir de réconciliation entre Eglises. Nous ne devons donc nous résigner ni au statu quo paresseux ni à l’œcuménisme dépressif qui paralysent nos efforts vers l’unité, alors que continuent de souffler les inspirations de l’Esprit et demeure vivante l’attente priante de tout le peuple de Dieu. Des responsables politiques, en Allemagne par exemple, viennent de le rappeler courageusement aux responsables religieux. (3)



Signes d’espérance

En plus des motivations spirituelles, il y a au moins une bonne raison d’y croire encore et d’y œuvrer toujours : la déclaration commune d’Augsbourg sur la justification par la foi (31 octobre 1999). Le sujet était crucial et délicat. Et pourtant l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale sont parvenues officiellement à un résultat plein d’espérance grâce à la méthode féconde du « consensus différencié » qui honore l’unité des profondeurs de la foi sur la base du respect de diversités acceptables et reconnues dans la manière de l’exprimer et de la vivre. Pourquoi ne pas récidiver sur d’autres thèmes, comme par exemple l’eucharistie ou le ministère épiscopal, si l’œcuménisme n’est pas la victoire d’un camp sur un autre, mais selon la belle expression de Jean-Paul II, « un échange de cadeaux » ? Eh ! bien, échangeons encore !

Nous sommes ensemble au pied de la parole de Dieu, avec nos traditions respectives. Mais « nos Eglises veulent-elles vraiment le changement qu’exige la recherche de l’unité ? », se demande opportunément le président Gottfried Locher.

Un signe intéressant nous vient justement de Gottried Locher. Au moment où les Eglises protestantes s’apprêtent à commémorer les 500 ans de la Réforme en Suisse (2019), il a déclaré courageusement que ces Eglises devaient se concentrer sur l’œcuménisme entre elles, y compris en invitant ces Eglises à « rédiger une confession de foi qui permette de clarifier ce que croient les réformés. » (4) On veut croire qu’il n’y a pas dans cette démarche positive d’un œcuménisme intra-protestant l’aveu d’un découragement dans la poursuite de l’œcuménisme avec l’Eglise catholique. On a assez regretté que le protestantisme ait tant de peine à résister aux tentations d’émiettement pour se réjouir de tout effort de rassemblement. On a assez souhaité que les réformés redéfinissent leur profession de foi, comme ils le firent aux premiers temps de la Réforme, pour attendre avec l’impatience de l’espérance ce que sera le Credo qu’ils nous promettent. Ce sera tout bénéfice pour l’œcuménisme !

En attendant, réjouissons-nous ! Les groupes œcuméniques à la base –notamment parmi les foyers mixtes- continuent leur petit bonhomme de chemin. Il est essentiel qu’ils persévèrent comme ferment actif au sein des communautés, malgré la déception que peuvent engendrer les lenteurs et les freins dans les relations « au sommet ». En pleine page œcuménique -celle de la prière, des partages bibliques, des collaborations interparoissiales –, ces modestes ouvriers de l’unité de l’Eglise doivent poursuivre leur travail de rapprochement, par l’intelligence et par le cœur. Il y a même encore de l’espace sur certaines marges prophétiques, pourvu que l’on demeure sur la page de la fidélité essentielle, certes dans la souffrance de l’inachevé mais aussi dans la joie de réelles avancées. Le risque existe que ces réalisations « à la base » s’opèrent hors du lien avec les autorités de nos Eglises. Mais celles-ci ne doivent-elles pas écouter davantage ces chrétiens sans prétention qui heurtent à la porte de l’unité en marche, afin que nos responsables redoublent d’imagination créatrice pour tracer les voies qui mènent plus rapidement à la réconciliation des Eglises ? Il serait malheureux que nos meilleurs apôtres de l’unité dépriment ou se trouvent marginalisés alors que l’avenir leur appartient, si l’on croit vraiment que l’oecuménisme réussi est le vrai futur du christianisme, selon le plus cher désir de Jésus pour tous les siens.



Claude Ducarroz





1) Mais comment interpréter le fait que l’œcuménisme tienne si peu de place dans le beau message du dernier synode des évêques sur la nouvelle évangélisation (28 octobre 2012) ? Pas un mot sur une éventuelle évangélisation avec les autres chrétiens.



2) Pour être honnête, il faut reconnaître que le document de Lima avait été très fraîchement accueilli par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. (Cf. leur réaction en date du 3 avril 1986).



3) Dans un « document de notre impatience », ces leaders politiques de tous les partis estiment que « l’oecuménisme, c’est maintenant…parce que les différences confessionnelles qui se sont développées dans l’histoire ne peuvent plus justifier le maintien de la séparation dans la chrétienté. » Berlin, le 5 septembre 2012.



4) Gottfried Locher a même utilisé l’expression : «Concentrons nos forces là où, aujourd’hui, la fusion ecclésiale a une chance. … La prochaine étape est de créer l’unité protestante. »





Claude Ducarroz



Article publié dans la revue Choisir de janvier 2013



Voir www.choisir.ch

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire