Homélie
Morat
2013
Mais qu’est-ce qui se
passe ?
Nous condamnons fermement les guerres qui
aujourd’hui opposent des armées, des peuples, des ethnies et parfois même
–hélas !- des religions. Nous les déplorons, et notamment parce qu’elles
emmènent chez nous des hordes de requérants d’asile pas tous les bienvenus.
Nous stigmatisons les fauteurs de violence, d’injustice et d’oppression qui
sont responsables de ces haines sanglantes dont les populations civiles -et
parmi elles beaucoup d’innocents- sont les victimes, souvent impuissantes à
faire cesser l’horreur.
Et pendant ce temps, comme chaque année depuis
1889, nous commémorons en toute bonne conscience, dans une cathédrale au cours
d’une messe, une victoire militaire qui eut aussi, avec les moyens de ce temps-là,
ses contenus de violence et de mort. Dans les deux camps évidemment, mais
surtout dans le camp des vaincus puisque l’on raconte comment les troupes de
Charles de Bourgogne finirent leur aventure téméraire dans un lac pittoresque
devenu rouge de leur sang répandu.
Le fait que nous ayons
finalement tiré de cet évènement tragique des conséquences positives pour notre
population -et bientôt pour notre canton grâce à saint Nicolas de Flue- ne doit
pas occulter le fait que, ce jour-là, des hommes -et même des chrétiens encore
dans la même Eglise- se sont affrontés à mort dans une cruelle bataille.
Toute commémoration
d’un tel évènement, me semble-t-il, doit commencer par reconnaître humblement l’échec
constitué par toute guerre puisque des hommes, fondamentalement frères et
sœurs, en sont arrivés à se massacrer mutuellement comme s’il n’y avait pas
d’autre solution pour résoudre leurs problèmes et leurs conflits. On le voit
encore aujourd’hui.
Nous devons avoir le
courage lucide de le confesser, même lorsque les évènements sont fort éloignés
dans l’histoire. Il ne faut jamais banaliser la violence meurtrière. Au roi
David le prophète Nathan demande de reconnaître sa faute. Et la grandeur du
roi, c’est de l’avoir fait : « J’ai péché contre le Seigneur ».
Seigneur, prends pitié
de nous aussi !
Mais on ne va pas en rester là, évidemment.
Le pharisien qui avait invité Jésus à dîner
chez lui pouvait avoir bonne conscience en toute sincérité. Il faisait partie
de ces gens qui observaient parfaitement la loi et pouvait se targuer d’une
certaine supériorité méritée. La femme qui fait irruption dans la salle à
manger au cours de ce repas fort convivial avait beaucoup à se faire pardonner.
Elle en avait d’ailleurs bien conscience, dans son silence honteux. Aux yeux de
la loi, aux yeux des convives sans doute, il y avait un vainqueur et une
vaincue. On savait qui avait gagné la bataille entre la sainteté et le péché. Le
pharisien alla même reprocher à Jésus de feindre l’ignorer.
Que va faire Jésus ? Il va inviter tous
les deux à aimer, et même à aimer davantage. C’est ça l’important, c’est ça
l’avenir, quel que soit le passé. Et nous savons, nous, par expérience, que
personne n’est parfaitement innocent. Nous non plus.
Car Jésus a l’art de mettre le doigt sur les
vraies plaies. Il désigne les vrais champs de bataille, qui sont d’abord
intérieurs. Il favorise les vraies victoires, qui sont celles que l’on remporte
sur l’égoïsme, la fringale de domination, le méchant plaisir de faire violence,
pour vaincre au lieu de convaincre.
Celui qui aime le
plus, voilà le vainqueur authentique,
quel que soit son passé et même sa mauvaise réputation. Avec la force de
l’Esprit de l’évangile, il est toujours possible d’aimer, plus et mieux, malgré
tout. Et ça va très loin puisque le don peut fleurir en pardon et l’amour
s’étendre jusqu’aux ennemis. Ce que Jésus a montré à la pécheresse et à tant d’autres.
Et qu’il continue de démontrer, y compris avec chacun de nous.
Je nous regarde. Nous sommes ici à titre
personnel, mais aussi, pour beaucoup, à titre institutionnel. Nous représentons
l’état, l’armée, la politique, la culture etc… Et l’Eglise aussi évidemment.
Nous n’attendons pas de ces institutions qu’elles nous fournissent le bonheur « clé
en mains » ni qu’elles deviennent de généreuses pourvoyeuses d’amour.
Est-ce à dire que la question de Jésus ne nous concerne pas :
« Lequel des deux a montré le plus d’amour » ?
Peut-être faut-il comprendre ceci : si les
institutions comme telles –et notamment celles que nous représentons-
n’oeuvrent pas dans l’affectif forcément très subjectif, elles peuvent sûrement
contribuer à créer de meilleures « conditions-cadres » pour celles et
ceux qui veulent miser à fond sur l’amour dans leurs relations personnelles ou
sociales.
Car l’amour finalement peut revêtir toutes
sortes d’habits et prendre d’autres étiquettes. La justice sociale, la sécurité
publique, la prospérité économique, la santé et la formation du peuple, la
solidarité entre les groupes humains, le respect de l’environnement : tout
cela est peut-être une forme distillée d’amour, à dose homéopathique, qui ne
dit pas son nom.
Et là nous sommes tous impliqués et -je
l’espère- aussi engagés. Car toutes les guerres, y compris celles que nous
avons vaillamment gagnées, sont finalement là pour nous le rappeler : il
vaut mieux les prévenir par des sursauts d’humaine bienfaisance, que d’avoir à
en assumer les tristes conséquences. Surtout dans la défaite évidemment.
Et même dans la victoire.
Claude Ducarroz
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