Homélie
13
octobre 2013
Il y a deux manière de pêcher -je précise
aussitôt que je parle de la pêche et non pas du péché. On peut pêcher « à
la ligne » ou « au filet », avec pour conséquences des
rendements fort différents. La quantité et la grandeur des poissons ne sont pas
comparables, évidemment.
Dans l’évangile, il est plusieurs fois question
de pêche et de pêcheurs. Les futurs apôtres étant des professionnels, c’est
plutôt la pêche au filet qui est évoquée, avec des expériences variées. Parfois
au petit matin, les pêcheurs de Galilée reviennent bredouilles. Parfois c’est
un grand succès qui peut aller jusqu’à la pêche miraculeuse sur ordre de Jésus.
Mais il ne faudrait pas en déduire que Jésus était un commerçant d’évangile
« en gros », avec des rabais par quantité et l’obsession du rendement
capitaliste.
C’est même tout le contraire quand il s’agit
des personnes. S’il y avait parfois des foules pour la pêche au filet, il a
généralement préféré la rencontre très personnelle dans le style de la pêche à
la ligne. La ligne de cœur évidemment, comme dirait Jean-Marc Richard.
C’est une des choses qui me touche de plus en
plus en méditant l’évangile : l’attention de Jésus à chaque personne,
telle qu’elle est, quelle qu’elle soit, dans son contexte. Et j’ajoute sa
préférence pour les petits, les pauvres, les malades, les pécheurs.
Cette logique de l’amour christique affleure
dans l’évangile de ce jour : Jésus met en évidence le seul et unique lépreux
revenu pour rendre gloire à Dieu, et de plus il souligne sa condition de
Samaritain, un handicap grave dans la société et la religion dominante de ce
temps.
Ce qui valut à cet étranger cette remarque qui
a sans doute bouleversé sa vie : « Relève-toi et va. Ta foi t’a
sauvé. »
L’évangile est pour tous, c’est vrai, mais la
bonne nouvelle ne peut que nous toucher très personnellement. A l’appel du nom,
les yeux dans les yeux, au coeur de notre cœur. Ce peut être, certes, au milieu
d’une foule, mais ce sera toujours dans le sanctuaire de la conscience
personnelle, là où Dieu nous parle comme un ami à son ami, dans le temple
silencieux de notre mystère.
Une parole forte ou déconcertante toque à mon
intelligence : elle vient peut-être de Dieu.
Une inspiration s’insinue dans mon
silence : et si c’était un appel de l’Esprit Saint ?
Une idée me vient dans ma prière : et si
c’était une invitation à aimer encore davantage ?
Et puis
tant de signes nous sont donnés dans nos rencontres, au gré des circonstances
de la vie. Il y a dans les petits et les grands évènements de l’actualité des
messages à capter et à méditer, comme pour les lépreux purifiés dans les
lectures de ce jour, « afin de rendre gloire à Dieu ».
Finalement, le génie du christianisme, c’est
qu’il nous permet d’aller à la pêche aux perles d’évangile dans la banalité des
jours, dans l’apparente monotonie des faits divers, dans l’humilité des
rencontres très ordinaires.
De la beauté à contempler et à créer, c’est à
la portée de chacun. De la bonté à apprécier et à offrir, c’est pour toi et pour
moi, comme on dit à la COOP.
Un sourire, un service, une attention :
c’est la petite monnaie de la charité semée sur les sentiers de nos existences
si souvent bousculées.
Saint Paul écrit à Timothée qu’on ne peut pas
enchaîner la parole de Dieu. On ne peut pas non plus enfermer l’Esprit Saint
dans un bocal. Notre mission, c’est de déployer nos antennes intérieures pour
capter leur présence un peu partout, pour révéler leur rayonnement et coopérer
à leurs énergies partout à l’œuvre. A commencer dans le cœur et la vie des plus
petits, celles et ceux que le monde ignore, oublie ou même méprise.
Puis-je vous avouer que le bonheur d’un prêtre,
c’est d’aller à la pêche à la ligne de la sainteté, notamment auprès des gens
simples, dont personne ne parle, qui sont souvent connus et sûrement reconnus
de Dieu seul ?
Et si je puis collaborer, ne serait-ce qu’un
petit peu, à leur cheminement pascal, dans leurs joies et dans leurs peines,
j’estime que je suis plus que récompensé.
Je sens alors combien est vraie cette parole, et
pour eux et pour moi : « Si nous sommes morts avec le Christ, avec
lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve avec lui, avec lui nous
règnerons. »
L’Eglise a parfois joué avec les grands filets
censés recueillir les masses au risque de ne pas toujours respecter les
personnes. La société actuelle se lance aussi dans des opérations de
conditionnements publicitaires qui peuvent broyer les individus en massacrant
leur liberté intérieure.
Pour faire Eglise et transfigurer le monde, les
chrétiens doivent donc retrouver la joie de se savoir aimés chacun par l’Amour
même, et oser le révéler autour d’eux dans toutes leurs rencontres, surtout les
plus simples et les plus humbles.
Comme Jésus dans l’évangile !
Claude Ducarroz
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