Homélie du 8 mars 2015
On est pour ou on est contre. Qui ?
Quoi ? Eh ! bien l’évangile de ce jour.
Les non-violents absolus sont sérieusement
gênés par ce Jésus qui, dans le temple de Jérusalem, fait un fouet avec des
cordes et chasse les marchands de bétail en renversant les tables, en jetant à
terre les monnaies des changeurs. Je rappelle que ces messieurs étaient là en
toute légalité, comme on dit autour de certains comptoirs très helvétiques.
Est-ce à dire que cet épisode donne raison à
ceux qui voudraient trouver ici une justification évangélique à n’importe
quelle violence pourvu qu’elle soit le fruit d’une « sainte colère »,
après l’avoir aspergée d’eau bénite ? Vous devinez sans doute que la
question, et donc la réponse, est bien plus complexe.
Nous sommes au début de l’évangile de Jean. L’évangéliste
vient de raconter –et lui seul- l’évènement des noces de Cana en précisant
qu’il s’agit là du « commencement des signes » de Jésus :
« Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » C’est sur
cette route des signes qu’il nous faut donc marcher pour comprendre qui est
Jésus en l’accompagnant pas à pas, notamment durant ce Carême.
Jean veut dérouler devant les yeux de notre foi
en voie de développement des évènements qui peu à peu dévoilent qui est ce
Jésus de Nazareth, dans sa mission de Messie, dans son identité de fils de
Dieu, jusqu’à l’éclosion finale dans le mystère de sa résurrection.
Et dans l’incident du temple purifié, alors que
Jésus monte à Jérusalem pour la Pâque juive, il y a déjà l’essentiel de tout
cela : maître du temple : c’est le Messie des juifs, la maison de mon
Père : c’est le fils de Dieu, relever le temple en trois jours, en
précisant qu’il s’agit de son corps : c’est la résurrection.
Et ainsi de suite, dans une gradation
significative, l’évangéliste va aligner les signes.
*Jésus va guérir le fils d’un officier royal et
un paralysé pour montrer sa puissance capable de faire reculer toute maladie et
tout mal.
* Il va multiplier les pains afin de démontrer
qu’il est, lui, le pain vivant destiné aux foules, en pointant déjà vers
l’eucharistie.
* En marchand sur la mer, il est le maître des
forces de la nature.
* En ouvrant les yeux d’un aveugle-né, il se
déclare « lumière du monde ».
* Et finalement, juste avant sa passion, en
rendant la vie à son ami Lazare, il peut d’ores et déjà affirmer, preuve à
l’appui, qu’il est la résurrection et la vie, ce qui se manifestera pleinement
dans le mystère de sa propre résurrection.
Que retenir de cette course d’obstacles de Jésus,
de ce marathon de signes ?
A y regarder de plus près, et au-delà des
détails qu’il ne faut pas surévaluer, nous pouvons finalement répondre dans la foi
à cette interpellation des Juifs : « Quel signe peux-tu nous donner
pour agir ainsi ? »
Un double signe en vérité, celui dont parle
l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Pour ceux que Dieu appelle, ce
Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. »
Puissance de vie, sagesse par amour. Tout
converge en effet vers la victoire de la vie, jusqu’à ce qu’elle soit « en
plénitude » dans le mystère pascal partagé avec l’humanité.
Et le tout par amour, cet amour semé sur sa
route vers Jérusalem, au bénéfice des souffrants, jusqu’à sa propre vie donnée
sur la croix, cet amour dont les disciples se rappelèrent qu’il faisait son
tourment.
Tout par amour et pour la vie : c’est le
secret ultime des signes peu à peu révélés par Jésus.
Ce doit être aussi le contenu des signes que
nous sommes appelés à manifester, humblement mais clairement, à la face de
notre monde, et déjà tout simplement, comme chrétiens baptisés là ou nous
vivons. Surtout durant ce Carême.
* Pour la vie, le respect de toute vie, surtout
quand elle est fragile, douloureuse, humiliée peut-être, avec cette priorité
aux plus pauvres dont Jésus donnait l’ardent témoignage, au point de devenir
lui-même un pauvre rejeté sur la croix, « scandale pour les juifs, folie
pour les païens », nous rappelle saint Paul.
* Par amour, en ne misant que sur lui pour
réussir sa vie, autrement dit faire notre bonheur en collaborant au bonheur des
autres, y compris de ceux qui sont peut-être moins aimables, et jusqu’au pardon
des offenses, encore l’un des signes donnés par Jésus du haut de sa croix.
Nous ne le savons que trop : il est plus
facile de sonner les cloches de l’hostilité que de faire entendre les battements
d’un cœur ouvert et tendre.
Il est plus facile d’allumer les feux de la
division et du rejet que de propager l’incendie de la solidarité et de la
fraternité.
Mais s’il faut prendre le risque d’être un peu
prophète en ce monde pour être disciples de Jésus, soyons les prophètes de la
vie et de l’amour, et nous serons en bonne compagnie.
En sa compagnie.
Amen.
Claude Ducarroz
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire