Homélie 5ème dim. Carême 2015
Cette fois, on y est ! C’est tout
bon ! Nous sommes le 22 mars. C’est le printemps !
Pas si simple, me direz-vous, et vous avez
raison. Mais ça fait du bien d’y croire, n’est-ce pas ?
Et puis il y a comme un petit bourgeon de
printemps dans l’évangile complexe que nous venons d’entendre. « Si le
grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul –ça c’est l’hiver-,
mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » : c’est le printemps.
Comme fils d’agriculteur dans un pays de plaine à blé, je comprends bien cela.
Encore faut-il le vivre avec et selon le paysan Jésus de Nazareth.
Ce grain de blé, c’est évidemment lui, dans le
mystère de la croix, avec sa mort programmée qu’il envisage comme un
enfouissement dans l’hiver du tombeau, mais surtout avec le printemps de la
pâque par la glorification de la résurrection.
« Nous voudrions voir Jésus »,
disaient quelques grecs venus pour célébrer la Pâque à Jérusalem. On peut en
effet chercher à le voir, comme un spectacle intéressant et peut-être même
fascinant : un crucifié qui revient à la vie. Seulement voilà : Jésus
nous adresse cette invitation : « Si quelqu’un veut me servir,
qu’il me suive, et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. » Dans
l’hiver et au printemps.
L’hiver, on connaît ça. Et ce n’est pas facile
à accepter, encore moins à vivre. Peut-être des épreuves de santé, mais aussi
des deuils. Qui sait ? Des échecs de couple ou de famille, des problèmes
dans le travail ou la solitude de celles et ceux qui se sentent incompris,
marginalisés, rejetés, ce que le pape François appelle « la culture du
déchet. » Le froid de l’hiver peut alors gagner les cœurs et geler les
relations humaines. Où trouver, dans ces circonstances, quelque rayon de soleil
pour susciter un brin de printemps ?
Je ne veux pas déprécier la clarté et la
chaleur des relations d’amour que les humains –quels qu’ils soient- savent
inventer et animer dans toutes les solidarités et compassions que nous repérons
autour de nous. De grands élans ou simplement de petits gestes peuvent faire
merveilles dans les rigueurs de nos hivers personnels ou sociaux, surtout quand
la tendresse s’allie à la beauté pour allumer une espérance plus forte que
toutes les nuits.
Mais il faut bien le reconnaître : face à
certaines épreuves, et notamment face à la mort –la nôtre et celle des êtres
les plus chers-, il nous faut un supplément de soleil qui dépasse nos
capacités, même les plus généreuses. Et c’est là que le Christ nous donne
rendez-vous. Il nous attend au carrefour de nos cris, de nos larmes, de nos
prières. Avec une double promesse : « Si quelqu’un me sert, mon Père
l’honorera. » Et encore : « Moi, quand j’aurai été élevé de
terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
C’est le printemps de l’espérance dès ici-bas,
en attendant l’été du royaume de Dieu, dans le plein midi de la résurrection.
Je le sais : cette double perspective
n’agit pas comme une baguette magique. La croix demeurera toujours au milieu du
chemin, inévitable. Jésus le rappelle sous cette formule déconcertante :
« Qui aime sa vie la perd. Qui s’en détache en ce monde la gardera pour la
vie éternelle. »
Les détachements : personne ne peut nier
que, tôt ou tard, ils font partie de la vie humaine. Mais le détachement sans
autre perspective que la diminution, la perte, le néant : c’est vraiment
ça, glisser et finalement demeurer dans un éternel hiver.
Alors que le Christ –et ça change tout-, nous
offre l’espérance d’un printemps avec fleurs dès maintenant et fruits dans un
au-delà sécurisé par l’expérience pascale de Jésus.
Nous sommes venus à la messe ce matin. Nous
portons tous en nous quelques résidus d’hiver, quelques branches mortes, des
épreuves qui saignent encore, des déceptions qui nous ont griffé le cœur.
La rencontre avec Jésus -dans les lumières de
sa parole, dans la chaude intimité de son eucharistie- peut allumer les
premiers rayons d’un certain printemps intérieur, comme une aurore pascale.
Ce contact printanier peut nous faire passer de
la consolation au courage, de la compassion à la résilience, de l’espoir à
l’espérance.
Jésus lui-même a eu besoin de Symon de Cyrène
pour aller jusqu’au bout de sa route. Nous sommes venus communier au meilleur
Symon de Cyrène pour nous qu’est Jésus lui-même, avec les dons de son Esprit
pour nous fortifier dans la vie, surtout si elle devient parfois pesante pour
nos frêles épaules.
Et sur
ce chemin de Carême, nous pouvons aussi donner la main, pour les entraîner avec
nous vers l’avant de la foi, à celles et ceux qui peinent, qui tombent, qui
n’arrivent pas à se relever.
Personne ne peut prétendre qu’il peut apporter
le printemps à lui tout seul, car il n’est pas le soleil. Mais offrir un rayon
d’amour, de solidarité, d’accueil : c’est à notre portée, et ça suffit
peut-être pour faire pousser quelques perce-neige dans la prairie d’une vie.
« Rends-moi la joie d’être sauvé, dit le
psaume de tout à l’heure, qui ajoute : « Qu’un esprit généreux me
soutienne. »
Mais oui. C’est le printemps.
Claude Ducarroz
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