samedi 6 septembre 2014

Homélie du 23ème dimanche ordinaire

Homélie du 23ème dimanche ordinaire

Et si nous prenions l’évangile à l’envers ?

Pas pour dire le contraire évidemment, mais pour faire le chemin à rebours de ce qui nous est proposé aujourd’hui.
Au chapitre 18 de son évangile, saint Matthieu nous parle des relations fraternelles dans les communautés chrétiennes. On y remarque d’emblée que rien n’est simple. Si ça peut nous consoler ou plutôt nous encourager, il y avait aussi des tensions, et la bonne résolution des tiraillements n’était pas facile à trouver. Mais ici il part du conflit, passe ensuite par la prière et finit par déboucher sur le mystère de la présence du Christ au milieu des siens rassemblés en son nom.

Je vous propose donc de faire le voyage en sens inverse.

Comme chrétiens –ainsi que ce nom l’indique-, nous sommes rassemblés au nom du Seigneur, surtout dans une communauté aussi typée qu’une paroisse, et évidemment à un degré suprême quand nous participons ensemble à l’eucharistie.
Il me semble que tout doit –ou devrait-  commencer par là : prendre ou reprendre conscience de cette présence mystérieuse de Jésus en nous et au milieu de nous, comme il nous l’a promis. S’il est au milieu de nous, c’est parce qu’il est en nous, en moi, mais aussi dans les autres.
Est-ce que ça ne change pas dès lors mon regard sur ces autres avec lesquels j’ai peut-être quelques problèmes de relation ?
Est-ce que ça ne peut pas finalement transfigurer la relation elle-même, de savoir que nous sommes tous habités par le même Seigneur, animés par le même Esprit comme enfants du même Père ?
Il nous faut acquérir ce réflexe avant toute autre chose : nous sommes aimés ensemble à égalité par l’Amour même, celui qui vient faire sa demeure en nous, celui qui vient nicher au milieu de nous.

Mais un tel acte de foi très mystique ne va pas résoudre d’un seul coup, comme par enchantement, tous les problèmes. C’est vrai. Et c’est là qu’intervient la deuxième étape, à savoir la prière qui consiste à se mettre d’accord pour demander ce qu’il nous faut à notre Père qui est aux cieux.
Je suis persuadé que des personnes qui prient les unes pour les autres, et à fortiori les unes avec les autres, sont sur le bon chemin de l’amour et, s’il le faut, de la réconciliation. Car prier fait œuvre de conversion, d’apaisement, de sagesse, de meilleure clairvoyance. Les taupinières cessent d’être des montagnes et des cœurs exposés à l’irradiation de la grâce sollicitée dans la prière ont rentré leurs griffes et ouvert les sources de la bienveillance et peut-être du pardon.
Quand ça demeure difficile d’aimer, quand il semble encore impossible de pardonner, nous pouvons encore prier, pour nous et pour les autres. Peu à peu, sous le rayonnement de cette prière sincère, ce qui est lié va se délier, des nœuds se défaire et des solutions apparaître à l’horizon.

Enfin  il y a le dialogue. C’est ce que Jésus met en scène selon l’évangéliste Matthieu. Car le dialogue n’est pas une invention moderne à l’ère de la communication tous azimuts. Jésus recommande même une formule à trois degrés, qui prouve le bon sens du Sauveur.
* La rencontre seul à seul au lieu de monter aussitôt sur ses grands chevaux sans avoir essayé l’humble face à face dans la discrétion et l’humilité.
* Mais il y a aussi le dialogue facilité et soutenu par de tierces personnes qui peuvent rendre le service de la médiation. On doit pouvoir exercer ce beau ministère dans nos communautés chrétiennes.
* Enfin, il peut y avoir l’intervention de la communauté elle-même ou de ses dirigeants quand on n’est pas arrivé à trouver, seul ou en petit groupe, une issue évangélique à un conflit qui risque d’empoisonner gravement l’atmosphère de la communauté.

Tout cela peut sembler de la petite morale, un peu étroite, un peu mesquine. Et c’est là que l’apôtre Paul, qui avait fondé et dirigeait à distance des communautés avec beaucoup de problèmes, nous arrive avec le mot de la fin : « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a parfaitement accompli la Loi. » Car l’enjeu de tout cela, c’est finalement l’amour, donc l’essentiel du message de Jésus. Et par conséquent l’essentiel du témoignage des chrétiens dans le monde.

Se savoir aimé de Dieu pour mieux nous aimer les uns les autres : voilà le secret de notre existence comme chrétiens ; voilà ce qui peut donner envie à d’autres de devenir aussi des chrétiens, grâce à des communautés qui rayonnent du bonheur d’aimer. Pas sans problèmes ou difficultés, mais en cherchant encore dans l’amour, jusqu’au pardon, les solutions qui permettent de témoigner pour l’évangile de manière crédible, dans une société qui nous observe sans pitié.

Que voilà une belle feuille de route pour nos vies personnelles, familiales, dans les quartiers ou dans la profession, et bien sûr dans nos communautés chrétiennes qui, plus que les autres, doivent sans cesse relever le défi de l’amour selon cette parole de l’apôtre Jean : « Mes enfants, nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. »
I Jn 3,17

                                               Claude Ducarroz


lundi 1 septembre 2014

Le pont de la Poya. Et après ?

Le pont. Et après ?

Il est grand, il est haut, il est beau ! Vive le pont de la Poya !
Et après ? Bientôt libérée de sa mauvaise ceinture de circulation automobile, notre cathédrale va enfin pouvoir respirer allégrement de ses deux poumons de beauté et de rayonnement. N’est-elle pas le cœur historique, mystique et populaire de notre cité ? Sans doute, à la faveur d’un heureux développement, Fribourg a vu surgir d’autres centres vitaux pour l’habitat, la culture et le commerce. Et Fribourg n’est pas Paris, Milan ou Cologne. Mais la cathédrale demeure le lieu symbolique de notre plus profonde identité. C’est pourquoi, dans la nouvelle conjoncture que fournit le pont de la Poya, il est important que toutes les instances intéressées imaginent, décident et réalisent rapidement, en lien avec notre population, des améliorations bienvenues dans et autour de la cathédrale. Il faut qu’elle puisse offrir davantage de services religieux, plus d’évènements culturels et une plus large attractivité touristique et populaire, y compris dans son environnement redevenu accueillant.
De tout mon cœur, avec de nombreux autres habitants de Fribourg, sans compter tous les passants souvent émerveillés, c’est tout le bien que je lui souhaite !

Lettre de lecteur parue dans  La Liberté du 27 août 2014                                                          




dimanche 31 août 2014

Dédicace de la cathédrale

Homélie
Dédicace de la cathédrale 2014

Ainsi donc, depuis sa consécration le 6 juin 1182 par l’évêque de Lausanne Roger de Vico Pisano jusqu’à aujourd’hui, une église a toujours été, non seulement au cœur, mais le cœur de notre cité, et dès le départ, sous le patronage de saint Nicolas de Myre.

Mais finalement, qu’est-ce qu’une église, aujourd’hui, dans notre contexte social et religieux ? Je me suis posé la question à la suite de deux expériences qui m’ont marqué.

* La première, c’était au Canada, exactement à Shawinigan dans le Québec. Je croyais visiter une belle église moderne en forme d’étoile présentée comme un sanctuaire évoquant le mystère de Noël. Et je suis entré de fait dans un restaurant où l’on avait gardé des statues d’anges près de l’entrée et même aménagé un bar du confessionnal.
* La deuxième expérience date du 9 août dernier. Je visitais la charmante ville de Maastricht au sud de la Hollande. J’entrai dans une grande église gothique près de la place centrale…et c’était une vaste librairie, avec un coin pour le bar et la petite restauration dans le chœur de cette église désacralisée et vendue à une chaine de librairies.

C’est dire combien les murs, fussent-ils sacrés et consacrés, demeurent aléatoires dans leur utilisation et même fragiles dans leur existence s’il n’y a plus d’Eglise dans l’église. Je veux dire s’il n’y a plus de communauté chrétienne vivante –l’Eglise avec E majuscule-  pour habiter une église, avec é minuscule. Nous devons en être conscients dans le contexte où nous sommes, y compris chez nous.

Il suffit de rappeler que lors d’une enquête sérieuse de fréquentation de la messe dominicale le week-end des 15 et 16 juin 2013, on a certes recensé dans le décanat de Fribourg 69 messes célébrées dans les églises et nombreuses chapelles, mais avec un total de 4825 pratiquants, soit moins de 10% des catholiques déclarés, et seulement 6% chez les 20-30 ans pour 36% chez les plus de 70 ans.

Ces chiffres ne sont qu’un reflet partiel de la réalité chrétienne, qui, par définition, échappe à toute comptabilité. Et peut-être faudrait-il élargir ce qu’on entend par Eglise avec majuscule, à savoir le rayonnement du Christ et de l’Evangile chez les hommes et les femmes qui, peu ou prou, en le sachant ou parfois sans le savoir, se réfèrent à eux pour vivre humainement.

Je vois trois cercles poreux, à savoir des catégories qui n’ont ni barrières ni frontières, car on circule entre eux suivant les circonstances de la vie.

* Il y a ceux et surtout celles qu’on appelle les pratiquants fidèles et réguliers. Vous sans doute ce matin. Merci d’être là. Sans ce noyau, même modeste en nombre, que deviendrait l’Eglise et que deviendraient les églises ? Tant qu’il y aura des chrétiens avides de la parole de Dieu, affamés de l’eucharistie, désireux de se retrouver souvent avec d’autres pour faire communauté, alors la promesse du Christ sera encore vivante et efficace au cœur de notre monde : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
Car l’Eglise, c’est surtout là où des êtres humains croient au Christ, viennent chercher dans les églises de quoi nourrir cette foi et ensuite la mettre en pratique dans leur vie, même s’ils ne sont pas et ne seront jamais des chrétiens parfaits. Comme le rappelle saint Paul aux chrétiens de Corinthe : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »

* Mais, heureusement, l’Eglise déborde sans doute cette première catégorie de convaincus fidèles et persévérants.
Il y a ces croyants intermittents, parfois occasionnels, qui ont retenu l’essentiel de l’Evangile, même s’ils sont devenus des clignotants de l’Eglise, parfois pour des raisons compréhensibles. Ils se définissent eux-mêmes, en s’excusant un peu, comme des « croyants non pratiquants ». Il faut les accueillir fraternellement quand ils viennent encore, car la famille ecclésiale n’est pas faite seulement des meilleurs et des purs –que nous croyons être parfois- mais aussi de ceux qui cherchent encore du côté du Christ. Ils ont peut-être des difficultés avec l’Eglise -et parfois notre Eglise-, mais ils trouvent dans les beaux restes de leur foi de quoi mieux vivre, espérer et aimer.
Ils viennent parfois dans nos églises pour des piqûres de rappel. Comme c’est important qu’ils s’y sentent bien, même s’il y a des éclipses du côté de l’Eglise, afin de repartir réconfortés dans leur quête d’un sens à leur vie du côté du soleil du Christ,. Finalement : tout comme nous, et nous l’espérons, un jour peut-être : avec nous.

* Enfin il y a la frange de plus en plus importante de celles et ceux qui se sont éloignés même de la foi, en étant souvent très critiques à l’égard de l’Eglise. Ils ont éteint la lampe du sanctuaire. Mais, sans le savoir, ou souvent sans l’avouer, ils profitent encore des bienfaits du christianisme, parfois celui de leur enfance, dont ils ont gardé une certaine mentalité et quelques réflexes de justice, d’amour et de paix.
 Sans le dire ainsi, ils sont des humains aux couleurs chrétiennes, que ce soit par l’état d’esprit, le système des valeurs ou tout simplement les bases de leur culture.
Je les repère souvent dans les touristes ou simplement les curieux de nos églises, chapelles ou monastères, qu’ils visitent avec avidité. Ils cherchent des émotions esthétiques peut-être, mais aussi ils recueillent volontiers des messages d’évangile qui peuvent les faire réfléchir et bouger dans leur désir d’une meilleure humanité.
Je crois que nous devrions être plus attentifs à ce genre de public et faire de nos églises des lieux d’évangélisation douce par le rayonnement de leurs beautés, de leur ambiance sereine, de leur chaleureux accueil.

Au cœur de nos églises, il y aura toujours, je l’espère, l’écoute de la Parole de Dieu,  la célébration des sacrements et la joie de faire communauté dans l’Esprit de l’Evangile. Mais peut-être faut-il aussi ouvrir nos cœurs et déployer nos ailes vers de nouveaux « passants de la foi », « occasionnels de la prière », « alternatifs de la liturgie », « désireux de l’ambiance des sanctuaires », « touristes de la beauté sacrée ». Ils doivent se sentir, à des degrés divers et dans le respect de leur conscience, de la famille de Dieu, de la maisonnée de l’Eglise.
Car nos églises ne sont-elles pas, finalement, les vraies « maisons du peuple » ?          De tout le peuple !

Claude Ducarroz


jeudi 14 août 2014

Homélie de l'Assomption de Marie

Assomption 2014

Le corps. Notre corps humain. C’est le bon moment d’en parler. Je ne dis pas cela parce que les corps s’étalent avec complaisance dans presque toutes les publicités, y compris celles qui n’ont rien à voir avec le corps. Pas non plus parce que, à la faveur de l’été, fût-il pluvieux, beaucoup de personnes, jeunes et même moins jeunes, confondent la plage et la rue. Non.

Quitte à vous étonner, c’est la fête de ce jour –l’Assomption de Marie- qui me ramène au corps. Car le corps est bel et bien au cœur de cette célébration, comme vient de le rappeler l’oraison de cette messe : « Dieu qui as fait monter la Vierge Marie jusqu’à la gloire du ciel, avec son âme et son corps… »
Ainsi donc nous confessons qu’à la suite de Jésus ressuscité, le corps, en l’occurrence le corps d’une femme –Marie de Nazareth-, est désormais pleinement immergé dans la gloire de Dieu, par un mystère d’assomption qui a respecté entièrement son humanité, y compris sa dimension physique.
La corporéité, et pas seulement la spiritualité, est dès lors associée à la divinité en toute transparence. C’est finalement une belle aventure qui commença dans le mystère de la création, en passant par l’incarnation, pour aboutir finalement à la transfiguration « corps et âme » en Marie. Et un jour aussi en nous.

« Dieu les créa à son image, comme homme et femme, il les créa », raconte le premier livre de la Bible, à savoir dans la complémentarité des sexes et la fécondité de leur amour. C’est aussi par notre corps –nos corps différents- que nous existons à la ressemblance de Dieu- Trinité. Il y a donc du sacré et même du divin, en beauté et en générosité, dans nos personnalités humaines, y compris quand elles s’expriment dans les multiples facettes des formes, des sens et des gestes corporels. Tant d’artistes ont exprimé cela, notamment dans la figure de Marie, que ce soit dans les fascinantes splendeurs de sa féminité ou dans les émouvantes candeurs de sa maternité.

Bien sûr, il y eut le péché. Il y a le péché, qui est trop souvent cette corruption du meilleur par le pire. N’empêche que le salut n’est pas venu mépriser le corps sous prétexte de le sauver, comme s’il fallait l’écraser avant de le relever. Le Sauveur, c’est le Verbe fait chair, et en passant par le sein d’une femme pleinement respectée : « Le fruit de tes entrailles est béni », dit Elisabeth à Marie. Et cette femme dans la foule qui dit à Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté dans son ventre et qui t’a nourri de son lait ! » Littéralement : « Les seins que tu as sucés. »

Le salut apporté par Jésus, le fils de Dieu fait homme, touche et transfigure tout l’humain, comme on le voit surtout dans le mystère de la résurrection de la chair pour Jésus le premier né d’entre les morts, comme on le constate aussi aujourd’hui dans la contemplation de l’assomption de Marie, en son âme et en son corps.  Sans compter que chacun de nous est un « promis à la résurrection », à la suite de Jésus et comme Marie, la première arrivée toute entière dans le soleil pascal.

Tous les sacrements, qui agissent tous quelque part par un geste corporel, viennent nous rappeler le beau mystère de l’incarnation. Mais celui que nous allons recevoir bientôt, à l’invitation de l’Eglise, est particulièrement significatif. Que se passe-t-il quand nous tendons la main humblement pour recevoir la communion eucharistique ? Nous accueillons avec foi dans notre corps le corps du Christ ressuscité, celui qu’il a reçu lui-même de sa mère Marie. Et dans ce corps à corps mystique mais réel, nous devenons un peu plus le corps communautaire de Jésus qu’on appelle l’Eglise. Dont Marie est la mère.
Aucune distance, aucun mépris, aucun rejet : le corps est partout, dans la création restaurée, dans la Pâque transfigurée, dans l’eucharistie nourrissante, dans l’Eglise mère porteuse de toutes ces communions. Avec Marie, comme Marie.

Bien sûr, comme fils de Dieu créateur, comme frères bénis de Jésus, comme enfants chéris de Marie, puisque Jésus nous l’a donnée pour mère du haut de sa croix et aujourd’hui du sein de sa gloire : nous avons une belle et difficile mission : croire plus que les autres à la dignité et à la beauté des corps, lutter sans cesse pour le respect absolu de ces icônes de Dieu si souvent manipulées, méprisées, vendues, blessées et même tuées dans notre société violente qui marchandise toutes choses, y compris les corps humains.


 Et peut-être, aujourd’hui plus que jamais, à travers l’eucharistie mais aussi par la tendre fréquentation de Marie, la glorieuse en tout son être : retrouver la joie des corps faits pour l’amour, le partage, les relations, la compassion, la solidarité, l’art, la prière…en attendant la résurrection. 

samedi 28 juin 2014

Saints Pierre et Paul 2014

Homélie
Saints Pierre et Paul

Parfois, le hasard fait bien les choses. Quand le 29 juin tombe sur un dimanche, la liturgie prévoit que le dimanche s’efface pour laisser la place à la fête des apôtres Pierre et Paul. C’est le cas cette année, et nous voici comme transportés à Rome, l’Eglise fondée par ces deux apôtres éminents. Mais attention ! il faut cependant respecter quelques précautions dans les priorités et dans les conséquences.

Lors de l’une de ses premières sorties sur la place St-Pierre, le pape François fit cette remarque : « Je vous entends crier : « Viva il papa ! Vive le pape ! ». Pourquoi ne criez-vous pas plutôt : « Vive Jésus-Christ ! » ? Que le pape soit populaire, en un sens, c’est tant mieux ! Mais que le Christ le soit bien davantage, à la demande même du pape, voilà qui remet toutes choses à leur juste place. Jean XXIII déclara un jour avec son bon sens terrien : « Oh !, vous savez. Je ne suis que le pape ! »

Nous croyons que l’évêque de Rome, pasteur de l’Eglise fondée par le chef des apôtres saint Pierre, a une mission particulière à remplir au service de l’Eglise universelle pour la consolider dans la foi, pour la rassembler dans l’unité, pour la représenter au niveau mondial. « Confirme tes frères », dit Jésus à Pierre, en lui confiant la mission de veiller sur tout le troupeau, comme un roc solide, clefs en mains. C’est un beau service, nécessaire mais fragile, que l’histoire a trituré dans tous les sens au cours des siècles, avec des démonstrations du meilleur et parfois aussi les manifestations du pire.

C’est pourquoi le pape Jean-Paul II a demandé deux choses importantes dans sa dernière encyclique en 1995: « L’évêque de Rome lui-même doit faire sienne avec ferveur la prière du Christ pour la conversion qui est indispensable à « Pierre » afin qu’il puisse servir ses frères. De grand cœur je demande que s’unissent à cette prière les fidèles de l’Eglise catholique et tous les chrétiens. Que tous prient avec moi pour cette conversion ! »

Je vous pose la question : Priez-vous souvent pour la conversion du pape et de la papauté ?

Et puis encore ceci : « Je prie l’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Eglises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres… C’est une tâche immense que je ne puis mener à bien tout seul. »

En résumé, le pape demande aux autres Eglises et aux autres chrétiens de l’aider à « faire le pape » mieux, autrement. Je crois que le pape François s’inscrit aussi dans cette ligne. Aidons-le de nos prières et de nos soutiens.

Voilà pour Pierre, dont l’évêque de Rome est un successeur, en ajoutant aussitôt qu’il hérite seulement d’une partie de son ministère puisque les apôtres sont les seuls à être les témoins directs de la mort et de la résurrection du Christ, qui est la base de lancement de l’Eglise, posée une fois pour toutes, ce qui nous permet de dire et de chanter que nous croyons l’Eglise « apostolique ».

Mais il ne faudrait surtout pas oublier Paul. La fête conjointe de ces deux apôtres si différents nous le rappelle fort opportunément. Rome, c’est l’Eglise née de la prédication et du martyre de Pierre et de Paul, et pas de Pierre seul.
La conversion de Paul sur le chemin de Damas a bouleversé le cercle un peu fermé des douze apôtres. Paul de Tarse s’est ajouté au groupe fondateur, non sans discussion, en leur rappelant qu’il ne leur devait rien au départ, mais en cherchant sans cesse à maintenir ou à rétablir la communion avec eux. On pourrait dire que Paul est le bienheureux « intrus » qui obligea l’Eglise à s’ouvrir sur l’universel les païens et non seulement les juifs- à admettre un certain pluralisme, à faire que l’unité intègre les richesses de certaines  diversités au lieu de se recroqueviller sur l’uniformité. Paul introduit sur la portée de la partition chrétienne une note œcuménique qui doit permettre à l’Eglise de chanter la musique de l’évangile à plusieurs voix, certes harmonisées mais pas étouffées.

Il importe beaucoup que, après les drames des diverses divisions entre Eglises -dont toutes les Eglises sont co-responsables-, le successeur de Pierre et de Paul, à savoir l’évêque de Rome, soit le coryphée des avancées œcuméniques, selon cette intense prière de Jésus à la veille de sa mort : « Père, que tous soient un en nous afin que le monde croie ! »
Un… nous…le monde : telle est, plus que jamais, la feuille de route de l’Eglise et donc la mission de celui qui a été établi humblement ici-bas comme principal berger visible des brebis du Seigneur. Attention ! Les brebis du Seigneur, et non pas les siennes. Premier berger, mais pas le seul. Il y a les autres évêques et les autres ministères. Relié à Pierre mais aussi à Paul, selon une double inspiration toujours à revisiter. Et surtout témoin parmi nous du Christ pascal, le seul vrai et bon pasteur de son Eglise, pour le temps et pour l’éternité.




samedi 21 juin 2014

Pour la saint Jean-Baptiste 2014

Homélie
Saint Jean-Baptiste

En ce 22 juin, ma paroisse d’origine (Montbrelloz) fête sa « patronale » sous la protection de saint Jean-Baptiste. De plus, nous nous souvenons d’un bon serviteur de l’Eglise et de la société, François Duc, décédé il y a 40 ans. D’où le caractère « circonstanciel » de cette homélie.

Il y a comme ça des noms ou des prénoms qui sont plus que des noms et des prénoms : tout un programme, une feuille de route pour toute la vie.

Ainsi du petit Jean, le fils unique de Zacharie et Elisabeth, quelque part en Palestine, celui dont nous fêtons la naissance aujourd’hui dans cette église qui lui est consacrée. Il faut trois surnoms pour le caractériser, parmi tant d’autres Jean de ce temps-là.

* D’abord le précurseur, autrement dit celui qui a conscience qu’il est là pour servir un autre, plus important que lui. Sa façon d’être lui-même, c’est de conduire vers cet autre, à plein cœur et à plein temps, avec une totale fidélité. Il l’a dit : « Il faut que lui grandisse et que moi je diminue, car il est plus grand que moi celui qui vient après moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. »

* Puis le baptiste. Car servir le Christ-Messie, ce n’est pas tomber dans la passivité commode, voire paresseuse. Il a fait signe activement en utilisant les instruments des traditions de son temps, en particulier ce baptême en vue d’une conversion qui bouscula la conscience et la pratique de beaucoup de croyants un peu trop satisfaits d’eux-mêmes, y compris de leur religion. Et Jésus lui-même s’est soumis humblement à ce rite, pour le valider avant de le dépasser.

* Enfin le prophète, le porte-parole courageux, qui osa exprimer des paroles fortes, y compris devant les puissants de son temps, avec tous les risques de cette audace qui l’a finalement conduit au martyre, là encore, en précurseur de Jésus.

En tout cela, nous reconnaissons la transparence des grands saints qui brillent, mais par leur humilité, qui s’activent, mais au service de l’Evangile et non pas à leur compte personnel, qui dérangent en allant jusqu’au bout de leur périlleuse et si précieuse mission.

Quelqu’un, aujourd’hui parmi nous, porte aussi un nom qui est tout un programme. Un nom symptomatique qu’il s’est donné à lui-même sur le conseil d’un ami, a-t-il avoué. « N’oublie pas les pauvres », a glissé à l’oreille du cardinal Bergoglio son voisin de conclave le cardinal de Sao Paulo Hummes au moment décisif de son élection comme évêque de Rome. Il a compris : « Mon  nom sera François ». Et voilà le pape François tout court, pas François premier. Par allusion claire au poverello, ou petit frère des pauvres, François d’Assise.
Et depuis lors, nous voyons se déployer, souvent avec joie et toujours avec une grande espérance, les signes, les paroles et les gestes « franciscains » de notre pape, que nous accompagnons plus que jamais de nos prières et de nos encouragements.
Car dans notre société et aussi dans notre Eglise, avoir ou plutôt être un pape sur le modèle de François d’Assise, c’est suivre la voie ouverte par Jean-Baptiste. C’est pointer sans cesse vers le Christ, être précurseur par la mise en pratique de l’Evangile quoi qu’il en coûte, être prophète du Royaume de Dieu en vivant et en promouvant le style de vie des béatitudes, et d’abord dans l’Eglise, le peuple de Dieu que nous formons tous ensemble sous la guidée de nos pasteurs.
Il n’était pas pape, mais il était aussi un François au milieu de nous. Il en avait la mentalité, la fantaisie, le courage, le rayonnement et surtout la foi : c’est François Duc, dont nous commémorons avec émotion les 40 ans de son départ vers le Royaume de Dieu.

Il nous a tellement donné, en peu de temps, et dans l’esprit du prophète d’Assise, l’autre François, son patron et modèle. Bien sûr, il y a dans le mémorial de ce jour des regrets, du chagrin et peut-être encore quelques larmes, en pensant à son épouse, à sa famille, à ses nombreux amis qui auraient tant voulu le retenir parmi eux.
Mais il y a surtout une immense action de grâces pour ce qu’il fut au milieu de nous, pour ce qu’il nous a permis de faire avec lui et avec d’autres, et toujours au service des autres, à commencer par les plus pauvres, les exclus, les oubliés de notre société.
Il l’a fait par la poésie, par le chant, par l’enseignement, par l’animation faite de beauté et d’imagination débordante, notamment sous le beau vocable de l’Entraide. Et finalement par la prière et le don de sa propre vie, jeune mais si remplie de générosité et de dévouement. En un mot : d’amour. Par là, il nous a aidés à devenir meilleurs. François d’Assise, lui aussi, est mort jeune. Il avait 44 ans.
Mais quand une vie, fût-elle brève, est gorgée d’amour, il y a de l’éternel qui s’allume dans le ciel, et les fleurs qui s’épanouissent –même sur nos tombes- et les fruits qui mûrissent, au delà des souvenirs, dans la poursuite de nos engagements, ont des parfums et des saveurs d’éternité.

Là où Jean le Baptiste et François d’Assise se donnent la main et nous donnent leurs mains, dans le cœur palpitant du Christ ressuscité. Et dès ici-bas dans l’eucharistie.
Continuons donc de célébrer fraternellement, et nos souvenirs, et notre reconnaissance, et nos engagements humains et chrétiens, dans l’ambiance de la communion des saints.

                        Claude Ducarroz


mercredi 18 juin 2014

Commémoration de la bataille de Morat

Homélie
Morat 2014


Je me permets de vous faire une proposition qui, pour être étrange n’en est pas moins honnête : aimeriez-vous être ou devenir « pontife » ? Rassurez-vous ! Il ne s’agit pas de prendre la place de notre cher évêque, ni de pontifier dans l’exercice de votre autorité. Etre pontifiant est d’ailleurs devenu un défaut que l’on traque, à juste titre, jusque dans l’Eglise, surtout depuis l’entrée en fonction du pape François.

Pontife ! Ce qui signifie littéralement « faiseur de pont ». En ce sens, surtout à Fribourg, n’est-ce pas une vocation récurrente  pour nos responsables de toutes sortes ? J’ai compté : depuis mon balcon côté Sarine, je puis apercevoir rien moins que huit ponts, y compris le dernier et le plus beau que nous allons inaugurer ensemble dans la joie le 10 octobre prochain.

Je crois que c’est le devoir sacré, en même temps que l’honneur et la noblesse des autorités, que de construire des ponts entre les êtres humains, afin que la communauté civique s’établisse dans la paix, tout en intégrant les légitimes diversités comme des richesses au lieu d’en faire des occasions d’affrontements, de luttes, voire de guerres.

Car la guerre, c’est le contraire du pontificat. Hélas ! On le voit encore de nos jours : la guerre, ça casse les choses, ça détruit les relations, ça blesse et ça tue les personnes. Même quand la cause est juste, même quand les sacrifices sont honorables, voire admirables, tout reste à reconstruire, y compris après les plus glorieuses victoires, comme ce fut le cas d’ailleurs après la bataille de Morat.

Car ne l’oublions pas ! Il a fallu finalement un grand mais humble pontife pour que cette victoire n’entrainât point une nouvelle guerre, cette fois entre nous, les fiers vainqueurs confédérés et fribourgeois.

Dans le vitrail de Nicolas de Flue, un grand cercle multicolore entoure et embrasse la scène de la réconciliation des Suisses qui valut l’entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération helvétique. Souvenons-nous en pour le remercier.  L’auteur de ce miracle, après Dieu évidemment, est au centre du tableau. Il s’agit d’un père de famille en prière, un magistrat devenu ermite en pleine intercession pour son peuple. Voilà un vrai pontife !

Pour résumer : un saint contemplactif ! Pas besoin de porter nécessairement la crosse ou la mitre. Il suffit d’avoir dans le cœur un immense désir de paix et de puiser dans la spiritualité chrétienne l’imagination pour trouver et le courage contagieux pour partager cette bienheureuse utopie avec ceux qui nous entourent, à commencer par les premiers responsables de la cité.

Finalement, tout est dit dans ce rappel de Nicolas de Flue dans sa lettre aux Bernois en 1482: « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix et la paix ne peut être détruite, mais la discorde est détruite. Cherchez donc à garder la paix. »

Surtout après une guerre, fût-elle considérée comme inévitable voire nécessaire, seule la paix a le bon goût de la victoire. Comme on partage le pain, avec une saveur d’eucharistie. Oui, quand les ennemis finissent par se réconcilier, par trouver les voies de nouvelles collaborations positives, par se rapprocher au point de devenir fraternels au-delà des barrières et des frontières désormais périmées.

Nous commémorons aussi actuellement le début de la « grande guerre » , celle de 14-18  inscrite sur un vitrail du chœur de notre cathédrale, sans oublier celle qui suivit, encore plus cruelle. 

Quels que soient nos opinions ou nos penchants politiques, il faut bien reconnaître que notre Europe est désormais, globalement et nous l’espérons durablement, un continent de paix. Oui, enfin, les pontifes l’ont emporté sur les va-t-en guerre. Ces faiseurs de pont, dont beaucoup étaient des chrétiens affirmés, doivent continuer de nous inspirer, y compris au jour où nous faisons mémoire d’une bataille, parce que la paix dans la justice et la liberté en actes aujourd’hui valent encore plus que les souvenirs des vaillances passées, fussent-elles inscrites dans notre ADN patriotique.

Notre canton et notre ville vont inaugurer un nouveau pont. Pour le construire –pour faire œuvre de pontificat-, il a fallu d’abord creuser profond. Illustration des valeurs essentielles qu’il s’agit de trouver ou de retrouver au fond de nous, personnellement et communautairement, dans notre conscience et dans notre foi.

Il a fallu ensuite dresser vers le ciel des piliers audacieux qui prennent le risque des hauteurs pour vaincre les obstacles d’un terrain escarpé et inhospitalier. Car les vraies profondeurs humaines appellent les élans vers les verticalités spirituelles ou transcendantes, et pourquoi pas ? divines.

Enfin il a fallu construire un tablier qui permette les relations horizontales. Que voilà un bel instrument de communications qui puisse déboucher, nous l’espérons, non seulement vers la fluidité de la circulation, mais surtout vers la beauté de nouvelles rencontres dans la riche communion des diversités humaines, qu’elles soient religieuses, culturelles ou sociales.

Frères et sœurs, en cette fête de la Sainte Trinité, dans le contexte où nous sommes, à savoir entre une victoire à commémorer et un pont à inaugurer, comment ne pas appeler sur nous les vœux de la plus belle fraternité que saint Paul décrivait ainsi aux Corinthiens : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous ! » ?

                                               Claude Ducarroz