Homélie
+ Maurice
Demierre
Déjà 30 ans ! Pour certains, c’est loin,
très loin. Mais pour d’autres, pour nous, c’est si proche encore, si présent.
Des souvenirs certes, mais tellement accrochés
à notre mémoire, tellement imprimés dans nos cœurs. Inoubliable Maurice,
n’est-ce pas ?
Je pense
d’abord à sa famille et à ses amis de Bulle et de la Gruyère, là où il a passé
son enfance et sa jeunesse, dans une religion chrétienne débordante de
militance humaine.
Je songe
ensuite à celles et ceux qui l’ont rencontré plus tard –c’est mon cas-
lorsqu’il cherchait sa voie entre les premiers engagements chez nous et déjà
les appels du large, entre les courages de l’objection de conscience et les
premiers pas dans l’agriculture, et surtout ses rêves d’un monde meilleur
auquel il voulait contribuer très humblement, mais efficacement, auprès des
plus pauvres, en Amérique centrale.
Il y a comme un écho
de son rêve paysan dans la première lecture de cette messe. Dieu enlève à son
peuple le déshonneur de l’Egypte en lui permettant, enfin, le lendemain de la
Pâque, de manger les produits de sa nouvelle terre, « des pains sans
levain et des épis grillés. »
Et puis les souvenirs de là-bas, bien sûr, dont
Chantal est la première témoin parmi nous. Mais sans oublier celles et ceux
avec qui nous sommes en si profonde communion en ce moment, les vivants et les
morts de Somotillo, avec leurs rires et leurs larmes, avec leurs chants et
leurs prières, avec leurs croix pascales encore tachées de sang. Le sang de notre
Maurice, mêlé pour toujours au sang de tant d’autres martyrs, pour la cause des
pauvres, pour la cause de Dieu.
Comme à la messe : « le sang de
l’alliance nouvelle et éternelle. »
A ce propos, je
voudrais associer à nous ce soir deux figures d’actualité qui nous touchent de
près : le père Fernando Cardenal, jésuite nicaraguayen, décédé le 20
février dernier, après toute une vie dédiée à la libération intégrale des plus
pauvres, précisément dans le pays où Maurice a œuvré, là où il est mort, pour
la même cause.
Et puis Berta Caceres,
vaillante militante écologique et activiste politique au service des
communautés indigènes, assassinée elle aussi en rentrant chez elle dans la
ville de La Esperanza au Honduras. C’était mardi dernier 3 mars.
Mais maintenant, il nous faut passer de la simple
mémoire au mémorial, de l’évocation à l’application, et donc à l’implication,
la nôtre, ici et maintenant. Comme on le fait à la messe, à propos de la mort
et de la résurrection du Christ : « Faites,
refaites ceci en mémoire de moi. »
En mémoire de Maurice.
Qu’est-ce à dire ? Il fallait que le nom
de Maurice soit gravé pour toujours sur sa tombe. Il faudrait que ce nom soit
imprimé un jour sur une place ou dans une rue de cette ville. Mais, plus
important encore : son visage souriant n’est-il pas buriné dans nos cœurs ?
Nous croyons que sa personne et sa vie sont inscrites dans le cœur du Dieu
vivant.
Donc nous pouvons, nous devons, quelque part,
le ranimer en nous, le faire revivre autour de nous, le « pascaliser »
en recueillant les lumineuses leçons de sa vie, en retenant, si possible, les
impressionnantes instructions de sa mort.
Maurice, pour aujourd’hui comme pour hier, ce
sont des valeurs immortelles à cultiver, des exemples indélébiles à imiter. Ce
sont des convictions toujours fécondes à mettre en pratique, évidemment dans le
contexte où nous sommes. Et lesquelles, si j’ose en rappeler l’une ou l’autre,
qui ont un goût d’évangile, autrement dit la saveur de précieux services pour
toute humanité, pour toute l’humanité ?
* Ne jamais séparer la charité de la justice, mais
les réconcilier, car il ne faut pas que l’amour soit le paravent doucereux des
inégalités qui blessent et des oppressions qui tuent.
* Agir concrètement, simplement, chacun avec ce
qu’il est et ce qu’il peut, et ne pas se camoufler derrière des slogans pompeux
et des paroles creuses. Dans l’évangile, devant les grands prêtres et les
anciens du peuple, Jésus loue le fils qui est allé effectivement travailler à
sa vigne, et non pas celui qui promettait d’y aller… sans y aller jamais.
* Croire
en un Dieu qui croit en l’homme parce qu’il le veut debout, libre, solidaire, au
moins un peu heureux ici-bas- une créature
nouvelle dans un monde renouvelé- en attendant les joies du Royaume de Dieu.
Il faut
oser le dire : si un tel programme fait partie de la mission incontournable
de l’Eglise universelle, ça passe aussi par une politique humaniste, une
économie de justice, une écologie responsable, une culture vraiment populaire, une
fraternité sans barrière et sans frontière.
Lorsqu’il y a tant à faire, tout à faire même, il
nous faut commencer par les plus petits, les plus pauvres, les plus
nécessiteux. Pas seulement pour eux, mais avec eux, au prix de la vie, s’il le
faut, car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour
ceux qu’on aime. » Un certain prophète Jésus de Nazareth l’a dit et fait.
Et Maurice aussi l’a fait, humblement, comme lui, avec lui, en
« ambassadeur du Christ », dirait saint Paul. C’est pourquoi il
demeure vivant au milieu de nous et avec nous.
J’ajoute encore une chose, avec la conscience
qu’il y a là un saut vertigineux qu’il n’est pas évident à accomplir : je
crois que Maurice est encore vivant dans le monde de la pâque, aux cotés du
crucifié ressuscité.
Je le confesse avec humilité et respect pour
celles et ceux qui ne peuvent pas aller jusque là : je crois à la
communion des saints dans ce Royaume où Dieu met au chaud dans son cœur, en
attendant la rencontre finale, celles et ceux qui, comme Jésus - le sachant ou
non- mettent plus de joie à donner qu’à recevoir. Et parfois à donner leur vie,
au goutte à goutte de la fraternité. Comme une offrande liturgique, la messe
sur le monde.
Il s’appelait Maurice Demierre. Il était de
chez nous, bien de chez nous. Il fut ensuite du Nicaragua, de Somotillo.
Il est
maintenant de partout parce qu’il est en Dieu pour l’éternité.
Claude Ducarroz
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