L’évangile de la nuit
Les
nuits des commencements
Dans
l’histoire du salut, que de personnes surgissent, que d’évènements
surviennent…dans la nuit ! Rien qu’à ausculter les évangiles, la moisson
est abondante. Comme au premier commencement (Il y eut un soir avant le matin. Cf.
Gn 1,5), les commencements du Sauveur Jésus sont marqués par l’expérience de la
nuit. Joseph accueille sa bonne nouvelle « en songe ». La famille
migrante de Nazareth cherche un logement pour la nuit de la naissance, et
finalement c’est la soupente d’une étable obscure qui sert de berceau pour
l’enfant. Dans cette même nuit, des bergers gardant leurs troupeaux découvrent
Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire, pour leur plus grande
joie. Quand viendra le tour des mages, c’est encore une étoile dans la nuit qui
leur indiquera l’endroit où était l’enfant. Mais celui-ci n’était pas au bout
de ses peines. Le sauveur est sauvé par son père Joseph qui prit avec lui
l’enfant et sa mère « de nuit » pour se retirer en Egypte. Plus tard,
ses parents l’ont cherché tout inquiets durant trois jours et trois nuits avant
de le retrouver au temple de Jérusalem.
Ainsi donc,
la nuit est la compagne fidèle de ces commencements christiques. Dieu vient au
jour dans la nuit, Dieu nous met au jour dans nos nuits, en les rendant
lumineuses par sa présence, humble et pauvre, comme un enfant qui vient de
naître pour le salut de tout le peuple.
Les
nuits de Jésus
Les nuits
n’ont pas manqué dans la vie de Jésus, l’envoyé du Père. Pour inaugurer sa
mission, il passe quarante jours et
quarante nuits à jeûner dans le désert. Au terme desquels, c’est la parole de
Dieu - « lumière dans la nuit » - qui lui permettra de triompher des
tentations. Et l’aventure messianique peut commencer, encore par une nuit.
Avant de prendre des décisions importantes, Jésus s’en va dans la montagne pour
prier, et « il passe toute la nuit à prier Dieu. » (Lc 6,12). Les
fruits de cette communion nocturne avec son Père sont aussitôt servis et
goûtés : il appelle les douze apôtres, il les emmène dans la plaine pour
les associer à son ministère au milieu d’une foule immense. Et là, il guérit
les malades et proclame la bonne nouvelle : « Heureux…
heureux… ». Comme chrétiens appelés par le Christ, comme baptisés envoyés
pour annoncer l’évangile à toute la création, nous sommes tous les enfants de
cette nuit de prière, là-haut sur la montagne. Dans cette prière, Jésus nous a
engendrés à notre mission pastorale.
La nuit, ce
peut être aussi la peur, le danger, le découragement, y compris dans les
expériences apostoliques. Tandis que Jésus passe la nuit à prier Dieu à l’écart,
ses disciples affrontent une tempête dans une barque battue par les vagues.
Vers la fin de la nuit, Jésus les rejoint en marchant sur la mer. On comprend
qu’ils l’aient pris pour un fantôme. Quelques brèves paroles suffisent à tout
calmer: « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ». Et Jésus, comme à
Pierre, continue de nous dire : « Viens ». Dans nos nuits
noires, la parole de Jésus nous rejoint encore pour susciter notre confiance.
C’est aussi le temps de la prière pour exprimer notre foi. « Et quand ils
furent montés dans la barque, le vent tomba ».
Encore une
autre nuit. Même scenario, ou presque. Cette fois-ci, Jésus est dans la barque
avec ses amis. En traversant le lac de nuit, une bourrasque menace de submerger
le frêle esquif. Jésus dort sur un coussin. On le réveille. C’est peut-être
aussi cela, la prière dans la nuit de nos peurs. Jésus ramène le calme, mais sa
question demeure pour nous : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous
n’avez pas encore de foi ? »
On aurait
tort d’associer à Jésus les seules nuits tumultueuses. Certaines étaient même
agréables. A Béthanie, Jésus passait souvent la nuit auprès de ses amis. On
sait qu’il y appréciait les repas, qu’il s’y reposa après avoir chassé les
vendeurs du temple (Cf. Lc 21,17), qu’il goûtait là le partage et l’amitié.
Quant au Mont des Oliviers, après avoir consacré toute une journée à enseigner
dans le temple, il y passa la nuit « en plein air », disent certaines
traductions. (Cf. Lc 21,37).
Les
hommes et les femmes de la nuit
Il n’est
pas indifférent que les évangiles aient noté la circonstance de la nuit dans la
vie de certaines personnes proches de Jésus.
La
prophétesse Anne – qui parla de l’enfant Jésus à tous ceux qui attendaient la
libération de Jérusalem – participait « nuit et jour » au culte dans
le temple. Nicodème vint trouver Jésus « de nuit » pour mener avec
lui un dialogue lumineux sur la re-naissance d’eau et d’Esprit afin d’entrer
dans le Royaume de Dieu. (Cf. Jn 3). On retrouvera Nicodème au bord de la nuit
du vendredi saint quand il participera à l’ensevelissement de Jésus (Cf. Jn
19,34).
La foi des
apôtres a grandi au terme de longues nuits où, comme pêcheurs, ils ont peiné
sans rien prendre. Alors, au petit jour, Jésus les invite à repartir en eau
profonde et, sur sa parole, à jeter les filets. Une expérience qui les conduisit
à ramener les barques à terre, à tout laisser pour le suivre. (Cf. Lc 5,1-11). Il
y a des nuits d’échec qui peuvent être le temps propice pour une vocation.
Deux
apôtres se sont signalés spécialement par des actions « de nuit »,
vraiment fort nocturnes. Jésus avait dit à Pierre : « Cette nuit
même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. »
(Mc 14,30). C’est bien ce qu’il fit cette nuit-là. Dans la nuit de l’agonie à
Gethsémani, les apôtres dorment. Pire encore, l’un d’eux trahit Jésus,
contribue à son arrestation et le livre à ses ennemis. Quand Judas sortit pour
faire cela, « il faisait nuit », note l’évangéliste Jean (13,30).
Les
nuits du mystère pascal
L’heure de
Jésus commence par un certain repas d‘adieu. L’apôtre Paul nous rappelle qu’il
a inventé l’eucharistie « la nuit qu’il fut livré ». (I Co 11,23). Après
l’agonie dans le jardin de Gethsémani et toute cette nuit de va-et-vient entre
les autorités de Rome et celles d’Israël, l’heure du Messie est venue sur la
croix. Alors, note l’évangéliste Matthieu, « il y eut des ténèbres sur
toute la terre jusqu’à trois heures. » (27,45).
Nuit de la
mort. Nuit du tombeau. Et bientôt nuit de Pâques.
Le
troisième jour, les femmes durent traverser leur nuit pour oser venir au
tombeau « alors qu’il fait encore sombre » (Jn 20,1). C’est ce même
soir que les disciples rassemblés par la peur éprouvent enfin la joie de
retrouver Jésus vivant qui leur donne sa paix et le souffle de l’Esprit pour
remettre les péchés.
La
résurrection est une victoire sur la nuit, toutes les nuits, y compris les
nôtres. C’est aussi au terme d’une nuit d’échec professionnel que le ressuscité
retrouve les apôtres-pêcheurs sur le rivage, pour la joyeuse reconnaissance et
pour le repas au goût d’eucharistie. (Cf. Jn 21,1-14).
Quant aux
disciples d’Emmaüs, ils reconnaissent le Seigneur à la fraction du pain après
l’avoir invité incognito dans leur chez eux « au soir tombant, quand le
jour touchait à son terme ». C’est dans cette même nuit qu’ils ont
retrouvé la communauté de Jérusalem pour partager avec elle la bonne nouvelle
de Pâque : « C’est bien vrai. Le Seigneur est ressuscité et il est apparu
à Simon. » (Lc 24,29 et 34).
Le
mystère de la nuit
On ne
comprendrait rien à toutes ces nuits s’il n’y avait pas en leur cœur une mystérieuse
« lumière qui luit dans les ténèbres » (Jn 1,5.) Dans toutes ces
expériences nocturnes, quelqu’un trace discrètement un chemin de plus en plus
lumineux. « Je suis la lumière du monde », dit Jésus après avoir
exercé sa miséricorde à l’égard de la femme adultère. Et il ajouta à
l’intention de ses juges impitoyables : « Celui qui vient à ma
suite ne marchera pas dans les ténèbres; il aura la lumière qui conduit à la
vie ». (Jn 8,12). Il répétera cette affirmation et cette promesse après
avoir guéri l’aveugle-né. (Cf. Jn 9,4-5). Il avait même dit auparavant en
regardant ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde. » (Mt
5,14).
Jésus nous
a vraiment accouchés à la lumière en nous arrachant au pouvoir des ténèbres, en
nous plaçant dans le Royaume de son Fils bien-aimé. (Cf. Col 1,13) Oui, il nous
a libérés de toutes nos nuits, et surtout de celles de la mort et du péché. Sa
parole est lumière sur nos routes mal éclairées. Les sacrements allument des
présences divines dans le dédale de nos nuits humaines, à commencer par le baptême
qui fait de nous « des fils de la lumière, des fils du jour, car nous
n’appartenons plus à la nuit et aux ténèbres. » (I Th 5,5). En nous
appelant des ténèbres à son admirable lumière, il a fait de nous un peuple
saint (Cf. I P. 2,9-10). Dès lors, il nous faut « rejeter les œuvres des
ténèbres et revêtir les armes de la lumière pour nous conduire honnêtement,
comme on le fait en plein jour ». (Rm 13,12-13.). Mesurons-nous le bonheur
de cette grâce ? « Dieu a dit : « Que la lumière brille au
milieu des ténèbres ». C’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour
faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du
Christ. » (II Co 4,6.)
En
attendant le jour béni où, dans la Jérusalem nouvelle, il n’y aura plus de nuit
parce que le seul luminaire sera l’Agneau qui nous illuminera tous de sa
gloire. (Cf. Ap 21,23-26).
A paru sur
le site de la revue CHOISIR le 9 janvier 2017
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