Vendredi Saint
Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont
transpercé.
Car le crucifié a été transpercé. Il nous faut
oser lever les yeux vers lui. Et si ça peut renforcer cette dramatique audace,
nous pouvons contempler le grand calvaire placé au dessus de la grille du chœur
en 1430. Il faut le regarder, ce crucifié, qui nous regarde. Il nous faut fixer
ce regard dans lequel se marie en une alliance nouvelle et éternelle la
miséricorde de Dieu et la misère de l’homme, la nôtre.
Voyez comme Dieu nous voit désormais, dans le
regard de Jésus, plein de larmes et de sang. Les larmes du Père, vers les
enfants prodigues que nous sommes tous ; le sang du Fils de Dieu pour nous
purifier de tout péché ; l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie. Ils
coulent encore du côté ouvert, qui ne se refermera jamais, car on ne peut
arrêter le cours d’un fleuve de tendresse quand il est divinement humain et
humainement divin.
Désormais, c’est toujours à cœur ouvert –ce
cœur-là ouvert sur cette croix-là- que se vivront les rendez-vous d’amour et de
pardon entre Dieu et nous.
Tu veux comprendre un peu ce mystère, celui de
Dieu et le tien, l’océan divin et les abîmes de ta soif ? « Avance ta
main, homme de peu de foi, mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule. Sois
croyant ». Crois enfin que Dieu est Amour. Tu tiens la preuve :
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on
aime… Il nous aima jusqu’au bout ».
Regarde encore: jusque là. Quand vas-tu enfin
te laisser aimer par l’Amour : celui-là ?
Et maintenant levons aussi les yeux vers celles
et ceux que nous transperçons, aujourd’hui encore. Car la croix circule un peu
partout dans notre monde, avec le même crucifié et beaucoup d’autres avec lui,
sur cette même croix. Nous avons multiplié les crucifiés, et quelque part,
hélas ! c’est tous les jours vendredi saint.
Nous ne pouvons pas l’ignorer, surtout
aujourd’hui. Il nous reste quelques larmes pour crier et prier, il nous reste
un peu de sang pour offrir et compatir. Nous avons encore un cœur, du cœur,
pour aider, accueillir, soutenir et peut-être même porter, au moins un bout, la
croix de quelqu’un, sur son chemin.
Rien ne nous empêche, au contraire tout nous
invite et nous pousse, à être, si peu que ce soit, des Symon de Cyrène qui
soulagent, des Marie de Nazareth, des disciples bien-aimés, des femmes qui
pleurent au plus près de la croix, des centurions qui croient malgré tout, des
Joseph et des Nicodème, avec des onguents d’amour auprès de tant de tombeaux. Tous
les personnages silencieux de notre chapelle du Saint Sépulcre.
Que pouvons-nous faire devant les drames et les
violences de notre temps, sinon aimer davantage, prier davantage, crier
davantage, agir davantage, pour les innocentes victimes de Syrie et d’Egypte
–ces pays tellement bibliques-, et pour les affamés du Soudan et d’ailleurs,
tous ces nouveaux crucifiés qui nous regardent, eux aussi, parfois avec leurs
yeux définitivement clos, sur les écrans de nos médias. Comme Jésus sur sa
croix à la neuvième heure.
« Voici l’homme », disait Pilate. Et
la réponse de Jésus est toujours la même : « Tout ce que vous faites
à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le
faites ».Oui, on peut encore leur
faire du bien. Ils sont aussi nos frères à nous, quels qu’ils soient, d’où
qu’ils viennent. Aimons-les, au moins un peu, comme Jésus.
Levons les yeux, encore une fois, vers celui
que nous avions transpercé. Et regardons de plus près, par les yeux de la foi,
des yeux lavés dans la lumière de Pâques. Car par son côté ouvert, par ses
plaies encore béantes, c’est toute la puissance d’amour de son Père et notre
Père qui transparaît et rayonne, c’est la vie du Royaume, plus forte que la
mort, qui l’emporte enfin, ce sont les énergies de l’Esprit qui soulèvent notre
humanité et dynamisent l’Eglise. Car « inclinant la tête, Jésus remit
l’Esprit. » A Dieu son Père, mais pour nous ses frères et sœurs.
Aux yeux superficiels de nos médias, le décor
semble toujours le même, plus près du vendredi saint que du matin de Pâques. Et
pourtant il y eut bel et bien ce matin-là, qui fit triompher la vie jusqu’à la
rendre éternelle, qui jeta l’amour qu’est Dieu dans la balance de notre
destinée, qui nous permet l’audace de l’espérance même au milieu de nos
douleurs, de nos combats, de nos échecs. Même au pied de nos croix, buvons à la
source vive, mangeons le pain eucharistique, respirons de l’Esprit-Saint.
O crux ave, spes
unica. Salut, ò croix, notre unique espérance.
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