jeudi 4 août 2011

Mon célibat

Mon célibat : je fais avec…

Le mystère d’un multipack

Toute vocation est un mystère, et le demeure, surtout si l’on estime que l’appel de Dieu a quelque chose à voir avec ce choix. C’est le cas, j’en suis sûr, pour la vocation au ministère de prêtre, d’autant plus que la réalisation de cet appel ne peut être vécue que dans une perspective de foi.
Pour ma part, j’ai ressenti cet appel très tôt, sans doute vers les 10 ans. Rien dans ma famille, ni aucune tradition dans ma paroisse ne m’a poussé à aller dans ce sens. Au départ, j’ai plutôt constaté une gêne et une réserve chez mes parents, qui étaient des chrétiens convaincus mais plutôt traditionnels, comme tous les autres dans mon village. Du côté des camarades, ce furent des moqueries et des méchancetés qui eussent pu faire chavirer mon projet. Quel était-il ? Sans doute celui de « faire comme mon curé » qui était un homme simple, proche des gens et aimés d’eux. Finalement, c’est de l’intérieur que venait l’appel, sans que j’aie ressenti quelque chose de particulier qui tiendrait du « merveilleux ». A dire vrai, j’ai toujours cru que mon bonheur se situerait là, dans cette belle « fonction », même s’il m’est arrivé de craindre de n’y arriver jamais. Pour mon malheur, évidemment.

Et le célibat dans tout cela ? J’avoue que, à mes yeux, il était ecclésialement et socialement lié à la prêtrise, qu’il allait de soi, sans que je m’arrête spécialement sur ses exigences. C’était un « multipack » évident, que je ne remettais pas en question. Encore fallait-il être conséquent, ce que je fus, sans trop de peine. Avec les filles, c’est vrai, j’étais un peu différent des autres, plus réservé, plus prudent. Je savais pourquoi et les autres le savaient aussi. Je me souviens par exemple que je me suis abstenu plusieurs fois d’aller « à la bénichon », préférant rester sur le banc devant la maison plutôt que de fréquenter les bals. Je crois que je n’ai jamais dansé en ce temps-là. Mais ça ne m’a pas beaucoup coûté. Je protégeais un certain trésor : devenir prêtre, et si possible un bon prêtre heureux.

J’ai gardé cet « état d’esprit » durant ma formation, d’autant plus facilement que mon entourage familial était désormais encourageant face au sérieux de ma vocation. Et puis des prêtres veillaient sur nous. Ils « couvaient » un peu ceux qui avaient de telles idées en tête. Y compris à l’internat du collège où une vingtaine de prêtres -certains excellents mais pas tous- nous accompagnaient de près ou de loin dans notre cheminement vers le séminaire. Avant d’entrer dans cette sainte maison, j’ai passé par l’école de recrue. Les dires et les pratiques des copains m’ont souvent étonné, parfois scandalisé. J’apprenais en pure théorie les exploits érotiques plus ou moins drôles des autres camarades, mais sans remettre en cause mon ferme propos qui continuait d’associer indissolublement prêtrise et célibat.

Durant le séminaire, je me suis posé certaines questions, notamment en rencontrant des filles lors de camps et colonies. Peut-être l’une ou l’autre est-elle tombée amoureuse de moi. Je m’en apercevais à peine. Mais pour ma part, je ne crois pas que mon cœur ait été sérieusement troublé à ce moment-là. Peu avant l’ordination, j’ai passé une fois une nuit de profonde réflexion à la chapelle du séminaire. C’était plutôt l’aspect « pour toujours » de l’ordination qui me faisait peur, beaucoup moins le célibat comme tel.

A l’épreuve du réel

Le ministère concret m’a plongé en pleine vie réelle. Je me suis rendu compte que j’avais été passablement « protégé ». La rencontre des couples –mariés ou non- m’a ouvert des horizons nouveaux et m’a fourni des renseignements complémentaires bienvenus. Ce fut notamment le cas dans le ministère de préparation au mariage qui me fut confié, aussitôt débarqué à Fribourg pour mon premier poste. Je bénis le ciel d’avoir fréquenté là des hommes et des femmes bien dans leur chair, dans leur cœur et dans leur foi. Ils m’ont fait deviner les bonheurs de la vie de couple et de famille, mais aussi signalé les difficultés, les épreuves et parfois les échecs qu’elle peut comporter. Tantôt je me disais que ça devait être très beau et même désirable, tantôt je pouvais estimer qu’il y avait aussi des pièges dans ce type de relations, notamment à cause des ambiguïtés de la sexualité. Conclusion : je me trouvais bien là où j’étais et comme j’étais, sans mépris de la condition des autres –bien au contraire-, mais sans envie non plus de la partager à tout prix. Je me considérais d’autant mieux à ma place que ces couples –je le sentais très fort- comptaient beaucoup sur moi, à partir de mon service de prêtre fidèle, pour les aider à vivre le bel amour qu’ils avaient à vivre, non sans contribuer pour ma part à des réparations ou des réconciliations utiles et souvent appréciées.

Je le dis sans forfanterie et sans me croire meilleur que d’autres pour autant : je n’ai jamais eu de relation intime avec quiconque. Mais il m’est arrivé d’éprouver cette abstinence comme un certain sacrifice, je dois le reconnaître. Quand j’étais plus jeune, ce sont plutôt les enfants qui m’ont manqué. Retourner à la cure et me retrouver seul après avoir visité une belle famille avec enfants, ça me procurait un certain regret. Je mesurais combien devait être épanouissante la belle responsabilité de donner et de faire grandir la vie, surtout avec des enfants qui nous ressemblent et d’une certaine manière nous prolongent. Plus tard, une fois passé l’âge d’engendrer, c’est plutôt l’absence d’une « compagne » qui me faisait parfois « froid au cœur ». Car il serait sans doute très agréable d’être attendu par quelqu’un à la maison et de pouvoir tout partager –ou presque- avec elle. En conséquence de cette relative « absence », pour moi la femme demeure entourée d’un halo de mystère qui suscite mon admiration -que de beauté, que de générosité ! En même temps je me trouve maladroit et un peu désemparé devant elle, surtout lorsqu’elle pleure.

Je peux dire en toute sincérité que je n’ai jamais songé sérieusement à passer de l’autre côté de ma promesse. Et pour cela, dans une société hyper-érotisée, je me protège, par exemple en évitant tout ce qui sent le pornographique ou l’exploitation du sexe. Pas par héroïsme, mais par réalisme. D’une part, je prends conscience chaque jour que le célibat, avec la disponibilité et la liberté qu’il m’octroie, reste un bon serviteur de mon ministère toujours très occupé. Où aurais-je pu placer un engagement responsable d’époux et de père dans une vie déjà tellement débordante de rencontres et d’engagements ? D’autre part, il me semble que je repère le sens de mon ministère dans l’attente de tant de personnes à mon sujet, et aucune ne me demande de renoncer à ce que je suis et à ce que je fais pour me concentrer sur une seule d’entre elles. Bien au contraire, on me sollicite tellement que je trouve dans ces relations de pastorale des raisons supplémentaires de demeurer dans un célibat tout « donné aux autres ». Ce sont souvent des couples qui m’ont le plus incité, sans le savoir, à continuer vaillamment la route choisie au départ sans beaucoup de réflexion sans doute. Et puis l’amitié de certains confrères, notamment dans une savoureuse équipe de co-pains, m’a aussi beaucoup aidé et stimulé. On parle de nos vies réelles, y compris en rouspétant, dans un climat de sincérité et d’entraide. C’est très précieux.

Tout cela paraîtra à certains manquer de rayonnement mystique. Au début, j’y ai cru, comme si le célibat, presque automatiquement, induisait une relation au Christ de type privilégié, presque en amoureux. Mais j’ai vite compris que bien d’autres chrétiens et surtout chrétiennes, mariés ou non, vivaient une spiritualité magnifique, plus profonde que la mienne. Là n’était pas la question. La communion au Christ n’est l’apanage ou le monopole de personne. Il est faux d’opposer ou de comparer mariage et célibat sous cet aspect-là. Bien sûr, la méditation de la parole de Dieu, la prière et les sacrements nourrissent la vie intérieure, ce qui ne peut qu’influencer positivement la joyeuse fidélité à ce que le Seigneur nous demande de vivre. Mais cette expérience n’est pas réservée au prêtre célibataire. Je l’ai constaté en fréquentant des monastères, mais aussi en étant le témoin ému et reconnaissant de mariés tout dévoués à leur tâche d’époux et de parents chrétiens. L’amitié du Christ est une grâce offerte à tous, mais elle prend les couleurs et les saveurs de la vocation propre de chacun, sans se prêter à des comparaisons de degré qui nous feraient tomber dans l’orgueil d’être les meilleurs.

Plusieurs types de prêtres

A la lecture de ce témoignage, on pourrait estimer que j’ai toutes les données en main pour défendre bec et ongles l’obligation universelle du célibat pour les prêtres de l’Eglise, telle qu’elle s’est finalement imposée en Occident à partir du concile Latran II en 1139. Eh ! bien pas du tout ! Une meilleure connaissance de l’histoire de l’Eglise me prouve que le célibat « pour le royaume de Dieu » est une chose magnifique, mais qu’il ne peut être imposé à tous puisqu’il est réservé à ceux à qui cette grâce est accordée (Cf Mt 19,10-12). Donc pas à tous. Obliger tous les prêtres à être célibataires, c’est se priver d’autres prêtres qui auraient reçu l’appel du mariage, lequel est aussi une magnifique vocation d’ailleurs sanctionnée par un beau sacrement dans notre Eglise. On sait mieux maintenant que la décision d’imposer le célibat à tous les prêtres de l’Eglise latine obéissait à des motivations fort ambiguës. Les unes étaient fort louables -imiter le Christ sous cet aspect de sa vie-, mais d’autres très contestables, comme la dépréciation de la sexualité dans son rapport au sacré, quand ce ne sont pas des raisons bassement économiques (récupérer les héritages pour l’Eglise). La vie monastique est un trésor dans l’expérience de l’Eglise, mais les prêtres en pastorale n’ont pas tous cette vocation. D’ailleurs les Eglises d’Orient -tant orthodoxes que catholiques- laissent le libre choix du mariage ou du célibat à leurs candidats à la prêtrise. Je ne sache pas qu’elles souhaitent changer leur pratique sur ce point. La discipline du célibat obligatoire pour tous les prêtres est donc une décision tardive et géographiquement limitée dans notre Eglise, même si elle a été étendue ensuite à d’autres cultures à travers le monde à la faveur du dynamisme missionnaire latin. Il faut être réaliste : cette discipline, aujourd’hui comme hier, n’est pas partout respectée. J’ai cru longtemps qu’elle l’était presque parfaitement chez nous. J’ai pris conscience que ce n’était pas aussi vrai que je le pensais. L’histoire de l’Eglise le prouve aussi, y compris chez des évêques et même des papes.

Je pense à mes confrères. Nous étions 12 à être ordonnés pour notre diocèse en 1965. Quatre ont quitté le ministère pour se marier, un autre vivait une relation très « affective ». Certains m’ont dit qu’ils ne regrettaient pas le ministère, car ils estiment qu’il n’était pas forcément fait pour eux. Il y eut, en quelque sorte, une erreur d’aiguillage. Mais d’autres, excellents confrères, souffrent de ne pouvoir être à la fois prêtres et mariés, non pas à cause du célibat en soi, mais à cause de la loi implacable du célibat universel qui plombe le ministère du prêtre dans une seule modalité de l’exercer. Je regrette tellement que de tels confrères, pleins de qualités pastorales et intellectuelles, aient été contraints de renoncer à leur service ecclésial, alors que notre peuple chrétien souffre cruellement du manque de prêtres. D’ailleurs ce peuple ne se trompe pas, qui demande souvent, à travers synodes et déclarations, que notre Eglise revoie sa discipline sur ce point. Pas pour dénigrer le célibat et ses immenses valeurs quand il est bien vécu, mais pour ouvrir davantage les portes d’accès au ministère presbytéral, si utile et même nécessaire à la pleine vitalité du peuple de Dieu, selon l’Evangile.

Bien sûr, je ne vois pas dans le changement souhaité une panacée. Nos misères sont complexes, comme nos grandeurs et nos bonheurs. Je sais que la condition de mariés, surtout de nos jours, est soumise à bien des épreuves et aboutit parfois à des échecs. Une évolution de la discipline, si souhaitable qu’elle soit, ne fournit pas une baguette magique qui résoudrait par enchantement tous nos problèmes. Les nombreux divorces que je constate chez nos collègues pasteurs protestants me font réfléchir et m’incitent à une certaine prudence. Mais il faut aussi le reconnaître : si le mariage comporte ses croix, le célibat en génère aussi, surtout s’il est vécu de manière plus ou moins forcée, autrement dit sans un certain bonheur humain et sans un certain épanouissement spirituel auxquels chacun peut aspirer, avec la grâce de Dieu.

En résumé : je suis pour mon célibat que j’ai la grâce de vivre dans un certain bonheur, en le mettant au service de mon beau ministère de prêtre. Je n’ai aucune envie de changer. Mais je ne vois pas pourquoi il continuerait d’être imposé à tous les prêtres. Pourquoi n’y aurait-il pas une manière « mariée » d’exercer la prêtrise, différente certes mais surtout complémentaire du style célibataire ?
Il y a plusieurs façons de servir le Christ et son Evangile dans la communion de l’Eglise. « Mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous, car à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun. » ICo 12, 6-7).

Claude Ducarroz

Cet article a paru dans le livre intitulé : Prêtres, et après - L’avenir des paroisses et de l’eucharistie.
Ce livre recueille des témoignages de prêtres qui ont quitté le ministère et d’autres qui sont demeurés à leur poste. Pourquoi ?
Ce livre fait aussi le point sur la question délicate du célibat obligatoire pour tous les prêtres de l’Eglise latine.

Editions SaintAugustin 2011
On peut commander le livre auprès de moi (cl.ducarroz@bluewin.ch)

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