Homélie du Vendredi-Saint 2013
Cette fois, c’est la fin. Encore un mince filet
de force, comme les dernières goutte d’eau qui glissent sur le sable brûlant de
l’aridité et de la douleur.
C’est là qu’il va puiser un extrême élan de
courage pour exprimer ses dernières paroles encore audibles, avant le râle,
avant l’étouffement, avant le silence.
Seulement quelques mots arrachés au fond de sa
gorge sèche, pour nous délivrer son message final, son suprême testament.
1. C’est
d’abord l’Eglise qui est visée, et donc nous. C’est qu’elle est là, tout près
de lui, au pied de la croix, l’Eglise dans sa concentration la plus fragile et
la plus intense à la fois. Ils sont seulement quelques uns, surtout des femmes,
le minimum communautaire. Entre autres un homme et une femme, la mère courage
et l’ami rescapé de la peur, la toute sainte laïque et l’apôtre en
ministère : la quintessence de l’Eglise au Golgotha du monde.
Et que dit Jésus ? Il les donne l’un à l’autre,
il les rend définitivement solidaires, il en fait une communauté fraternelle. Femme, voici ton fils ! Marie
reçoit l’Eglise en cadeau d’alliance. Voici
ta mère ! L’Eglise devient mariale dans les noces de sa naissance.
Et désormais, c’est la cohabitation –plus
encore, c’est la communion- qui fera l’Eglise : les vrais disciples
prennent Marie chez eux. C’est dans nos maisons qu’elle se sentira à la maison.
Nous serons bien avec elle, tout en étant chez nous, dans cette demeure
ecclésiale, sous le regard de Jésus, avec la variété des charismes et des
services tout ruisselant d’évangile pascal.
2. Il a
soif. La soif banale de l’agonisant. Mais une autre aussi, profonde et vaste comme l’océan. Dans le
miroir de son Père, Jésus contemple toute l’histoire, l’immense horizon du
salut. Ses yeux de fièvre embrassent toute l’humanité. Le temps s’estompe, les
siècles défilent. De la création à la parousie, c’est un seul battement de son
cœur, un seul baiser d’amour pour la multitude.
Il a soif de nous, et son souffle ramène à lui
et en lui tous les enfants de Dieu dispersés, dans une divine respiration. Oui,
le souffle, l’Esprit, jusqu’à ce qu’il le remette dans la confiance entre les mains
de son Père et le transmette à nous dans l’espérance d’un improbable accueil.
Il regarde encore. L’humanité de beautés et
d’horreurs, de lumière et de ténèbres, le monde tel qu’il est -ou plutôt tel
que nous l’avons fait- dans le creuset de nos merveilles et de nos tragédies
mélangées. Il est là, notre monde, dans ceux qui regardent de loin, ceux qui
rient, ceux qui hochent la tête, chez ces soldats qui s’amusent, chez ces
autorités qui écrasent sous toutes les violences, aujourd’hui comme hier. Mais
aussi, là, dans ces femmes qui pleurent et qui prient, dans toutes les
Madeleine de toutes les conversions, dans les Simon de Cyrène de toutes les
compassions, dans les centurions de toutes les confessions de foi –Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu-
. Et jusque dans le contraste de ces deux larrons, les deux faces de la liberté
humaine, que seul un amour infini peut encore rattraper au bord du dernier
souffle pour un premier partage : Aujourd’hui,
tu seras avec moi dans le Paradis.
Et l’autre avec, espérons-le.
Il fallait une divine soif pour que coule d’un
cœur ouvert par l’amour, sur eux et sur nous, tant d’eau baptismale et tant de
sang rédempteur.
3. Maintenant
c’est la fin. Tout est accompli. Aux
yeux de ceux qui ont mis en scène le cruel spectacle de la croix, c’est terminé,
tout simplement. Ils sont soulagés. Jésus de Nazareth est mort, bien mort. Même
pas besoin de lui briser les jambes pour achever cette œuvre d’extermination.
Mais
pour Jésus, c’est tout autre chose. Tout est accompli parce qu’il a mené
jusqu’au bout sa mission de salut, celle que le Père lui avait confiée dès son
entrée dans le monde. Maintenant, il a terminé sa tâche, en laissant s’échapper
les dernières gouttes d’une tendresse jusqu’au boutiste. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux
et celles qu’on aime. Et c’était nous. Et c’est encore nous.
Tout est accompli, et pourtant il accomplit encore. Oui, dans les paroles qu’il nous
adresse encore par son évangile de feu, dans ses sacrements qu’il célèbre
encore pour la gloire de Dieu et le salut du monde, dans cette eucharistie
qu’il nous demande de refaire en mémoire vive de lui.
Et dans toutes les rencontres aux couleurs
variées de l’amour, dans les couples, dans les familles, dans les engagements
sociaux, entre les Eglises, les religions, les peuples et les cultures, chaque
fois que brille au firmament du monde l’arc-en-ciel de la paix, ou ne serait-ce
qu’une seule étoile illuminée par le soleil de Pâques, un dernier soupir qui
sorte de son corps livré.
Puis, inclinant la
tête, il remit l’Esprit.
Claude Ducarroz
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire