+François
Gross
Vous me pardonnerez sans doute : je ne
veux pas répéter devant vous les nombreux hommages -fort justifiés d’ailleurs-
qui ont suivi l’annonce de la mort de François Gross. Je remercie nos médias
qui ont su les exprimer avec respect et qualité, tout à fait dans l’esprit de
ce grand journaliste francophone et francophile que fut François, le bien
nommé.
Pour ma part, à partir de plusieurs dialogues
et rencontres avec lui, je voudrais seulement délivrer un modeste témoignage,
tout en vous proposant une certaine espérance.
Je le fais à partir de notre commune humanité
et aussi de notre semblable attachement à un christianisme « ami des
hommes » dans une Eglise libre et libérante, comme l’avait remodelée le
concile Vatican II.
Dans ce contexte, j’ose dire que François Gross
a été pour moi, et je crois pour beaucoup d’autres, une sorte de pontifex, je
veux dire non pas un prélat -ce qu’il n’aimait pas-, mais un bâtisseur de pont,
sans cesse muni, dans son sourire énigmatique, d’une chaleureuse invitation à
passer sur l’autre rive, pour goûter avec une curiosité gourmande toute la
nouveauté du paysage environnant.
Catholique lausannois, il se souvenait avec
reconnaissance qu’il était petit-fils d’un pasteur de l’Eglise libre. D’où
cette passion, parfois avec quelques griffes dehors, pour une religion qui soit
servante du meilleur dans l’homme, au lieu de chercher à être la régente des
consciences par un tri sévère entre les gens.
Lui-même plus chrétien que catholique, dans
certains milieux fribourgeois qui lui paraissaient plus catholiques que
chrétiens, François eut le courage de manifester ce christianisme critique qui
rappelât à l’Eglise –à toutes les Eglises- cette vérité basique : le
message de l’Evangile est trop explosif pour devenir la caution molle des
pouvoirs en place, au lieu de miser sur sa puissance de levain dans la pâte
humaine, quitte à déranger les conservatismes ronronnants.
L’Eglise utile pour François, c’était celle qui
se permet d’être résolument prophétique parce qu’elle est capable de se
questionner sans cesse sur ses propres incohérences pour favoriser en
transparence le rayonnement percutant de l’Evangile qu’elle propose.
Nourri aux banquets de la liberté responsable,
il savait à la fois lutter pour le respect des personnes en leur mystère et
rappeler, non sans des vigueurs piquantes, la responsabilité sociale de celles
et ceux qui ont souvent, au titre de quels privilèges !, la fortune des
biens et la force des pouvoirs. Il ne saurait y avoir de compromis face à l’injustice
patente, surtout quand elle se drape dans la bonne conscience.
Serviteur du peuple par son engagement
rigoureusement professionnel dans les medias, François Gross, au milieu même
des reconnaissances officielles qu’il a goûtées, savait garder toujours une
distance d’humour, voire d’ironie.
Il pouvait même faire montre d’un scepticisme
de bon aloi, conscient qu’il était des imperfections des êtres, de la caducité
des choses et surtout de la relativité des institutions, même journalistiques.
Il avait expérimenté, à travers les aléas de sa
propre histoire, quand les ombres s’allongent sur le chemin du destin, que
l’essentiel se niche dans ce qui, en nous et autour de nous, a quelque saveur d’éternité.
Là peut-être résidait le secret de sa riche
personnalité, au-delà de l’écume des chiffres et des lettres, dans les
profondeurs difficiles à exprimer parce que finalement ineffables, que sont
l’amour et l’amitié, et ce Dieu qui pourrait bien se définir lui aussi Amour,
avec la majuscule de son mystère, si grand mais si proche, si présent
maintenant pour lui. Je le crois.
J’ai retrouvé François chez lui, entouré de
tant d’affection et de soins, dans ce petit nid d’aigle bien fribourgeois au
bas de la Grand’Rue.
Les montagnes au loin
pour rappeler et appeler les grands espaces de la culture.
Cette ville à ses pieds comme un champ à
moissonner pour le journaliste dévoré de curiosité et passionné de transmission
-connaître et faire connaître-.
Et puis
ce ciel bleu malgré décembre, comme une invitation à scruter encore plus loin,
à s’envoler encore plus haut, vers les jardins de la Pâque.
Et je pensais alors à ces ponts tout proches, à
quelques pas. Et je voyais François - comme il était petit, comme il était
grand- partir debout sur son pont, lui le pontife des medias, et marcher
vaillamment vers l’autre rive, oui, là où l’attendait -et nous attend aussi- un
certain Père -notre Père- dans sa maison
qui est aussi la nôtre. Et un certain Jésus de Nazareth, le frère universel.
François est parti le lendemain de Noël. Un
autre grand bonhomme est mort, mais c’était le jour de Pâques 1955 à New York.
Teilhard de Chardin –lui aussi un curieux de tout- avait écrit ceci en songeant
à son dernier voyage.
Puis-je vous confesser que je n’ai pu
m’empêcher d’y penser au chevet de François, au moment de son clin d’œil
d’adieu, d’à Dieu :
« O
Energie de mon Seigneur, force irrésistible et vivante, parce que, de nous
deux, vous êtes le plus fort infiniment. …Donnez-moi donc quelque chose de plus
précieux encore que la grâce pour laquelle vous prient tous vos fidèles. Ce
n’est pas assez que je meure en communiant. Apprenez-moi à communier en
mourant. » Hymne de l’univers
Ed Seuil p. 112
Claude Ducarroz
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