mercredi 28 mai 2014

Ascension 2014

Ascension 2014
Homélie

Nous aurons bientôt le pont de la Poya. Nous avons déjà -et chaque année- le pont de l’Ascension. Au-delà de la plaisanterie d’un goût douteux, j’en conviens, il y a cette réalité  programmée et vécue : pour beaucoup de nos contemporains, l’Ascension est surtout l’occasion de « faire le pont » en terme de congé ou de voyage. Ainsi va la société sécularisée dans laquelle nous baignons, y compris chez nous, dans ces pays qu’on appelle « de vieille chrétienté ».

Mais finalement, à force de contempler depuis mon appartement le futur –et bientôt actuel- pont de la Poya, je pense qu’il n’est peut-être pas si faux de mettre en évidence quelques parentés entre ce fameux édifice et la fête que nous célébrons aujourd’hui : l’Ascension du Seigneur.

Pour bâtir ce pont jeté par dessus une vallée plutôt escarpée, il a fallu trois opérations complémentaires. D’abord creuser profond dans le sol, puis dresser de hauts piliers vers le ciel et enfin dérouler un tablier horizontal de solide portée.
Ne serait-ce pas, en symbole et en réalité, l’aventure de Jésus et de l’Eglise -et donc de nous aussi- dans notre destinée humaine ?

D’abord creuser profond. C’est ce que Jésus a expérimenté lors de sa venue en ce monde, « dans la chair », comme dit l’évangile. Issu des abîmes insondables de l’amour trinitaire, il est allé au plus profond de notre condition humaine, en commençant par le sein d’une femme devenue sa mère, en passant par une histoire de partages aux multiples facettes, au gré des rencontres sur le chemin, en allant jusqu’à la croix qui signe la conformité maximum avec nous, dans l’exclusion, la souffrance et la mort. Dans le sol de notre humanité, dans le terreau de notre histoire, il ne pouvait pas planter plus profondément les piliers de son amour. Il l’a fait.

A partir de cette solidarité toute intérieure, il a dressé les colonnes d’une remontée progressive jusqu’à Dieu et son Royaume des cieux, désormais ouvert aussi pour nous. Par ses paroles en forme de « bonne nouvelle », par ses gestes de miséricorde -surtout à l’égard des plus pauvres et même des plus pécheurs-, il a élevé sur notre horizon tragique un édifice d’espérance revenue, de réconciliation possible, et même de vie éternelle avec Dieu. Deux piliers sont là qui brillent au firmament de notre monde: la résurrection de Jésus et son ascension. Oui, la victoire totale sur la mort et tout mal, et l’entrée définitive dans le Royaume des cieux. Pour lui, mais aussi avec lui, pour nous, le moment venu.

Mais pour qu’il y ait un pont, il faut aussi, entre les pylônes qui pointent vers le ciel, un tablier horizontal qui permette la circulation, les rencontres, en un mot : la vraie vie. C’est ce que ces hommes en vêtements blancs sont venus rappeler aux disciples : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » Et Jésus lui-même les avait avertis : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples, leur apprenant à garder tous les commandements que je vous ai donnés. » Autrement dit : le pont de Jésus est fait, certes pour nous conduire au ciel dans la maison du Père, mais il est aussi là, en attendant l’entrée dans son Royaume, pour nous permettre de bien circuler en ce monde comme des chrétiens animés par l’évangile, guidés par l’Esprit Saint et champions de toutes les solidarités humaines, par amour.
Telle est la Poya de l’Ascension, cette rude et belle montée vers Dieu, avec le bon berger Jésus en tête du troupeau humain, avec les projecteurs de la Parole de Dieu pour nous indiquer les bons sentiers et nous éviter les précipices, avec l’Esprit Saint comme dynamisme intérieur et courage d’avancer, voire de recommencer.
Et nous sommes dans la communion de l’Eglise peuple de Dieu en marche, nous nous donnons la main, surtout dans les moments ou les passages difficiles, qui ne manquent pas de nos jours, nous ne le savons que trop.
Plus que jamais, c’est l’heure de l’unité œcuménique. Nous ne pouvons plus nous payer le mauvais luxe de nos divisions alors que nous sommes mis au défi de l’évangélisation dans une société plus païenne que chrétienne, alors que tant de pauvres et d’opprimés comptent sur nous pour trouver ou retrouver dignité et liberté.

C’est ce que l’apôtre Paul rappelle aux chrétiens d’Ephèse, et à nous aujourd’hui, dans cet impressionnant résumé : « Que Dieu le Père ouvre votre cœur à sa lumière pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les autres fidèles et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants… parce qu’il est la tête de l’Eglise qui est son corps. »

Si vous regardez notre beau pont de la Poya, vous verrez que les piliers qui le portent finissent par se rejoindre dans le ciel comme deux mains qui prient. Que voilà encore une belle leçon ! Avant de nous quitter pour son ascension, Jésus nous a donné cette assurance : « Et moi, je suis avec vous tous les jours  jusqu’à la fin du monde. » Dans cette relative absence, la communion de la présence mystérieuse continue, surtout par l’eucharistie, mais aussi par la prière, avec nos mains levées vers le ciel, avec notre cœur recueilli dans le  silence, avec notre vie offerte quoi qu’il nous arrive.
Pour nous aider à marcher vaillamment sur le pont de cette vie, mais sans jamais perdre de vue la promesse du Royaume des cieux.

                                               Claude Ducarroz


samedi 24 mai 2014

A propos de l'Europe

Chère Europe

Je n’ai rien à cacher. Quand je suis né, l’Europe venait d’entrer dans une guerre horrible qui battit tous les records de barbarie. Comme tous les 20 ou 30 ans, depuis des siècles. Une fois de plus, par je ne sais quel miracle, la Suisse était épargnée. Tant mieux pour elle.
Aujourd’hui, à l’heure des élections dans l’Union Européenne, je contemple notre cher continent. C’est un autre miracle. Les anciens ennemis irréductibles sont devenus des amis ; les nations, jadis en guerre à répétition, collaborent pour la paix, le respect des droits humains et la prospérité économique. Un fait merveilleux signe cette réussite extraordinaire : les pays soumis durant des décennies au joug communiste n’ont eu qu’un désir : rejoindre l’Union Européenne. Et ils ont été accueillis. Bravo !
Sans doute l’Union Européenne est-elle encore imparfaite, comme toute institution humaine, finalement encore très jeune à l’aune de l’histoire universelle. Mais qui peut nier qu’elle a transfiguré pour longtemps l’état d’esprit de notre continent, en exorcisant les instincts guerriers, en diffusant une ambiance et une pratique de fraternité internationale ?
Et pendant ce temps, la Suisse boude ce grand idéal de paix en voie de réalisation laborieuse. Nous qui avons échappé au pire pendant que nos voisins souffraient le martyre, nous devrions être les pionniers prophétiques d’un tel projet. Ne serait-ce que par reconnaissance pour l’exception suisse entre 39 et 45, qui fit de notre pays un « béni des dieux ». Oh ! bien sûr, nous ne sommes pas méchants. Seulement un peu égoïstes. Quand il s’agit de prendre les risques de l’Europe unie, nous mettons la main à notre porte-monnaie et nous estimons toujours que ça coûte trop cher, que les bénéfices ne valent pas l’investissement. Sommes-nous tous devenus des banquiers ?
Et pourtant, à y regarder de plus près, l’Union Européenne, même perfectible, ne véhicule-t-elle pas des valeurs profondément chrétiennes, même sans l’étiquette AOC ?
Tandis que les citoyens européens se donnent de nouvelles autorités, là dans notre petit coin tout helvétique, nous devrions au moins réfléchir. Et voir un peu plus loin que nos « monts ensoleillés ».

                                                                                                          Claude Ducarroz

Cet article a paru comme éditorial sur le site  cath.ch

samedi 17 mai 2014

Homélie du 5ème dimanche de Pâques RTS

Homélie
RTS
18 mai 2014

Un chemin…une maison ! Ouf ! On est sauvé !
Vous êtes-vous jamais trouvés égarés, sans savoir où vous étiez et donc sans savoir où aller pour prendre la bonne direction, et retrouver enfin l’endroit où vous étiez attendus ?
Perdu ! Peut-être sans aller jusque là, et tant mieux pour vous.

Mais vous savez bien comme moi que d’innombrables hommes, femmes et même enfants en sont là à travers le monde. A cause de la guerre, de l’exclusion, de la misère, de la famine : partir, par terre ou par mer, n’importe où, sans savoir où l’on arrivera, ni comment. Et peut-être même en imaginant qu’on échouera plus probablement sur les rivages de la mort qu’au port improbable du salut.

Et puis une telle aventure peut-être intérieure, morale, affective, spirituelle, même chez nous, dans l’enchevêtrement toujours plus complexe des moyens de communications modernes et des résidences multiples qui n’empêchent pas la solitude et parfois le désespoir.

Et voici que tout à coup, aujourd’hui dans l’évangile, il est question de maison et de chemin, justement. Une maison bien habitée où nous sommes attendus, un chemin sécurisé pour aller précisément dans cette maison-là. Heureusement !

Ce n’est pas qu’il n’y ait jamais, avant de trouver cette bonne adresse, une recherche qui puisse aller jusqu’à l’angoisse, puisque Jésus nous dit : « Ne soyez donc pas bouleversés ». Dans toute quête profonde, il y a aussi le passage par quelques tunnels, c’est normal.

Mais là, enfin à la maison. C’est une demeure, autrement dit un endroit où il fait bon demeurer, où l’on a envie de rester parce qu’il y fait clair et chaud. C’est que l’hôte qui nous attend, au-delà des ravins de la mort, n’est pas n’importe qui : Dieu comme Père, avec un cœur maternel, le Dieu de la lumière éternelle, le Seigneur de l’Amour qui ne s’éteint jamais.

On pourrait appeler cela un foyer, là où les amoureux se trouvent bien, à la juste température de la tendresse infinie. Car là, à savoir dans le cœur même de Dieu, si nombreux que nous soyons, il y a de la place pour tout le monde. Ta place, ma place sont même préparées. Nous sommes attendus pas seulement par Dieu, mais en Dieu. Une maison en forme de Dieu lui-même : voilà notre lieu de rendez-vous pour toujours.

Et puis le chemin. Car on pourrait imaginer que de telles promesses sont certes merveilleuses, mais très hautes, lointaines, inaccessibles. Ou du moins pas à la portée de tout le monde, et surtout pas de moi.

Eh ! bien, quelqu’un est venu à notre rencontre pour nous montrer le chemin. Mieux : nous ouvrir ce chemin. Plus encore : il est le chemin qui, à travers la vérité de son amour, nous conduit à la vie éternelle. Un chemin qui est quelqu’un, un chemin de chair et de sang, qui peut nous tendre la main, nous donner sa main, nous serrer sur son cœur, pour nous mener, tout en douceur et en sécurité, vers la maison de son Père qui est aussi notre Père.

Il suffit de se laisser guider.
* Il y a la lumière de sa parole pour cela, lampe sur le sentier, clarté devant nos pas.
* Même si nous devons passer par la nuit de la mort, nous croyons, sur la foi de témoins crédibles, qu’il est sorti vivant de l’autre côté du tunnel de la grande détresse, au point de pouvoir nous appeler « des ténèbres à son admirable lumière. »
* Pour parcourir le voyage de notre vie, en pèlerins exposés à tous les temps, il nous faut pouvoir faire halte de temps en temps dans l’auberge du repas partagé : c’est l’eucharistie, là où notre divin compagnon de route se fait tellement humain qu’il peut nous dire en nous les offrant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps livré pour vous ; prenez, buvez, ceci est mon sang versé pour vous. »

Et puis, dans cette caravane de la vie en route vers la maison qu’est Dieu, avec Jésus Christ et autour de lui, il y a tout un peuple. Nous ne sommes pas seuls, heureusement.
Il y a « la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu. » Derrière ces mots un peu difficiles à comprendre, n’allons pas chercher très haut ou très loin. Il y a le visage aux mille contours des autres chrétiens, l’Eglise des Eglises, les disciples enfants de la croix, de la Pâque et de la Pentecôte, qui se sont multipliés à partir de Jérusalem et jusqu’au bout du monde, à la suite des premiers apôtres. Et puis on a ajouté de nouveaux ministère, par exemple les diacres, et tant d’autres encore, hommes et femmes, fidèles employés dans la maison ecclésiale.

Quel bonheur, quel honneur de faire Eglise tous ensemble, pas parce qu’on est meilleur que les autres, ni pour se mettre à l’abri du monde, mais pour se laisser envoyer là où nous vivons au jour le jour en témoins de l’évangile libérateur et constructeur d’humanité à l’image de Jésus. Rêvons et réalisons une Eglise qui bâtit des ponts entre les maisons humaines, qui construit dès ici-bas une cité de fraternité et de paix.

A cause de ce Jésus qui a même osé promettre : « Celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes. »
Pas nous tous seuls, évidemment, mais lui et son Esprit en nous.

Beau programme ! Allons-y !


Claude Ducarroz

samedi 10 mai 2014

Dimanche du Bon Pasteur

Homélie
Radio suisse romande
11 mai 2014

Je me souviens. Une fois l’hiver bien installé dans la plaine broyarde d’où je viens, nous guettions l’arrivée des moutons. Je veux dire le passage d’un troupeau emmené par un berger accompagné d’un chien très obéissant, et ses brebis qui cherchaient quelques brins d’herbe encore verte, parfois sous la neige. J’admirais la vigilance du berger qui n’abandonnait jamais ses bêtes, même la nuit, et le soin particulier qu’il apportait aux agneaux, nos préférés évidemment.

 Je l’ai découvert plus tard : ce spectacle touchant, c’était aussi une parabole de l’évangile, et précisément le récit d’aujourd’hui, « dimanche du bon Pasteur. »
Selon l’heureuse nouvelle de ce jour, Jésus a toutes les qualités du bon berger : il connaît ses brebis, c’est  pourquoi elles écoutent sa voix ; il marche à leur tête et elles le suivent volontiers ; il les appelle sur le ton de la tendresse, elles peuvent donc aller et venir en toute confiance: il les mène sur de bons pâturages, il les protège s’il le faut, il est au service de leur vie.

S’il est un mot qu’on utilise souvent dans les discours et les écrits de l’Eglise, c’est bien celui-là : la pastorale. Il y a 50 ans, le concile Vatican II se voulait « pastoral ». Les divers conseils qui se multiplient dans les organigrammes de l’Eglise se nomment « pastoraux », ou du moins leur but est d’organiser ou de soutenir la pastorale. Dans les Eglises de tradition réformée, les premiers responsables se nomment « pasteurs » et les communautés nouvelles ont à leur tête des bergers…ou bergères.

On pourrait donc en conclure, avec une certaine bonne conscience, que nous sommes tous « en plein dans le mille de l’Evangile » avec nos structures, nos planifications et nos initiatives…pastorales. Sauf que justement dans ce chapitre 10 de saint Jean, au verset suivant, Jésus dit : « Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Le vrai berger, le seul pasteur, ce n’est donc pas nous, mais un autre, le Christ de la croix et de Pâques.

La preuve : Pierre, à qui le Seigneur Jésus avait dit au soir de la résurrection : « Sois le berger de mes agneaux, sois le berger de mes brebis », c’est le même qui écrit, sans doute depuis Rome : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous. » Pas lui, Pierre, mais le Christ ressuscité évidemment. Pas ses brebis à lui Pierre, mais celles de Jésus.

Et voilà qui situe mieux tous nos efforts de pastorale. Pas pour les rendre suspects par principe, car finalement la pastorale est peut-être ce que nous pouvons faire de mieux dans l’esprit de l’évangile et dans la communion de l’Eglise et des Eglises. A une condition cependant : que nous nous mettions au service de l’unique bon pasteur et non pas à notre compte, dans la boutique de notre petit enclos personnel.

Donc oui à la pastorale, mais celle du pasteur que Dieu nous a envoyé, nous a révélé et finalement nous a donné dans un grand geste d’amour, jusqu’à la croix, jusqu’au cœur ouvert par la lance, jusqu’au tombeau vide parce qu’il est ressuscité, vivant, présent au milieu de nous et en nous. Qui dit mieux ?

Peut-on entrer dans quelque détail, sans avoir l’air d’être meilleur que les autres ni leur faire la leçon ?
* Entrer dans la bergerie par la porte, c’est frapper à la conscience de chaque humain avec la douceur de l’amour, et non pas la contrainte de la force ou de la propagande.
* Proposer la foi, l’offrir humblement, et non pas l’imposer.
* Ouvrir la porte en nous souvenant de ce que le pape François
 --qui a certes reçu une haute mission pastorale- vient de rappeler : « L’Eglise n’est pas une douane, mais la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile. » (La joie de l’évangile no 47).

Dans nos responsabilités pastorales, quelles qu’elles soient -depuis les évêques jusqu’aux laïcs, aux religieux et religieuses, en passant par les prêtres et pasteurs, sans oublier les diacres- nous mettons nos yeux, nos oreilles, notre voix, nos mains, nos pieds et tout le reste au service d’un évangile qui nous vient d’un autre, tellement plus important que nous.
Il nous adresse à tous une « bonne nouvelle » et non pas une volée de bois vert soit disant évangélique, même si nous avons tous à nous laisser convertir, dans le micro-onde de la miséricorde.
Les verts pâturages du psaume sont encore là, dans le jardin de Pâques, près de la fontaine du baptême. Il y a le pain savoureux de la parole de Dieu, il y a le festin gouteux de l’eucharistie, il y a le bon air de l’Esprit Saint qui souffle où il veut, pour nous faire gambader comme des agneaux dans l’ambiance libérée du Dieu-Amour.
Et si nous sommes un troupeau, dans la communion de l’Eglise, ce n’est pas pour devenir des moutons bêlants et dociles, mais des frères et sœurs solidaires, attentifs aux plus faibles et aux plus pauvres, dans le seul but de favoriser la vie et le bonheur partagé le plus largement possible, y compris avec celles et ceux qui sont différents de nous, qui ne sont peut-être même pas de notre bergerie.

Telle est la belle aventure de la transhumance chrétienne, avec le bon pasteur à notre tête, y compris dans l’hiver du monde, parce que nous nous savons sauvés, surtout lorsque nous nous égarons comme des brebis perdues, puisqu’il vient toujours à notre recherche afin « qu’il y ait un seul troupeau et un seul pasteur. »

Celui qui conclut ainsi : « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance. »


Claude Ducarroz

samedi 3 mai 2014

Pâques papales

Pâques papales !

Dans la foulée des fêtes pascales, le pape François va proclamer le 27 avril prochain la canonisation de deux de ses prédécesseurs, à savoir Jean XXIII et Jean-Paul II.
Dieu merci ! Notre Eglise peut rendre grâces pour la personnalité et le ministère des derniers papes. De toute évidence, sans être parfaits –puisque la perfection n’appartient qu’à Dieu-, ces évêques de Rome furent de bons chrétiens, de saints hommes, comme on le dit parfois. Ce ne fut pas toujours le cas au cours de la longue histoire de notre Eglise. Fallait-il déjà canoniser ces personnages éminents, très admirés mais aussi, par quelque biais, contestés ? Je pense en particulier à Jean-Paul II, un géant du 20ème siècle, qui a quitté la scène de ce monde il y a moins de 10 ans, sans que l’histoire ait pu faire œuvre de discernement détaillé sur son rôle réel dans les affaires de l’Eglise et dans les évènements de la société.
La canonisation remplit plusieurs fonctions dans la vie de l’Eglise, et par conséquent dans la vie des chrétiens catholiques, sans oublier un certain impact sur les relations entre Eglises et  jusque dans la société. Elle met en pleine lumière le témoignage évangélique des nouveaux saints ; elle est un acte de reconnaissance  -dans les deux sens du terme- à l’égard de personnalités qui ont marqué positivement notre temps ; elle incite à imiter les attitudes profondes de ces modèles d’humanité réussie, même si le mimétisme est forcément restreint quand il s’agit de saints aussi singuliers que des papes !
Mais ne nous trompons pas, y compris dans l’enthousiasme que suscitera la canonisation de deux figures chéries de notre Eglise, pour des raisons d’ailleurs assez différentes ! La sainteté reconnue de certains élus privilégiés renvoie au seul Saint puisque qu’en admirant les exploits évangéliques des saints nous rendons d’abord hommage aux dons gratuits que Dieu leur accorda, au service de son Eglise et de toute l’humanité. Et puis il y a tellement d’autres saintes et saints qui ne seront jamais canonisés et dont les noms sont inscrits au livre de la mémoire vive de Dieu parce que leurs vies sont gravées sur le cœur d’amour de Jésus.
Finalement, la canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II nous ramène au mystère pascal. Leurs vies, comme celle de tout chrétien, découlent de l’amour rédempteur qui a coulé de la croix du Christ, qui rayonne par la puissance de sa résurrection, qui trouve sa fécondité dans le don de l’Esprit. A leur place, éminente et servante à la fois, ces deux papes nous invitent à nous laisser transformer par l’amour du Christ, chacun là où il est et comme il est : un baptisé de Pâques, en voie de sanctification.
Même sans espoir de canonisation !

                                                                       Claude Ducarroz


Editorial paru dans « Paroisses vivantes »   UP Notre-Dame de Fribourg  Avril 2014               

samedi 19 avril 2014

Pâques 2014

Pâques 2014

« J’ai tout pour être heureux. Mais je n’arrive pas à être heureux ! »

Cet heureux-malheureux, c’est un ami que j’ai rencontré il y a deux semaines.
Une belle carrière professionnelle, une épouse magnifique à tous points de vue, quatre enfants qui vont bien, et maintenant des petits-enfants : il pourrait –il devrait- être heureux. Il ne l’est pas. Et c’est même tout à son honneur : il est extrêmement sensible à ce qui se passe autour de lui, et jusque dans le vaste monde. « Je vois et j’entends tant de violences, de guerres, d’injustices, me dit-il,  que ça m’empêche d’apprécier mon bonheur personnel. Je suis malheureux du malheur des autres. »
Je le sais, et cet ami me l’a confirmé dans la discussion : il n’est pas croyant. D’ailleurs il m’a dit : « Qu’est-ce qu’il fait ton bon Dieu dans tout cela ? »

Je n’ai pas de réponse facile, toute faite, à de telles questions, que je me pose aussi comme homme et même comme chrétien.
Et pourtant je n’ai pu m’empêcher de le lui dire : je ne vois qu’une lumière au bout du tunnel. Ce pourrait être la réponse à la question : la résurrection du Christ.

Sur la croix de Jésus de Nazareth, apparemment, qui a gagné ? La mort d’abord : « Et inclinant la tête, il expira. » Et puis aussi tout ce qui a conduit à cette mort : les mensonges, les moqueries, les lâchetés, et finalement l’injustice de la sentence, la cruauté des mauvais traitements, le poids de la croix, et jusqu’au coup de lance final, même après la mort, pour bien achever l’ouvrage.

Les femmes qui viennent au tombeau au lever du jour en sont encore là. Certaines ont regardé de loin, d’autres ont pleuré au bord du chemin, les plus proches étaient au pied de la croix. Que leur restait-il finalement ?  Des souvenirs, des larmes, une compassion triste. Et des parfums pour le mort, selon la tradition funèbre de leur culture.

Et puis soudain tout bascule, de l’autre côté, du côté du Dieu de la vie, du côté de l’amour vainqueur : « Il n’est pas ici », là où gisent les feuilles mortes de la mémoire. « Il est ressuscité », là où commence un printemps de nouvelle et invincible espérance. « Car ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus. Sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. »

Voilà le cadeau de Dieu à l’homme Jésus, « le premier né d’entre les morts. »
On pourrait en rester là, à la limite se réjouir pour lui parce qu’on n’est pas jaloux. C’est intéressant et même médiatiquement croustillant: un humain est sorti vivant de son tombeau. Pourquoi pas ? Tant mieux pour lui.

Mais nous ? Personne, croyant ou non, devant sa propre mort et la mort de celles et ceux qu’il aime, et devant le spectacle souvent lamentable de notre monde labouré par les forces du mal et de la mort, personne ne peut éviter cette question cruciale: qu’en est-il de nous si, comme certains le disent, Jésus de Nazareth est bel et bien ressuscité ?

Une phrase résume tout : « le premier né d’entre les morts » est aussi « l’aîné d’une multitude de frères et sœurs »…que nous sommes.  Ce Jésus, qui est mort comme nous et pour nous, nous entraîne dans le souffle puissant de sa résurrection, comme un tsunami de vie plus forte que toutes les morts, comme une tornade d’amour plus intense que tout mal et tout péché.

Ce matin-là, notre tragique histoire a changé de sens malgré les apparences : le temps remonte la pente descendante de l’inhumain, la vie acquiert une dimension d’éternité, l’amour devient la seule feuille de route du vrai bonheur.
Tel est le cadeau de Pâques, de la part de Dieu, coulant du côté ouvert du Christ, sous le souffle de l’Esprit Saint.

Dans le baptême, et aussi dans chaque eucharistie, nous accueillons à nouveau ce divin cadeau. Il est là en personne, lui qui nous a dit à travers l’apôtre Paul : « Baptisés en Jésus-Christ… nous vivrons une résurrection qui ressemblera à la sienne… puisque nous sommes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ. »
Et c’est ce même Jésus que nous recevons dans l’eucharistie, « en rappelant sa mort, en célébrant sa résurrection, en attendant son retour dans la gloire. »

Voilà où nous sommes aujourd’hui, voilà où nous en sommes à cause de Pâques.
Il nous reste à vivre dans cette lumière, avec cette espérance au cœur, gratuite, merveilleuse, invincible.
Et qu’est-ce que ça signifie ?

Compter fermement sur la promesse issue du tombeau vide de Pâques : notre vie mortelle est donc vouée à la résurrection. Par ailleurs, notre existence ici-bas doit refléter, en nous et autour de nous, le choix de Dieu pour la vie, l’amour, la réconciliation, la paix, finalement la vraie fraternité pascale, à savoir universelle, pour tout homme et tout l’homme.

Et puis il nous faut partager le cadeau avec les autres. On ne va pas savourer la grâce de Pâques comme des égoïstes, tous seuls dans notre coin. Vous avez entendu : avant même que les femmes aient rencontré Jésus ressuscité, l’ange leur dit : « Allez dire à ses disciples : Il est ressuscité d’entre les morts. » Et en direct, peu après, Jésus leur dit la même chose : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères… qu’ils me verront. »

Un enfant de la Pâque, ce que nous sommes, c’est un homme qui se sait sauvé, c’est un chrétien qui espère la vie éternelle, c’est un être humain à l’amour sans barrière et sans frontière, c’est un baptisé qui donne envie aux autres de croire, d’aimer, d’espérer avec Jésus ressuscité, vraiment ressuscité.


Claude Ducarroz 

vendredi 18 avril 2014

Vendredi Saint 2014

Vendredi Saint 2014


Le Christ est en croix. Pour y mourir ou plutôt pour y donner sa vie.
Et si nous étions aussi là, près de lui, autour de lui, puisqu’il meurt pour la multitude ?
Car là où il y a Jésus, surtout dans l’acte du salut universel par amour, n’y a-t-il pas toute l’humanité à sauver ? N’y a-t-il pas toute l’Eglise, ce germe de l’humanité nouvelle ?
En voyant Jésus, Pilate ne l’a-t-il pas annoncé sans le savoir : « Voici l’homme ! » ? Tout homme. Tout l’homme.
Et quand l’évangéliste note qu’au pied de la croix de Jésus se tenaient sa mère et le disciple qu’il aimait, avec quelques femmes, n’était-ce pas déjà l’Eglise en son commencement ?
Et nous, où sommes-nous ?

Peut-être simplement avec la foule, avec les gens qui vont et viennent, à moitié curieux, un peu désolés, avec quelques questions de reste, une fois consultés les médias friands de sensationnel plus ou moins sanguinolent.
« Voici votre roi !», avait dit et fait écrire Pilate. Mais la foule avait répondu : « Crucifie-le !». Décidemment, on ne sait plus que penser, on ne sait plus qui croire.  Surtout quand on regarde de loin, avec certains qui rient, d’autres qui ricanent. Et dans les coulisses de l’histoire,  les autorités bien en place -politiques, militaires et même religieuses-, unies pour une fois afin de mieux éliminer tout concurrent possible.
Finalement, un fait divers pour les médias ! Combien aujourd’hui, chez nous, ont lu le journal plutôt qu’ouvrir l’évangile du Vendredi Saint ?

Et puis heureusement, il y a des femmes, les plus courageuses, parce qu’elles suivent jusqu’au bout en écoutant la voix de leur cœur, les chrétiennes de toutes les pitiés et piétés sincères. Certaines pleurent, anonymes, à quelque distance encore, les filles de Jérusalem. D’autres sont carrément au pied du gibet, mêlant leur compassion à la passion de Jésus. Que ferions-nous sans les femmes de foi et de tendresse dans l’Eglise d’aujourd’hui ?

Quatre hommes sauvent notre face, à nous les hommes. Enfin !
* Symon de Cyrène, requis mais généreux, l’icône de tous les hommes de bon cœur qui donnent temps, compétences et engagement dans les causes humanitaires, au secours de tous les crucifiés dans notre monde. Souvent sans même savoir qu’ils portent la croix du Fils de Dieu en soulageant la souffrance des damnés de notre terre, celles et ceux qui tombent sous les coups de la violence, de l’injustice et de l’exclusion engendrées par d’autres humains. Ils sont là puisque « tout ce que vous faites à ces plus petits qui sont mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous le faites. »

* Et puis il y a ce centurion, un soldat païen, ni juif ni chrétien, un étranger 100%, qui finit par dire, le premier de tous, la plus profonde vérité sur ce condamné à mort, la foi de l’Eglise, la nôtre : « Vraiment celui-ci était le fils de Dieu. »  Un porte parole inattendu, surprenant, mais si utile, le premier évangélisateur, le premier prédicateur, le premier catéchiste.

* Enfin  Joseph d’Arimathie et Nicodème,  les hommes de l’ensevelissement. Pas très glorieux, le premier était seulement disciple en secret. Et l’autre n’acceptait de rencontrer Jésus que de nuit. Mais au moment décisif, leur solidarité prépare finalement la résurrection, comme on le montre dans la chapelle du Saint-Sépulcre de notre cathédrale. Il n’est jamais trop tard pour soigner le corps de Jésus. Ils croyaient être les employés de la mort. Ils vont devenir les collaborateurs de la résurrection.

Où sommes-nous ? Osons-nous nous rapprocher encore de la croix ?
Là, tout près, sur l’une des deux autres croix ?

* Le larron du non ou celui du oui, au dernier moment ? Une vérité demeure, que rien ni personne ne peut nier : il ne faut jamais désespérer de la bonté de Dieu en Jésus Christ.
Quelle leçon pour nous, quand nous nous mettons à juger les autres ou à désespérer de nous-mêmes. Le premier canonisé, si l’on peut dire, était un criminel : « Aujourd’hui –quelle promptitude !, tu seras avec moi -quelle compagnie !, dans le paradis -quel séjour !
Cette humanité du pardon, cette Eglise de la miséricorde, là, sous la pluie d’eau et de sang coulant du côté ouvert de Jésus : les sacrements du baptême qui donne la vie et de l’eucharistie qui nourrit la vie. Dès ici-bas et pour l’éternité.

Enfin n’oublions pas l’Eglise la plus intense, Marie et Jean, là, embrassant la croix. Pas en très bonne compagnie, comme il se doit pour une communauté d’amour selon l’évangile. La Marie-Madeleine ne faisait-elle pas un peu tache parmi tant de sainteté ? Mais elle était là, avec les autres, elle qui sera bientôt la première témoin de la résurrection, chargée de l’annoncer aux apôtres sceptiques. Cette pardonnée de beaucoup de péchés, elle s’appuie sur l’Immaculée, Marie de Nazareth, la mère du crucifié. Car dans l’Eglise, la sainteté de pureté et la sainteté de pardon doivent toujours se donner la main. Sous la guidée de l’apôtre, celui que Jésus aimait.
Telle est l’Eglise au sommet. Elle est mariale et apostolique –car le disciple prit Marie chez lui- ; elle est sainte et en voie de sainteté ; elle est féminine et masculine; elle est la maison de l’amour de Dieu, avec des bras ouverts à l’infini, comme ceux de Jésus en croix, au moment où il dit : « Tout est accompli ».

Et alors, c’est déjà Pentecôte : « Inclinant la tête, il remit l’Esprit. »


                                               Claude Ducarroz