mercredi 1 juin 2011

Homélie pour l'Ascension

Ascension 2011

« Je ne sais pas comment ça va se passer, mais je sais où je vais ! »
Sur son fauteuil roulant, la petite dame qui me dit cela - elle s’appelle Marie-Claire- vient de fêter ses 92 ans. Dans ses yeux malicieux, je devine une légère angoisse, aussitôt compensée par la fermeté de sa foi. Même quand on est largement nonagénaire, la mort recèle encore sa charge d’anxiété, ne serait-ce que parce que personne ne peut faire appel à son expérience personnelle pour exorciser cette peur.
Reste toujours l’autre question : et après ? Y a-t-il quelque chose ? Peut-être quelqu’un ? Finalement, où mène ma vie, celle qui va inexorablement s’achever ici-bas ? Comment interpréter tous ces désirs d’éternité qui soulèvent toute destinée humaine, quand des éclairs de vrai bonheur issu d’un grand amour zèbrent mon existence à la manière d’un mystérieux et délicieux orage intérieur ?
La réponse à cette question universelle est impossible à trouver uniquement en soi-même. Si elle existe, il nous faut la recevoir comme un cadeau, à l’instar de cette vie –la mienne, la vôtre- qui nous fut donnée dans une totale gratuité, sans même que nous ayons été consultés.

Mais aujourd’hui, j’ai une bonne nouvelle, pour moi et pour vous, et d’abord pour Marie-Claire. Le Dieu, Père de toute gloire, a ressuscité Jésus d’entre les morts. Aujourd’hui, il est monté au ciel, il est assis à la droite de Dieu, non sans nous avoir adressé une promesse qui change tout, et la vie et surtout la mort : « Je vais vous préparer une place… Là où je suis, vous serez aussi avec moi ! »
L’ascension n’est pas seulement le point d’orgue de l’existence personnelle de Jésus de Nazareth, une sorte d’exploit unique au championnat du monde de l’éternité, admirable mais inimitable. Non. C’est comme « premier-né d’une multitude de frères et sœurs » –nous tous- que Jésus est entré corps et âme dans la gloire du Père. Notre premier de cordée est parvenu au sommet, mais il attire et tire à lui, dans le même bonheur éternel, celles et ceux qui veulent bien le suivre. Oui, tous ceux qui croient que son amour crucifié et ressuscité peut nous amener, nous aussi, jusque dans cette mystérieuse maison de Dieu, là où il y a d’innombrables demeures, et donc de bonnes places pour beaucoup de monde, puisque nous serons logés dans le cœur même de l’Amour majuscule.

Je le sais : beaucoup estiment que c’est trop beau pour être vrai. Il ne faut pas s’en étonner. On peut même le comprendre. Parmi les apôtres qui avaient entendu Jésus leur promettre la vie éternelle, qui l’avaient vu ressuscité, comme il est rappelé dans l’évangile de ce jour, «certains eurent des doutes », si ça peut rassurer celles et ceux qui hochent la tête ou se posent encore de nombreuses questions.
Nous sommes ainsi faits qu’il nous arrive de préférer des petites lumières à notre portée, quelques lumignons allumés par nous dans la nuit, plutôt que d’accueillir le soleil qui nous est offert gratuitement. Et pourtant tout en nous, finalement, aspire à l’éblouissante rencontre pascale qui seule peut combler notre soif infinie de bonheur et d’amour.
Oui, nous sommes faits pour l’océan, mais nous courons après des ruisselets. Dans le mystère de l’ascension, Jésus nous ouvre le passage vers l’océan de la vie de Dieu. Et il nous invite à voguer avec lui vers le large de l’amour infini du Père pour tous ses enfants…que nous sommes.
Oui, mais en attendant, quoi ? Bonne question, n’est-ce pas ? Ou alors la religion redevient, comme disait Karl Marx, « le soupir de la créature accablée et finalement l’opium du peuple ».

Dans le récit de l’ascension au livre des Actes des apôtres, deux hommes vêtus de blanc sont venus inviter les disciples, qui gardaient leurs yeux fixés vers le ciel, à revenir sur cette terre, en attendant le rendez-vous de l’éternité : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel » ?
Dieu sait si les évangiles, et par conséquent le Christ, ne cessent de nous rappeler que la perspective du Royaume des cieux -notre ultime destinée- ne doit jamais nous détourner de notre incontournable vocation sur cette terre. Les promis à l’éternité doivent chanter toute la gamme des missions d’amour qu’exige notre présence ici-bas, à travers tant de solidarités humaines, notamment à l’égard des petits, des exclus, des pauvres et des souffrants de toutes sortes.
Et aussi bien sûr, en collaborant à la construction de l’Eglise, ce corps dont le Christ glorieux est la tête, dans la variété des ministères et services. Car cette Eglise doit à la fois annoncer et faire comprendre les dimensions de l’espérance ouverte par
l’ascension de Jésus – « la gloire sans prix de notre héritage »- et inciter sans cesse les chrétiens à mettre en pratique, ici et maintenant, le commandement de l’amour fraternel universel.

Deux expériences récentes, auprès de mourants qui croyaient à la vie éternelle, m’ont rappelé que le Seigneur de gloire veut enraciner notre merveilleuse espérance dans le terreau de cette vie. Je disais au revoir à un ami qui s’en allait et ses dernières paroles, péniblement arrachées à sa faiblesse, se sont résumées en un seul mot : « Vis ! » Et la semaine passée, une dame très âgée, devant sa famille rassemblée pour l’adieu –l’à Dieu- a exprimé son ultime testament par ces mots étincelants : « Je vous aime ! Aimez-vous ! »
Vivre et aimer, vivre en aimant : c’est le chemin qui mène à notre ascension parce que c’est le chemin emprunté par le premier des ressuscités, celui qui nous guide, nous accompagne et nous attend.
Amen



Claude Ducarroz

Claude Ducarroz

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