Homélie
Croire en Dieu qui envoie
Ne pas déranger. On lit parfois cette petite
phrase sur certaines portes des chambres d’hôtel ou dans des lieux de
délibérations laborieuses avant des décisions importantes.
Celui qui inscrit cela sur la porte de son cœur
ne sera jamais un vrai croyant. Et de même celui qui s’adonne à la sieste
prolongée, fût-elle religieuse. Car Dieu est étonnamment dynamique. Ceux qu’il
appelle, il ne les laisse jamais longtemps au repos, même mystique. Lui, il les
bouscule en les envoyant, en en faisant des missionnaires.
C’est qu’il est devenu lui-même missionnaire en
notre monde pour lui apporter le salut. Pas seulement de la part de Dieu, mais
du sein de Dieu lui-même qui a envoyé le Fils dans la chair de notre humanité,
plonger dans la dure épaisseur de notre monde. L’envoyé du Père, au risque de
l’incarnation, c’est Jésus le Christ. Car c’est lui qui a dit, selon l’épître
aux Hébreux : »Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation, mais tu m’as
façonné un corps. Alors j’ai dit : « Voici, je viens … pour
faire, ò Dieu, ta volonté. »
Depuis cet envoi-là, depuis ce premier oui à
l’invitation divine au voyage de l’amour sauveur, les croyants sont devenus des
envoyés, ou alors ils croient qu’ils croient, mais ils ne croient pas vraiment.
Qui refuse d’être appelé pour être envoyé est impropre au Royaume de Dieu. Il
s’est mis en vacance de l’évangile.
La première à comprendre cela –mais ce n’est
pas étonnant-, c’est Marie de Nazareth. Elle a été appelée d’une manière
spéciale, extraordinaire puisqu’elle a été choisie de toute éternité pour être
la mère du Sauveur, l’envoyé du Père en ce monde. Et l’ange Gabriel, le moment
venu, lui a signifié cet appel dans la simplicité de sa condition de
« servante du Seigneur ». Car Dieu peut appeler n’importe qui
n’importe où, et d’abord les plus humbles et les plus petits. Elle a dit oui,
réponse à un appel qui la laissait libre : « Qu’il me soit fait selon
ta parole ».
A partir de ce moment-là, on aurait pu imaginer
qu’elle aurait droit à quelque congé, dans l’attente du grand évènement de la
nativité. Eh ! bien non. Car le Dieu qui appelle est aussitôt le Dieu qui
envoie. Vite, comme il est dit dans l’évangile, Marie traverse les montagnes
pour aller au secours de sa cousine Elisabeth. Pas de temps à perdre dans des
« mais » et des « si ». Cette grande croyante devient une
nomade de la bonne nouvelle. Elle est pressée de chanter sa louange en la
partageant avec d’autres.
Elle a
reçu une mission. Il faut qu’elle l’accomplisse aussitôt : faire de cette
visite une visitation. Pas besoin d’attendre les naissances pour mettre en
contact les bébés. Encore dans le sein respectif de leurs mères, ils
tressaillent de joie en se rencontrant à travers le baiser d’accueil de ces
deux femmes. Il y a dans toute démarche de charité un évènement divin qui opère
des merveilles, quand on s’est laissé envoyer par Dieu pour faire du bien à
quelqu’un, tout simplement.
L’apôtre Paul a compris que l’Eglise fonctionne
dans cette logique mariale de la visitation. Il le rappelle aux Romains. Si ces
premiers chrétiens –heureux de l’être tout en étant encore fort imparfaits- ont
pu bénéficier de l’évangile qui les a transformés par la foi, c’est qu’il y eut
une cascade d’envoyés qui ont dit oui. La parole de la foi leur a été prêchée,
mais c’est qu’un apôtre a dit oui à son appel fondateur. Il a franchi les mers
pour venir jusqu’à eux en courant souvent les pires dangers.
Ils ont la chance de confesser la mort et la
résurrection du Christ, avec la joie du salut au cœur. Il a bien fallu quelqu’un
pour leur annoncer ces mystères de manière crédible, et pas n’importe qui, en
roue libre, à son propre compte. Non : un envoyé par l’Eglise au compte du
Christ et de son évangile. Au point qu’ils peuvent le reconnaître :
« Qu’ils sont beaux les pieds des messagers de bonnes
nouvelles ! » Car, le rappelle opportunément l’apôtre, la foi naît de
la prédication, et le prédicateur est un envoyé.
Chacun de nous a bénéficié du oui de nombreux
envoyés avant lui. Tout ce qui fait notre joie dans la foi et dans l’Eglise,
nous ne l’avons pas inventé, nous ne nous le sommes pas donné à nous-mêmes.
Nous l’avons reçu en cadeau de ceux qui nous ont précédés dans cette foi et
dans cette Eglise. Sans doute n’étaient-ils pas parfaits. Mais ils nous ont
apporté de la part de Dieu des trésors qui nous font encore vivre aujourd’hui,
nous aussi, en chrétiens heureux, même si nous sommes aussi imparfaits.
Alors où est le problème, me direz-vous ?
Il est crucial, aujourd’hui plus que jamais. Les bénéficiaires de l’évangile
acceptent-ils encore d’être envoyés pour l’annoncer à d’autres ?
Là où est un vrai croyant, là vit un envoyé.
Car il faut que la voix de Dieu proclamée par le Christ, répercutée par les
premiers apôtres, parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. Et cette
extrémité pour nous, c’est peut-être…chez nous.
Personne, parmi nous, n’a la garantie du succès
apostolique et de l’efficacité missionnaire. Le prophète Isaïe disait aussi,
dans un soupir : « Seigneur, qui a cru à notre
prédication ? » Mais la question
demeure, et la réponse dépend bel et bien de chacun de nous : es-tu prêt à
te laisser envoyer ? Es-tu disponible pour faire quelque chose dans
l’Eglise, avec ce que tu sais et surtout avec ce que tu es, afin que cette
communauté porteuse de la foi puisse témoigner encore de l’Evangile dans le
monde d’aujourd’hui ? As-tu le souci, là où tu vis, dans notre société
telle qu’elle est, de laisser transparaître ta foi, en paroles et en actes,
afin de faire connaître le Christ à ceux qui l’ignorent ou l’ont peut-être
oublié ? Donnes-tu envie d’être chrétien ?
Comme Jésus, encore tout petit dans le sein de
sa mère, l’a transformée en une missionnaire de bonne nouvelle, ainsi l’Esprit
Saint en toi, veut faire de tes visites humaines des visitations de Dieu. Quel
honneur !
Qui dit mieux ?
Claude Ducarroz
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