samedi 12 novembre 2011

Homélie In memoriam

Homélie
In memoriam 2011

Dieu serait-il un impitoyable capitaliste, comme on en trouve encore de nos jours, notamment dans le monde de la finance, si j’en crois ce qu’on dit ou ce qu’on voit ? Dans cet évangile, le propriétaire plein aux as, certes, distribue ses biens avant de partir en voyage, mais, en demandant des comptes à son retour, il attend de retrouver sa mise carrément doublée. C’est faire encore mieux que nos meilleurs gérants de fortune. Et sans pitié avec ça puisque celui qui a simplement mis à l’abri ce qu’il avait reçu, sous le coup de la peur, se voit traiter de « serviteur mauvais et paresseux », dépouillé de son bien confié désormais au trader le plus performant. Pire encore : ce bon à rien est « jeté dehors dans les ténèbres, là où il y a des pleurs et des grincements de dents. » On se croirait à Zürich ou ailleurs certains jours de grounding.

Vous l’avez compris : il s’agit ici d’une parabole, à savoir un fait de vie cueilli par Jésus sur le vif, dans la société de son temps, mais pour nous dire autre chose de bien plus profond que les anecdotes utilisées. En un mot : il nous faut passer avec Jésus de l’avoir à l’être, de l’écume d’une histoire à l’essentiel d’un enseignement qui porte sur l’enjeu de nos vies.

La vie, le mouvement, l’être : nous les avons reçu de Dieu, généreusement, gratuitement. Pas pour les enfouir dans le confort de la paresse ou dans les abris bétonnés de l’égoïsme. Celui qui nous a confié les talents de notre existence veut collaborer sans cesse avec nous pour en faire quelque chose de beau, de bon, de rayonnant. Chacun tel qu’il est, avec ce qu’il a reçu, sans comparer les uns avec les autres, car dans la logique de l’amour de Dieu, ce ne sont pas les apparences ou les performances qui comptent, mais les valeurs intérieures, autrement dit la qualité de la personne, quel que soit sa place dans la société.
On sait bien que s’appliquent souvent, dans le royaume de Dieu commencé ici-bas, cet adage répété par Jésus : « Il y a des derniers qui seront premiers et des premiers qui seront derniers. » Dont acte, pour chacun de nous.

Finalement, c’est ce que l’on donne de soi-même qui compte, ou plutôt se donner soi-même, en personne, comme Jésus, qui mesure la valeur, la beauté, la qualité d’une vie. Ce pour quoi nous sommes prêts à nous donner nous-mêmes, plus encore que ce que nous avons, possédons ou savons : c’est cela qui confère un sens à notre existence.

Et là, aujourd’hui, je trouve deux exemples magnifiques.
Dans la première lecture, c’est une femme, c’est la femme. « La femme vaillante, qui donc peut la trouver ? », dit l’auteur biblique, celle qui « est infiniment plus précieuse que les perles ? »
Je crois vraiment que dans notre monde, surtout dans les contextes de misère ou de souffrances, ce sont souvent les femmes qui présentent la plus grande capacité de générosité, de don de soi, finalement d’amour. Il est temps que, dans la société mais aussi dans l’Eglise, on sache le reconnaître, l’apprécier et jose le dire à l’intention des hommes : l’imiter.
Je le dis en particulier ici en ce jour qui fait mémoire des soldats –tous des hommes en ce temps-là- qui ne doivent pas oublier tout ce que la patrie doit aux femmes restées à la maison, filles, épouses, mères et grand-mères vaillantes, que nous risquons d’ignorer sous prétexte qu’elles ne furent pas au front, comme disent les militaires.

Mais je n’oublie pas non plus ces militaires, surtout en ce jour où nous nous souvenons de ceux qui ont donné leur vie dans le service actif, même si nous avons été heureusement épargnés par les pires horreurs de la guerre. Ces hommes étaient là, prêts au sacrifice suprême, pour les valeurs de dignité, de liberté, de fraternité. Or ce qui fait la valeur la plus précieuse d’une vie, c’est ce pour quoi nous sommes disposés de tout cœur à la donner, y compris jusqu’à la perdre pour ceux qu’on aime.
C’est ce qu’a fait le Christ pour toute l’humanité.
Nous pensons avec émotion à ceux qui avaient déjà fait ce choix pour le salut de notre pays, même s’ils ne sont pas morts sous la violence d’un ennemi. Ils ont droit à notre respect, ils peuvent compter sur notre mémoire, ils méritent notre reconnaissance, et nous le leur répétons aujourd’hui.

Nous venons de choisir nos magistrats fédéraux. Nous allons bientôt élire celles et ceux qui vont diriger notre canton, après avoir déjà élu nos édiles communaux. Rude année 2011 en pays de Fribourg !
Je suis persuadé, pour ma part, qu’un vrai serviteur du peuple, au masculin ou au féminin, c’est une personne qui a la volonté –plus encore que l’indispensable capacité- de donner sa vie pour ses frères et sœurs. Pas seulement pour les siens, celles et ceux de son camp ou de son clan politique, culturel ou idéologique, mais pour tous les habitants de ce pays, quels qu’ils soient, avec une attention particulière pour les plus faibles et les plus démunis, comme le rappelle notre constitution en son préambule : « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ».
Là est l’enjeu d’une société plus humaine, et donc plus chrétienne, dans l’esprit de l’évangile de ce jour. Car il nous rappelle tout ce que nous avons reçu, il nous incite ensuite à le faire fructifier au service des autres, chacun selon ses capacités. Et il nous promet ce bonheur-là : « Très bien, serviteur bon et fidèle. Tu as été fidèle en peu de choses. Je t’en confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton maître. »


Claude Ducarroz

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