samedi 28 juin 2014

Saints Pierre et Paul 2014

Homélie
Saints Pierre et Paul

Parfois, le hasard fait bien les choses. Quand le 29 juin tombe sur un dimanche, la liturgie prévoit que le dimanche s’efface pour laisser la place à la fête des apôtres Pierre et Paul. C’est le cas cette année, et nous voici comme transportés à Rome, l’Eglise fondée par ces deux apôtres éminents. Mais attention ! il faut cependant respecter quelques précautions dans les priorités et dans les conséquences.

Lors de l’une de ses premières sorties sur la place St-Pierre, le pape François fit cette remarque : « Je vous entends crier : « Viva il papa ! Vive le pape ! ». Pourquoi ne criez-vous pas plutôt : « Vive Jésus-Christ ! » ? Que le pape soit populaire, en un sens, c’est tant mieux ! Mais que le Christ le soit bien davantage, à la demande même du pape, voilà qui remet toutes choses à leur juste place. Jean XXIII déclara un jour avec son bon sens terrien : « Oh !, vous savez. Je ne suis que le pape ! »

Nous croyons que l’évêque de Rome, pasteur de l’Eglise fondée par le chef des apôtres saint Pierre, a une mission particulière à remplir au service de l’Eglise universelle pour la consolider dans la foi, pour la rassembler dans l’unité, pour la représenter au niveau mondial. « Confirme tes frères », dit Jésus à Pierre, en lui confiant la mission de veiller sur tout le troupeau, comme un roc solide, clefs en mains. C’est un beau service, nécessaire mais fragile, que l’histoire a trituré dans tous les sens au cours des siècles, avec des démonstrations du meilleur et parfois aussi les manifestations du pire.

C’est pourquoi le pape Jean-Paul II a demandé deux choses importantes dans sa dernière encyclique en 1995: « L’évêque de Rome lui-même doit faire sienne avec ferveur la prière du Christ pour la conversion qui est indispensable à « Pierre » afin qu’il puisse servir ses frères. De grand cœur je demande que s’unissent à cette prière les fidèles de l’Eglise catholique et tous les chrétiens. Que tous prient avec moi pour cette conversion ! »

Je vous pose la question : Priez-vous souvent pour la conversion du pape et de la papauté ?

Et puis encore ceci : « Je prie l’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Eglises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres… C’est une tâche immense que je ne puis mener à bien tout seul. »

En résumé, le pape demande aux autres Eglises et aux autres chrétiens de l’aider à « faire le pape » mieux, autrement. Je crois que le pape François s’inscrit aussi dans cette ligne. Aidons-le de nos prières et de nos soutiens.

Voilà pour Pierre, dont l’évêque de Rome est un successeur, en ajoutant aussitôt qu’il hérite seulement d’une partie de son ministère puisque les apôtres sont les seuls à être les témoins directs de la mort et de la résurrection du Christ, qui est la base de lancement de l’Eglise, posée une fois pour toutes, ce qui nous permet de dire et de chanter que nous croyons l’Eglise « apostolique ».

Mais il ne faudrait surtout pas oublier Paul. La fête conjointe de ces deux apôtres si différents nous le rappelle fort opportunément. Rome, c’est l’Eglise née de la prédication et du martyre de Pierre et de Paul, et pas de Pierre seul.
La conversion de Paul sur le chemin de Damas a bouleversé le cercle un peu fermé des douze apôtres. Paul de Tarse s’est ajouté au groupe fondateur, non sans discussion, en leur rappelant qu’il ne leur devait rien au départ, mais en cherchant sans cesse à maintenir ou à rétablir la communion avec eux. On pourrait dire que Paul est le bienheureux « intrus » qui obligea l’Eglise à s’ouvrir sur l’universel les païens et non seulement les juifs- à admettre un certain pluralisme, à faire que l’unité intègre les richesses de certaines  diversités au lieu de se recroqueviller sur l’uniformité. Paul introduit sur la portée de la partition chrétienne une note œcuménique qui doit permettre à l’Eglise de chanter la musique de l’évangile à plusieurs voix, certes harmonisées mais pas étouffées.

Il importe beaucoup que, après les drames des diverses divisions entre Eglises -dont toutes les Eglises sont co-responsables-, le successeur de Pierre et de Paul, à savoir l’évêque de Rome, soit le coryphée des avancées œcuméniques, selon cette intense prière de Jésus à la veille de sa mort : « Père, que tous soient un en nous afin que le monde croie ! »
Un… nous…le monde : telle est, plus que jamais, la feuille de route de l’Eglise et donc la mission de celui qui a été établi humblement ici-bas comme principal berger visible des brebis du Seigneur. Attention ! Les brebis du Seigneur, et non pas les siennes. Premier berger, mais pas le seul. Il y a les autres évêques et les autres ministères. Relié à Pierre mais aussi à Paul, selon une double inspiration toujours à revisiter. Et surtout témoin parmi nous du Christ pascal, le seul vrai et bon pasteur de son Eglise, pour le temps et pour l’éternité.




samedi 21 juin 2014

Pour la saint Jean-Baptiste 2014

Homélie
Saint Jean-Baptiste

En ce 22 juin, ma paroisse d’origine (Montbrelloz) fête sa « patronale » sous la protection de saint Jean-Baptiste. De plus, nous nous souvenons d’un bon serviteur de l’Eglise et de la société, François Duc, décédé il y a 40 ans. D’où le caractère « circonstanciel » de cette homélie.

Il y a comme ça des noms ou des prénoms qui sont plus que des noms et des prénoms : tout un programme, une feuille de route pour toute la vie.

Ainsi du petit Jean, le fils unique de Zacharie et Elisabeth, quelque part en Palestine, celui dont nous fêtons la naissance aujourd’hui dans cette église qui lui est consacrée. Il faut trois surnoms pour le caractériser, parmi tant d’autres Jean de ce temps-là.

* D’abord le précurseur, autrement dit celui qui a conscience qu’il est là pour servir un autre, plus important que lui. Sa façon d’être lui-même, c’est de conduire vers cet autre, à plein cœur et à plein temps, avec une totale fidélité. Il l’a dit : « Il faut que lui grandisse et que moi je diminue, car il est plus grand que moi celui qui vient après moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. »

* Puis le baptiste. Car servir le Christ-Messie, ce n’est pas tomber dans la passivité commode, voire paresseuse. Il a fait signe activement en utilisant les instruments des traditions de son temps, en particulier ce baptême en vue d’une conversion qui bouscula la conscience et la pratique de beaucoup de croyants un peu trop satisfaits d’eux-mêmes, y compris de leur religion. Et Jésus lui-même s’est soumis humblement à ce rite, pour le valider avant de le dépasser.

* Enfin le prophète, le porte-parole courageux, qui osa exprimer des paroles fortes, y compris devant les puissants de son temps, avec tous les risques de cette audace qui l’a finalement conduit au martyre, là encore, en précurseur de Jésus.

En tout cela, nous reconnaissons la transparence des grands saints qui brillent, mais par leur humilité, qui s’activent, mais au service de l’Evangile et non pas à leur compte personnel, qui dérangent en allant jusqu’au bout de leur périlleuse et si précieuse mission.

Quelqu’un, aujourd’hui parmi nous, porte aussi un nom qui est tout un programme. Un nom symptomatique qu’il s’est donné à lui-même sur le conseil d’un ami, a-t-il avoué. « N’oublie pas les pauvres », a glissé à l’oreille du cardinal Bergoglio son voisin de conclave le cardinal de Sao Paulo Hummes au moment décisif de son élection comme évêque de Rome. Il a compris : « Mon  nom sera François ». Et voilà le pape François tout court, pas François premier. Par allusion claire au poverello, ou petit frère des pauvres, François d’Assise.
Et depuis lors, nous voyons se déployer, souvent avec joie et toujours avec une grande espérance, les signes, les paroles et les gestes « franciscains » de notre pape, que nous accompagnons plus que jamais de nos prières et de nos encouragements.
Car dans notre société et aussi dans notre Eglise, avoir ou plutôt être un pape sur le modèle de François d’Assise, c’est suivre la voie ouverte par Jean-Baptiste. C’est pointer sans cesse vers le Christ, être précurseur par la mise en pratique de l’Evangile quoi qu’il en coûte, être prophète du Royaume de Dieu en vivant et en promouvant le style de vie des béatitudes, et d’abord dans l’Eglise, le peuple de Dieu que nous formons tous ensemble sous la guidée de nos pasteurs.
Il n’était pas pape, mais il était aussi un François au milieu de nous. Il en avait la mentalité, la fantaisie, le courage, le rayonnement et surtout la foi : c’est François Duc, dont nous commémorons avec émotion les 40 ans de son départ vers le Royaume de Dieu.

Il nous a tellement donné, en peu de temps, et dans l’esprit du prophète d’Assise, l’autre François, son patron et modèle. Bien sûr, il y a dans le mémorial de ce jour des regrets, du chagrin et peut-être encore quelques larmes, en pensant à son épouse, à sa famille, à ses nombreux amis qui auraient tant voulu le retenir parmi eux.
Mais il y a surtout une immense action de grâces pour ce qu’il fut au milieu de nous, pour ce qu’il nous a permis de faire avec lui et avec d’autres, et toujours au service des autres, à commencer par les plus pauvres, les exclus, les oubliés de notre société.
Il l’a fait par la poésie, par le chant, par l’enseignement, par l’animation faite de beauté et d’imagination débordante, notamment sous le beau vocable de l’Entraide. Et finalement par la prière et le don de sa propre vie, jeune mais si remplie de générosité et de dévouement. En un mot : d’amour. Par là, il nous a aidés à devenir meilleurs. François d’Assise, lui aussi, est mort jeune. Il avait 44 ans.
Mais quand une vie, fût-elle brève, est gorgée d’amour, il y a de l’éternel qui s’allume dans le ciel, et les fleurs qui s’épanouissent –même sur nos tombes- et les fruits qui mûrissent, au delà des souvenirs, dans la poursuite de nos engagements, ont des parfums et des saveurs d’éternité.

Là où Jean le Baptiste et François d’Assise se donnent la main et nous donnent leurs mains, dans le cœur palpitant du Christ ressuscité. Et dès ici-bas dans l’eucharistie.
Continuons donc de célébrer fraternellement, et nos souvenirs, et notre reconnaissance, et nos engagements humains et chrétiens, dans l’ambiance de la communion des saints.

                        Claude Ducarroz


mercredi 18 juin 2014

Commémoration de la bataille de Morat

Homélie
Morat 2014


Je me permets de vous faire une proposition qui, pour être étrange n’en est pas moins honnête : aimeriez-vous être ou devenir « pontife » ? Rassurez-vous ! Il ne s’agit pas de prendre la place de notre cher évêque, ni de pontifier dans l’exercice de votre autorité. Etre pontifiant est d’ailleurs devenu un défaut que l’on traque, à juste titre, jusque dans l’Eglise, surtout depuis l’entrée en fonction du pape François.

Pontife ! Ce qui signifie littéralement « faiseur de pont ». En ce sens, surtout à Fribourg, n’est-ce pas une vocation récurrente  pour nos responsables de toutes sortes ? J’ai compté : depuis mon balcon côté Sarine, je puis apercevoir rien moins que huit ponts, y compris le dernier et le plus beau que nous allons inaugurer ensemble dans la joie le 10 octobre prochain.

Je crois que c’est le devoir sacré, en même temps que l’honneur et la noblesse des autorités, que de construire des ponts entre les êtres humains, afin que la communauté civique s’établisse dans la paix, tout en intégrant les légitimes diversités comme des richesses au lieu d’en faire des occasions d’affrontements, de luttes, voire de guerres.

Car la guerre, c’est le contraire du pontificat. Hélas ! On le voit encore de nos jours : la guerre, ça casse les choses, ça détruit les relations, ça blesse et ça tue les personnes. Même quand la cause est juste, même quand les sacrifices sont honorables, voire admirables, tout reste à reconstruire, y compris après les plus glorieuses victoires, comme ce fut le cas d’ailleurs après la bataille de Morat.

Car ne l’oublions pas ! Il a fallu finalement un grand mais humble pontife pour que cette victoire n’entrainât point une nouvelle guerre, cette fois entre nous, les fiers vainqueurs confédérés et fribourgeois.

Dans le vitrail de Nicolas de Flue, un grand cercle multicolore entoure et embrasse la scène de la réconciliation des Suisses qui valut l’entrée de Fribourg et Soleure dans la Confédération helvétique. Souvenons-nous en pour le remercier.  L’auteur de ce miracle, après Dieu évidemment, est au centre du tableau. Il s’agit d’un père de famille en prière, un magistrat devenu ermite en pleine intercession pour son peuple. Voilà un vrai pontife !

Pour résumer : un saint contemplactif ! Pas besoin de porter nécessairement la crosse ou la mitre. Il suffit d’avoir dans le cœur un immense désir de paix et de puiser dans la spiritualité chrétienne l’imagination pour trouver et le courage contagieux pour partager cette bienheureuse utopie avec ceux qui nous entourent, à commencer par les premiers responsables de la cité.

Finalement, tout est dit dans ce rappel de Nicolas de Flue dans sa lettre aux Bernois en 1482: « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix et la paix ne peut être détruite, mais la discorde est détruite. Cherchez donc à garder la paix. »

Surtout après une guerre, fût-elle considérée comme inévitable voire nécessaire, seule la paix a le bon goût de la victoire. Comme on partage le pain, avec une saveur d’eucharistie. Oui, quand les ennemis finissent par se réconcilier, par trouver les voies de nouvelles collaborations positives, par se rapprocher au point de devenir fraternels au-delà des barrières et des frontières désormais périmées.

Nous commémorons aussi actuellement le début de la « grande guerre » , celle de 14-18  inscrite sur un vitrail du chœur de notre cathédrale, sans oublier celle qui suivit, encore plus cruelle. 

Quels que soient nos opinions ou nos penchants politiques, il faut bien reconnaître que notre Europe est désormais, globalement et nous l’espérons durablement, un continent de paix. Oui, enfin, les pontifes l’ont emporté sur les va-t-en guerre. Ces faiseurs de pont, dont beaucoup étaient des chrétiens affirmés, doivent continuer de nous inspirer, y compris au jour où nous faisons mémoire d’une bataille, parce que la paix dans la justice et la liberté en actes aujourd’hui valent encore plus que les souvenirs des vaillances passées, fussent-elles inscrites dans notre ADN patriotique.

Notre canton et notre ville vont inaugurer un nouveau pont. Pour le construire –pour faire œuvre de pontificat-, il a fallu d’abord creuser profond. Illustration des valeurs essentielles qu’il s’agit de trouver ou de retrouver au fond de nous, personnellement et communautairement, dans notre conscience et dans notre foi.

Il a fallu ensuite dresser vers le ciel des piliers audacieux qui prennent le risque des hauteurs pour vaincre les obstacles d’un terrain escarpé et inhospitalier. Car les vraies profondeurs humaines appellent les élans vers les verticalités spirituelles ou transcendantes, et pourquoi pas ? divines.

Enfin il a fallu construire un tablier qui permette les relations horizontales. Que voilà un bel instrument de communications qui puisse déboucher, nous l’espérons, non seulement vers la fluidité de la circulation, mais surtout vers la beauté de nouvelles rencontres dans la riche communion des diversités humaines, qu’elles soient religieuses, culturelles ou sociales.

Frères et sœurs, en cette fête de la Sainte Trinité, dans le contexte où nous sommes, à savoir entre une victoire à commémorer et un pont à inaugurer, comment ne pas appeler sur nous les vœux de la plus belle fraternité que saint Paul décrivait ainsi aux Corinthiens : « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous ! » ?

                                               Claude Ducarroz