mercredi 28 mars 2018

Pâques 2018

Pâques 2018

Voilà ! C’est fait. Et bien fait. Le Christ est ressuscité. Jésus de Nazareth est entré dans la gloire de Dieu. Tant mieux pour lui.

Et après ? Et nous alors ?

Il nous faut d’abord mesurer, un peu au moins, la merveille qui vient d’arriver. Et nous laisser émerveiller.
Alors que tous les hommes sont mortels et retournent, d’une manière ou d’une autre, à la poussière d’où ils sont tirés, voici que l’un d’entre eux, de chair et de sang comme tous les autres, sort de son tombeau et revient à la vie.

Mais attention ! Pas pour jouer seulement quelques prolongations en attendant de re-mourir pour de bon. Il s’agit d’une résurrection et non pas d’une réanimation. A partir de cette relevée d’entre les morts, le Christ ne meurt plus, plus jamais.
 Il est entré dans un autre univers, le monde de Dieu, ce qu’on appelle son royaume, comme il est dit : « … là où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car la mort ne sera plus. ».
Il y est maintenant, avec son corps transfiguré. Car c’est toute son humanité qui participe désormais à la gloire de Dieu.

Devant cette merveille, qui demeure un profond mystère, on peut réagir de plusieurs façons. Beaucoup n’y croient pas, parce qu’ils estiment que c’est impossible, comme ils disent : « trop beau pour être vrai. »  Et ils continuent leur chemin vers la mort, sans l’espérance d’un au-delà.

D’autres y croient …un peu. En faisant confiance aux témoignages exprimés dans la Bible, ils croient que c’est bel et bien arrivé à ce Jésus de Nazareth, mais seulement à lui pas à d’autres, pas à nous. Etonnés, intéressés peut-être, ils restent au bord du chemin et regardent passer le ressuscité sans entrer dans son cortège en marche vers le ciel.

Si Jésus n’était ressuscité que pour lui, il serait un terrible égoïste. Son Dieu ne serait pas Amour. Comme le disait l’apôtre Paul, nous serions les plus malheureux d’entre les hommes. Mais il ajoute : « Si nous sommes passé par la mort avec le Christ, nous croyons que nous virons aussi avec lui. » Plus encore, il ose écrire aux Colossiens : Vous êtes ressuscités avec le Christ ». Et aux Ephésiens : «  Dieu nous fera assoir dans les cieux avec le Christ ressuscité ».
Et Jésus lui-même l’a dit : « En étant fils de Dieu, vous êtes fils de la résurrection. »

Qu’est-ce que ça change pour nous ? Car si ça ne change rien, à quoi bon croire ? à quoi bon fêter Pâques ?

Contre vents et marées –qui ne manquent pas de nos jours-, il nous faut continuer de témoigner que le destin de l’homme –de tout homme- dépasse les frontières de sa mort et que nous sommes des promis à la résurrection à cause de Jésus.  Oui, l’affirmer humblement mais courageusement, sans forfanterie mais sans honte non plus. C’est peut-être notre mission en ce monde, même si nous devenons un petit reste. Porter cette espérance pascale, c’est un beau service à rendre à toute l’humanité.

Mais le dire ne suffit pas. Il faut le vivre pour pouvoir le montrer et peut-être donner envie d’y croire. Dès ici-bas, dès maintenant, il y a une manière ressuscitée d’exister en ce monde, il y a une façon pascale d’être des humains. Tout l’évangile nous y invite, et nous recevons les grâces pour cela, par l’Esprit Saint.

Parce que notre vie comme notre mort est suspendue à l’évènement de Pâques, nous pouvons exister pleinement sur cette terre en fixant notre regard sur les réalités d’en haut, celles qui donnent sens à la vie, qui dessinent l’avenir de l’humanité, qui impactent le destin de l’univers lui-même.

Quand quelqu’un se laisse « pâquer » avec le Christ, il revoit son échelle des valeurs : l’être avant le paraître, la générosité plutôt que l’accumulation des avoirs, l’attention aux plus pauvres et aux plus souffrants plutôt que la jouissance égoïste de son petit bonheur dans son coin.

Et puis s’engager, autant que possible, chacun selon ses moyens et capacités, pour transformer notre société afin qu’elle ressemble, au moins un peu, au royaume qui nous attend, à savoir celui de la fraternité universelle dans la justice et dans la paix.

Sans oublier que l’Eglise est et doit être une famille pascale dans laquelle nous anticipons, par nos relations et par nos engagements, l’ambiance promise dans le royaume de Dieu. Oui, une Eglise de l’unité retrouvée, avec des communautés un peu plus chaleureuses, dans lesquelles hommes et femmes –comme au jour de la première Pâques – collaborent étroitement pour annoncer joyeusement la bonne nouvelle du salut.

Fêter Pâque, c’est beau, c’est joyeux. Vivre Pâques, c’est encore plus beau, c’est heureux, en faisant des heureux. Car finalement, si nous basculerons un jour dans le royaume par la grande attraction de l’amour divin, ce même amour peut déjà inspirer et dynamiser notre vie d’aujourd’hui. Toujours miser sur l’amour : c’est ça Pâques.

Semons des graines de Pâques tous les jours, et notre monde aura peu à peu l’allure d’un jardin du royaume.

                                                                       Claude Ducarroz


Veillée pascale 2018

Nuit de Pâques 2018

« Je t’aime ! »
Il nous arrive à tous de dire – et peut-être même de répéter- cette petite phrase gorgée de sentiments et d’émotions. Je t’aime : c’est écrit, chanté, dessiné, soupiré un peu partout, avec le risque que ces mots deviennent banals, jusqu’à être un peu usés.

Et pourtant ces trois petits mots contiennent un brûlant mystère. Je t’aime, ça veut dire : « Je ne veux pas ou je ne voudrais pas que tu meures ».
Dans toutes les déclarations d’amour, surtout quand elles s’habillent de poésie, amour rime avec toujours. Il y a entre l’amour et la mort une contradiction qui fait peur, qui blesse et qui révolte. Les amoureux vrais estiment qu’ils ne devraient jamais cesser d’aimer et d’être aimés. Et c’est bien ce qu’ils souhaitent.
En vain, car voici que nous sommes mortels, tous, y compris les grands amoureux et les ardents amants.

Faut-il alors se résigner à la victoire de la mort sur l’amour ? Faut-il, dans la colère peut-être, accepter que nos amours viennent échouer près des tombeaux comme l’eau de la mer sur les rochers indifférents des falaises impavides ?
A ces questions, qui taraudent tôt ou tard tous ceux et toutes celles qui aiment de tout leur être, la réponse a surgi un certain matin près de Jérusalem.

Parce que Dieu est Amour, il se devait absolument de vaincre la mort définitivement. Il aurait pu le manifester théoriquement, dans l’abstrait, comme un grand philosophe de génie qui se contenterait de sublimes déclarations, d’en haut.
Non. Il l’a fait en un homme mortel, au surlendemain de sa mort, parce qu’elle était justement une mort par amour. Par amour de Dieu et par amour de nous.
C’est au fond de la mort que la mort a été terrassée par l’amour du Dieu vivant.
Telle est la révolution qui change tout dans nos vies personnelles, dans la finalité de l’histoire humaine et dans le destin de tout l’univers.
Un mortel est sorti vivant du tombeau. Un mort est devenu un vivant qui ne meurt plus. Un humain est entré dans le royaume de Dieu pour partager le bonheur éternel de son créateur et père.

Le porteur de cette bonne nouvelle  -en vérité cette bonne nouvelle en personne-, n’a pas voulu échapper à notre condition mortelle pour nous assurer du triomphe de Dieu sur la mort et sur le mal. Il n’a pas cherché à contourner la mort, à faire semblant d’être comme nous. Pour être avec nous pleinement, en divine solidarité, il s’est fait l’un de nous, né d’une femme, et donc vulnérable, fragile et finalement mortel. En tout semblable à nous, il est venu nous chercher là où nous sommes, et parfois très bas, tout en bas, pour nous  entraîner après lui, avec lui, dans une vie immortelle.

Son humanité transfigurée sera la nôtre aussi.  Dans la grande attraction de son amour, en nous disant et redisant sans cesse « Dieu est amour, donc il t’aime », il fait en sorte que, même si nous demeurons mortels ici-bas, nous ne mourrions plus jamais, une fois parvenus dans son royaume. Car nous serons tenus solidement dans le baiser de son amour, comme un enfant dans les bras de sa maman. Dans la tendresse et dans la gloire.

La résurrection du Christ est le sommet de notre histoire. Pas seulement parce que le Christ est ressuscité, vraiment ressuscité, mais parce que, depuis ce matin-là, nous sommes des promis à la résurrection, nous aussi. L’ADN de Pâques coule dans nos veines humaines. Nous sommes programmés pour la vie éternelle. « Car là où je suis, promet Jésus, vous serez aussi avec moi »,  
ce qui change radicalement et notre vie et notre mort.

Autrement dit, chaque fois qu’en ce monde, un humain dit à un autre humain, avec la sincérité du cœur et la démonstration des actes « Je t’aime », c’est un soupir vers Pâques, c’est une prière vers le Vivant, c’est un pas vers le Royaume de Dieu.
Pas par nos propres forces, mais parce que le Christ pascal a fait rimer amour avec toujours en sortant vivant du tombeau, justement pour nous faire passer de nos amours minuscules à l’Amour majuscule qu’est Dieu.

L’apôtre Jean a commenté ainsi : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères et sœurs. »
Tout est dit. Pâques, c’est l’amour. Et l’amour, c’est Pâques.


                                                           Claude Ducarroz

Vendredi Saint 2018

Vendredi Saint 2018

Vendredi Saint. Lecture de la passion selon saint Jean. La passion dans laquelle Jésus s’exprime le moins quand il est sur la croix. Et tout ce qu’il dit est propre à cet évangile-là.
Quelques paroles arrachées à la douleur et au silence.

Approchons. Glissons nous près du petit groupe des rescapés de la tragédie. Ils sont cinq en tout, tout près de la croix, note l’évangéliste. Quatre femmes et seulement un homme. Comme on ne connaît pas son nom et qu’il est désigné comme « le disciple que Jésus aimait », nous pouvons tenir sa main dans la nôtre. Et écouter. Et entendre. Regarder, puis fermer les yeux. Et pleurer. Et prier. Et nous laisser aimer.

Femme, voici ton fils. Voici ta mère.

Il avait tout remis, y compris son esprit dans les mains de son Père. Il allait bientôt tout donner, y compris sa propre vie, jusqu’à la dernière goutte de sang coulant de son cœur transpercé. Il lui restait sa mère, la femme debout, la maman qui ne peut abandonner son enfant, quoi qu’il arrive, quoi qu’il lui arrive.
Il la donne aussi ou plutôt il l’invite à se donner elle-même, dans le même élan du même amour, dans l’ardeur du même sacrifice.
Et comment donc ? En acceptant, en accueillant le disciple, tous les disciples, au titre de nouveaux fils.
Oui, en devenant leur mère comme elle était la sienne. Au moment de mourir, ultime parole, ultime cadeau, Jésus fait don de sa mère à l’Eglise. Il fait don de l’Eglise à sa mère.

Encore faut-il que le disciple la prenne chez lui. Dans le mystère de la croix de Jésus, il y a une dimension mariale. Les chrétiens - tous les chrétiens- devraient pouvoir se retrouver pour accueillir la femme qui les accueille, la mère qui les aime dans l’immense augmentation de sa maternité. Et la prendre chez eux.

J’ai soif.

Comment n’aurait-il pas soif, après tout ce qu’on lui a fait ? Il a soif, mais dans la bouche du sauveur du monde, ce n’est pas une anecdote, qu’un peu de vinaigre pourrait calmer.
Il a soif parce que son corps brûle. Il communie alors à tous les persécutés du monde, depuis les victimes de la soif physique au milieu de tous les déserts inhumains, jusqu’aux broyés des guerres et des violences de toutes sortes.

Il a soif par le cœur en abritant dans le sien tous les affamés d’amour, les assoiffés de dignité, les avides de justice et de paix.
Et il a surtout soif d’accomplir jusqu’au bout la volonté de salut du Père en attirant du haut de sa croix les foules humaines en mal de bonheur. L’amant divin devient un aimant capable de tout récapituler en lui par son sang versé.
 Oui, il a soif de nous. Avons-nous, tant soit peu, soif de lui, de son amour, de sa vie offerte, donc de son corps et de son sang eucharistiques ?

 Avons-nous soif de son Esprit, celui qui convertit les cœurs par la miséricorde  -le cœur de Dieu ouvert sur toutes les misères-, celui qui guide l’Eglise sur les chemins arides de l’histoire humaine, celui qui veille et travaille au secret de chaque personne de bonne volonté pour l’humaniser à l’image de Jésus ?
Il a soif de nous. Si nous avons soif de lui, il est temps de boire ensemble aux sources  de ce cœur d’où ne cessent de couler sur le monde le sang et l’eau de la vraie vie.
Nous allons bientôt communier.

Tout est accompli.

C’est fini. Puisqu’il meurt, il a fini de souffrir. Il peut maintenant reposer dans la paix. D’ailleurs, on va le descendre de la croix et le déposer bientôt dans son tombeau. On ferme. C’est terminé. Passons à autre chose.

Jésus est allé jusqu’au bout parce qu’il nous a aimés jusqu’au bout, dans cette tendresse divine qui ne connaît aucune mesure, aucune trêve.
Tout est achevé puisqu’il a révélé le visage du Père, livré la plénitude de sa vie, remit son Esprit sans rien retenir. Le sacrifice trinitaire est vraiment accompli.

Et pourtant il reste tant à faire, à commencer par la résurrection qui ne saurait tarder afin que le fleuve d’amour inauguré sur la croix imprègne le monde et finisse par se perdre, et nous avec lui, dans la vie éternelle.
Bien sûr, il n’y a rien à ajouter puisque tout est accompli dès lors que tout est donné, pardonné, abandonné. Mais il nous reste à continuer de semer avec Jésus vivant,  d’âge en âge, les semences pascales dont son cœur déborde désormais pour féconder l’Eglise, pour transformer l’univers, pour transfigurer le royaume qui vient.

Nous n’avons pas à réinventer la croix. Nous avons seulement à la laisser rayonner en nous, dans l’Eglise, sur toute l’humanité.

Oui, accomplir aujourd’hui ce qui est tout accompli depuis le premier vendredi saint, parce qu’il y eut Pâque.
 Sans déserter la croix où le baptême nous a engendrés, ne sommes-nous pas les enfants de la résurrection ?

                                   Claude Ducarroz


Jeudi Saint 2018

Jeudi Saint 2018

Un match d’évangile en trois temps. Voulez-vous jouer avec Jésus ?

Le premier temps pourrait s’appeler la mémoire. Nous sommes invités à nous souvenir.
Et d’abord les Hébreux. C’est le sens du livre de l’Exode. Il ne faut pas qu’ils oublient ce qui s’est passé jadis, lors de la libération de l’esclavage d’Egypte. Oui, le Seigneur Dieu les a arrachés à la servitude pour en faire un peuple maître de son destin, lancé sur les chemins d’une histoire sainte.
 Tu es devenu le peuple de Dieu. Souviens-toi, Israël !

Et pour cela, tout au long des années qui passent, il faut que ce peuple célèbre un mémorial. Pas une simple commémoration qui ranime de vieux souvenirs, mais une liturgie qui re-présente ce qui s’est passé. Oui, que toutes les générations puissent comme revivre l’évènement fondateur et libérateur, à travers des paroles et des rites qui effacent la distance et réactualisent la merveille. Tel est le cérémonial de l’agneau pascal, « d’âge en âge, vous le fêterez », dit le Seigneur.

Mais cela ne suffit pas. La tradition,  ce n’est pas remuer les cendres d’un passé, c’est transmettre la flamme qui éclaire et fait resplendir un présent. A chaque étape de sa longue aventure avec Dieu, des prophètes ont rappelé à Israël comment réaliser concrètement sa vocation de peuple de Dieu appelé à la liberté et à la fidélité.
Et tout le reste n’est que vaine nostalgie religieuse.

Le même scénario se reproduit dans la vie de l’Eglise, pour nous ce soir.

D’une part avec la sainte cène.  Nous savons ce qui s’est passé avec Jésus la veille de sa mort, comment il a partagé le pain et le vin en signe concret du don total de lui-même –à la vie et à la mort- pour notre salut. En ajoutant justement : « Faites cela en mémoire de moi. » Quelle mémoire ? Un rite qui ranime un émouvant souvenir en mimant les gestes de Jésus, comme dans un théâtre de dévotion ?

Beaucoup plus que ça. Car « ceci est mon corps, ceci est mon sang.  Et proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne », recommande l’apôtre Paul.
A la messe, nous ne sommes pas les témoins d’une pieuse mise en scène plus ou moins mystique. Nous sommes les invités à une cène réaliste dans laquelle Jésus continue de s’offrir à Dieu et de se donner à nous afin que, ainsi qu’il l’a promis, nous vivions en lui et lui en nous, comme des promis à la résurrection.

Mais cela ne suffit pas non plus. Qu’est-ce qu’être un chrétien pratiquant ? Certes, celui qui vient se nourrir de l’eucharistie, corps et sang du Seigneur, mais surtout celui qui met en pratique ce mystère, dans l’actualité de sa vie, en Eglise, mais aussi dans sa manière de vivre dans le monde.

Faire cela en mémoire de Jésus, c’est mener une vie eucharistique, en présentant notre existence à Dieu comme une liturgie de louange, en travaillant dans l’Eglise pour qu’elle devienne la maison de la fraternité en actes, autour de la table, mais aussi dans les multiples occasions de partages communautaires.
Et enfin en irriguant notre société par l’eau vive de nos efforts pour la rendre plus humaine, selon le dessein de son créateur.

Comment tout cela ?

C’est la deuxième mémoire et le deuxième mémorial de cette célébration. Vous aurez remarqué. Après avoir lavé les pieds de ses disciples, Jésus leur a dit, comme après l’institution de l’eucharistie : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ». Encore une invitation à reproduire ses gestes, pas seulement dans un rite religieux, mais dans une application concrète au cœur de l’existence.

Que les pratiquants de l’eucharistie deviennent les pratiquants du lavement des pieds, autrement dit de l’esprit de service. C’est clair : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. »

Quand avons-nous lavé les pieds de quelqu’un pour la dernière fois ? Quand allons-nous le faire une prochaine fois, dans l’esprit du maître devenu serviteur ?
A la maison par exemple, dans les relations conjugales et familiales. Entre voisins et dans nos milieux de travail et de loisirs. Sans oublier les engagements plus larges, dans la politique, l’économie, la culture, l’écologie.
Oui, partout, on peut être un chrétien bien dans sa peau, mais avec un linge noué à la ceinture ou un tablier de cuisine, dans l’humble majesté du service fraternel.


Et surtout dans la joie. Ne l’oublions jamais. A la messe, l’invitation à la table eucharistique est ainsi formulée : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » Et après avoir rangé le linge et le tablier du lavement des pieds, Jésus a dit à ses disciples : « Heureux êtes vous si vous le faites. » Oui, « heureux » !

Que du bonheur !

                                               Claude Ducarroz


samedi 24 mars 2018

Les Rameaux 2018

Homélie
Rameaux 2018


Jésus, poussant un grand cri, expira.

Tout est accompli. Tout est dit.
Seul le silence est encore digne de cet évènement. Alors faut-il ajouter quelque chose, au risque de troubler cette atmosphère de compassion et de recueillement ?
Pas des paroles, mais une main tendue à des témoins de la croix, au crucifié et à quelques amis, de lui et de nous.

* D’abord Jésus évidemment. Selon cet évangile, il n’a dit qu’une parole sur la croix. Elle est tirée du psaume 22 : Eloï, Eloï, lama  sabactani. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Mon Dieu : le signe d’une ultime confiance. Peut-être a-t-il dit plutôt : Mon Père ! Abba !
Pourquoi m’as-tu abandonné ? Un cri en forme de question. Au-delà du sentiment d’abandon, il a encore cette dignité : questionner Dieu.

Ce qui reste au pauvre quand il a tout perdu, parce qu’il demeure un être humain.
On peut tout lui enlever, et jusqu’à ses vêtements, mais pas sa conscience, pas sa plainte, pas ses interrogations, et surtout pas celles qu’il adresse à Dieu, la dernière manière de lui dire qu’il croit en lui, douloureusement, désespérément, avant le grand silence de la mort.

En écho à ce cri, et en écho à ce silence, à travers tous les siècles et jusqu’aux tragiques rivages de notre actualité : Seigneur Jésus, écoute maintenant, en nous et autour de nous, et jusqu’aux extrémités de la terre, les drames extrêmes de tous les crucifiés du monde, que ce soit sous les effets des soubresauts de la nature en colère, que ce soit dans les tragédies ordinaires de la misère et de la faim, que ce soit sous les coups des violences meurtrières.

Seigneur, toi qui t’es senti abandonné, toi au moins, ne nous abandonne pas.

* Il se nommait Simon, on l’appelait le Cyrénéen. C’était un paysan. Il revenait des champs. Apparemment, il n’avait rien à voir avec ce macabre cortège qui conduisait trois condamnés à mort jusqu’à leur destin.
On l’a forcé. Mais peu importe. Il a porté la croix du sauveur,  il a aidé Jésus à aller jusqu’au bout de son chemin. Il a collaboré à la rédemption du monde.

Que de Simon de Cyrène dans l’aventure de notre pauvre humanité ! Aujourd’hui encore. Tant de fois, nous avons eu besoin des autres, y compris pour nous relever, et pour recommencer. Et pour aller plus loin, plus haut. Si possible jusqu’au bout. Avons-nous dit merci ?

 Et combien de fois, avons-nous  été un Simon de Cyrène pour d’autres ? Sans aller chercher trop loin, là, tout près de nous, dans nos relations quotidiennes, sur les chemins de tous les calvaires qui embauchent encore de si nombreux Simon.

Et puis je connais un Simon universel, toujours disponible. Il est là même quand on ne le voit pas, et même quand on n’y croit pas : Jésus de Nazareth. Lui qui a eu besoin de Simon, il est devenu le Simon de tous, en nous aidant maintenant à porter nos croix, avec la force de son Esprit.
Seigneur Jésus, sois notre Cyrénéen, viens au secours de notre faiblesse.

* Et surtout n’oublions pas les femmes. Car, comme le note cet évangile, il y avait aussi des femmes qui observaient de loin, et qui avaient suivi et servi Jésus quand il était en Galilée.
Comme d’habitude, y compris dans l’Eglise ou quand il y a des croix au bord des routes humaines : beaucoup de femmes et peu d’hommes. Quand il faut aller jusqu’au bout, quand il faut manifester de la compassion et exercer d’humbles  services, elles sont là.
On sait comment Jésus les a reconnues, remerciées et consolées sur le chemin du Calvaire.  Après la croix -où elles ont accompagné Marie la mère du condamné à mort-, nous les retrouverons au tombeau pour les rites –pieux et affectueux- de l’ensevelissement. Et surtout Jésus leur donnera rendez-vous de bonne heure au matin de Pâques pour leur apparaître en primeur comme ressuscité, et les charger d’annoncer cette bonne nouvelle aux apôtres eux-mêmes.

Il est temps que les femmes, dans la société et aussi dans l’Eglise, comme Jésus l’a fait, soient davantage reconnues, respectées, remerciées et encouragées. Encore une leçon et surtout une invitation qui coulent de cet évangile.


Seigneur Jésus, né d’une femme, fils de Marie, exauce-nous.

samedi 3 mars 2018

3ème dim. Carême Jn 2,13-25

Homélie
4 mars 2018

C’est gênant ! Qu’en pensez-vous ?
Oui, il y a quelque chose de gênant à voir le Christ faire un fouet, chasser marchands et bêtes du temple, jeter par terre la monnaie des changeurs et  renverser leurs comptoirs.
Si Jésus est le fils de Dieu, l’homme parfait, comment a-t-il pu se laisser aller à une telle colère, non seulement en paroles mais aussi en actes ?
Peut-être avions-nous oublié que Jésus de Nazareth était d’abord un homme, né d’une femme, en tout semblable à nous, sauf le péché. L’être humain, même le plus saint, n’est pas nécessairement parfait en tout.
Jésus a éprouvé nos sentiments. Il s’est étonné de la dureté de compréhension chez ses disciples, pourtant placés à bonne école. Il a pleuré sur Jérusalem et surtout près du tombeau de son ami Lazare, alors même qu’il avait décidé de le ramener à la vie. Il s’est fâché quand il a vu que ses disciples empêchaient les enfants de venir vers lui. Et ainsi de suite.
Ce n’est pas en deshumanisant Jésus qu’on va mieux respecter sa divinité, laquelle a surtout éclaté après sa résurrection, lors de sa victoire totale sur tout mal et même sur la mort.

Et pourquoi donc cette sainte colère de Jésus, me direz-vous ?
Il y a une raison immédiate, assez évidente, et une raison plus secrète, mais la plus profonde.
* Jésus s’est énervé en voyant comment le temple de Jérusalem, le lieu le plus sacré de la foi juive, était devenu un vaste marché, un souk commercial, où chacun pouvait profiter de la religion pour faire de juteuses affaires.
A travers son geste habité par une certaine violence, Jésus exprime sa répugnance à l’égard d’une telle trahison. C’était insupportable pour Jésus, le Messie. On peut le comprendre.

* Mais il y a derrière cet épisode déconcertant une autre démonstration. Jésus signifie par là la fin d’une religion et le début d’une autre. Ceux qui l’accusent de maltraiter le temple comme s’il en était le maître et seigneur, Jésus les fait glisser vers un autre temple, celui de la nouvelle religion qu’il va bientôt inaugurer dans sa mort et sa résurrection.

Car le temple de Jérusalem, avec toutes ses merveilles, sera bel et bien détruit. Il le sera le 29 août de l’an 70 par les Romains, et jamais reconstruit depuis lors. Quand au nouveau temple, le vrai, le définitif, à savoir le corps de Jésus, il sera aussi détruit par la mort sur la croix, mais dès le matin de Pâques, ce sera lui, son corps ressuscité qui deviendra le centre du nouveau culte, le lieu divin de la nouvelle religion. « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai », dit Jésus aux juifs du temple, en ajoutant « qu’il parlait du sanctuaire de son corps ».

Nous ne sommes plus dans la religion d’un temple bâti par des mains humaines. Nous sommes dans la religion d’une communion avec quelqu’un, possible toujours et partout, par le rassemblement autour de son corps livré et par la constitution mystérieuse de son corps communautaire qu’on appelle l’Eglise.

Autrement dit : si nous avons encore besoin -mais pas toujours- de temples ou églises de pierres, si possible parés de beauté, le plus important dans ces édifices, c’est de faire corps avec le Christ en communiant à son corps eucharistique, comme nous le faisons ce matin.
Tout le reste est utile, mais pas nécessaire. Les premiers chrétiens, et tant d’autres après eux aujourd’hui encore, ont dû édifier l’Eglise du Christ avec des moyens pauvres. Ils l’ont surtout fait mais avec des croyants ardents à vivre leur foi dans l’amour. C’est ce que laisse entendre l’évangile lui-même : « Quand Jésus se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela et crurent à la parole qu’il avait dite. »

Que retenir de tout cela, nous les chrétiens d’aujourd’hui ?
Nous pouvons avoir les plus belles cathédrales –la nôtre en est une-, les plus somptueux sanctuaires, les plus prestigieux monastères, des institutions séculaires : ce n’est pas cela qui fait battre le cœur de l’Eglise, ce n’est pas cela qui confère un avenir à l’évangile en ce monde.
L’Eglise du Christ, celle qui a la garantie des paroles de la vie éternelle, ce sont les personnes des croyants, celles et ceux qui habitent ces monuments, en s’y rassemblant autour de la parole de Dieu, en y célébrant les mystères de la foi, en venant y puiser des forces vives pour témoigner du Christ dans tous les réseaux humains de la société.
 Une cathédrale peut être belle. Elle ne sera jamais aussi belle que lorsqu’un peuple s’y retrouve pour y chanter les louanges de Dieu dans l’unanimité de la foi et dans la fraternité universelle de la charité.

Au Canada, j’ai vu une belle église moderne. Elle était devenue un restaurant. En Belgique, j’ai cru entrer dans une ancienne église gothique. C’était une bibliothèque. A Neuchâtel, un temple a été transformé en théâtre. Pouvez-vous garantir que ça n’arrivera jamais à Fribourg ?
 La réponse à cette question dépend de chacun de nous. Jésus nous a dit : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. »
Quand il n’y a plus âme qui vive, même dans un lieu sacré, la bâtisse peut encore briller dans le registre de la culture. Mais sans le culte, est-ce encore un sanctuaire ?
Peut-être avez-vous l’impression que je vous dis tout cela avec une certaine gravité. C’est vrai. Il m’arrive de craindre, d’avoir envie de pleurer. Mais ce matin, je voudrais surtout vous accueillir fraternellement, vous qui êtes venus. Et vous remercier d’être là. Nous pouvons encore, grâce à Dieu et aussi grâce à vous, faire Eglise ici dans l’admiration pour la beauté du lieu, mais sans trop miser sur elle pour la pérennité de l’Eglise. Car c’est la fidélité des croyants qui constitue le socle sur lequel la communauté chrétienne est bâtie, y compris lorsqu’il y a de belles églises.
N’oublions jamais cette  parole de l’apôtre Paul qui n’avait ni églises ni cathédrale. Il fait écho aux paroles et gestes du Christ dans l’évangile de ce jour. Il insiste : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Car le temple de Dieu est sacré et ce temple, c’est vous. »

Claude Ducarroz


jeudi 1 mars 2018

Effets collatéraux

Effets collatéraux

            La sinistre « affaire Harvey Weinstein » n’a pas fini de provoquer quelques effets surprenants. Dans un premier temps, ces révélations sordides ont suscité des indignations planétaires qui ont remis en question, surtout dans certains milieux, le comportement de beaucoup d’hommes à l’égard des femmes. On ose espérer que ces mâles dominants ont enfin progressé dans le respect dû à la dignité et à la personnalité des femmes. Il est grand temps. Mais une telle bataille, on le devine, ne sera jamais définitivement gagnée. Soyons vigilants, hommes et femmes tous ensemble.
            On aurait pu en rester là, autrement dit dans le rayon des relations affectives, voire érotiques. Heureusement, le courage des femmes les a conduites à ausculter d’autres dimensions de la vie humaine. Par exemple les relations de pouvoir établies dans les milieux de l’économie et de la politique. Et l’on remet sur la table des débats, très opportunément, des disparités criantes qui, si elles peuvent s’expliquer par l’histoire, ne sont plus justifiables dans le contexte de notre civilisation, du moins chez nous. Pourquoi si peu de femmes dans la direction et la gestion des entreprises ? Pourquoi de telles différences dans les salaires octroyés, pour des travaux d’égale valeur, entre hommes et femmes ? Pourquoi encore de trop rares femmes dans les instances politiques de décision et d’administration ?
            Entendons-nous bien ! Il ne s’agit pas de viser des quotas d’égalité rigoureusement mathématique. Il ne s’agit pas non plus de transformer les femmes en doublures des hommes, comme si elles n’avaient pas des apports originaux à offrir, avec leurs compétences propres. Mais justement, pourquoi nous priver des manières féminines d’exercer ces responsabilités ? Ne serions-nous pas tous enrichis – les hommes et les femmes - par le libre déploiement des charismes féminins dans des secteurs où, depuis si longtemps, règnent les usages très masculins d’imposer l’autorité et l’influence décisive ? Il est temps d’ajouter partout – pour les goûter et les apprécier à leur juste valeur - les couleurs et les parfums de l’autre moitié de l’humanité.
            J’entends aussitôt les réactions, pleinement justifiées, de certaines femmes. Qu’en est-il dans les Eglises, et en particulier dans l’Eglise catholique ? Bonne question ! Il ne suffit pas de dire, comme le concile Vatican II l’a proclamé prophétiquement, qu’il faut reconnaître à l’homme et à la femme une égale dignité personnelle (Gaudium et Spes no 49), que toute forme de discrimination fondée sur le sexe doit être dépassée et éliminée comme contraire au dessein de Dieu (Gaudium et Spes no 29). Encore faut-il que l’Eglise, et singulièrement la nôtre, examine sérieusement sa conscience et surtout revoie sa pratique. Pas pour céder à une mode, mais  par meilleure fidélité à l’évangile et pour qu’on ne puisse pas l’accuser, une fois de plus, de fournir de bons conseils à la société sans les mettre en pratique d’abord en son sein. Il y va de la cohérence avec notre mission et de notre crédibilité à la face du monde.
Toutes choses à vérifier régulièrement.
Avec ou sans la triste actualité de Weinstein.


Claude Ducarroz