mercredi 18 mars 2020

Qui l'eut-cru?

Qui l’eut cru ?

Dans ma (lointaine) enfance, j’entendais des personnes âgées raconter encore quelques souvenirs de la grippe dite « espagnole » (1918), et ça nous faisait froid dans le dos. Toutes proportions gardées, nous y voici à nouveau, si l’on en croit les mesures drastiques que le coronavirus impose en cascade à nos sociétés, y compris à la nôtre qui s’estimait sans doute à l’abri pour toujours de telles calamités.  Progrès de toutes sortes obligent ! Mais hélas !

Pour en rester aux conséquences sur la vie religieuse proprement dite –sans oublier toutes les autres évidemment-, nous sommes affrontés à des impacts encore inimaginables, il y a quelques jours. Non seulement la plupart des réunions sont déconseillées ou renvoyées, mais les messes elles-mêmes – le cœur battant de la piété catholique-  sont supprimées un peu partout. Il nous faut faire ce sacrifie par solidarité citoyenne et chrétienne à l’égard des malades actuels ou potentiels, comme aussi par soutien à nos autorités qui doivent assumer des responsabilités si graves et si difficiles.

Est-ce à dire que la vie dans l’Esprit des chrétiens et des communautés est en voie d’extinction, voire de disparition ?  Ce serait une deuxième tragédie. Il est grand temps de réfléchir et de prier pour mieux nous recentrer sur l’Essentiel vital, pour nous ancrer davantage dans l’Unique nécessaire.

D’abord nous pouvons accepter ces privations en signe de profonde communion avec tous les chrétiens -d’hier et encore d’aujourd’hui- qui se cramponnent vaillamment à l’Evangile alors qu’ils vivent la persécution, l’extrême difficulté de rassemblement, la précarité d’une vie d’Eglise sans église et souvent sans eucharistie possible. Ce que nous devons assumer par nécessité provisoire est souvent leur pain quotidien. Je l’avais vérifié en visitant certains pays d’Europe de l’Est sous la férule communiste.

Par ailleurs, il nous reste encore tant de trésors évangéliques à explorer et à goûter, mieux que d’habitude, pourquoi pas ? Je pense à la visite des églises pour des temps d’adoration en silence, à la prière en famille –cette cellule de base de l’Eglise-, à la méditation de la Parole de Dieu, toujours si accueillante dans les libres bibliques et liturgiques. N’oublions pas non plus que les nouveaux moyens de communication sociale sont aussi pleinement à notre service si l’on veut bien les utiliser pour entrer en contact avec d’autres personnes et d’autres communautés, notamment par la retransmission de certaines liturgies.
Nous ne sommes pas sans rien, Dieu merci.

Que l’absence ou la raréfaction ne provoque pas une mauvaise habitude plus ou moins paresseuse. Il serait évidemment très dommageable à cause de cette épreuve de diète religieuse, que nous abandonnions le désir de nous retrouver en communautés rassemblées, que nous perdions le goût de participer en direct à l’eucharistie, ce rendez-vous mystique et sensible avec Celui qui nous invite à sa table.

Nous n’avions pas prévu ce jeûne-là. Mais préparons-nous déjà, après notre passage au désert avec les austérités qui s’imposent, à nous retrouver en bonne forme spirituelle pour refaire Eglise dans la joie des retrouvailles eucharistiques et fraternelles.

Sans oublier que l’amour du prochain, à commencer par celui qui va à la rencontre des plus pauvres et des plus souffrants, est aussi, en toutes circonstances, une très belle forme de communion.


Claude Ducarroz                                           A paru sur le site  cath.ch

samedi 14 mars 2020

La Samaritaine

Homélie
Troisième dimanche de carême 2020
Jean 4

Tout était en place pour que rien ne se passe, autrement dit qu’ils ne se rencontrent ou du moins ne se parlent jamais. Au final : tous les deux ont vu leurs vies bouleversées. Il y eut un avant et un après. On pourrait appeler cela : coup de foudre au bord d’un puits

Au départ en effet, tout les séparait, du moins dans le contexte de ce temps.
Une femme ne bavarde pas avec un homme inconnu en public. Lui était juif, elle une Samaritaine, autrement dit une mauvaise juive, une sorte d’hérétique. A ne fréquenter sous aucun prétexte. Il y a parfois pire que les étrangers : les voisins insupportables parce que trop différents.
Et puis les circonstances. Il est dit que Jésus était « fatigué par la route ».  En plein midi, il avait surtout besoin d’une sieste.

Et pourtant il y avait un point commun entre l’homme de Nazareth et cette femme anonyme. Une pauvreté à partager, qui les rassemblait pour y répondre : la soif, le manque d’eau, la nécessité de creuser dans le même puits.

C’est Jésus qui rompt le silence. « Donne-moi à boire », dit-il à cette femme. Celui qui avait tant à donner –tout à donner- commence par se faire mendiant auprès de cette Samaritaine très gênée par cette requête inattendue. Après quoi, ou plutôt grâce à cette divine humilité, Jésus peut lui faire découvrir, peu à peu, en elle, une autre soif, et lui offrir une autre eau.
La soif d’un amour gratuit, tellement différent des aventures qui ont occupé ou plutôt encombré sa vie jusque là. Et le don d’une présence en forme d’amour inconditionnel –« si tu savais le don de Dieu ! » – au point de lui faire reconnaître en cet homme fatigué, mais si respectueux, le sauveur du monde…et donc aussi le sien.

Et ce n’est pas fini. Tandis que les disciples –des hommes évidemment- sont très préoccupés par les affaires de l’intendance -étaient-ils un brin suisses ?-, ils avouent leur surprise. Ils constatent, avec un reproche refoulé, que Jésus parlait avec une femme, et surtout celle-là, dont la réputation faisait sans doute jaser dans le landernau. Cinq maris ! c’est beaucoup !

Mais Jésus dans sa souveraine liberté, notamment à l’égard des femmes, fussent-elles de mauvaise renommée, a choisi son camp. Pour apporter la bonne nouvelle aux gens du village, il envoie précisément cette femme peu recommandable, annoncer son évangile, celui de la miséricorde et du salut offert à tous.

Et ça a marché, on peut même dire mieux qu’avec les apôtres masculins : « Beaucoup de Samaritains crurent en Jésus à cause de la parole de cette femme, au point qu’ils invitèrent le Seigneur à prolonger son séjour parmi eux pour écouter et pour apprécier plus longuement sa parole de salut.
Oui, Jésus n’a pas craint de confier à une femme plutôt irrégulière un ministère de type apostolique : diffuser son évangile. En terrain difficile.
Comprenne qui pourra ! Y compris dans notre Eglise encore tellement patriarcale.

Nous sommes tous des Samaritaines dans nos vies. Nous avons soif de plus essentiel que ce que peut nous offrir –plutôt nous vendre- une société qui prétend parfois nous rendre heureux en nous gavant de matérialisme ou d’égoïsme. Il suffit parfois d’une épreuve -ou d’un méchant petit virus- pour mesurer les creux intérieurs qui demeurent au plus profond de nous-mêmes, quand nous croyons avoir tout dévoré, tout essayé, tout dominé.

Alors comme la Samaritaine, osons prier ou crier : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’ai plus soif ». Dans un premier moment, comme au bord du puits de Jacob, ça peut être l’eau d’une véritable amitié humaine, un amour pur et gratuit, un geste de solidarité ou de compassion, qui sait ? un sourire, une parole, un accueil.
Mais je suis persuadé que, en embuscade derrière toutes les amours humaines, sous toutes ses formes les plus sincères, il y a cette soif de l’Amour majuscule, qui est le nom même de Dieu.

Nous allons puiser à des fontaines provisoires, à des puits bienfaisants mais encore si imparfaits. Notre soif -finalement, la soif de bonheur total, d’amour sans fin, de rencontre comblée- n’exige-t-elle pas rien moins que Dieu lui-même au bout de cette soif, quand notre petite rivière humaine se fondra dans l’océan de l’amour qu’est Dieu.
 C’est bien ce que Jésus promit finalement à cette femme …comme à nous aujourd’hui : « Celui qui boira de cette eau-là aura encore soif. Mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai, n’aura plus jamais soif, car cette eau deviendra en lui source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
A votre santé…pour l’éternité !
 Amen !