mercredi 25 juillet 2018

Philip ou Nicolas ?

Philip ou Nicolas ?

Le grand écrivain américain Philip Roth est décédé le 22 mai dernier à l’âge de 85 ans. Certains exégètes de sa vie et de son œuvre n’ont pas manqué de souligner son athéisme clairement assumé. Il a écrit par exemple : « Quand plus personne ne croira en Dieu, il y aura enfin la paix dans ce monde. » J’avoue que cette petite phrase, plantée dans mon esprit comme une flèche, continue de me faire réfléchir.
 A relire l’histoire des civilisations, et plus spécialement celle des religions, on doit bien reconnaître que Philip Roth n’a pas tout tord, comme on dit.
 Pour demeurer proche de chez nous, nous commémorons cette année la cruelle Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui ravagea une grande partie de l’Europe en mettant aux prises catholiques et protestants. Rien qu’en Suisse, ces mêmes chrétiens se sont vaillamment combattus au cours des deux batailles de Willmergen (1656 et 1712), sans parler de notre dernière guerre civile – le Sonderbund de 1848- dans laquelle le paramètre confessionnel a encore joué un grand rôle.
On peut évidemment esquiver la question en rappelant ce qui s’est passé en Europe au XXème siècle. Quand des soit disant « sauveurs «  de l’humanité sans dieu ont voulu s’imposer au monde, ils n’ont pas fait mieux, ou plutôt ce fut bien pire. Il suffit d’évoquer les millions de morts qui pèsent sur la conscience de Hitler, Staline, Mao et autres Pol Pot, tous vénérés en leur temps comme de nouveaux messies.
Mais l’interrogation demeure. Le défi est là. Il nous reste sans cesse à prouver que la réunion des croyants –à fortiori la communion des chrétiens- est un facteur de paix et de réconciliation au service d’une société enfin fraternelle.
Et j’entre dans la cathédrale de Fribourg. Aussitôt à droite brille le vitrail consacré à Nicolas de Flüe. Il honore son intervention pacificatrice du 21 décembre 1481, qui réconcilia les Suisses à la veille d’une guerre civile déjà programmée. Au bas du vitrail, il est rappelé cette petite phrase tirée de sa lettre aux Bernois (1482) : « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix. » Cet ancien soldat, devenu un ermite tout adonné au silence et à la prière, nous indique la voie. Et surtout notre devoir, plus que jamais impérieux : être, à l’image de notre saint national, des apôtres inconditionnels des béatitudes évangéliques (Cf. Matthieu 5,1-12), chacun personnellement et dans notre société.
Devant la montée des périls à l’horizon de notre actualité, comment vont réagir celles et ceux qui se réfèrent à Dieu, quelle que soit leur religion ? Les croyants vont-ils faire front commun pacificateur – y compris avec tant d’agnostiques et d’incroyants  pleinement humanistes - pour exorciser les violences endémiques en promouvant la justice et finalement l’amour ?
Quand nous sommes invités à nous engager dans le dialogue interreligieux, quand nous sommes pressés de progresser dans la réconciliation œcuménique, il ne s’agit pas seulement de débats théologiques « entre nous ». Il y va de l’avenir de notre convivance sur cette planète. En sauvant notre avenir humain, avec la grâce de Dieu, nous sauvons aussi l’image de notre Dieu. Est-il le dieu des armées en batailles ou le Père de tout amour ? Un certain Jésus de Nazareth nous l’a rappelé, en devenant lui-même notre paix, en tuant toute haine, en brisant tous les murs de séparation, en réconciliant tous les hommes dans une fraternité vraiment universelle.
Une grâce, mais aussi tout un programme de vie, une feuille de route pour chaque jour.

Claude Ducarroz


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