Philip ou Nicolas ?
Le grand écrivain américain Philip Roth est
décédé le 22 mai dernier à l’âge de 85 ans. Certains exégètes de sa vie et de
son œuvre n’ont pas manqué de souligner son athéisme clairement assumé. Il a
écrit par exemple : « Quand plus personne ne croira en Dieu, il y
aura enfin la paix dans ce monde. » J’avoue que cette petite phrase,
plantée dans mon esprit comme une flèche, continue de me faire réfléchir.
A relire
l’histoire des civilisations, et plus spécialement celle des religions, on doit
bien reconnaître que Philip Roth n’a pas tout tord, comme on dit.
Pour
demeurer proche de chez nous, nous commémorons cette année la cruelle Guerre de
Trente Ans (1618-1648) qui ravagea une grande partie de l’Europe en mettant aux
prises catholiques et protestants. Rien qu’en Suisse, ces mêmes chrétiens se
sont vaillamment combattus au cours des deux batailles de Willmergen (1656 et
1712), sans parler de notre dernière guerre civile – le Sonderbund de 1848-
dans laquelle le paramètre confessionnel a encore joué un grand rôle.
On peut évidemment esquiver la question en rappelant
ce qui s’est passé en Europe au XXème siècle. Quand des soit disant
« sauveurs « de l’humanité sans dieu ont voulu s’imposer au monde,
ils n’ont pas fait mieux, ou plutôt ce fut bien pire. Il suffit d’évoquer les
millions de morts qui pèsent sur la conscience de Hitler, Staline, Mao et
autres Pol Pot, tous vénérés en leur temps comme de nouveaux messies.
Mais l’interrogation demeure. Le défi est
là. Il nous reste sans cesse à prouver que la réunion des croyants –à
fortiori la communion des chrétiens- est un facteur de paix et de
réconciliation au service d’une société enfin fraternelle.
Et j’entre dans la cathédrale de Fribourg.
Aussitôt à droite brille le vitrail consacré à Nicolas de Flüe. Il honore son
intervention pacificatrice du 21 décembre 1481, qui réconcilia les Suisses à la
veille d’une guerre civile déjà programmée. Au bas du vitrail, il est rappelé
cette petite phrase tirée de sa lettre aux Bernois (1482) : « La paix
est toujours en Dieu, car Dieu est la paix. » Cet ancien soldat, devenu un
ermite tout adonné au silence et à la prière, nous indique la voie. Et surtout
notre devoir, plus que jamais impérieux : être, à l’image de notre saint
national, des apôtres inconditionnels des béatitudes évangéliques (Cf. Matthieu
5,1-12), chacun personnellement et dans notre société.
Devant la montée des périls à l’horizon de notre
actualité, comment vont réagir celles et ceux qui se réfèrent à Dieu, quelle
que soit leur religion ? Les croyants vont-ils faire front commun
pacificateur – y compris avec tant d’agnostiques et d’incroyants pleinement humanistes - pour exorciser les
violences endémiques en promouvant la justice et finalement l’amour ?
Quand nous sommes invités à nous engager dans
le dialogue interreligieux, quand nous sommes pressés de progresser dans la
réconciliation œcuménique, il ne s’agit pas seulement de débats théologiques
« entre nous ». Il y va de l’avenir de notre convivance sur cette
planète. En sauvant notre avenir humain, avec la grâce de Dieu, nous sauvons
aussi l’image de notre Dieu. Est-il le dieu des armées en batailles ou le Père
de tout amour ? Un certain Jésus de Nazareth nous l’a rappelé, en devenant
lui-même notre paix, en tuant toute haine, en brisant tous les murs de
séparation, en réconciliant tous les hommes dans une fraternité vraiment
universelle.
Une grâce, mais aussi
tout un programme de vie, une feuille de route pour chaque jour.
Claude Ducarroz
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