samedi 17 décembre 2016

En marche vers l'incarnation

La marche vers l’incarnation
He 1,1-3.

L’incarnation, c’est la rencontre de communion parfaite entre Dieu et la « chair » (humaine), Dieu demeurant un mystère « incompréhensible » (Cf. Jn 1,18) et l’humanité étant assumée dans le réalisme de sa faiblesse, de son imperfection et de sa caducité.

Une marche, c’est une dynamique progressive, avec des étapes qui peuvent se superposer, selon des intensités variables.

On peut discerner six étapes :
-          la communion par l’existence dans le rapport de création
-          les diverses quêtes religieuses
-          l’alliance avec Israël
-          le Verbe incarné
-          le temps de l’Eglise
-          la récapitulation eschatologique

1. L’Existant fait exister par un contact et une rencontre entre le divin Donateur et l’humain receveur. (Cf. Ps 139,13-15). Cette dépendance crée une certaine solidarité essentielle. La liberté de Dieu s’engage dans le don de l’être, surtout quand il s’agit de créer un être « à l’image et ressemblance » de Dieu. (Gn 1,27).

2. Toutes les religions manifestent et mettent en « culture » cette  mystérieuse liaison entre Dieu et l’humanité, dans l’interaction avec le vaste univers, écrin de cette Histoire dans la variété des civilisations.

3. Israël est un témoin privilégié de cette « incarnation » par création à travers le livre de la Genèse qui présente un Dieu unique (Cf. Dt 32,39), maître de tout, qui cependant ne craint pas de se révéler comme un artisan créateur. (Cf. Gn 2). Plus encore, Dieu déroule un plan secret à travers l’alliance avec le peuple, dans tous les aléas de cette fréquentation. Dans cette histoire sainte, il montre proximité et accompagnement, avec un dévoilement progressif de son mystère jusqu’à l’expression de son nom. (Cf. Ex 3,13-16).
 Si les vocables Parole, Sagesse, Esprit, Seigneur, Eternel, Très-Haut, etc.. maintiennent l’idée de transcendance, d’autres expressions utilisent des images et des comparaisons très humaines (Cf. père, pasteur, mère, roi, époux etc..) et même matérielles (Cf. rocher, bouclier, forteresse, lumière, etc..), tout en mettant en garde contre une divinité qui serait simplement à la ressemblance de l’homme.
Les prophètes, plus encore que le culte, veillent sur la pureté et l’originalité de la foi juive, tout en continuant d’orienter les croyants vers une relation faite d’adoration, mais aussi d’amour, face à un Dieu de tendresse et de miséricorde. (Cf. les psaumes).

4. Et puis vint Jésus de Nazareth, le « Verbe fait chair » (Jn 1,14), assumant en lui la parfaite rencontre entre le Fils éternel de Dieu et la pleine humanité du fils de Marie. La découverte de cette mystérieuse communion s’est faite progressivement. Les témoins ont d’abord rencontré un homme, dans la pauvreté de sa naissance et l’humilité de sa condition historique. Ils ont été impressionnés par l’homme de Dieu (Cf. Jn,1,35-51) dont les paroles et les actions conduisaient à son mystère.
Le mystère pascal leur a ouvert les yeux de la foi. (Cf. Lc 24,13-35). Une relecture de sa vie devenait possible, qui changea la vie de ses disciples et fonda la communauté Eglise.
Du compagnonnage avec Jésus durant son existence terrestre, les apôtres ont pu remonter à la préexistence du Christ dans sa relation éternelle avec le Père qui l’a envoyé. (Cf. Jn 17).
L’Esprit Saint a permis que les chrétiens  tiennent bon dans la confession du mystère du Verbe incarné, en affirmant la divinité du Christ sans jamais occulter son humanité. (Cf. les épîtres de Paul).
Cette humanité du Sauveur a été amplement recueillie et racontée dans les Evangiles. On y voit Jésus partager entièrement la condition humaine (joies et peines, succès et échecs), dans les manifestations de la vie courante, dans la culture de son milieu et surtout dans l’affrontement avec la mort, prélude à la résurrection.
Toutes les rencontres de Jésus, avant ou après la Pâque, sont là pour témoigner à la fois de la pleine humanité du Sauveur et de sa parfaite divinité, en communion trinitaire assumée en ce monde.

5. D’une certaine façon, l’Eglise prolonge le mystère de l’incarnation en témoignant pour le Christ mort et ressuscité et en diffusant dans le monde les énergies humanisantes de l’Esprit.

6. Mais nous attendons encore la parfaite révélation de toutes les dimensions du mystère de l’incarnation (Cf. Ep 3) quand, à la fin de l’histoire terrestre, le Christ récapitulera toutes choses en lui pour que, enfin, « Dieu soit tout en tous. » (ICo 15,28).

                                                           Claude Ducarroz


jeudi 15 décembre 2016

Pour nos autorités cantonales

Reconstitution des autorités cantonales
16 décembre 2016     HOMELIE              Jn 13, 3-5 et 12-17

Rassurez-vous ! Après cette page de l’évangile de Jean, il me semble que je n’ai plus rien à dire. Tout a été démontré concrètement par le Christ Jésus lui-même dans l’émouvant récit du lavement des pieds.
Personnellement, j’aurais plutôt envie de vous montrer quelque chose. Et c’est le portail sud de notre cathédrale, celui qui est maintenant offert à la contemplation de tous, notamment grâce à la générosité et à l’activité de nos autorités cantonales. Il peut constituer en effet comme un autre commentaire de la juste attitude prônée par Jésus dans l’évangile, en particulier pour les autorités de ce monde. Si vous n’avez pas encore apprécié ce chef d’œuvre, je vous conseille vivement de ne pas tarder à venir méditer devant sa beauté.

Le Christ est au sommet de l’ogive supérieure. Il domine certes, mais il ne menace pas. Il parle pour dire une parole de lumière. Il bénit pour accorder un esprit de vie. On le retrouve au centre du portail, là encore, non pas dans l’arrogance d’un pouvoir, mais dans la douce proximité d’un enfant sur les genoux de sa mère. Certes, il n’est plus un bébé puisqu’il est debout et fait un premier pas vers l’avenir, vers sa liberté, vers sa mission.

Et vous –si vous me pardonnez cette audace-, je vous vois dans la figure des trois mages/rois qui s’approchent de ce trône un peu solennel, mais très avenant. Tous les trois obéissent à la même attraction intérieure, celle qui les conduit tous, à la lumière d’une étoile mystérieuse, vers le petit roi qui les regarde en étendant ses bras.
Ils sont très différents –peut-être même par les orientations politiques-, certainement par l’âge. * Le premier est dans la soixantaine, bien velu et barbu, déjà comblé par une longue expérience.
* Le deuxième, qui désigne l’enfant, est dans la quarantaine, avec une barbe bien taillée et sans doute un programme ripoliné.
* Quant au troisième, c’est un jeune homme imberbe, mais certainement plein d’ambition.
En résumé : tout ce qu’il faut pour constituer un bon Grand Conseil et un Conseil d’Etat équilibré. A condition d’y ajouter des femmes évidemment !
Tous les trois apportent au Seigneur le cadeau de ce qu’ils ont, mais surtout l’offrande de ce qu’ils sont. Et ce n’est pas rien puisqu’ils portent tous une couronne, signe ostentatoire de leur autorité reconnue et respectée. Sauf le premier. Non pas qu’il ait renoncé à son pouvoir puisqu’il a placé sa couronne au coin de son genou gauche, en pleine génuflexion.
Il a conscience de se trouver, lui un roi, devant plus roi que lui, même s’il s’agit encore d’un enfant. Il le manifeste clairement: son autorité vient d’ailleurs. Il s’incline pour être à sa juste grandeur. Il est premier serviteur pour exprimer sa vraie valeur. A fortiori, dans un système démocratique, la force du pouvoir jaillit de l’humilité de celui ou celle qui l’exerce, et l’on sait que l’attention aux plus petits et aux plus faibles est la marque des grands magistrats.

C’est la leçon du premier roi du portail sud. Il rejoint à l’avance l’esprit de l’évangile de tout à l’heure. Servir les autres, voilà la vérité de tout pouvoir qui veut s’exercer à l’imitation de celui qui a lavé les pieds de ses amis avant de donner sa vie pour eux : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Mais surtout, pour terminer, je ne voudrais pas que vous oubliiez la phrase suivante, car c’est une si belle promesse, et c’est bien ce que nous vous souhaitons du fond de notre prière, pour vous, nos autorités, hommes et femmes élus ou réélus : la joie de servir ainsi.
« Sachant cela, dit Jésus, heureux serez-vous si vous le faites ». Bien du bonheur !
                                                                                                          Claude Ducarroz, prévôt



jeudi 8 décembre 2016

Pour l'Immaculée Conception

Immaculée Conception

Faut-il le redire en préambule ? Je le crois, tant ce mystère reste sans doute fort « mystérieux » pour certains chrétiens, même parmi ceux qu’on appelle les « pratiquants réguliers ». Que dire alors des autres, de loin les plus nombreux ?

Comment comprendre l’immaculée conception de Marie ?

D’abord ce n’est pas à confondre avec la conception virginale de Jésus, à savoir le fait que le Seigneur-Messie ait été engendré en Marie sans l’intervention biologique d’un homme. Et cela, non pas par méfiance ou mépris à l’égard de la sexualité, l’une des plus belles inventions de Dieu selon le livre de la Genèse puisque, après la création « de l’homme et de la femme à son image et ressemblance …, Dieu vit et dit que tout cela était très bon ».
Le mode de conception « extraordinaire » de Jésus signifie seulement que le cadeau du Sauveur est 100% le fruit d’une miséricorde totalement gratuite de Dieu, et non pas le résultat d’une initiative humaine, si belle et pure soit-elle. On ne produit pas le Sauveur, on le reçoit.

L’Eglise, peu à peu, a pris conscience que le premier instrument de l’incarnation du Fils de Dieu en notre chair, Marie de Nazareth, était et fut entièrement dévouée à sa mission exceptionnelle, autrement dit « toute sainte » comme on dit en Orient, « immaculée », comme on dit en Occident, donc « sans péché ». Finalement, l’immaculée conception de Marie, c’est le commentaire théologique de l’Eglise au sujet de la célèbre phrase de l’ange Gabriel lors de l’annonciation : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. »
Dans l’Eglise catholique, on a perçu une certaine confirmation de cette vérité dans le fait que Marie se soit présentée elle-même ainsi lors des apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous à Lourdes en 1858.

Mais revenons plutôt à l’évangile, celui de cette fête. Que de belles leçons à contempler et à retenir, y compris par l’Eglise d’aujourd’hui, et donc par nous qui sommes cette Eglise !

* D’abord Dieu commence l’œuvre de la rédemption, à savoir la nouvelle création, en recourant à une femme, celle qu’on peut appeler la nouvelle Eve. Alors que si souvent encore dans certaines sociétés, les femmes sont considérées comme des humains secondaires, voire inférieurs, Dieu vient à nous dans le Christ en appelant une femme comme première et principale collaboratrice de ses desseins de salut universel. Il faut aussi l’avouer : alors que dans notre Eglise les femmes ne sont pas toujours appréciées à leur vraie valeur ni accueillies à leur juste place, l’attitude libre de Jésus à l’égard des femmes de l’Evangile nous interroge encore sur l’avenir de leurs précieux services dans nos communautés.

* Mais il ne faut pas non plus oublier Joseph, l’époux inséparable de Marie. Pour habiter au milieu de nous, le Messie n’a pas seulement choisi une mère immaculée, mais aussi une famille, la vie de famille, puisque le texte de l’annonciation signale aussitôt que « Marie était accordée en mariage à Joseph » avant qu’ils aient habité ensemble. Jésus, toujours selon les évangiles, était couramment appelé tantôt « le fils de Joseph », tantôt « le fils de Marie ». A la crèche –on nous le rappellera la nuit de Noël-, les bergers trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né. On comprend mieux dès lors pourquoi l’Eglise, à partir du mystère de Nazareth, doit promouvoir les valeurs, les beautés et les exigences du couple et de la famille, sans se laisser détourner par certaines dérives sociétales, tout en pratiquant la miséricorde à l’égard de celles et ceux qui peinent ou échouent sur cette route faîtière de l’amour humain.

* Enfin retenons de l’évangile de cette fête combien Dieu est respectueux de l’humain en proposant du divin à la petite servante Marie de Nazareth. Le messager entame un dialogue adulte qui autorise et même suscite des questions bien naturelles : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » La femme Marie ne devient pas une chose manipulable devant un tout-puissant Seigneur. Il est fait appel à son intelligence, à sa sensibilité, en même temps qu’à sa foi. D’ailleurs celle-ci ne peut fleurir en oui que dans le jardin de sa liberté entièrement honorée.

L’abandon à la parole de Dieu pour acquiescer au mystère n’est pas une capitulation devant la majesté de Dieu, mais l’entrée tout en douceur dans une alliance d’amour et de confiance avec lui.
« Marie dit alors : Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole. »

Ce réflexe de dialogue intelligent et respectueux, à l’image du comportement de Dieu avec Marie et Joseph, ne doit-il pas marquer la vie de l’Eglise pour qu’elle imite son Seigneur, pour qu’elle devienne à la fois plus christique et plus mariale, au service du salut du monde ?
« Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. »

                                               Claude Ducarroz







mardi 6 décembre 2016

Pour la saint Nicolas

                 Saint Nicolas 2016

Incroyable, mais vrai. On a encore pu le vérifier samedi dernier. Le plus grand rassemblement populaire annuel à Fribourg est celui de la Saint Nicolas. Et pour voir quoi ? Un faux évêque à longue barbe blanche, juché sur un âne, accompagné de quelques pères fouettards grossièrement grimés en noir. C’est vrai : il y a aussi une distribution de biscômes aux enfants et un discours épicé par des allusions à l’actualité. Comme on dit : ça aide !

Les traditions, surtout lorsqu’elles sont ancestrales et pourtant toujours bien vivantes, nous disent quelque chose de l’âme d’un peuple. Et les mythes, quand ils produisent encore de bons fruits, nous révèlent les secrets de la sève d’une nation.

Ainsi donc, la ville de Fribourg est placée depuis ses origines au 12ème siècle sous le patronage d’un évêque, qui plus est venu d’Orient et auréolé d’une sympathie universelle à cause de ses légendaires bontés pour les enfants et les petits de toutes sortes.

Et précisément, on pourrait en rester aux légendes qui  virevoltent autour de la figure de notre cher saint Nicolas. Le culte de ces « reliques de la mémoire » rassemble les foules. Il pourrait aussi servir d’alibi commode pour camoufler des évolutions et des comportements fort différents du message délivré par le brave évêque de Myre. Puisque saint Nicolas a tant de qualités rayonnantes, qu’il exerce généreusement une fois l’an, nous pourrions, avec sa bénédiction présumée, nous adonner à d’autres choses jusqu’au prochain rendez-vous de sa prochaine fête. En toute bonne conscience, en somme.

Notre Chapitre -et plus largement notre paroisse et notre diocèse, tous placés sous le patronage de saint Nicolas de Myre- sont peut-être là, non seulement comme les gardiens quelque peu nostalgiques d’une vénérable tradition, mais comme les héritiers d’une mission qui exhale les bonnes odeurs de l’évangile.

* Un évêque, le témoin de la foi chrétienne et le premier pasteur de l’Eglise. Une fois les embrassades de circonstance –quelque peu folkloriques- sous le porche de la cathédrale, notre évêque est entré dans le sanctuaire pour y célébrer la messe devant et pour un peuple. Nous étions à ses côtés. Le combat pacifique pour la foi chrétienne, le labeur pastoral pour la vitalité de l’Eglise, les efforts pour l’unité œcuménique de cette même Eglise doivent demeurer notre passion, dans les deux sens du mot. Et, je l’espère, notre joie. C’est cela, être, aujourd’hui encore, les enfants de saint Nicolas.

* Un évêque, mais venu de loin, de là-bas, de l’Orient. Nous savons que le culte de saint Nicolas a d’abord suivi le périlleux voyage de ses reliques jusqu’à Bari  - c’était en 1087- et jusqu’à Hauterive –en 1405-, puis jusqu’à Fribourg en 1506. Nous ne pouvons ignorer que le christianisme est né en Orient, qu’il nous a été légué comme un précieux trésor à partir de ces communautés d’Orient jusqu’à Rome. Nous portons avec nous, dans une fraternité de profonde solidarité et de fervente prière, les témoins de ces mêmes Eglises qui souffrent et prient actuellement dans une fidélité exemplaire.

* Nous gardons dans notre cathédrale quelques précieuses reliques de saint Nicolas. Mais comment accueillons-nous, non pas des reliques mais des humains bien vivants, en forme d’images de Dieu au milieu de nous ? Je pense aux réfugiés de ces mêmes régions qui sont des nouveaux « saint Nicolas » en chair et en os, même s’ils sont assez différents du premier, j’en conviens. Comme le rappelle le pape François, tous les hommes, quels qu’ils soient, ne sont-ils pas frères et sœurs ? Eux aussi.

* Enfin il y a le bon cœur de saint Nicolas, et d’abord pour les pauvres et les petits. On peut évidemment sourire de sa bonhommie de vieillard barbu. On peut aussi s’inspirer de son inaltérable compassion pour les souffrants et les oubliés de ce monde. Car ce que les gens de toute philosophie et toute religion apprécient en cette figure, n’est-ce pas l’écho qu’ils reconnaissent en lui de l’esprit de Jésus, « doux et humble de cœur », plein de tendresse et d’amour, celui qui a pu répéter : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. »

 * Nous venons d’élire nos autorités cantonales. Nous avons tous à prendre régulièrement des options politiques, sociales, culturelles, économiques et écologiques. Nos critères sont-ils évangéliques ? Nos choix prolongent-ils, ne serait qu’un peu, les préférences de saint Nicolas ? Il y a peut-être une manière de guider l’Eglise, mais aussi de gérer la cité et les affaires publiques, qui consonne  -ou détonne- avec celui que nous célébrons aujourd’hui.
Se réclamer d’un tel saint évêque, c’est sans doute une invitation à mieux suivre le Christ, premier ami des pauvres, de chez nous, d’ailleurs et jusqu’au bout du monde.

Que dure et se prolonge notre belle fête de saint Nicolas !


Claude Ducarroz

vendredi 2 décembre 2016

Succès pour un prophète désagréable

Le succès d’un prophète désagréable
Matthieu 3, 1-12.

Re-voilà Jean-Baptiste !
Après le récit des origines du Christ (généalogie et naissance), l’évangéliste Matthieu nous transporte aussitôt dans une région désertique de Judée, là où Jean prêche et baptise. Des reporters people se contenteraient sans doute de raconter quelques anecdotes exotiques. Ce prophète portait un vêtement de poil de chameau et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Bon appétit !
Sous son accoutrement hippie et après son pique-nique peu ragoûtant, l’homme mérite beaucoup mieux que quelques photos chocs.
Nous sommes dans un contexte d’attente messianique. Jean le rappelle en citant la parole du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur… » N’est-ce pas ce qu’il fait lui-même par ses prédications enflammées ? Oui, mais attention à l’erreur sur la personne ! Il ne s’agit pas de le prendre, lui, pour le Messie qu’il annonce. Il ouvre des chemins pour un autre, celui qui vient après lui, celui dont il n’est pas digne de lui retirer ses sandales.
Cette humilité ne l’empêche pas d’avoir grand succès. De partout, les juifs accourent vers lui. Et pourtant il ne craint pas de leur asséner des vérités désagréables (« engeance de vipères »), tout en leur intimant une cure d’âme très radicale (« produisez un fruit digne de la conversion »). Plus encore, il menace : « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits va être jeté au feu ». Il ne sert à rien de répéter : « Nous avons Abraham pour père ».
Comment expliquer cette performance paradoxale ? Par le courage d’une parole vraie. Par la proposition d’un changement en profondeur. Et surtout par l’abnégation de sa personne qui rend son message crédible. Jean ne travaille pas pour lui. Il est pleinement serviteur du Messie à venir. Il n’est que précurseur, lui qui souhaitera bientôt : « Il faut que le Christ grandisse, et que moi je diminue ». (Jn 3,30.) On sait jusqu’où l’a conduit cette diminution !
Plus que jamais, notre humanité a besoin de Jean-Baptiste. Dans l’Eglise, mais aussi dans la société.
Oui, des personnes –hommes et femmes- qui aient la bravoure de paroles claires, qui proclament des messages crédibles par l’engagement généreux de leur vie, qui  n’oeuvrent pas pour leur gloire mais se recommandent par le désintéressement de leur action. En somme : des transparents de l’Evangile en actes.
On vient de me le répéter : « Le pape François, c’est vraiment quelqu’un qui fait ce qu’il dit. C’est pour cela qu’on l’aime et qu’on a envie de le suivre. »
Sur la route de l’Avent, qui ne mène pas au Vatican, mais conduit à Jésus-Christ.
 Evidemment !

Claude Ducarroz


A paru sur le site de www.cath.ch

mardi 15 novembre 2016

L'après Trump en Suisse

Ne trumpons pas la Suisse !

Je ne connais pas assez les Etats-Unis de l’intérieur pour émettre des jugements péremptoires sur ce qui a conduit une majorité du peuple américain à choisir Donald Trump comme président de cette grande nation. Mais mon statut d’observateur extérieur, quoique bienveillant, m’autorise à glaner quelques leçons pour la Suisse dans l’évènement-surprise qui vient de secouer l’actualité de notre monde.

* Quand on veut se mettre au service des gens –notamment par l’engagement politique-, il faut commencer par les écouter, et surtout celles et ceux qui ne disent rien ou qui ne savent pas comment s’exprimer. Leur malaise peut devenir colère, celle qui n’est pas une bonne conseillère. Mais comment l’éviter quand montent au fond des cœurs les cris sourds suscités par l’injustice ou l’indifférence ? En Suisse aussi, comme le révèlent certaines enquêtes sociologiques, des « petites gens » peinent et souffrent, souvent en silence, jusqu’à ce que leur mal-être finisse par éclater au grand jour. Peut-être est-il encore temps de prendre conscience et de réagir face aux séquelles d’une économie mondialisée qui fait exploser les bénéfices des plus riches et diminuer les crédits des moins favorisés.

* Les paroles sont des armes redoutables, pour le meilleur ou pour le pire. On a vu des slogans réducteurs, des phrases assassines, des dessins menteurs, à vous faire froid dans le dos. La campagne électorale, marquée souvent par quelques excès inévitables, ne justifie nullement des calomnies et des attaques de bas étage. Chez nous aussi, on a vu-et on voit encore- fleurir des formules mensongères et des caricatures iniques. Le minimum que l’on puisse attendre des candidats qui sollicitent nos suffrages, c’est qu’ils aient le respect des personnes, y compris de leurs adversaires politiques, tant des individus que des groupes qu’ils représentent. Veillons à ne pas descendre dans l’arène du mépris et de la haine. Car des paroles ou des écrits jusqu’aux actes brutaux, voire assassins, le chemin est parfois très court et la glissade savonnée.

* Enfin, nous qui avons le privilège de pouvoir agir et réagir, exprimer nos opinions et même prendre des décisions par un large usage du suffrage universel, qu’en faisons-nous ? La montée du parti des abstentionnistes ne peut qu’inquiéter.  Certes notre démocratie helvétique n’est pas parfaite. Mais des débats réguliers –légers ou graves- nous permettent de réfléchir et de prendre position. Et bien souvent des enjeux éthiques et sociétaux nous offrent la possibilité de redéfinir nos choix de base et de revisiter notre échelle des valeurs. Avec, en point de mire, notre manière concrète de promouvoir la justice, de lutter pour la paix, de renforcer les solidarités, de respecter l’environnement, de favoriser le vivre-ensemble local, national et planétaire.

Si c’est ça la « différence suisse », alors je suis fier d’être nationaliste. Je ne me laisserai jamais trumper !


                                                           Claude Ducarroz

samedi 12 novembre 2016

Célébration de mémoire

In memoriam 2016
Homélie

Guerre et paix.

Plusieurs fois, en seulement 40 ans –soit de 1476 à 1516-, Fribourg a été associé de près à la grande Histoire européenne. Quelques dates suffisent à le rappeler.

* 22 juin 1476. Les troupes fribourgeoises contribuent à la victoire des Confédérés sur le duc de Bourgogne Charles le Téméraire à Morat. Le commandant des soldats de Fribourg, Petermann de Faucigny, repose encore ici dans notre cathédrale.
* 22 décembre 1481. In extremis, Nicolas de Flue empêche la guerre civile entre Suisses. Dans le traité de réconciliation de Stans, Fribourg est admis dans la Confédération. Un vitrail de notre cathédrale rappelle cet évènement majeur de notre histoire.
* 20 décembre 1512. La fondation du Chapitre collégial de Saint-Nicolas à Fribourg n’est pas sans lien avec la présence de soldats fribourgeois sur les champs de bataille des guerres d’Italie. Peter Falk, avoyer de Fribourg, sut tirer les bonnes ficelles au Vatican pour obtenir ce privilège.
* 15 septembre 1515. Le jeune roi de France François 1er bat les Suisses à Marignan, près de Milan.
* Et le 29 novembre 1516 –il y a exactement 500 ans-, une paix perpétuelle est signée entre le royaume de France et les Suisses, précisément ici à Fribourg.

Vous pourriez me dire : que viennent faire aujourd’hui ces rappels historiques dans une messe dominicale à la cathédrale ?

Il y a le fait que cette célébration veut justement faire mémoire des soldats et pompiers de chez nous qui ont offert leur vie pour notre patrie, sans oublier leurs familles qui ont assumé les douloureuses conséquences de ces deuils. Grâce à Dieu, depuis 1848, les soldats suisses n’ont  plus jamais été engagés dans des guerres sanglantes. Mais au cours de ce qu’on appelle « le service actif », certains sont morts sur le front de la paix. Ils ont droit à notre reconnaissance.

Et puis, si vous avez bien écouté l’évangile de ce jour, Jésus parle de guerres, de tremblements de terre, d’épidémies, de persécution : autant de « phénomènes effrayants », comme il le dit lui-même, qui renvoient étrangement à notre actualité la plus pénible.

Qu’est-ce à dire ?

Le bon sens devrait déjà nous amener à cette conclusion. Puisque les guerres finissent toujours par des traités de paix, voire des pratiques de réconciliation, pourquoi ne pas commencer par là, à savoir travailler surtout à éviter les guerres, ce qui économiserait des dégâts incommensurables aux humains et aux trésors de la culture et de la nature ? C’est ce qu’avait compris l’apôtre de la paix Nicolas de Flue, en empêchant les Suisses de se faire la guerre entre eux. Et Fribourg a largement profité de cette non-guerre.

Et puis, si le tableau brossé par Jésus est en effet effrayant au point d’être encore réaliste aujourd’hui, il faut préciser certaines choses, toutes contenues dans cet évangile.

* A aucun moment, Jésus invite ses disciples à faire la guerre. Il leur signale seulement les malheurs qu’ils auront à subir –et non pas à provoquer-, justement à cause de leurs messages et leurs pratiques de paix dans ce monde. Oui, « on portera la main sur vous et l’on vous persécutera …parce que vous agirez à cause de mon nom ». Donc comme artisans de justice, de fraternité et de  paix. Et il ajoute : « Cela vous amènera à rendre témoignage. »

Comment ne pas penser à tous ces chrétiens qui, aujourd’hui, souffrent et meurent dans certains pays, non pas en faisant la guerre, mais en subissant les guerres des autres, y compris de ceux qui, hélas ! instrumentalisent leur religion pour massacrer celles et ceux qui ne pensent pas ou ne vivent pas comme eux ?
Comment ne pas se sentir solidaires, de bien des manières, de ces frères et sœurs qui sont martyrisés à cause de leur fidélité au nom de Jésus, ce même nom sacré qui nous rassemble ici ce matin ? Car nous sommes dans la même Eglise.

L’évangile de ce dimanche, dans sa couleur tragique, n’aurait-il rien à nous dire, à nous qui avons le privilège de vivre –encore- dans une société de liberté civique et de respect des droits humains ? Pas du tout.

Souvenez-vous. Au départ, Jésus s’est adressé à des disciples éblouis par la beauté et la majesté du temple de Jérusalem. Et quelques années plus tard seulement, il n’en resta pas pierre sur pierre. Nos institutions, même démocratiques, nos succès, même économiques, nos monuments de culture demeurent des réalisations fragiles, si nous ne les transfigurons pas du dedans par des valeurs humaines plus profondes, qui ont nom solidarité, justice, générosité, sens de l’accueil, respect de la création.

Et puis il y a cet avertissement : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer ». Les pires catastrophes peuvent commencer par des slogans aguicheurs, des propagandes vicieuses, des conditionnements perfides, si bien servis aujourd’hui par la puissance presque infinie des médias modernes qui, comme vous le savez, peuvent être la meilleure ou la pire des choses suivant l’usage qu’on en fait.
Alors, dans ce tohu-bohu de tous les chambardements, comme nous avons besoin, plus que jamais, de temps pour réfléchir, de repères pour discerner, de spiritualité pour approfondir, de souffle intérieur pour réagir avec lucidité et courage.

Quelqu’un, une fois de plus, se propose comme compagnon de notre humanité en pèlerinage risqué en ce monde. Il nous dit, pourvu qu’on l’écoute et qu’on le fréquente : « Je vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle vos adversaires ne pourront pas s’opposer. »
Mais comme disait aussi Jésus : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Sur la terre. Et à Fribourg ?
Souvenez-vous de la dernière phrase de l’évangile de ce jour : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »


                                                                       Claude Ducarroz

lundi 31 octobre 2016

Homélie de la Toussaint

Toussaint 2016

La question est universelle. Tôt ou tard, chacun de nous se la pose, en son âme et conscience. Mais les réponses sont multiples, et parfois contradictoires. Pas facile d’y voir clair.

La question est celle-ci : y aurait-il quelque chose après notre mort ? Cette mort  -elle aussi universelle-  serait-elle la fin de tout pour nos personnes humaines ? Ou pouvons-nous caresser l’espoir de commencer alors autre chose, autrement, qu’on pourrait nommer la vie éternelle ?

Toutes les religions s’efforcent de répondre à cette question lancinante, mais chacune à sa manière propre. Et pourtant chaque religion dit au moins cela qui leur est commun à toutes : le destin de la personne humaine dépasse sa mortalité. Il y a encore une vie possible après la vie, cette vie. Notre destinée ne s’achève pas dans une tombe ou dans un four crématoire.

Mais de nouvelles religions sont apparues, surtout depuis le 18ème siècle, celui qu’on appelle « des Lumières ». Des esprits dits « libérés » prétendent que tout s’achève avec la mort, qu’il n’y a plus rien à espérer après.

Nous naissons par hasard et nous mourons par nécessité,  une fois pour toutes, pour toujours. D’ailleurs, disent-ils, jamais personne n’est revenu vivant depuis l’autre côté.

Eh ! bien, c’est justement là qu’un certain Jésus de Nazareth nous donne rendez-vous. Et ça peut tout changer. Et ça change tout.

Quelqu’un est né d’une femme, comme nous. Il a passé sa vie en faisant beaucoup de bien. On n’ose pas dire « comme nous ». Il a souffert, il est mort, pire que nous, sur une croix. Et il est ressuscité.
C’est ce dont ont témoigné celles et ceux qui l’ont retrouvé vivant après sa mort, à leur grande surprise, eux qui l’avait vu bel et bien mort sur la croix.

C’est peut-être vrai pour lui, diront certains, il a eu bien de la chance. Tant mieux pour lui. Mais est-ce que ce sera aussi vrai pour nous ?

A moins d’avoir à faire à un divin égoïste et menteur, nous pouvons faire confiance à la promesse sortie avec Jésus vivant au matin de Pâques : « Je vais vous préparer une place…afin que là où je suis, vous soyez aussi avec moi. »

Où ? Comment ?
Je vous avoue que je ne cherche pas à le savoir. Et d’ailleurs comment peut-on l’imaginer quand on est encore de ce côté-ci de la vie ? On n’a pas les instruments pour scruter ce ciel-là, le royaume de Dieu.

Voici ce qui me suffit : quelqu’un a vaincu la mort, il m’attend dans sa maison de gloire, là où il y a de nombreuses demeures pour tous ceux qui choisiront d’y entrer sur sa généreuse  invitation et avec notre libre acceptation.

Finalement, ce que le Ressuscité de Pâques nous offre gratuitement, n’est-ce pas ce que nous nous souhaitons, pour soi et pour ceux et celles que nous aimons : le bonheur éternel dans l’amour parfait ?
Autrement dit ce que  nous ne pouvons pas nous donner à nous-mêmes, car ça nous dépasse infiniment, mais que le Christ nous accorde au-delà même de nos plus chers désirs, par amour gratuit pour nous.

Alors nos petits bonheurs d’ici-bas, si fragiles, trop brefs souvent, mais qui ont un goût de « reviens-y », ne sont que le pâle apéritif de ce qui nous est promis dans le royaume de Dieu.

Là-bas, nous retrouverons nos chers défunts, en entrant chez Dieu, là où ils nous espèrent, eux avec qui nous vivons déjà en communion de foi et de prière, en attendant l’éblouissement du face à face pour toujours dans la lumière de Dieu, dans la joie pascale.

Claude Ducarroz

samedi 8 octobre 2016

L'évangile au quotidien

Mieux que « propre en ordre »
Luc 17,11-19

Quand Jésus circule par monts et par vaux, il fait des rencontres insolites. Aujourd’hui dix lépreux en quête de guérison.

Il y a un aspect « propre en ordre » dans l’évènement de ce face à face. Les lépreux se tiennent à juste et bonne distance. C’est conforme à la loi juive et aux obligations sanitaires. Jésus lui-même se met en concordance avec la tradition religieuse : il envoie les lépreux se montrer aux prêtres. Tout est bien en ordre !

Et puis tout change. Les lépreux sont guéris en cours de route. Le plus reconnaissant d’entre eux est un Samaritain. Encore un marginal. Mieux encore : la face contre terre,  il remercie Jésus –le mot exact serait « eucharistie »- et il rend gloire à Dieu. Dès lors, il expérimente une autre guérison.  Il ouvre les yeux sur le mystère de Jésus, il accède au monde de la foi, il devient peu à peu disciple. Jésus le relève –le vocable de la « résurrection » - et il l’invite à partir, au loin, pour témoigner, pour semer de la louange.

Il ne faut pas réduire cet épisode à un banal rappel de politesse. Oui, il faut savoir remercier pour tout cadeau reçu. Mais rendre gloire à Dieu dans une découverte de foi, c’est encore plus important, surtout après toute guérison, après tout pardon, après toute miséricorde. Il y a dans cette rencontre une étincelle pascale. Car cette foi au Christ guérit, mais aussi elle envoie, elle sauve, comme le rappelle Jésus lui-même.

Il ne faut pas sous-estimer la mention du Samaritain, « cet étranger ». Les neufs autres guéris ont accompli le minimum nécessaire. Le Samaritain a ajouté un retour de reconnaissance, un geste de louange, une petite liturgie d’action de grâces. Il est entré dans le mystère de l’Alliance.

Ne serait-ce pas une bonne feuille de route pour trouver ou retrouver la joie au pas chancelant de nos existences, au creux de nos épreuves, au cœur de nos prières ?

Claude Ducarroz


A paru sur   www.cath.ch

Burkini ou burka?

Blog
De burkini en burka

S’étaler sur les plages ou au bord des piscines n’est plus de saison. Mais la polémique autour du burkini et de la burka demeure d’actualité. Allez ! Je me jette à l’eau pour vous confesser ce que j’en pense. A mes risques et périls.

Aux premiers temps des bains de mer, nos arrière-grand-mères s’y plongèrent tout habillées sans soulever des vagues médiatiques. Aujourd’hui, notre société libérale tolère  l’immersion « tout nu » dans les eaux publiques, et ça ne provoque aucun scandale significatif. Que des femmes aillent se baigner en burkini ne me gène aucunement puisque, dans la mare de permissivité qui nous environne, chacun fait ce qu’il veut, pourvu que ça n’empêche pas les autres de faire de même. Franchement, je ne vois pas en quoi ces femmes voilées « à l’eau » provoqueraient des raz de marée dangereux, ni pour les corps ni pour les âmes. Les tenues lascives des sirènes dénudées me semblent plus problématiques que cet excès de pudeur.

Il en va autrement de la burka qui cache entièrement le visage. Dans le contexte où nous sommes, l’Etat peut exiger que, sauf exceptions codifiées, les citoyens se présentent à visage découvert, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité et de contrôle tout à fait légitimes. Mais attention ! Cette exigence n’a rien à voir avec la religion, et encore moins avec telle religion. On doit attendre cette posture de tout citoyen quel qu’il soit, et d’abord des énergumènes cagoulés qui sèment la violence dans nos rues et sur nos places. D’ailleurs ces casseurs  me semblent bien plus dangereux que les rares femmes entièrement voilées qui fréquentent les boutiques de luxe durant leur séjour touristique en Suisse.

Ne tombons pas dans ce piège : faire de cette législation une manoeuvre inavouée pour combattre l’islam chez nous.  On ne gagne jamais à discriminer un groupe sous prétexte de démocratie et par motif de religion. Dans le passé, les catholiques l’ont appris à leur dépens. Ils jouent avec le feu –celui qui peut allumer des incendies – ceux qui veulent se servir d’une loi raisonnablement sécuritaire pour lancer des grenades juridiques et policières contre l’islam.

Burkini : pourquoi pas ? Se camoufler complètement son visage : non. Mais pour tous !

                                                                                              Claude Ducarroz


A paru sur le site www.cath.ch

dimanche 28 août 2016

Dédicace de la cathédrale


Homélie
Dédicace de la cathédrale
2016

Le 6 juin 1182, l’évêque de Lausanne, Roger de Vico Pisano, consacrait la première église de la petite citée de Fribourg que Berthold IV de Zaehringen avait fondée dans une boucle de la Sarine, 25 ans auparavant, soit en 1157.
Depuis lors, malgré les vicissitudes de sa longue histoire, sous cette forme ou sous une autre, le culte chrétien n’a jamais été interrompu dans ce sanctuaire demeuré très cher au cœur des Fribourgeois. Sans oublier évidemment celles et ceux qui, venus d’ailleurs ou simplement de passage, apprécient ce qui se passe ici, ce qu’il y a à contempler, à entendre, à célébrer.

Mais j’ose poser cette question, même en ce jour de commémoration et de fête : jusqu’à quand tout cela ?

Naviguant confortablement sur la vague de ce glorieux passé, installés dans le canapé de notre belle et longue histoire, nous risquons toujours de croire que, quoi qu’il arrive, nous ne risquons rien, bien protégés que nous sommes des soubresauts des évènements.
Et pourtant, nous devrions avoir appris, y compris à l’abri de nos montagnes tutélaires, que toutes les civilisations sont mortelles, y compris la nôtre, même si l’Eglise peut compter sur les promesses du Christ qui l’assure qu’elle l’emportera finalement sur les puissances de l’enfer.

* Au temps de sa splendeur chrétienne, l’Afrique du Nord comptait des centaines de diocèses. Presque tout a disparu en très peu de temps.
* Les pays qui virent éclore le christianisme, au Proche Orient, ne comptent plus que de petites minorités chrétiennes, souvent brimées, voire persécutées.
* Mais revenons chez nous. De toute évidence, et de nombreuses constatations le prouvent chaque jour davantage, le christianisme est en lente mais forte régression. Inexorable, disent certains. Combien de familles, traditionnellement chrétiennes, voient leurs enfants abandonner la communion avec l’Eglise, et leurs petits-enfants être non baptisés, non catéchisés.

Dans cent ans, il y aura sûrement encore des touristes pour visiter cette magnifique cathédrale. Mais y aura-t-il encore des croyants pour participer aux célébrations religieuses ? D’ailleurs, y aura-t-il encore des liturgies ici ? Il y a tant de belles églises vides sous nos latitudes, et même certaines ont été transformées en salles de spectacle, en bibliothèques ou en restaurants. Je vous passe sur des usages bien moins dignes.

Pas de panique, évidemment. Personne, parmi nous, ne doit se sentir la vocation de sauver l’Eglise. Notre humanité a été sauvée par le Christ mort et ressuscité, et l’avenir de l’Eglise est d’abord dans les mains de Jésus. Il  ne cessera jamais, chez nous et jusqu’au bout du monde, de présenter le trésor de son évangile, d’offrir la grâce des sacrements, de rassembler la communauté des croyants. Ici ou ailleurs, ici et ailleurs.



Cependant tout nous invite aujourd’hui à prendre un peu de temps pour réfléchir à l’avenir de ce christianisme qui nous tient à cœur puisque nous sommes là ce matin, même si nous sommes peu nombreux.

Oui, tout.
* Je veux dire le Christ lui-même qui ne cesse de nous interpeler sur notre foi puisque celle-ci est un cadeau offert à notre liberté. S’il y a son offre, il y a aussi notre réponse, toujours à approfondir pour mieux l’exprimer. « Qui suis-je pour toi ? »
* Je veux dire les statistiques, car sans révéler un quelconque mystère, elles sont un peu le thermomètre de notre situation religieuse. Elles nous indiquent la température de notre civilisation qui est en train de virer du christianisme vers un certain paganisme moderne.
* Je veux dire aussi un certain islam, et pas seulement celui qui nous bouscule par ses violences et ses crimes. Oui, la présence accrue chez nous de musulmans sincères et pacifiques nous incite à réfléchir plus sérieusement sur le pourquoi et le comment de notre foi chrétienne.
Il nous faut certes, conformément à nos valeurs d’évangile, résister à la tentation de la contre-violence qui ne provoquerait que conflits irrationnels et guerres inhumaines dans lesquelles nous aurions tous à y perdre notre âme.
Mais il est grand temps que les chrétiens se réveillent pour témoigner courageusement et humblement de leur foi, de leurs valeurs, de leur civilisation, dans le concert cacophonique de nos sociétés pluralistes.

Et je me permets quelques suggestions plus concrètes.
* Il n’y a pas de christianisme sans le Christ. Notre attachement au Christ, et notamment à sa parole et à ses sacrements, est à la base de tout, de nos fidélités ancestrales et de nos renouveaux très nécessaires.
* Ce ne sont pas les prêtres seuls qui vont améliorer la situation religieuse. Nous sommes tous solidaires de cette belle aventure chrétienne dans l’histoire. Tous les baptisés, et par conséquent vous les laïcs autant que nous, doivent s’impliquer pour « faire Eglise », pour animer nos communautés, pour rayonner de l’Evangile dans le monde. Dans une société, s’il n’y a plus que des membres passifs, on ne donne pas cher de son avenir.
* La misère du christianisme, comme le montrent bien des reculs dans l’histoire, c’est la division des chrétiens. Il est urgent de progresser dans l’œcuménisme si nous voulons présenter un témoignage commun face aux défis à relever, toujours plus urgents, toujours plus importants.

Cette cathédrale doit demeurer la vraie maison du peuple, accueillante à tous dans la diversité des convictions humaines. Elle doit aussi rassembler dans la ferveur les communautés chrétiennes qui viennent y puiser des énergies nouvelles pour tenir bon et rayonner dans le difficile contexte où nous sommes.
Repartons donc d’ici, non sans avoir admiré une fois de plus la beauté des choses que les artistes ont édifiées d’abord pour la gloire de Dieu, avec cette conviction rappelée par l’apôtre Paul en un temps où il n’y avait encore ni églises ni cathédrales : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous…Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »

Quel honneur ! Quel bonheur ! Quel programme !

Claude Ducarroz





dimanche 14 août 2016

En la fête de l'Assomption de Marie

Assomption de Marie
2016

Une femme –Marie de Nazareth- emportée au ciel avec son corps et son âme : tel est le mystère que l’Eglise catholique célèbre en ce jour. Je dis « l’Eglise catholique » puisque les Eglises orthodoxes parlent plutôt de la « dormition » de Marie et les Eglises protestantes rejettent ce dogme en alléguant qu’une telle révélation ne figure nulle part dans la Bible, ce qui est vrai. Il faut reconnaître que cette vérité –devenue traditionnelle en catholicisme- n’affleure timidement que dans quelques textes du 4ème siècle et n’a été proclamée comme dogme qu’en 1950 par le pape Pie XII.

La mère de Jésus le Christ, élevée au ciel dans toute sa personne : est-ce l’opium du peuple ou l’espérance de l’humanité ?

Il ne manque pas de critiques, voire de contestataires –aujourd’hui encore- pour relever qu’un tel privilège, mis en rites dans les célébrations liturgiques et mise en scène par la piété populaire, peut ainsi compenser à bon marché, en la seule personne de Marie de Nazareth, tout le contentieux qui existe entre l’Eglise et les femmes.
A travers ce glorieux phénomène de l’assomption, ne veut-on pas exalter unilatéralement la sainteté par la virginité et la maternité, sans oublier de proclamer « reine dans le ciel » celle qui s’est surtout définie comme une petite servante sur la terre ? Vierge, mère, servante : ce serait là la quintessence des images commodes de la femme dont l’Eglise –surtout la catholique- use depuis toujours et abuse encore maintenant.

Il est donc temps de préciser certaines choses basiques.

Ce qui arrive à Marie dans le mystère de l’assomption n’est qu’une conséquence entièrement dérivée du mystère pascal de Jésus. C’est toujours de là qu’il faut partir et repartir. Tout devient incompréhensible et arbitraire si Marie n’est pas totalement référée à son fils. C’est la solidarité avec lui –non sans hauts et bas dans sa marche de foi- qui l’a conduite à cette ultime et parfaite communion : partager sa gloire de ressuscité avec la plénitude respectée de son humanité intégrale, donc corps et âme.

C’est donc le lien exceptionnel et même unique, depuis le corps de la mère jusqu’à la foi de la croyante, qui permet d’expliquer le destin particulier de cette femme parvenue sans entrave dans le Royaume de Dieu.

Encore faut-il ne pas exagérer une telle particularité, au risque de tomber dans la mariolâtrie. Si le Christ –qui était aussi pleinement homme- est bel et bien ressuscité d’entre les morts comme premier-né d’une multitude de frères et sœurs –que nous sommes-, l’assomption de Marie est une anticipation prometteuse plutôt qu’un privilège exclusif. Il lui arrive, dans la foulée de l’ascension du Christ, ce qui nous arrivera un jour à nous –du moins nous le souhaitons- même si nous ne pouvons pas nous le donner à nous-mêmes.

Dans l’évènement fondateur de la résurrection de Jésus et de son entrée définitive dans le royaume de Dieu, il y a en prémices l’accueil de sa mère toute sainte et aussitôt après, en point de mire à venir, notre accueil à nous, dans notre pleine humanité sauvée.
L’assomption de Marie vient donc confirmer et renforcer l’espérance jaillie au matin de Pâques, et non pas distraire notre attention ou notre foi sur un privilège qui serait tellement unique qu’il en deviendrait un monopole marial inaccessible.

Derrière toutes ces liturgies et processions, derrière toutes ces peintures et sculptures associées à la fête de ce jour, il y a notre espérance en la vie éternelle dans notre humanité respectée et transfigurée.
Pas à cause de Marie, mais à cause de Jésus ressuscité, et certes avec Marie, celle qui nous a précédés pour mieux nous accueillir, le moment venu.

De sa gloire entièrement reçue comme un pur cadeau, elle nous tend déjà la main. Donnons-lui la nôtre, sans jamais quitter des yeux notre frère et notre Seigneur, Jésus le ressuscité, le vivant pour l’éternité.


Claude Ducarroz

Au feu! A l'eau!

20ème dimanche du temps ordinaire
Au feu ! A l’eau !
Luc 12,49-53

Par les temps qui courent –violences et guerres-, l’évangile de ce dimanche pourrait inciter certains à choisir des ripostes musclées, voire à attaquer des ennemis réels ou imaginaires, puisque Jésus nous promet la guerre et non pas la paix sur la terre.

Ici Jésus de Nazareth revient sur sa mission, telle qu’il l’imagine et telle qu’il a déjà commencé à la réaliser. Elle ne se déroule pas sans contradiction ni sans opposition. La croix pointe déjà à l’horizon. Il est bon que les communautés chrétiennes s’en souviennent, celles auxquelles s’adresse l’évangéliste Luc.

Apporter un feu sur la terre ! C’est une composante de l’imagerie biblique qui décrivait la venue du Messie et le jugement de Dieu. Le Christ a éprouvé cette brûlure dans l’épreuve de sa passion et de sa mort, ce qu’il nomme ensuite son « baptême ». Par ces mentions, Luc fait sans doute mémoire de ce qui a aussi touché les premiers chrétiens dans leur existence quotidienne, à savoir leur baptême « dans l’eau et le feu », mais aussi leurs souffrances endurées par fidélité à l’évangile. Comme Jésus en somme.

Peut-être avaient-ils rêvé d’un Messie qui apporterait une paix tranquille, comme l’avaient  annoncé les anges de Noël. Il leur a fallu affronter des divisions, toujours par fidélité au Christ, et cela jusque dans les familles.  En attendant le retour du Christ, les choix radicaux pour Jésus ne peuvent qu’être risqués. Encore faut-il assumer cette condition chrétienne dans l’esprit de Jésus. Et ça peut aller jusqu’à subir le feu sans jamais l’allumer ailleurs, ça peut signifier passer par le baptême de la croix en répondant par le pardon, ça peut aboutir à des divisions inévitables sans en fomenter de nouvelles.

A Pentecôte –dont Luc a si bien parlé dans les Actes-, il y eut aussi du feu, et bientôt des baptêmes pour le salut de tous. A notre tour d’apporter ce feu-là et ce baptême-là dans notre humanité, nous les apôtres d’aujourd’hui, nous les enfants de la Pâque et de la Pentecôte. Nous l’Eglise en ce monde.

Nous pouvons alors partager l’impatience du Christ. Comme nous voudrions que notre société soit plus humaine, que l’Eglise soit encore plus transparente à l’Esprit de la Pentecôte. Pour avancer sur ce chemin, sans céder aux séductions de certains incendiaires, il nous faut revenir sans cesse à la lumière de la Parole de Dieu et aux inspirations de l’Esprit.
A l’eau de la vraie vie. Au feu du véritable amour.


Claude Ducarroz

mardi 26 juillet 2016

Après l'assassinat d'un confrère

Plus forts que tous leurs pièges

Est-ce encore possible de prendre du recul, après ce que nous avons vu et entendu ? Après Nice, la Bavière. Après l’horrible attentat de Saint-Etienne-du Rouvray dans lequel un confrère de 86 ans a perdu la vie par égorgement. Est-ce décent de chercher à voir plus loin, à réfléchir plus profond ?
Chacun réagit comme il peut. Comme il est. Certains se réfugient dans le silence et la prière. D’autres laissent éclater leur douleur. D’autres encore se tournent vers les autorités pour exiger plus de répression. Je peux les comprendre tous. Il y a aussi un temps pour les cris du cœur et les colères du ventre.
Puis-je me permettre, sans offenser personne –et surtout pas les victimes et leurs proches-, de rappeler quelques évidences qui peuvent ouvrir quelques sentiers sur les falaises de l’espérance.

* Evitons les amalgames, les généralisations indues, les accusations sommaires. Ces brigands se revendiquent de Daech, voire d’un certain islam. L’immense majorité des musulmans -en particulier ceux qui sont chez nous- n’ont rien à voir avec ces assassins. Aux innocents qu’ils tuent si lâchement, n’allons pas ajouter des représailles à l’encontre d’autres innocents sous le simple prétexte qu’ils sont musulmans. Nos valeurs, que ces criminels ont en haine, nous interdisent de nous laisser entraîner dans des dérives de vengeance aveugle. C’est aux forces de l’ordre et à la justice, dans notre pays démocratique, d’accomplir leurs devoirs. Ces meurtriers auraient gagné une deuxième fois si nous nous abaissions à les imiter dans leurs méthodes et dans leurs folies. Ne tombons pas dans les pièges qu’ils nous tendent !

* Commettre de telles horreurs au nom d’une religion, quelle qu’elle soit, provoque des dommages à toutes les religions. J’entends autour de moi des gens, pas nécessairement malveillants, qui accusent toutes les religions –y compris la nôtre- d’être viscéralement à la source de toutes les violences, comme si le fait même d’être croyant devait, tôt ou tard, engendrer des intolérances meurtrières. Une certaine histoire des religions, y compris la chrétienne, est trop souvent là pour leur donner raison. Je suis très frappé par les résultats d’une enquête menée en France parmi les jeunes entre 18 et 30 ans. 20% seulement estiment que la religion est un facteur de paix, tandis que 50% pensent qu’elle est un facteur de division (Voir La Croix du 25 juillet 2016, p. 2). Il est urgent que les croyants de toutes les religions se rassemblent pour relever ce défi, pour affirmer –preuves à l’appui- que la spiritualité et la vie religieuses sont des vecteurs de convivance fraternelle et non pas des fauteurs de violences et d’attentats.

* Ce qui me semble parfois décourageant, c’est justement le découragement des gens qui se sentent impuissants devant ces évènements, jusqu’à la résignation, jusqu’à la déprime. Nous ne pouvons pas faire grand’chose, il est vrai, face à tant d’agressivité mortifère. Cependant, quelque chose reste à la portée de chacun, même des plus faibles ou des plus douloureux parmi nous : compenser le mal en redoublant d’engagement dans le bien. Oui, réaliser tout le possible -si petit soit-il- pour faire pencher la balance dans l’autre sens, par nos regards bienveillants, par nos paroles mieux maîtrisées, par nos attitudes solidaires. En un mot : transformer nos relations humaines en occasions de faire du bien, de montrer de la compassion, de manifester de l’altruisme. Oui, injecter plus d’amour dans ce monde. Car seul l’amour est finalement plus fort que ces haines et ces crimes. Et personne ne pourra jamais nous empêcher d’aimer.
De gagner la bataille de la fraternité.

Claude Ducarroz


A paru sur le site de   cath.ch

samedi 16 juillet 2016

Homélie du 16ème dim. du temps ordinaire

Homélie

16ème dimanche ordinaire 2016

Si je vous dis « Marthe et Marie », à quoi pensez-vous spontanément ? Depuis l’évangile de ce dimanche, on évoque aussitôt l’antagonisme entre les activités spirituelles –voire simplement intellectuelles- et les préoccupations dites « matérielles ». Ce sont les symboles communément retenus dans ces figures contrastées, l’une, Marie, assise aux pieds du Seigneur, qui écoutait religieusement la parole du Maître, et l’autre, Marthe, toute accaparée par les multiples occupations du service. Et, comme il fallait s’y attendre, Jésus aurait loué Marie d’avoir choisi la meilleure part, en fustigeant Marthe agitée pour des choses fort secondaires. Et ainsi Jésus aurait manifesté clairement la supériorité de la vie contemplative –merci pour les moines et moniales- sur la vie active -tant pis pour vous… et pour moi !

En réalité, les choses ne sont pas si simples.

Il serait étonnant que Jésus ait comme méprisé cette femme dévouée à la cuisine et au ménage, lui qui a été si souvent pris en flagrant délit de partager des repas avec des amis, et même avec des gens peu recommandables comme des pécheurs et des prostituées. Au point, selon ce que le rapporte l’évangile, que certains milieux bien pensants le taxaient de glouton et d’ivrogne. Je suis sûr qu’il a apprécié le bon repas préparé par Marthe dans la maison hospitalière de Béthanie, à l’instar de ce qu’Abraham offrit à ses hôtes mystérieux aux chênes de Mambré.

A y regarder de plus près, il n’est pas question de vie contemplative dans ce texte, mais plus précisément d’une attitude qui consiste à prendre du temps aux pieds de Jésus pour écouter sa parole. Autrement dit l’exacte description du disciple dans sa relation prioritaire avec son maître. Une telle posture, faite d’écoute attentive et affectueuse, c’est la définition du chrétien qui place la communion avec Jésus au dessus de tout le reste dans sa vie, parce que, selon ce que dit l’apôtre Paul, « le Christ est parmi nous, l’espérance de la gloire ».

 Voilà ce que Jésus, à travers l’exemple de Marie, veut rappeler à tous, en soulignant une priorité sans exclusivité, en mettant en évidence le danger des préoccupations purement matérielles –voire matérialistes- si elles dévorent  notre temps au point de nous faire oublier le soin de notre relation avec la source de notre existence et l’inspirateur de notre action.

Une telle exigence vitale vaut pour tous et chacun, et donc pour toutes les vocations, y compris celles qui se targueraient d’une certaine supériorité théorique, au mépris des humbles tâches plus terre à terre. L’unique nécessaire, la meilleure part, c’est  la communion savoureuse avec le Christ vivant, et une telle convivialité peut être vécue –mais aussi négligée, voire sacrifiée- dans toutes les circonstances de la vie. Il reste -c’est vrai- que cette relation de type mystique exige certainement du temps –gagné et non pas perdu-, de l’attention à l’Esprit Saint dans le silence, l’écoute de la parole de Dieu et un certain détachement des autres occupations et préoccupations qui risquent de troubler ou même de paralyser notre fréquentation du Christ vivant.

Qui que nous soyons –et les intellos et les mystiques autant que les autres-, nous avons à retenir la leçon donnée par Jésus ce jour-là dans la maison de ses bons amis de Béthanie.
J’ajoute une chose que j’ai apprise en préparant cette petite homélie pour temps de vacances. Les spécialistes du texte sont sensibles au fait que Jésus ait loué cette femme –Marie- dans l’attitude du disciple d’un maître dont il fallait écouter l’enseignement. Ils nous disent qu’il y a là  une preuve supplémentaire de la grande liberté de Jésus de Nazareth à l’égard des femmes et de leurs missions possibles dans la société et dans la communauté chrétienne. En effet, seuls les hommes, en ce temps-là, pouvaient s’adonner à de tels loisirs plus spirituels.

On pourrait donc trouver dans cet épisode plutôt extraordinaire un encouragement de l’évangéliste Luc –le seul qui en parle- à confier aux femmes dans la communauté chrétienne toute la place qu’elles méritent, à savoir autant que les hommes. Car il s’agit bien là de définir le disciple, lequel se décline au féminin aussi bien qu’au masculin. J’ajouterais même, si je regarde l’assemblée de ce jour ici, plus au féminin qu’au masculin. De quoi faire réfléchir sur les missions des femmes, y compris actuellement dans notre Eglise.

Mais en attendant, sans oublier d’être un peu plus Marie, mais aussi sans négliger de remercier toutes les Marthe parmi nous, je vous souhaite, comme le fait le pape François tous les dimanches : « Bon appétit » !


Claude Ducarroz

vendredi 15 juillet 2016

Surtout être disciple

16ème dimanche du temps ordinaire
Surtout être disciple
Luc 10, 38-42

Après avoir répondu à la question « Qui est mon prochain ? » par la parabole du bon Samaritain, l’évangéliste Luc répond à cette autre interrogation : « Qu’est-ce qu’un disciple de Jésus ?». Et la réponse est tirée d’un exemple concret. Deux sœurs en sont les protagonistes, Marthe et Marie de Béthanie, des amies de Jésus.

Une certaine tradition a transformé ces deux figures en symboles contrastés de la vie contemplative et de la vie active, au bénéfice de la première évidemment, qui serait bien supérieure à la seconde,  « la meilleure part ». C’est probablement une fausse piste.

Jésus –qui a sans doute apprécié le bon repas préparé par Marthe- met en évidence l’attitude du vrai disciple dont la vocation, en toutes circonstances, est d’être attentif à la parole de son Maître pour mieux la mettre en pratique. Une telle vocation passe avant toute autre préoccupation, même si c’est ensuite dans le concret de la vie –ménage et cuisine y compris- qu’il s’agit de la traduire en actes de charité et de service. Une telle priorité –l’unique nécessaire - n’est donc pas une exclusivité, ni
un jugement dépréciatif sur les tâches dites « matérielles ».

Ce même Jésus ne nous a-t-il pas rappelé que le disciple « conforme » est celui qui vient au secours des plus petits de ses frères, dans un esprit  généreux et désintéressé (Cf. Mt 25) ? Il demeure que la vie dite « spirituelle » doit être le moteur de telles activités, avec Jésus, comme Jésus. C’est pourquoi, sans jamais opposer l’action et la contemplation, il est bon de s’entendre rappeler que se tenir aux pieds du Seigneur pour écouter sa parole n’est pas une perte de temps, mais au contraire un gain d’énergies puisées à la bonne source. Ces énergies spirituelles qui trouveront, dans les circonstances ordinaires de la vie, des terrains d’exercice pour la mise en application de l’évangile.

Mais peut-être –selon certains spécialistes- y a-t-il encore dans cet évangile un autre message discret. Cette femme –Marie- installée aux pieds du Maître pour profiter de ses paroles, ne serait-ce pas un signe supplémentaire de la grande liberté du Christ à son égard ? Une telle posture, de la part d’une femme au temps de Jésus de Nazareth, n’était pas conforme aux normes sociales et religieuses en vigueur. Il n’y a pas si longtemps, dans notre Eglise, les femmes étaient encore fort rares dans les facultés de théologie. Elles demeurent  quasi absentes dans certains secteurs de la vie de notre Eglise. Il y aurait donc, dans la méditation de cet épisode évangélique raconté par le seul saint Luc, de quoi réfléchir, aujourd’hui encore, sur la mission des femmes dans l’Eglise.

Claude Ducarroz
A paru sur le site cath.ch






samedi 25 juin 2016

13ème dimanche du temps ordinaire

Homélie
13ème dimanche du temps ordinaire
Lc 9,51-62

De l’eau dans le gaz ou de la friture sur la ligne. Incontestablement, ça ne tourne plus rond entre Jésus et ses disciples, et cela au moment décisif où, quittant sa sympathique Galilée, il prend résolument et définitivement la route de Jérusalem. On sait ce que cela a signifié pour lui.

Premier problème, première contestation. Comme il fallait s’y attendre, la cohorte de Jésus n’est pas bien reçue par des villageois de Samarie. Faut-il alors demander à Dieu de les punir pour ce refus ? C’est ce que pensent Jacques et Jean, en allant jusqu’à proposer que le feu du ciel détruise ces récalcitrants ? On connaît la réaction de Jésus : il se retourne –changement de cap- et les réprimande. Pas de violence ni de vengeance, s’il-vous-plaît, mais allez voir ailleurs. Il y a encore tellement de bien à y faire, quand on ne peut plus en faire là où on est.

La suite du voyage aurait dû se passer mieux. Chemin faisant, trois candidats disciples veulent s’adjoindre au groupe de Jésus. Deux se présentent spontanément –ils sont généreux-, et le troisième est appelé directement par Jésus. Or il semble bien que, dans les deux cas, il y eut un sérieux malentendu sur ce qu’on pourrait appeler la vocation. Était-il de mauvaise humeur après l’expérience précédente ? Jésus ne supporte aucun « oui, mais… ». « Que votre oui soit oui », dira-t-il plus tard. Et c’est ce qu’il attend de ses disciples. Voilà qui impressionne quand on sait que les conditions émises par ces candidats chrétiens sont plutôt raisonnables : aller d’abord enterrer son père et dire adieux aux gens de sa maison.

Qui est-il, ce Jésus ? Certains diront : pour qui se prend-il ?, qu’il puisse exiger tant de choses de ses sympathisants ?

C’est que lui sait où il va, et c’est vers la passion et vers la croix. Il prend alors conscience que ses disciples, malgré toute leur bonne volonté,  ne sont pas encore prêts à affronter cette épreuve. Jugez plutôt. Peu avant l’épisode de ce jour, ces mêmes disciples se disputaient encore entre eux pour savoir qui était le plus grand. Plusieurs fois, il a essayé de les prévenir sur son tragique destin, et chaque fois, il est noté qu’ils ne comprenaient rien.
 Cette fois, Jésus n’y va pas par quatre chemins, c’est le cas de le dire. Etre appelé et répondre à cet appel, c’est s’exposer à la pauvreté, car »le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête », c’est placer la passion d’annoncer le Royaume de Dieu au dessus de tout autre devoir, y compris celui d’enterrer un père, c’est ne plus regarder en arrière, même pour dire adieux à sa famille, quand on a mis la main à la charrue de l’évangélisation en marche.

Ces paroles –ou plutôt ces exigences- peuvent sembler bien dures, et elles le sont. Jésus a pu les formuler parce qu’il les a vécues d’abord lui-même. Il a fait ce qu’il disait, et avant de proposer aux autres une telle mission, il l’a accomplie le premier jusqu’au bout, par fidélité à son Père et par amour pour nous.

L’histoire de l’Eglise nous montre aussi que des chrétiens ont mis tellement leurs pas dans les pas de Jésus –il s’agissait bel et bien de le suivre, lui-  qu’ils ont réalisé, parfois à la lettre, le programme proposé par le Seigneur pour la vie des disciples.

* Pensons à tous ces missionnaires qui ont tout quitté pour aller annoncer l’évangile au loin, parfois sans jamais revenir.
* Pensons aux martyrs d’hier et d’aujourd’hui qui ont préféré la fidélité au Christ à leur propre vie pour témoigner en faveur du Royaume de Dieu inauguré et promis par Jésus.
* Pensons à tous ces anonymes de la sainteté qui n’ont calculé ni temps, ni argent, ni confort, ni santé parfois pour aller jusqu’au bout de leur vocation, avec la grâce de l’Esprit Saint.

Et là il faut faire attention ! On pourrait avoir l’impression que suivre Jésus n’est accessible qu’aux héros de la foi, aux champions de l’espérance, aux martyrs de la charité. Oui, aux géants de la vertu, aux stars de l’évangile. Comme si la feuille de route de la sainteté ne concernait qu’une élite de chrétiens triés sur le volet.

Heureusement, il n’en est rien. Après 51 ans de vie de prêtre –ce sera demain 27 juin-, je rends grâce à Dieu pour le témoignage de tant de frères et sœurs chrétiens qui m’ont édifié, émerveillé, encouragé, remis en question parfois, et toujours poussé à l’action de grâces pour les merveilles accomplies par Dieu en eux et par eux, comme le chantait Marie dans son Magnificat.

*Je pense à l’héroïsme de l’amour chez tant de mamans et de papas, pas toujours récompensés, qui n’ont jamais compté leurs sacrifices pour accomplir courageusement leurs tâches familiales.
* Je pense à tous ces engagés dans l’humanitaire et la solidarité qui auraient pu briller et gagner plus ailleurs, et qui ont préféré le service des pauvres, des exclus, des fragiles de notre société.
* Je pense à celles et ceux qui, dans un  monde en chantier parfois chaotique, ont donné compétences et générosités pour améliorer la vie sociale, politique, culturelle, écologique en propageant vaillamment les valeurs de l’évangile dans les espaces compliqués des activités publiques.
* Je pense enfin à celles et ceux qui, dans les services de l’Eglise, hommes et femmes, ont contribué à la gloire de Dieu, augmenté notre joie de croire, donné de belles couleurs à notre fraternité, par exemple dans la vie religieuse, dans les ministères de toutes sortes, et comment ne pas dire au moins cela aujourd’hui ici ? dans la liturgie de notre cathédrale.

Oui, pour tous ceux-là, et tant d’autres encore, l’Eglise peut encore et pourra toujours chanter avec le psalmiste : « Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles. »

                                   Claude Ducarroz