dimanche 26 février 2012

Homélie du premier dimanche de Carême

Homélie 1er dimanche de Carême 2012


Il y a désert et désert !
Nous avons tous une expérience du désert.
Certains y sont allés physiquement, grâce à un voyage touristique ou à la faveur d’un séjour volontaire, peut-être un pèlerinage ou une retraite. On ne revient jamais d’un tel désert exactement comme à son arrivée dans ces immenses espaces arides.

Et puis, même si vous n’avez jamais mis les pieds au Sahara, qui peut dire qu’il n’a jamais eu sa « traversée du désert » dans sa vie physique, affective, professionnelle, sociale. Et religieuse bien sûr. Personne ne passe toute une existence sans expérimenter, au moins l’une ou l’autre fois, la solitude pesante, l’abandon affectif, le désarroi spirituel, le sentiment d’être perdu, voire même « de trop » en ce monde. Je peux avoir l’impression d’être un désert à moi tout seul, même au milieu d’une foule.

Il y a plusieurs formes de désert. Il y a ceux qui désorientent, angoissent, peut-être même détruisent. Mais il y en a aussi -heureusement- qui dépouillent, creusent en nous une bienheureuse soif, ramènent à un « essentiel » qui nous fait vivre en vérité au lieu d’errer dans le n’importe quoi.

La liturgie de ce premier dimanche de Carême nous conduit tous au désert. Celui de Jésus, qui nous invite avec lui.

C’est un désert particulier. Pas facile certes, mais il peut devenir si bienfaisant. Un désert où la tentation existe, mais aussi l’Esprit de Dieu. Autant dire cet espace intérieur où Dieu nous donne rendez-vous avec lui -et aussi chacun de nous avec soi-même- pour une fréquentation d’amour qui peut changer notre vie.

Baptisé, Jésus se laisse pousser au désert par l’Esprit.
Baptisés nous aussi, n’avons-nous pas reçu le même Esprit qui remue en nous si nous sommes attentifs à sa discrète présence au plus profond de nous-mêmes ? Nous sommes habités, nous abritons un hôte intérieur, il est le Souffle de notre souffle, la respiration de notre vraie vie. Et si souvent nous l’oublions. Nous pensons, nous réagissons comme s’il n’existait pas, lui qui est pourtant notre meilleur ami, justement à la source du meilleur en nous.

Le désert comme espace de ressourcement, ça commence quand nous faisons silence, quand nous prenons du recul, quand la méditation remplace le brouhaha de la vitesse, des agressions médiatiques ou publicitaires. Chacun de nous, même dans notre société bruyante et stressante, peut se concocter un espace ou un moment de désert vital pour respirer en Dieu, pour boire à la fontaine divine. Pour contempler -peut-être justement en fermant les yeux- combien le Seigneur est beau, pour goûter combien il est bon. Il n’est pas nécessaire d’être de grands mystiques pour se payer –d’ailleurs c’est gratuit- un petit dessert de bon désert. On peut aussi appeler cela la prière.

Ceux et celles qui ont fait une véritable expérience de désert nous le disent : ils reviennent avec un regard neuf sur eux-mêmes, sur les autres, sur la nature, en un mot : sur la vie.
Leur échelle des valeurs a changé. Au contact de l’essentiel, qui est Dieu lui-même pour les croyants, la nature se remplit de signes par milliers, qui nous racontent la gloire du créateur ; le visage retrouvé de nos prochains prend les couleurs de l’arc-en-ciel au lieu de se décliner en noir et blanc au gré de nos humeurs, bonnes ou mauvaises ; notre vie se pose et se repose sur de nouvelles bases qui donnent la préférence à la qualité des relations plutôt qu’à la quantité des avoirs ou aux feux d’artifice du paraître. On cesse d’exister en vitrine, on recommence à être soi-même, le vrai.

En un mot : le monde s’épanouit au soleil d’une vision renouvelée au lieu de flétrir dans les souterrains de nos instincts, et nos communions humaines, comme perce-neige au printemps, fleurissent sous les rayons d’un amour gratuit. Guetteurs au-delà des dunes, nous pouvons dire alors avec Jésus : « Le règne de Dieu est tout proche ! »

Encore faut-il prendre le risque de changer, de vouloir bouger, de se laisser transfigurer du dedans par l’irruption de l’étonnante nouveauté de Dieu en nous. Oui, nous dit encore Jésus, « Croyez à la bonne nouvelle », à une présence qui est à la fois bonne et nouvelle, toujours meilleure et toujours plus neuve. La présence de l’Amour majuscule.

Par exemple la présence qui nous est proposée dans la Parole durant ce temps béni du Carême, celle qui nous radiographie par la pénitence pour mieux nous guérir par le pardon, celle qui s’implante doucement en nous par l’eucharistie quand le corps du Christ, semé dans notre propre corps pour mieux toucher notre âme, inocule en nous l’ADN de l’amour trinitaire.
Un tendre secret nous attend dans notre désert. « Prenez, mangez… Prenez, buvez… » C’est si important, dans le désert !


C’est le début du Carême. Nous pouvons nous priver de dessert. Mais ne nous privons pas de désert, et surtout pas de celui que nous offre Jésus, notre compagnon de voyage dans les saveurs arides de notre foi.
Joyeux Carême !

Claude Ducarroz

mercredi 22 février 2012

A propos de l'Action de Carême 2'12

Claude Ducarroz

A propos de l’Action de Carême 2012

Plusieurs interpellations me parviennent au sujet de l’Action de Carême 2012, notamment à propos de la théorie du Gender (pour simplifier : la sexualité serait une construction modulable de la société et non pas une donnée de la nature humaine).

1. J’ai été étonné et gêné de retrouver dans les documents annexes de l’Action de Carême des relents de cette théorie qui fait l’objet de contestations justifiées, notamment dans les milieux catholiques. Je crois que l’on peut laisser de côté ces documents-là si l’on ne parvient pas à séparer le bon grain de l’ivraie. Heureusement, l’Action de Carême, c’est beaucoup plus que ces quelques alinéas critiquables.

2. Je ne voudrais pas qu’on oublie – à cause de ces quelques documents- que de nombreuses femmes, à travers le monde, sont victimes de discriminations et d’injustices, comme le montre, chiffres à l’appui, la documentation de l’Action de Carême avec opportunité. C’est pour aider ces femmes que nous devons prier, agir, lutter, avec nos moyens évangéliques. Le malaise à propos du genre ne justifie pas que nous jetions l’opprobre sur toute l’Action de Carême. Ce serait prendre en otage, par nos querelles intellectuelles, des personnes qui comptent sur nous pour améliorer leur sort insupportable aux yeux de la dignité humaine et de l’éthique biblique.

3. L’Action de Carême est une œuvre d’Eglise, œcuménique donc catholique aussi. D’ailleurs notre Eglise compte aussi beaucoup sur cette Action pour le soutien à ses œuvres chez nous. On peut regretter que nos autorités ne soient pas assez vigilantes sur le contenu des documents. Mais ça ne justifie pas un boycott global qui serait un bel auto-goal très dommageable, une erreur et une faute. A éviter absolument.

Claude Ducarroz

samedi 18 février 2012

Homélie du 7ème dimanche du temps ordinaire

Homélie du 19 février 2012

Tout y passe ! Oui, tout y passe avec Jésus. Tout y passe, même la belle-mère. C’est ainsi que l’évangéliste Marc nous présente Jésus en plein exercice de son ministère. Au chapitre premier, il guérit un démoniaque, un pauvre homme dérangé dans son esprit. Puis la fameuse belle-mère de Simon qui avait de la fièvre et devait garder le lit. Enfin un lépreux, par ailleurs exclu de sa communauté à cause de sa maladie.
Au chapitre 2, c’est un paralytique auquel il pardonne ses péchés : l’évangile de ce dimanche. Plus loin, ce sera un homme à la main desséchée, puis un sourd muet et encore un aveugle, etc… Tout est résumé déjà au chapitre premier : « Il guérit beaucoup de malades atteints de divers maux et il chassa beaucoup d’esprit mauvais. »

Les guérisons ! Cet aspect de l’activité de Jésus déconcerte un peu aujourd’hui. Était-il un super médecin, un thaumaturge ? Ne sommes-nous pas tous, d’une manière ou d’une autre, des malades, parfois dans notre corps, mais aussi dans notre cœur et dans notre âme ? Alors, pourquoi de tels miracles sont-ils devenus si rares aujourd’hui, alors que les maladies et les malades demeurent si nombreux ? Au-delà de ces manifestations extraordinaires, il y a un message qui pointe sur l’identité de Jésus et qui, par conséquent, veut nous annoncer quelque chose d’important, à nous encore, aujourd’hui.

Il faut le reconnaître avec gratitude : les progrès de la médecine, sans parvenir à vaincre toutes les maladies, sans supprimer la mort, opèrent actuellement ce qu’on pourrait aussi appeler, d’une certaine manière, des merveilles. De nos jours, il y a plus de guérisons, par la mise en œuvre des connaissances et des pratiques thérapeutiques, qu’au temps de Jésus. Qui d’entre nous peut dire qu’il serait encore vivant aujourd’hui s’il n’avait pas été soigné par la médecine au cours de sa vie ?
C’est donc qu’il nous faut recueillir le message, scruter la personnalité du messager, plutôt que de s’arrêter sur les miracles qu’il fit dans le contexte de son temps.

Les miracles opérés par Jésus nous rappellent trois vérités.

* D’abord que Jésus de Nazareth, l’envoyé de Dieu, mais aussi homme parmi les hommes, est un être plein de compassion, avec une nette priorité à l’égard des plus pauvres, des souffrants, des laissés pour compte de la société. Jésus aimait les gens, et il savait le leur montrer en s’adaptant à leurs misères ou à leurs besoins, dans la variété des situations humaines.

* Deuxièmement, Jésus est venu sauver tous les hommes et tout l’homme. On le voit s’investir dans la guérison sous toutes ses formes. Car il n’est pas un magicien éthéré qui s’intéresserait seulement aux sphères spirituelles de la personne. La santé physique, psychique, sociale est aussi de son ressort. Il pardonne, certes, mais aussi il console, il guérit, il rétablit les liens sociaux. Il est un sauveur 100%. Et il le montrera encore mieux quand il vaincra la mort elle-même dans le mystère de sa résurrection.

* Enfin, ce que fait le Christ laisse deviner l’énigme de sa personne, à savoir qui il est. Une telle maîtrise de toutes choses, en vue du bien, suscite la stupéfaction et provoque la louange à Dieu : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. » Il y a donc du divin en cet homme. Ne serait-il pas la présence du Dieu d’amour au milieu de nous ?

Nous allons entrer en Carême mercredi prochain. Ce temps privilégié va nous donner l’occasion de mieux communier avec le Christ. Ce même Christ va aussi nous associer de plus près à ce qu’il est et à ce qu’il fait, et continue de faire au milieu de nous par les énergies de son Esprit.
Comme nous le rappelle l’apôtre Paul, du moment que nous sommes baptisés, Dieu nous a consacrés, il a mis sa marque sur nous et son Esprit habite dans nos cœurs. Nous sommes donc équipés pour entrer résolument dans la dynamique nouvelle de ce temps béni, ainsi que l’annonçait déjà le prophète Isaïe : « Ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau ! »

* Il s’agit d’abord de nous laisser faire ou plutôt de nous laisser aimer par Dieu. Jésus veut aussi nous guérir puisque nous en avons besoin. Le pardon, comme pour le paralytique de l’évangile, est le meilleur signe de la tendresse du Père à notre égard. Il nous suffit de le demander sincèrement et de l’accueillir, y compris dans le sacrement de la réconciliation, avec un cœur reconnaissant.

* Ce faisant, dans une meilleure fréquentation de la Parole de Dieu et par la méditation et la prière, nous allons nous rapprocher de Dieu lui-même, comme Moïse s’approcha du Buisson ardent pour rencontrer son Dieu, et alors nous connaîtrons Dieu de manière plus intime, ainsi que son envoyé Jésus-Christ.

* Enfin, par des actions de partage et de solidarité, nous collaborerons à la compassion de Jésus à l’égard des pauvres et des souffrants. Désormais, c’est par notre cœur attendri, par nos mains tendues, par nos regards de fraternité et même par notre porte-monnaie plus généreusement ouvert que le Seigneur veut continuer, aujourd’hui encore, de venir au secours des hommes qui peinent sous le poids de l’injustice ou de la misère. N’allons pas refuser la dignité, et aussi la joie, d’être des vecteurs de la charité de Dieu dans toutes nos relations humaines.

C’est ainsi que nous vivrons plus heureux, en faisant des heureux, parce que nous imiterons Jésus lui-même, grâce aux inspirations et à la force de son Esprit.

Joyeux Carême !

Claude Ducarroz

jeudi 16 février 2012

Pour une face de Carême

Pour une face de Carême


Le dictionnaire définit ainsi une « face de Carême » : visage pâle, maussade et sinistre.
Il en est tout autrement quand Jésus évoque le jeûne : « Toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage. » Mt 6,17.

Le Carême commence cette semaine. Il faut choisir : comment se présentera notre visage ? Ou plutôt dans quel état d’esprit allons-nous vivre cette période importante de l’année liturgique ?
* Nous sommes invités à mettre l’accent sur la conversion, ce qui suppose des changements dans notre façon de penser et d’agir. Et ça peut faire mal.
* Nous sommes invités à donner plus de temps à la méditation de la parole de Dieu et à la prière. Et ça peut exiger de tailler dans notre emploi du temps.
* Nous sommes invités à davantage de solidarité avec les plus pauvres. Et ça peut remettre en question notre mode de consommation.

Est-ce à dire que ces efforts produisent fatalement la tristesse, l’amertume, en un mot « une face de Carême » ? C’est tout le contraire qui devrait survenir si nous pratiquons notre Carême en suivant les conseils de Jésus.
* Faire le ménage dans notre mentalité et nos manières de vivre, c’est une condition de meilleure liberté intérieure, donc de joie.
* Nous rapprocher de Dieu par une vie spirituelle plus persévérante, c’est boire à la source de la communion, donc être plus épanouis.
* Partager avec celles et ceux qui sont frappés par la misère sous toutes ses formes, n’est-ce pas éprouver le bonheur de faire enfin des heureux ?

Pas de doute, si nous vivons ce Carême dans l’esprit de l’évangile, il sera joyeux !

Claude Ducarroz

dimanche 12 février 2012

Homélie du 12 février 2'012

Homélie du 12 février 2012

Vous avez de la chance ! Les 3 lectures de ce dimanche sont particulièrement courtes, et mon homélie ne sera pas longue. Il faut tenir compte de la météo et de la température dans notre cathédrale.
Au cœur de la première et de la troisième lecture, il y a la lèpre. On pourrait en conclure que ça ne nous concerne pas, du moins chez nous. Ce serait oublier qu’il y a environ 14 millions de lépreux dans le monde et que cette maladie frappe encore actuellement 250.000 nouvelles personnes par année, si j’en crois mes recherches sur internet. Il y a la maladie, mais il y a surtout l’exclusion, cette deuxième maladie qui s’ajoute à la première et qui renvoie le malade dans les marges de la société, quand ce n’est pas dans ses poubelles. C’est pourquoi, quand Jésus guérit, il prend soin de remettre la personne dans son environnement en l’envoyant auprès des autorités pour qu’elles constatent cette guérison et réadmettent l’exclu dans la communion de la société civile et religieuse.

Il y a beaucoup de lépreux dans la société d’aujourd’hui. Je veux parler de tous ces exclus de la vie économique, politique, sociale, culturelle qui sont laissés en rade ou même poussés dehors par les pouvoirs structurels dominants. Il faudrait ajouter celles et ceux qui souffrent de solitude affective, d’ignorance existentielle: des souffrances qui peuvent frapper n’importe qui à telle étape de son parcours de vie. Bien sûr, on peut toujours dire que, pour certains du moins, c’est parfois un choix préférentiel qu’on ne peut que constater et respecter. N’empêche que les exclusions sont toujours un malheur qui déshumanise. Il faut les combattre, car elles ne correspondent pas au dessein de Dieu sur nous, lui qui nous veut frères et sœurs les uns des autres et portant nos fardeaux réciproquement, dans la charité et la solidarité.

A observer ce qui se passe autour de nous, je me demande s’il ne naît pas une nouvelle espèce de lépreux au titre d’une exclusion toujours plus évidente : les chrétiens. Ils le furent aux premiers temps du christianisme, jusqu’à la persécution systématique. Au cours de l’histoire de l’Eglise, des chrétiens ont toujours été poursuivis, chassés et parfois massacrés à cause de leur foi, donc « à cause de Jésus et de l’Evangile ». D’ailleurs ce même Jésus - le premier exclu, condamné et exécuté par les autorités de son temps- nous avait avertis que ses disciples pourraient subir, eux aussi, la persécution. « Soyez dans la joie et l’allégresse si l’on vous persécute, si l’on dit faussement contre vous toutes sortes d’infamie à cause de moi, car votre récompense sera grande dans les cieux. » ?

Ce qui est évidemment plus étonnant et même scandaleux, c’est de devoir constater que les chrétiens eux-mêmes, et les Eglises, ont parfois utilisé ces mêmes méthodes inhumaines à l’égard d’autres personnes et d’autres religions, et même, y compris chez nous, entre chrétiens de confessions différentes. On ne peut pas faire l’impasse sur ces pages sanglantes de notre histoire collective. Jean-Paul II a demandé pardon pour tout cela à l’orée de l’an 2000. Il était temps !

Mais actuellement, il faut bien reconnaître que, chez nous aussi, être chrétien et se dire chrétien relèvent de plus en plus de l’exploit risqué dans notre société qui pratique sournoisement l’ostracisme à notre égard sous le couvert commode de la neutralité religieuse. Dans un certain monde des médias, mais aussi dans la nébuleuse intellectuelle, il est plutôt politiquement incorrect d’afficher sa foi chrétienne, a fortiori quand elle est teintée de catholicisme. On a passé d’un certain cléricalisme -du moins dans le contexte fribourgeois- à un anticléricalisme qui peut déborder en antichristianisme.
Il faut un certain courage aujourd’hui, dans nos écoles, dans les instances de culture et de communication, et parfois même dans les cercles politiques, pour affirmer simplement qu’on est croyant en Jésus-Christ, avec une participation active à la vie de son Eglise.

Mais n’allons pas tomber dans le victimisme, comme si l’on était assiégé par l’hostilité publique. C’est d’ailleurs plutôt l’indifférence religieuse, l’athéisme glacial, le nihilisme philosophique qui provoquent dans l’esprit et le cœur des hommes des dégâts déshumanisants.

Et puis justement dans la liturgie de ce jour, l’apôtre Paul balise notre chemin, lui qui a témoigné pour le Christ et l’évangile dans un océan de paganisme, lui qui a implanté l’Eglise avec les seules armes de la parole annoncée sans aucun moyen de contrainte ou de violence, lui qui a fini par donner sa vie pour la cause qui lui brûlait le cœur, simplement en faisant envie aux autres de l’embrasser par contagion d’amour. Et que nous dit-il, qui puisse constituer notre feuille de route, encore aujourd’hui ?

« Quoi que vous fassiez, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les juifs, ni pour les païens, ni pour l’Eglise. » En toutes choses, que votre modèle soit le Christ, sa mentalité et sa pratique, devant Dieu et devant les hommes. Et ce même apôtre ajoute à l’intention des chrétiens de Rome : « Bénissez ceux qui vous persécutent. Bénissez ! ne maudissez pas » !
Que voilà des conseils qui sont libérateurs, car nous n’avons pas à chercher à plaire, ni d’ailleurs à déplaire. Imiter le Christ qui nous aime et qui aime tous les hommes, voilà notre mission. Voilà aussi la source de notre courage apostolique, surtout devant l’adversité. Nous ne sommes pas les patrons d’une entreprise qui a le devoir de réussir en ce monde, avec des dividendes à distribuer à tout prix. Nous sommes les témoins sereins d’une belle révélation de salut, qui peut intéresser chacun, parce qu’elle proclame l’amour paternel de Dieu à l’égard de tous ses enfants. Voilà ce que nous proposons.

Forts de cette certitude, mais aussi humbles serviteurs et servantes de ce cadeau venu d’ailleurs et destiné à tous, nous allons de l’avant dans la paix, sans chercher les succès faciles, sans provoquer non plus des affrontements inutiles, mais en témoins patients d’une Bonne Nouvelle offerte à la liberté humaine.
Et pour le reste : à Dieu va !

Claude Ducarroz

dimanche 5 février 2012

Homélie du 5 février 2012

Homélie du 5 février 2012

La bougeotte. D’après les dictionnaires, c’est une manie, celle de bouger sans cesse. On sait que chez certaines personnes, ça peut devenir une sorte de maladie.
J’en connais un qui avait la bougeotte, du moins si j’en crois l’évangile de ce dimanche : c’est Jésus de Nazareth.
Jugez-en vous-mêmes, si vous parvenez à le suivre. A Capharnaüm, il quitte la synagogue pour aller dans la maison de Pierre. Puis il sort de cette maison pour s’arrêter sur la place. Le lendemain, bien avant l’aube, il sort pour gagner un endroit désert. Puis il décide d’aller ailleurs, dans les villages voisins. Enfin il parcourt toute la Galilée.

Il faut ajouter une petite note mystérieuse : « C’est pour cela que je suis sorti », dit-il. Encore un voyage ? En réalité, le grand voyage qui explique tous les autres. Il est sorti du sein du Père sans le quitter, pour accomplir ce grand pèlerinage d’amour qu’est l’incarnation, comme le dira saint Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique dans le monde afin que ce monde soit sauvé par lui. » L’aventure du salut !
Et c’est bien cette mission originelle qui explique tous les autres voyages de Jésus.

Il y a les guérisons physiques, psychiques et spirituelles parce que Jésus aime tous les hommes et tout l’homme.
Tous les hommes, à commencer par les plus pauvres, les plus souffrants, les plus nécessiteux.
Et tout l’homme, y compris les corps, car c’est ainsi –corps, cœur, esprit et âme- que nous avons été créés à l’image de Dieu, celle qu’il est venu rétablir dans sa dignité et dans sa beauté.


Et puis c’est la rupture, mais non pas une fuite.
Jésus s’en va tout seul dans la montagne et, comme le note l’évangéliste, c’est pour prier dans un endroit désert. Oui, retrouver le contact intime avec son Père, dans les avenues infinies de l’amour essentiel. Que voilà un beau voyage intérieur, une plongée savoureuse dans les abîmes de l’espace trinitaire, comme pour recharger les batteries de son courage, avant de repartir sur les vastes chemins de sa mission.
Car ses apôtres se chargent de le ramener sur terre. Quand ils finissent par le retrouver, ils lui disent simplement : « Tout le monde te cherche ». Et tout est dit. Jésus se remet en route, plus que jamais pressé d’aller partout « proclamer la Bonne Nouvelle et chasser les esprits mauvais. »

Cette hâte de Jésus, cette course d’Evangile, cette impatience à l’annoncer et à le mettre en œuvre, Jésus les a transmises à ses apôtres auxquels il a donné cette consigne avant de quitter ce monde visible pour retourner au Père : « Allez dans le monde entier, faites des disciples… »

Quelqu’un a mis en pratique cette invitation pressante, et pourtant il n’a jamais rencontré Jésus durant sa vie terrestre : c’est saint Paul. Il est vrai que tout avait commencé entre eux d’une manière particulièrement dynamique : se faire renverser par l’irruption du Christ ressuscité au cours d’un voyage sur le chemin de Damas. Et les conséquences sont écrites par l’apôtre des nations dans l’épître de ce jour : « Annoncer l’Evangile est pour moi une nécessité qui s’impose. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile ».


Et la bougeotte, il connaît. Il a sillonné la Méditerranée de Jérusalem à Rome en passant par l’Asie mineure et Athènes, toujours « à cause de Jésus et de l’Evangile », « libre à l’égard de tous, comme il l’écrit, pour être au service de tous. » Magnifique exemple de chrétien toujours en route pour son Seigneur !

Notre Eglise consacre le 2 février, fête de la présentation du Seigneur, à une réflexion sur la vie religieuse, à savoir la vocation de celles et ceux qui s’engagent au service du Christ dans l’Eglise avec le charisme des vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Nous sommes bien placés, dans notre ville et notre canton notamment, pour reconnaître tout ce que nous devons -pour la vie spirituelle, pour l’éducation, pour les services de santé et de présence auprès des plus pauvres- aux religieux et religieuses qui ont tant apporté à notre Eglise et à notre population. Nous rendons grâces au Seigneur en évoquant le passé très riche et le présent plus pauvre, c’est vrai, de ces communautés religieuses, tant actives que contemplatives.

Est-ce un signe ? Notre Eglise nous propose aussi, au premier dimanche de février, de tourner nos regards vers l’apostolat des laïcs, à savoir ces hommes et ces femmes -les femmes en bien plus grand nombre- qui s’engagent tantôt dans des services d’Eglise, tantôt dans les structures de la société, au nom de leur baptême et dans l’esprit de l’Evangile. Que ferions-nous sans ces apôtres d’aujourd’hui ?

Je pense à celles et ceux qui animent nos communautés d’Eglise avec leurs compétences et leur dévouement, le plus souvent gratuit. Je songe aussi à celles et ceux qui s’investissent, avec les lumières et le courage de l’Esprit du Christ, dans les champs de la politique, de l’économie, de la culture, de l’écologie, des médias, comme des levains dans la pâte humaine, pour élever un peu le niveau de notre humanité, chez nous et jusqu’au bout du monde. Grâce à eux, en donnant la main à d’autres personnes de bonne volonté, ils réchauffent un peu notre société dans le sens de la solidarité, de la justice et de la paix. Merci aussi à elles et à eux.

Les religieux et les religieuse, les laïcs en apostolat organisé ou non : que notre Eglise est riche de ses spiritualités multicolores, de ces vocations variées, de ces initiatives généreuses, de ces charismes toujours jaillissants sous le dynamisme de l’Esprit.
Et comme on prie le Seigneur de multiplier encore les appels à l’engagement, de susciter des réponses adaptées aux signes des temps. Oui, que le Seigneur ne cesse de toujours guider les apôtres d’aujourd’hui sur les chemins de l’humanité en marche, avec au cœur l’esprit de l’Evangile et la joie de suivre le Christ, en le désignant aux autres pour ce qu’il est : le Sauveur du monde par amour.
A chacun de nous finalement, peut-être justement aujourd’hui, le Seigneur dit ou redit : « Venez avec moi. Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes » !

Claude Ducarroz