samedi 27 juin 2015

Après 50 ans de service

Homélie
 S. Jean Baptiste
Montbrelloz

50 ans déjà. Que de rencontres ! Que d’évènements ! Que de souvenirs !
Mais je ne veux pas vous parler de moi, conformément à la parole de saint Paul : « Ce n’est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus le Seigneur. Nous ne sommes, nous, que vos serviteurs pour l’amour de Jésus. » II Co 4,5. Une attitude encouragée par notre saint patron Jean Baptiste qui disait : « Il faut que le Christ grandisse et que moi je diminue » Jn 3,30.

Mais je peux quand même vous dire ceci, expérience faite et sans déroger à l’humilité :
* Je suis infiniment reconnaissant au Seigneur pour la vie, pour la foi et pour ma vocation de prêtre.
* Je dis un merci ému à mes chers parents, à ma famille, à mes amis d’ici et d’ailleurs qui m’ont tant aidé à être un homme et un prêtre heureux.
* Je dis aussi un merci à mon Eglise – à ses évêques, prêtres, diacres, religieux et pasteurs et, plus que jamais, à ses laïcs engagés, hommes et femmes- qui m’ont accompagné durant ces 50 années de ministère varié et souvent passionnant, au service du peuple de Dieu et de l’humanité.

Je vous prends avec affection dans cette messe qui nous permet, dans le Christ, de nous retrouver tous dans l’immense « communion des saints », y compris avec nos chers défunts, dans les larmes et surtout dans les mercis.

S’il fallait retenir une leçon de ma belle aventure presbytérale, je dirais ceci, en pensant à cette église qui fête aussi ses 50 ans : l’Eglise avec E majuscule, c’est notre affaire à tous. Il faut que personne ne manque à l’appel du Seigneur, que tous soient au rendez-vous de la foi et de l’engagement, comme ce fut le cas dans ce village quand il s’est agi de bâtir cette église.
Ce sanctuaire est toujours là. Mais une question demeure : où est l’Eglise-communauté pour être l’Eglise, pour faire Eglise ici ? L’invitation nous a été adressée au jour de notre baptême. Il n’est jamais trop tard pour répondre, chacun selon sa vocation et avec ses compétences, pour témoigner de Jésus –Christ et de son évangile dans le monde d’aujourd’hui.

Quelle grâce d’avoir ici comme patron, protecteur et modèle le grand saint évangélique qu’est Jean Baptiste, et cela sans doute grâce à l’ordre des chevaliers de Malte !
Il est né d’une famille éprouvée, comme beaucoup parmi nous. Mais le Seigneur appelle partout, parce qu’il écrit droit sur les lignes courbes de nos existences. Il nous demande seulement de le laisser faire en nous par son Esprit, dans la mesure où nous ne nous prenons pas pour un autre.
 Etre un serviteur des desseins de Dieu, même quand ils sont déconcertants, c’est finalement un bonheur. Jean-Baptiste en fournit la preuve, lui qui était ravi de joie en étant seulement l’ami de l’époux, celui qui se tient près de lui pour entendre sa voix et répercuter sa parole.

Une parole courageuse, qui peut même être forte au point de déranger. Jean Baptiste a couru ce beau risque jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice de soi. Comment ne pas évoquer tous les Jean Baptiste d’aujourd’hui, dans l’Eglise et dans le monde, qui affrontent même les persécutions et le martyre par fidélité au Christ et pour une certaine idée de l’homme et de la société.
Si la douceur de la miséricorde doit toujours inspirer nos paroles et transfigurer nos actions, cette miséricorde ne saurait couvrir d’un manteau d’indifférence ce qui abîme les humains créés à l’image de Dieu ou ce qui écrase les plus pauvres et les plus petits.
Il y a du Jean Baptiste dans notre pape François. Il fait bon être des chrétiens et être prêtre dans une Eglise qui ose annoncer l’évangile de la vie éternelle certes, mais aussi  la bonne nouvelle d’une vie possible ici-bas en fraternité libre et accueillante.

C’est la messe qui nous rassemble maintenant. Nous devenons par conséquent une communauté eucharistique.
* Ce qui signifie que nous avons de la joie à nous retrouver en Eglise une, sainte, catholique et apostolique.
* Ce qui veut dire que la Parole de Dieu est accueillie comme une lampe sur nos pas, une lumière sur notre route.
* Et l’eucharistie nous est encore offerte gratuitement comme une nourriture pour le voyage de notre vie, quel que soit l’itinéraire concret et souvent surprenant que nous empruntons. * Nous avons du plaisir, je l’espère, à prier ensemble comme nous le faisons maintenant, y compris avec la musique et le chant.
Je voudrais tellement que nos communautés, même quand elles deviennent plus petites, gardent au cœur la joie de croire, le courage de témoigner, le bonheur d’aimer.

 Le prêtre ne cherche aucune récompense, encore moins des honneurs ou des privilèges. Cinquante ans après la consécration de cette église, cinquante ans après ma première messe ici, je me retrouve parfaitement dans la réflexion de l’apôtre Paul qui écrivait aux chrétiens de Thessalonique, dans le tout premier écrit du Nouveau Testament : « Quelle est notre espérance, notre joie, la couronne dont nous serons fiers si ce n’est vous en présence de notre Seigneur Jésus lors de son avènement ? Oui, c’est bien vous qui êtes notre gloire et notre joie. » I Th 2, 19-20


                                                                Claude Ducarroz

jeudi 25 juin 2015

Requérants d’asile

Un monde sans solution

Je ne prends pas beaucoup de risques en affirmant que les requérants d’asile vont continuer de se présenter aux frontières de l’Europe – et par ricochet aux frontières de la Suisse- en nombre toujours plus grand. Pour le comprendre, il suffit de se mettre un instant à leur place.
Que ce soit à cause d’une implacable oppression politique ou à cause de l’extrême dénuement au quotidien, tous ont sans doute des (bonnes) raisons de chercher refuge ailleurs. Et pourquoi pas chez nous, dans des pays de liberté et d’abondance ?
Ceux qui s’attaquent aux misérables au lieu de faire la guerre à la misère se trompent et nous trompent. Ces enfants parfois non accompagnés, ces femmes meurtries, ces hommes rescapés du naufrage nous révèlent en silence un certain état de notre société. Ils nous tendent le miroir de nos impuissances à humaniser notre terre.

Nous nous vantons d’expérimenter une économie globalisée, mais nous sommes incapables d’éteindre les incendies des pires violences de l’autre côté de la Méditerranée. Par les médias modernes, nous pouvons être immédiatement partout, mais nous ne parvenons pas à promouvoir un développement des pays du Sud qui les libèrerait de ces carences basiques que sont la faim, les épidémies, le manque de formation, l’indignité.
Il faut le savoir et nous devons faire avec : tant qu’il y aura des personnes et des populations ainsi abandonnées au bord de la route, il y aura à nos portes des requérants d’asile et surtout des mendiants de dignité humaine.

Faire avec! Quoi faire ? S’engager de toutes nos forces pour que les règles du jeu international changent au bénéfice des laissés pour compte de notre planète. Et en attendant, accueillir celles et ceux qui n’ont pas d’autres solutions, pour vivre et souvent survivre, que de compter sur notre solidarité, tout en apportant à notre société des valeurs nouvelles, de sorte que ceux que nous croyons aider finissent par nous aider à vivre, nous aussi, plus humainement.
Certains prônent le bouclage hermétique de nos frontières. Les chrétiens et tous les hommes au coeur à la bonne place choisiront – je l’espère, avec le pape François- d’élargir l’espace de leur tente pour faire place aux arrivants de la misère qui sont en réalité nos frères et sœurs en la commune humanité.

                                   Claude Ducarroz


A paru sur le site  cath.ch  le 25 juin 2015

samedi 20 juin 2015

Quel voyage!

Voyage mouvementé
Marc 4,35-41

Annoncer la parole à la foule « en paraboles » et ré-expliquer ensuite en particulier à ses disciples : on peut comprendre que Jésus soit fatigué après une longue journée d’évangélisation. Prendre du recul loin de la foule, passer sur l’autre rive : quoi de plus normal ? Il avait bien droit à quelque repos dans la barque en sommeillant tranquillement sur le coussin.

C’était compter sans la tempête, sur le lac et dans l’esprit des disciples.
La barque prend l’eau et les disciples trébuchent dans leur foi quand ils voient les flots déchaînés et ce Jésus endormi. Était-ce une vraie prière ou un simple réflexe de survie devant le péril imminent ? Ils réveillent bruyamment le Maître.  Même des incroyants avouent que, dans certaines circonstances dramatiques, ils se sont surpris eux-mêmes à prier. Et pourquoi pas ?

Jésus fait alors ce qu’il doit faire : il apaise le climat. Mais surtout il pose de bonnes questions. Et du coup, personnellement et en Eglise, nous sommes bel et bien embarqués avec lui.

« Pourquoi avez-vous si peur ? »
Mais Seigneur, même quand nous pensons que tu es avec nous, n’avons-nous pas le droit d’avoir encore peur, comme de faibles humains que nous sommes, devant l’évolution de la société, devant la situation de l’Eglise chez nous, devant nos épreuves personnelles ?  Je suppose que la question n’est pas un reproche, mais plutôt une invitation à chercher du côté de la foi.

D’où la deuxième question : « N’avez-vous pas encore la foi ? »
Bonne question ! Les disciples ont entendu l’interpellation. Ils se demandent alors qui est vraiment ce Jésus, l’étrange passager de leur embarcation et le mystérieux compagnon de leur périlleuse aventure.

Et nous aussi. Finalement, à travers ses paroles et ses gestes –il va bientôt opérer des guérisons « miraculeuses »-, Jésus est lui-même une question vivante, incontournable, posée à chacun de nous et à notre humanité en général. « Qui c’est celui-là ? »

L’autre rive, vers laquelle il veut nous conduire en sa compagnie, même s’il semble dormir, ne serait-ce pas la confiance au-delà de la peur, le pardon au-delà du péché, la vie au-delà de la mort ? En un mot : le mystère pascal.

Ce cadeau anticipé nous est offert en chaque eucharistie, surtout lorsque la barque de notre vie quotidienne tangue dangereusement, afin que nous puissions retrouver la paix.

« Et il se fit un grand calme. »

                                               Claude Ducarroz

A paru sur le site  www.cath.ch



samedi 13 juin 2015

Au sujet d'une célèbre victoire

Homélie
Commémoration de Morat
14 juin 2015

Franchement ! N’y a-t-il pas assez de guerres réelles dans notre actualité pour que nous continuions de commémorer une bataille qui s’est déroulée il y a 539 ans, sous prétexte qu’elle s’est passée près de chez nous et que nous étions dans le camp des vainqueurs ?
Je comprends qu’on puisse se poser cette question qui n’a rien d’iconoclaste.

Il y a plusieurs manières de répondre à cette question. Avec bon sens, on peut évidemment arguer que l’évènement fait partie de la réalité de notre histoire. Il faut l’assumer. On ne peut pas effacer ce qui fut, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur ce qui fut.
Or justement deux vitraux de notre cathédrale donnent des commentaires contrastés de l’épopée qui fait l’objet de la commémoration de ce jour.

Un vitrail, visiblement inspiré par les vainqueurs, propose une interprétation théologique de l’évènement du 22 juin 1476. C’est le vitrail dit de « Notre-Dame des Victoires » placé en 1898.
Notre retentissante victoire est présentée comme un don de Dieu, avec le soleil pour l’éclairer et saint Michel muni de son épée pour l’assurer. Cette victoire est ensuite comme restituée à sa source par l’offrande théâtrale des soldats à la Vierge Marie, précisément « Notre-Dame des Victoires », la sienne et la nôtre.
Ce qui n’empêche pas ces fiers soldats de piétiner les étendards des malheureux vaincus dont on sait que la plupart ont fini au fond du lac de Morat tandis que le chef des troupes fribourgeoises, Petermann de Faucigny, repose glorieusement dans notre cathédrale.

En 1919, après le drame sanglant de la première guerre mondiale, on a placé un autre vitrail, celui-là consacré aux conséquences de la victoire de Morat. Il tourne autour d’une figure toute pacifique, frère Nicolas de Flüe. La douceur de la vie de famille est montrée en exemple, ainsi que la spiritualité religieuse comme force très puissante pour imposer la paix.
Les signes guerriers du premier vitrail ont fait place au cercle de la réconciliation et les va-t-en guerre sont  transformés en apôtres de la paix. Ils jurent une fidélité d’amitié retrouvée, contre personne puisqu’ils acceptent même d’ouvrir leur cercle de « confédérés » à deux nouveaux cantons, Soleure et Fribourg, ce qui introduisait dans le Bund de culture germanique une minorité latine et francophone.
Sans oublier ce slogan tiré de la lettre de Nicolas de Flüe aux Bernois : « La paix est toujours en Dieu parce que Dieu est la paix. »

Deux vitraux. Est-ce le même Dieu ? C’est certainement une autre théologie.

Je me permets de le dire : nous sommes les héritiers de ces deux vitraux. Aujourd’hui, nous sommes plutôt au pied du premier puisque nous ranimons, d’une certaine manière, un passé qui eut des conséquences importantes sur ce que nous sommes devenus, et nous ne le regrettons pas. Ce n’est certes pas une raison pour nier que cette bataille, comme toutes les autres, eut aussi ses cotés tragiques. Des chrétiens, encore dans la même Eglise, se sont affrontés avec bravoure certes, mais aussi avec cruauté, sans pitié pour les vaincus. Aujourd’hui la présence de notre armée nous rappelle opportunément que, par les temps qui courent, nous devons éviter tout angélisme.
Mais comment ne pas souhaiter ardemment que nos autorités et notre peuple se regroupent plutôt au pied de l’autre vitrail pour se laisser inspirer par la figure de notre saint patron, modèle de patriotisme ouvert et pacificateur ?

L’évangile de ce jour parle beaucoup de semailles. Etre des semeurs !  Dans le langage populaire ce mot a des sens contrastés, voire contradictoires. On peut avoir des raisons de craindre les semeurs, suivant ce qu’ils sèment. Mais ne craignons pas d’être des semeurs avec l’esprit de l’évangile, que ce soit dans le petit jardin de notre quotidien ou dans le vaste champ du monde.

Nous ne visons pas une récolte abondante et immédiate. Les bons paysans savent attendre. Ils connaissent même le proverbe évangélique  « Autre est celui qui sème, autre est celui qui moissonne ». Mais personne ne peut leur enlever leur ardente espérance, y compris quand leurs semis doivent passer le rude hiver avant de montrer feuilles, fleurs et fruits.

 Dis-moi ce que tu sèmes, et je te dirai qui tu es. Que ce soit dans tes relations d’apparence banale ou dans tes responsabilités à la tête des entreprises économiques, des institutions culturelles, des enjeux écologiques ou des organes de l’Etat : qu’est-ce que tu sèmes ? Si c’est la justice, la paix, la solidarité, tu as gagné la plus belle des batailles, celle qui permet à l’homme –tous les hommes- de devenir plus proches, plus accueillants, plus fraternels. Et peut-être même un peu plus heureux.

Alors toutes nos commémorations, au lieu de réchauffer des sentiments de violence ou de clôture, peuvent servir à tirer de bonnes leçons d’humanité. Si l’on doit recueillir avec gratitude les meilleurs cadeaux du passé, même quand ils étaient mélangés d’autres choses, on peut toujours faire mieux, avec la grâce de Dieu et l’exemple de nos saints et saintes. Et aussi avec l’encouragement, par exemple, d’un pape comme François qui a voulu porter un nom qui est tout un programme. Pour lui et pour nous aussi.



                                               Claude Ducarroz

samedi 6 juin 2015

Temps de l'Esprit...Temps de l'Eglise

Temps de l’Esprit…Temps de l’Eglise…

Les textes liturgiques de Pentecôte sont clairs : le temps de l’Esprit coïncide avec le temps de l’Eglise.

Jésus semble s’effacer après avoir pleinement accompli son œuvre pascale. Un autre prend le relai. Il n’y a aucune concurrence entre eux puisqu’ils sont de la même famille trinitaire. Et c’est même Jésus qui envoie l’Esprit en personne d’auprès de son Père.
A qui donc ? A l’Eglise en formation embryonnaire certes, mais assurée d’une fécondité extraordinaire. Avec les bienfaits de l’intériorité et les promesses de l’extériorité.

Intériorité. Celle qui régnait au Cénacle quand les apôtres, avec Marie, quelques femmes et les frères de Jésus, priaient dans l’attente d’un Esprit déjà à l’oeuvre dans les profondeurs de leur cœur. Ce même Esprit qui, selon l’apôtre Paul, habite en nous, nous fait vivre du dedans et nous permet de marcher en toutes circonstances sous sa conduite douce et forte. C’est l’Esprit des inspirations recueillies dans le silence et mûries dans la méditation.

Extériorité. Cet Esprit n’aime pas les longues siestes. Il faut aussi sortir des cénacles trop commodes pour oser affronter la foule sur la place publique. Du vent et du feu, de quoi allumer un incendie d’évangile dans notre monde. L’Esprit de Jésus pousse toujours l’Eglise sur les routes de l’évangélisation. Il envoie les chrétiens jusqu’aux périphéries de l’homme et de l’humanité. Il accompagne ses témoins, s’il le faut, jusqu’au martyre.

Tel est cet Esprit qui anime en nous l’intimité des plus savoureuses communions et suscite les énergies des plus audacieuses missions. Telle est donc l’Eglise pentecostale, toujours en quête d’intériorité, toujours disponible pour de nouveaux envois au large du monde.

Savoir allier les moments intérieurs de prière et les efforts de témoignages en plein air, c’est la sagesse supérieure que fait jaillir l’Esprit en nous, afin que le temps de ce même Esprit devienne toujours plus le temps de son Eglise en sa dynamique compagnie.

                                   Claude Ducarroz

A paru sur le site   www.cath.ch



A propos de motards et de motos

Notre-Dame des Centaures
Fribourg, le 7 juin 2015

« C’est en Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » Ac. 17,28.

Un seul cheval lui a sans doute suffi pour passer de Thessalonique à Athènes, car il n’est pas arrivé en moto sur l’aréopage de la grande cité grecque. Le plus important est ailleurs. Là, au milieu de la foule bruyante et bruissante, l’apôtre Paul a délivré un certain message qui a encore quelque chose à nous dire, à nous, les bruyants et les bruissants du 21ème siècle, avec ou sans moto. C’est Dieu qui nous donne à tous « la vie, le mouvement et l’être. » Ac 17,28.

La vie, c’est nous, les vivants, hommes et femmes créés à l’image de Dieu, des êtres qui sont les biens les plus précieux sur cette terre. Car, comme le dit un psaume en s’adressant à Dieu : « Qu’est-ce que l’homme, le fils d’Adam ? A peine le fis-tu moindre qu’un dieu. Tu l’as couronné de gloire et de beauté pour qu’il domine sur l’œuvre de tes mains. Tout fut mis par toi sous ses pieds. » Ps. 8.
Toi, le motard, homme ou femme, n’est-ce pas un peu la sensation que tu éprouves sur ta puissante machine.  Mais ce n’est pas ta machine qui est la plus forte, la plus belle, la plus glorieuse. C’est toi, l’être humain, signature de Dieu en ce monde, merveille de la création. Toi, tel que tu es, et aussi tes passagers évidemment, sans oublier celles et ceux que tu rencontres ou croises en leur faisant un signe de la main dans la magnifique solidarité des motards.
Mais il y a aussi les autres, tous les autres, au bord des routes, dans les villes et les villages : ils sont comme toi, des humains, à commencer par les petits et les fragiles que tu dois respecter et protéger en priorité, tes frères et sœurs en commune humanité. La vie, toutes nos vies, c’est cadeau, c’est humain, c’est divin.
En Dieu nous avons la vie.

Et puis il y a le mouvement. Alors ça, c’est toi, sans doute plus que d’autres, chers motards. La mobilité, la vitesse, le vent qui claque, le compteur qui monte, les kilomètres de la découverte, mais aussi les arrêts bénis pour de vraies rencontres, au-delà des barrières et des frontières. En résumé : la joie de parcourir le monde pour mieux l’admirer, le bonheur de susciter des amitiés pour dilater les cœurs aux dimensions de notre vaste et pourtant si petite terre.
Je t’invite à ne pas l’oublier. Quand ça bouge, quand ça déménage, quand ça pétarade, tu as sûrement de beaux rêves à réaliser dans ta tête, des performances à dépasser pour te sentir vivre, des voyages à conduire jusqu’au bout de tes désirs un peu fous.
Mais les vrais mouvements qui t’augmentent en qualité humaine, ne son-ils pas d’abord intérieurs ? La vitesse à chercher et même à dépasser, n’est-ce pas surtout celle qui te  porte à aimer, plus loin mais surtout plus profond ?
Et ces voyages du cœur et de l’esprit qui te permettent de demeurer un champion d’humanité, cordiale et raisonnable, ils sont aussi  savoureux quand tu poses la moto pour te reposer, pour réfléchir et peut-être aussi pour prier, comme ce matin dans cette cathédrale.
Et quand viendra le jour où tu devras abandonner l’amie-moto  -à moins qu’elle t’ait abandonné la première-, il s’agira de rester un humain fort et digne, dans le silence qui monte à l’horizon des souvenirs, à l’automne de la vie, jusque dans la nuit.
En Dieu, nous avons le mouvement. Mais c’est aussi en lui que nous pouvons trouver le vrai repos.

Et puis enfin, il y a l’être.
Un vivant qui bouge, c’est sûrement un motard, réellement ou symboliquement.
Mais au tréfonds de ta vie, ami, il y a l’être, ton être. Peut-être l’as-tu pressenti davantage en remontant des dangers et en prenant des risques, cet être, ton mystère personnel, ton destin, ta vocation à l’éternité.
Plus fort que ta propre vie en mouvement, plus important que les vitesses magiques qui fascinent et enivrent, il y a ton être enraciné dans l’Etre majuscule qu’est Dieu. Et nous savons depuis notre ami et Seigneur Jésus de Nazareth, que Dieu est amour, une tendresse plus vigoureuse que la mort, une véritable puissance de résurrection.
Si tu y croies sur parole, tant mieux. Si tu n’y crois pas, je veux y croire pour toi et je te le dis : le vrai voyage humain, c’est celui qui mène finalement au royaume de Dieu. Là, au terme de notre épopée, qu’elle soit humble ou glorieuse et quel que soit l’instrument utilisé pour nos aventures terrestres, c’est dans la maison de Dieu que nous nous retrouverons tous, à égalité d’accueil, notre être enfin posé et reposé dans le cœur même d’un Dieu que nous osons appeler « Notre Père… »

Il serait bien dommage que, grisés par tous les exploits possibles dans ce monde qui passe, nous oublions de prendre conscience que nous sommes appelés tous à parvenir un jour dans le paradis des communions qui ne passent pas.

En vous bénissant, vos personnes d’abord avec vos familles et vos amis, et aussi, d’une autre manière, vos machines de prédilection, je voudrais surtout vous dire ceci : avec toute l’Eglise,  je prie avec vous et pour vous afin que vos routes soient sûres, vos randonnées joyeuses, vos comportements responsables, vos solidarités fidèles et votre bonheur, finalement, éternel.


                                                           Claude Ducarroz