jeudi 29 novembre 2012

Méditation sur la Parole de Dieu


Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi?





Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi ?

Qui donc est Dieu pour nous parler ?

Nous sommes ici parce que nous avons rendez-vous au carrefour de la Parole, de l'Écriture et de l'Église. Qui donc est ce Dieu qui nous a donné rendez-vous à ce carrefour ?



Parole en Trinité



Souvent, à la fin de nos lectures liturgiques, nous disons « Parole du Seigneur ». L’agir révèle l'être. Quel est l'être révélé par cette parole dite « de Dieu » ?

Dieu est étonnant : il nous parle, il est un Dieu parlant. Il y a beaucoup de dieux qui sont muets dans le monde : nous leur parlons mais eux ne parlent pas. Ce sont des idoles : « Elles ont une bouche et ne parlent pas » (Ps 115, 5)

Notre Dieu nous parle, il a quelque chose à nous dire. Il a en lui un secret. Bien avant ses paroles, il y a en lui déjà LA Parole, une Parole en lui, un verbe, LE Verbe.

Dieu est parlant en lui-même. Il est une Parole, il se dit, il tient sa parole. Il est lui-même en dialogue, en communion de parole. Il y a en Dieu, éternellement, un phénomène incandescent de Parole.

Dieu est silence et pourtant il se dit une parole en lui. Ce verbe, cette parole, est heureusement conjointe avec l’amour. Dieu est Amour car en Dieu la parole n'est pas une lumière froide, une intelligence qui glace par sa clarté, mais un feu chaleureux qui accompagne sa parole. Le feu de la parole est l'Esprit, amour en personne du Verbe et du Père. En Dieu, à partir du Père-source, il y a comme deux mains qui prient, se croisent, se rejoignent et s'allient pour exprimer à la fois la clarté de l'intelligence lumineuse et la chaleur de l’amour.



Parole en création



Il faut que cette lumière puisse sortir et déborder dans une générosité spirituelle : Parole créatrice. Dieu ne fait pas exister pour s'amuser avec des concepts, mais il fait exister par amour, pour étaler une tendresse. Exister et faire exister est toujours une affaire d’amour pour Dieu.

On voit dans la Genèse combien la création est à la fois un exercice de beauté et une démonstration de tendresse, dans toutes les variétés de l’existence. Cette création, signe d’une paternité immense, s’exerce par lui, avec lui et en lui -le Verbe- et sous toutes les énergies de l’Esprit qui planait sur toutes choses.

Parole d’engendrement, de mise à l’être, générosité par similitude, ressemblance, surtout pour l’homme, la femme et l’enfant. Divine différence avec le reste de la création : quelqu'un est créé à l'image et la ressemblance de Dieu.

Nous voyons là le lien entre le Père et le Fils : créer à l'image est le propre de l'engendrement, à l'image et la ressemblance de ceux qui nous ont donné la vie. Dans la vie de l'être humain, il y a la signature de la filiation éternelle du Verbe : comme le Verbe est à l’image du Père, nous sommes créés à la ressemblance du Christ, à l'image de Dieu.



Parole dans l’histoire



Pour Dieu, après le prodige explosif de l’existence donnée, suscitée, après l'exploit des engendrements, commence la longue aventure des relations, communications, alliances. Il ne suffit pas d'exister et d’être là. Il faut être avec : avec Lui, avec les autres, s'exprimer. Entrer en relation par amour, c’est la mise en route de l’histoire, de nos histoires.

La Parole majuscule entre dans nos paroles minuscules. Le Verbe se dit dans des paroles humaines, au risque de nos langages, de nos contextes sociaux et culturels. Par le Verbe, dans le souffle de l’Esprit, Dieu se fait histoire avec nous en épousant nos petites ou nos grandes histoires. Il tricote la sienne avec les nôtres dans la grandeur et les misères de nos vies. Il se dit en nos paroles en prenant tous les risques. Tant qu'on n'a pas pris tous les risques, on n'a pas vraiment aimé. C’est la grande aventure de l'histoire du salut. Dieu choisit des porte-paroles. Pas des êtres parfaits ni extraordinaires, mais des êtres submergés par un appel, par une vocation. Toujours au service d’une communauté, ils sont capables de dire prophétiquement quelque chose de Dieu, sur Dieu et à Dieu, pour un peuple.

C’est cela que nous percevons, bruissant sous les Écritures, murmurant à l’oreille de notre cœur jusqu’à susciter notre foi, à travers les fatigues de nos lectures mais aussi la joie de partager cette parole au carrefour des Écritures bibliques.



Parole faite chair



Et puis tout-à-coup, il y a l’évènement et l’avènement de Jésus-Christ. Dieu nous a finalement parlé par son fils, « resplendissement de sa gloire et expression de son être ». (Cf. Ep. aux Hébreux ch. 1.) L’invraisemblable nous tombe dessus et c’est encore un amour. « Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils » nous dit Saint Jean. La Parole de Dieu a investi complètement un homme, né d’une femme, de chair et d’esprit. La Parole de Dieu a là une concentration humaine extraordinaire. La Parole s’est faite chair en Jésus-Christ.

Quand la Parole dresse sa tente dans notre histoire, ce n’est pas pour l’effleurer mais pour l’habiter complètement. Au centre du monde, du cosmos, en chacune de nos vies est plantée désormais la tente de la présence de Dieu. Évènement extraordinaire, tellement divin qu’il passe par l’humain : une femme qui permet la rencontre entre nos histoires et l'histoire de Dieu. C’est avec le cœur d’une femme, au corps d’une femme, que la Parole majuscule se lie définitivement à nos paroles humaines pour « faire » le Verbe fait chair, et cela renverse beaucoup de choses dans les relations humaines…

Ses paroles deviennent bonne nouvelle, révélation du mystère. Elles agissent, guérissent, pardonnent, accueillent, consolent, ressuscitent, en particulier les plus blessés. C’est encore une manière de dire Dieu : Jésus va au bout de la marge où nous mettons beaucoup de gens. Lui ira les chercher : la brebis perdue, le fils prodigue, la femme adultère… pour montrer qu’il n’y a pas de marge à l’amour de Dieu. Le don devient pardon, c'est à dire un don par-dessus la marge. Ces paroles sont allées jusqu’au bout : « Aujourd’hui, tu seras avec moi », dit Jésus à un rejeté maximum…

« Debout ! » La parole s'est mise debout au matin de Pâques. Par le Christ, l’amour a fait triompher la vie. Par la Résurrection, Dieu a repris parole au milieu de nous et plus personne ne fera taire cet amour-là.



Parole en semence



Parole à mettre en pratique. Nous ne pouvons que nous positionner face à cette parole, comme le terrain face aux semences que le semeur jette sans demander la permission à la terre. Mais il revient à la terre d’accueillir : cette Parole va devenir Écriture et paroles d’Eglise. Entre la Parole qu’est le Verbe et notre humanité, il y a désormais des noces, une alliance, mariage indissoluble, bonne nouvelle pascale. Nous pouvons alors, dans la force de cet Esprit et dans la lumière du Père, laisser Dieu nous parler, le Christ nous illuminer et l’Esprit nous entraîner, afin de devenir des porte-paroles, portés par le Père et porteurs de la Parole.

Jésus dit sa parole à chaque personne qui est pour lui tout un monde. Il le dit aussi dans les civilisations, les cultures, les communautés qui, tant bien que mal, essaient d'humaniser le fait d'être un humain. Dieu se faufile dans les sagesses, les philosophies, de toutes les ères culturelles. Il ne faut jamais oublier -je crois- que le murmure de Dieu suinte dans l'âme de tout homme et même dans les constructions culturelles, les institutions religieuses qui nous paraissent loin de l'évangile,

Dieu prend des risques calculés car il veille sur l'essentiel de ce qu'il veut nous dire et c'est le rôle de l'Esprit de veiller, de réveiller, d'éveiller, pour que, à travers l'histoire, cette parole continue sa course. Des éveillés, on pourrait les appeler ainsi les prophètes, les sages, parfois des prêtres. Des éveillés et des éveilleurs, des veilleurs conscients d'une mission qui les dépasse, les submerge et parfois les déprime. Ils parviennent malgré tout à continuer de dire quelque chose de la part de Dieu à des personnes, peuple souvent sourd, réticent comme il est dit « à la nuque raide ».





Parole d’écriture



La parole poursuite sa course sans cesse. Puis vint l'écriture. En soi c'est une avancée décisive dans l'histoire, que la parole divine puisse devenir écriture. Par là même la parole de Dieu relève le défi du temps. Il y a quelque chose de fugace qui devient presque éternel. Que cette parole soit enfermée dans la tête ou dans les lettres, c’est un nouveau risque ou une nouvelle chance. La nouvelle chance de pouvoir partager la parole en la ranimant sous la lettre, mais en même temps le risque de la bétonner de sorte qu’on ait alors ce qu'on appellerait le littéralisme ou le fondamentalisme. L'écriture doit demeurer un parole, c'est-à-dire qu’il doit y avoir dans l'écriture, encore et toujours, un message de quelqu'un à quelqu'un pour dire quelque chose d'essentiel sur Dieu, sur nous et sur le monde.

L'écriture et la parole sont comme les deux faces d'un même amour qui s'exprime toujours quand il s'agit de Dieu à l'humanité sous le mode d'un signe ou d'une rencontre, quelqu'un qui dise à quelqu'un « je t'aime ». On peut confisquer la lettre, on peut aussi la relire à haute voix, et alors l'écriture redevient parole.

A partir du moment où l'écriture et la parole dialoguent, se donnent la main du coeur, nous sommes dans un dialogue de Dieu avec nous. Que les facilités de l'écriture ne perdent jamais l'épaisseur tendre de la parole.



Parole en Eglise



C'est à ce moment là qu'intervient finalement l'Eglise et d'abord les Apôtres et les premiers témoins de Jésus Christ. C'est vrai, le Christ, c'est d'abord une expérience faite dans la rencontre d'homme à homme qui mérite d'être écrite, non pas une philosophie, des idées. C'est la palpitation d'une rencontre qui finalement appelle, engendre l'écriture, ce qu'on appelle le nouveau testament. Une expérience d'abord vécue puis racontée, une expérience de narration mais aussi une interprétation.

Ce Christ qui n'a rien écrit, voici qu'on commence à écrire sur lui, de lui et alors il devient lui même une écriture personnelle délivrée au monde. Finalement Jésus est la clef et en même temps la clef de voûte des écritures. A la fin on comprend qu'en nous parlant à nous, ceux qui ont écrit ne parlaient que de Lui. Mais lui, c'est très intéressant pour nous, c'est même essentiel : des souvenirs, des paroles, des actes de Jésus, interprétés à la lumière du mystère pascal, car ce mystère a évidemment transfiguré la vision et la signification de ce qu'il était, de ce qu'il a fait, de ce qu'il a dit. Regarder ainsi les vérités du Christ dans le prisme de Pâques.

Toutes sortes de sciences humaines nous aident à faire en sorte que l'écriture nous révèle son coeur brûlant. C'est refaire le chemin d'Emmaüs. On accepte aussi que quelqu'un nous explique, que d'autres qui savent mieux certaines choses nous aident. Il y a comme une fraternité dans l'approche des écritures, grâce à certains spécialistes, à certains interprètes. Réjouissonsnous que l'écriture soit pour nous un message à la fois découvert personnellement, offert communautairement et délivré spirituellement.



Au service de la parole



Prendre donc au sérieux la tradition des interprétations, et là il faut reconnaître que dans l'Eglise on n’est pas laissé simplement avec notre Bible et « débrouilles toi ». On sait bien à terme ce que cela peut produire. Chacun peut fonder sa secte ou créer son Eglise. On a dans notre Eglise un équipement fraternel - il faut qu'il soit fraternel, qu'il ne soit pas autoritaire ou vertical- pour qu'on puisse parcourir ensemble le chemin des écritures à la manière d'Emmaüs.

Il y a des ministères pour cela. On a les Pères de l’Eglise, très intéressants, on a des docteurs de l'Eglise, il y a des saints et des saintes. On peut rajouter les musiciens bien sûr, les peintres, les sculpteurs : c'est merveilleux le trésor que l'Eglise met à notre disposition. Les beautés mais aussi les livres, le cinéma, tout ce qu'on veut. Bien sûr, il y a les théologiens, il y a les exégètes, il y a le sens chrétien des gens. Et puis il y a le magistère -et là c'est une notion plus catholique- y compris le rôle du successeur de Pierre, le Pape. On a un magistère qui balise les interprétations, qui rappelle les choses essentielles, qui nous évite heureusement de dérailler. Il ne faudrait pas que le magistère nous empêche d'avancer. Il suffit qu'il nous empêche de sortir de la route, mais la route doit rester ouverte à de nouvelles découvertes, parce que le magistère n'est pas une barrière sur la route, mais des barrières au bord de la route.

Et là, je vous invite à relire Romains 10,14-17 : «Si de ta bouche tu confesses que Jésus est Seigneur et si dans ton coeur tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé». Et ensuite l'apôtre dit « Comment l'invoquerait-il sans avoir cru en lui? Comment croirait-il en lui sans l'avoir entendu? Comment l'entendrait-il si personne ne le proclame? Et comment le proclamer sans être envoyé? Aussi est-il écrit « Ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent les bonnes nouvelles. Ainsi la foi naît de la prédication, et la prédication se fait par la parole du Christ. »

Relisez aussi le chapitre 2 de la première lettre aux Thessaloniciens. Il y a six fois « la parole de Dieu », « l'Evangile de Dieu ». Et aussi la relation entre la Parole et celui qui porte la parole, c'est à dire Paul qui dit son ministère toujours imprégné par cette parole, imprimé par la parole, toujours au service de la parole. En même temps vous verrez le lien avec les Thessaloniciens, le lien avec la communauté. Cet apôtre ne travaille pas à son compte. Il ne crée pas une secte. Sa joie, c'est de partager avec sa communauté. Il aime cette communauté et il a deux manières de le lui dire : comme un père et comme une mère.





Parole sur le cœur



Enfin je voudrais juste vous lire dans la deuxième lettre aux Corinthiens (3,2-4) le but de l'écriture : c'est qu'elle s'écrive finalement en nous.

« Notre lettre, c'est vous, lettre écrite dans nos coeurs, connue et lue par tous les hommes. De toute évidence, vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos coeurs. » C'est bien là que l'apôtre veut écrire sa lettre, car le parchemin, c'est nos coeurs. C’est aussi notre rôle à tous : laisser écrire par l'Esprit en nous la parole et ensuite devenir peu à peu des écrivains de l'Evangile sur le coeur de ceux que nous rencontrons.

Jésus parle encore chaque jour. Ses paroles sont lancées comme des graines au fond des champs préparés de l'intérieur. Ses mots sont des soleils qui mettent en pleine lumière les désirs et les projets du coeur. En vérité, ses paroles sont déroutantes, ses paroles sont tranchantes. Il est terrible de tomber aux prises de sa parole vivante. Elle chasse l'ombre des recoins où se tassent les sombres projets et se tissent les troubles toiles du mensonge, elle casse les serrures des caveaux où s'enterrent les sales billets et s'impriment les égoïsmes du superflu. Elle touche au coeur et au corps. Elle aide à transfigurer et la loi est mutée en acte de liberté. La pierre est roulée et la beauté est mise au jour comme pain sorti du four.

Parole partage, parole ravage, parole nue, parole crue, parole d'amour, parole lumière. Dieu-parole, parole de Dieu, tendresse pour l'homme, pour l'homme de désir, parole libre qui accouche la vie. (Cf. Charles Singer).



Claude Ducarroz







lundi 26 novembre 2012

Ecouter le Concile Vatican II

A l’écoute de Vatican II




La Révélation





Le 18 novembre 1965, par 2344 oui et 6 non, les Pères du Concile Vatican II ont adopté la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation.

Sa genèse et sa maturation furent particulièrement laborieuses.



A la suite des Réformes protestantes du 16ème siècle, qui insistèrent sur l’autorité éminente voire exclusive de la Bible (sola scriptura), l’Eglise catholique a vécu dans une ambiance de prudence, voire de méfiance à l’égard de la Bible. Certes, la Bible a toujours été lue dans la liturgie -mais en latin !-, elle a toujours servi de référence chez le magistère et parmi les théologiens. Mais elle fut déconseillée pour « le peuple de la base », et même parfois interdite. On craignait des déviations ou des erreurs qui pussent être fatales à la foi et à la communion de l’Eglise.



C’est dire que, sur ce point, l’Eglise catholique revient de loin. Heureusement, bien avant le Concile, des exégètes, des théologiens et des historiens courageux se sont remis à explorer plus à fond les Saintes Ecritures, non sans subir parfois les mises en garde et les remontrances des autorités ecclésiastiques. Citons entre autres le Père Lagrange, qui sera peut-être bientôt béatifié.

Ces prophètes préparaient le Concile sans le savoir.



La Constitution Dei Verbum, en citant d’abord I Jn 1,2-3 situe aussitôt la révélation divine dans un contexte d’amour. Amour de Dieu pour nous et invitation à la communion d’amour et de joie entre les croyants. Voir aussi Ex 33,11 et Jn 15,14-15. Nos 1 et 2.



Cette révélation a connu des étapes.

* La création est elle-même une révélation de la puissance, de la beauté et de l’intelligence de Dieu offertes à notre contemplation et à notre étude rationnelle. Cf. Rm 2, 6 et 7. No 3.

* Dans les diverses religions, nous trouvons aussi des semences de la vérité divine qui nous disent quelque chose du mystère de Dieu. Le Concile en parle surtout dans le document Ad gentes sur l’activité missionnaire no 11 et 15 et dans Gaudium et Spes nos 3 et 18.

* Le peuple d’Israël a été le principal dépositaire de la révélation divine, depuis Abraham en passant par Moïse, les prophètes et les poètes des psaumes. C’est l’Ancien Testament, indispensable pour connaître le sens de l’entière révélation divine et son accomplissement en Jésus.

* Car c’est lui, le Christ, comme le rappelle l’épître aux Hébreux en 1,1-3 qui est à la fois le médiateur et la plénitude de la divine révélation, le révélant et le révélé, par sa vie, sa mort et sa résurrection, sans oublier le don de l’Esprit.

* En s’appuyant sur les paroles et les actes de Jésus, les apôtres et écrivains du Nouveau Testament nous ont transmis -la Tradition- leur témoignage sur leurs expériences avec le Christ, en les fixant par écrit pour l’essentiel. Leurs Ecritures constituent des références fondatrices pour la vie de l’Eglise et des croyants.



Cette Eglise est la réceptrice et aussi la transmetteuse de ce trésor de vérité et d’amour. Elle le fait dans sa prédication, dans son culte et dans sa vie, en rappelant ce qu’il faut croire et faire pour notre salut. Dans l’Eglise, tout est placé sous la Parole de Dieu, selon les Ecritures et avec l’assistance du Saint Esprit.



Cet Esprit est à l’œuvre :



- dans le peuple des croyants qui accueillent, vivent et expriment l’Evangile (sensus fidelium) -Lumen gentium no 12, et notamment par les laïcs – Lumen gentium no 35.

- dans le service du magistère dont le Concile rappelle qu’il n’est pas au dessus de la Parole de Dieu mais à son service, quand il conserve, met en valeur et interprète le message biblique. No 10.

- Dans les charismes des théologiens, exégètes et autres spécialistes qui nous aident à mieux connaître, interpréter et vivre les richesses de la Parole biblique.



Comment faire avec la Parole de Dieu telle qu’elle nous est transmise par la Bible ?



* Nous devons d’abord croire que Dieu a parlé jadis et qu’il nous parle encore aujourd’hui. C’est la foi.

* Nous devons demander les grâces du Saint Esprit dans la prière pour pénétrer les saints mystères à la fois cachés et révélés dans les Ecritures.

* Nous devons continuellement puiser en elles, personnellement et aussi en communauté, les trésors de vérité et d’amour qui nous aident en vivre en enfants de Dieu-Père.



Quelques points d’attention



* Ces textes, même s’ils sont sacrés, sont aussi des textes écrits par des humains. Nos 12 et 13. En conséquence il faut les aborder dans leur contexte personnel, communautaire et historique. Les sciences humaines sont là pour nous y aider. Il faut aussi les prendre au sérieux.

* A travers ces textes situés dans leur environnement, Dieu continue de nous dire quelque chose d’important sur lui-même et sur nous, sur le mystère trinitaire et sur notre propre mystère. C’est ce qu’il faut essayer de décrypter, parfois entre les lignes.

* Finalement, chacun doit se poser la question : qu’est-ce que Dieu me dit à moi personnellement, à nous communautairement, aujourd’hui ? D’où l’importance de la méditation personnelle, mais aussi du partage communautaire et de la liturgie. No 21



Recommandations



Ne pas oublier d’honorer aussi l’Ancien Testament. No 15

L’eucharistie et la Parole de Dieu dans les Ecritures sont les deux côtés d’une même table sur laquelle Dieu offre le pain de vie à ses fidèles. Il faut les vénérer pareillement. No 21

Il faut continuer de rendre l’accès des Ecritures largement ouvert à tous les chrétiens. No 22

Les études bibliques entre chrétiens des Eglises encore séparées sont vivement recommandées. No 22





Une prière



« Que par la lecture et l’étude des Livres saints « la parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée » (2 Th. 3,1) et que le trésor de la Révélation confié à l’Eglise comble de plus en plus le cœur des hommes. » No 26.





Claude Ducarroz



dimanche 25 novembre 2012

Méditation pour les 30 ans du Tremplin

Les 30 ans du « Tremplin »


Méditation sur Jn 4,1-42

Jésus et la Samaritaine

De l’exclusion à la communion



Comme militant contre toutes les exclusions, comme apôtre de la communion, il est bien connu : Jésus de Nazareth. De multiples exemples le prouvent, et surtout celui de sa rencontre avec la femme de Samarie, en Jean ch. 4.

En vérité tout aurait dû favoriser l’exclusion. Or tout a été fait pour aboutir à une communion.



A ne pas oublier : Jésus venait de se sentir exclu et marginalisé par les petits chefs de la Judée. Il veut retourner dans sa Galilée natale, mais il doit à cet effet traverser la Samarie, une région à hauts risques. Le voilà donc en un contexte de voyage, de migration.

L’évènement se passe autour d’un puits, là où tout peut arriver : la rude concurrence pour l’eau ou la rencontre pour boire ensemble.



Au départ, rien que des handicaps cumulés.

Il est fatigué à cause du voyage « à pied ». Handicap physique.

Il fait chaud à midi en ces lieux arides.

Un homme et une femme inconnus ne se parlent pas en public. C’est mal vu, mal jugé. Handicap social.

Un juif ne dialogue pas avec une Samaritaine, fille d’un peuple hérétique. Handicap religieux.

Un saint homme peut-il s’exposer à fréquenter une femme qui eut cinq maris ? Handicap moral.



Quel sera l’élément déclencheur, le point commun qui va tout provoquer ?

Tous les deux ont soif. Ils partagent cette expérience humaine de base : la soif. Avec toutes les diverses déclinaisons de l’expression : soif de l’eau pour désaltérer le corps, soif d’amour pour combler le cœur, soif de sens à donner à sa vie. Soif de Dieu finalement.

Là, au bord du puits, c’est la rencontre imprévue, inédite de deux soifs.

Et le plus « riche » se fait d’abord mendiant. « Donne-moi à boire », lui dit Jésus. Lui, le premier, avoue sa soif, et le besoin de son secours.



Alors tout devient possible. Ils sont à égalité de pauvreté, malgré toutes leurs différences. On ne peut se rencontrer en profondeur qu’entre pauvres.

La femme en est très étonnée. Elle le dit, mais surtout elle continue le dialogue. Des premières banalités jusqu’aux plus secrètes profondeurs. Car il faut voir plus loin que les apparences, il faut descendre à l’intérieur des personnes. Et pour cela accomplir tout un voyage, vaincre les préjugés.

Chacun, quel qu’il soit, a besoin de l’autre, quel qu’il soit. Chacun a soif de l’autre.

Et ça peut aller jusqu’au partage religieux. Où et comment faut-il adorer Dieu ? N’importe où, pourvu que ce soit « en esprit et vérité ».



Alors la communion s’élargit, merveilleusement.

D’abord au bénéfice de cette marginale qui se sent respectée, et même aimée. Et pour le grand profit des disciples, ces religieux scandalisés par l’audace de Jésus. Eglise, que fais-tu pour et avec les « marginaux » ?

Enfin c’est toute la communauté humaine de cette femme –sa ville- qui en est bouleversée. Elle ose s’adresser à ses concitoyens. C’est elle qui les rassemble. C’est elle qui les met en route, elle les fait sortir… de la ville et d’eux-mêmes.



L’exclue devient agente de communion, au point que, sur sa parole à elle, ses voisins invitent Jésus à demeurer auprès d’eux. Le divin marginal est accueilli chez des non-conformes.

La communion est toujours contagieuse quand l’exclusion est…exclue.



Quel plus beau programme ?

Devenir, comme certains le sont déjà, des Samaritaines et des Jésus pour notre temps.



Claude Ducarroz

samedi 24 novembre 2012

Fête du Christ Roi

Homélie


Christ-Roi 2012



Que vient faire ce roi dans notre démocratie ? Les Suisses se vantent de n’avoir jamais eu de roi au cours de leur histoire. C’est vrai : nous n’avons jamais été une monarchie. Et c’est probablement un cas unique dans l’histoire des peuples. Et en plus nous nous portons très bien ainsi.

« Alors, tu es roi ? », demanda Pilate à Jésus, de sa voix impériale. « Ma royauté ne vient pas de ce monde », répondit Jésus.

Voilà qui mérite quelque explication.



Il y a deux sortes de royauté. Celle de l’autorité et celle du pouvoir.

La tentation du pouvoir, celui qu’on exerce sur les autres, y compris par la contrainte, peut toujours nous faire déraper dans la violence, l’oppression, la répression.

L’exercice de l’autorité met son honneur à faire grandir l’autre en le respectant. L’autorité culmine dans le service. Elle se recommande finalement par sa charité.



Deux mise en scène, dans la vie de Jésus, nous donnent la bonne clef d’interprétation.

* La première, c’est le lavement des pieds, qui scandalisa si fort l’apôtre Pierre. Jésus vient de traîner par terre devant ses disciples pour leur laver les pieds, le boulot des esclaves. En se relevant, il leur dit : « Si je vous ai lavé les pieds, moi le Maître et le Seigneur, … c’est pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. » Car c’est finalement ça, régner en Maître, dans la logique de l’Evangile ! Servir par amour.

* La deuxième mise en scène s’observe le lendemain. Jésus est debout devant un Pilate bardé de la puissance romaine invincible. Il se présente comme un roi de carnaval. On lui a mis une couronne d’épines sur la tête, un roseau en guise de sceptre dans la main et une tunique rouge par dérision. Et Jésus ose dire au représentant de l’empereur : «Tu le dis. Je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »



* On pourrait même ajouter une troisième mise en scène, celle qui figure au tympan du porche de notre cathédrale. Le roi Jésus est arrivé dans la gloire. Il est assis sur un trône surmonté d’un baldaquin. Il domine l’arc-en-ciel et les nuages. Mais observez bien : sa tête est auréolée de l’or glorieux, mais elle a gardé la couronne d’épines. On peut encore contempler ses plaies comme stigmates de sa passion.



Que nous sommes loin, me direz-vous, de ce qui se passe dans le monde, et peut-être parfois dans l’Eglise. Si souvent la course au pouvoir s’autorise de tous les coups, même les plus bas. Que ne fait-on pas pour dominer sur les autres, pour les soumettre, parfois jusqu’à l’asservissement ? Tant d’instruments de violence, depuis les armes les plus sophistiquées jusqu’aux conditionnements psychologiques, en passant par toutes sortes de chantages affectifs ou financiers, peuvent transformer quelqu’un en roitelet souverain et impitoyable. Ce peut être le cas au niveau de peuples entiers, mais ça peut aussi arriver dans les milieux de travail et jusque dans les familles.



Je le sais : les meilleures autorités, surtout dans les Etats, on aussi besoin d’un certain pouvoir pour promouvoir et faire respecter le bien commun. Dans l’Eglise, il doit déjà en être autrement puisque Jésus n’a cessé d’avertir ses disciples en leur répétant : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur. »

Et Jésus d’ajouter pour montrer qu’il leur parle en connaissance de cause : « Car le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »



Peu ou prou, d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous en situation d’autorité, nous exerçons tous un certain pouvoir. Dans quel état d’esprit le faisons-nous ?: là est la question.

Au pied du Christ-Roi, à l’entrée de notre cathédrale, il y a deux personnages. Ils nous indiquent le chemin. Tous deux sont à genoux, et ils prient. Se faire petits devant Dieu, telle est la vraie grandeur de l’homme, car Dieu comble de son amour celles et ceux qui gardent une attitude d’humilité, un cœur ouvert à ses grâces.

* A gauche, c’est Marie, la petite servante du Seigneur, celle qui a chanté dans son cantique : « Dieu a déployé la force de son bras : il a dispersé les hommes au cœur superbe, il a renversé les potentats de leur trônes et élevé les humbles. »

* A droite, c’est Jean-Baptiste, celui qui a ouvert les chemins d’accès au Messie Jésus, pour finir par cette prière : « Il faut que lui grandisse et que moi, je diminue. »



On pourrait croire que toutes ces histoires d’autorité par le service et de croissance par l’humilité conduisent aux humiliations et à la tristesse, selon cette phrase terrible de Nietzsche : « Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la croix. » Or c’est tout le contraire que démontrent les saintes et les saints, ceux qui sont encore représentés, priant mais glorieux, dans les voussures du portail de notre cathédrale, autrement dit la communion des saints.



Le crucifié est ressuscité, le roi de la croix nous a ouvert le Royaume de Dieu. Là où il est, il nous attend et nous serons pour toujours avec lui dans sa gloire. Les servantes et serviteurs de cette royauté et de ce roi peuvent déjà boire dès ici-bas aux sources de la vraie joie, là au cœur des services déployés dans l’amour, notamment auprès des petits, des pauvres, des souffrants et des exclus. Car, selon la seule parole de Jésus que cite saint Paul : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. »



Oui, amen, ainsi soit-il, qu’il en soit ainsi !



Claude Ducarroz

vendredi 16 novembre 2012

Hommage à Yoki

+ Yoki Aebischer




La beauté…la bonté…la spiritualité. Et quatre lettres très humbles au coin du vitrail d’une longue vie. Une signature : Yoki. Notre cher Yoki.



La beauté d’abord, puisque, selon le message de l’apôtre Paul, « la création aspire de toutes ses forces à ce que la gloire de Dieu se révèle en nous ». Car Dieu est beauté. C’est elle qui sauvera le monde. Les artistes sont à la fois les prophètes et les artisans de cette beauté incarnée dans notre matière. Au sein d’une humanité souvent délabrée, ils ouvrent une brèche de splendeur qui transfigure nos cieux d’orage en échappée vers le paradis. Contempler un beau vitrail, surtout dans le silence d’une église, c’est reposer son âme à l’orée du Royaume de Dieu. Y a-t-il meilleur bonheur que la joie de se sentir emporté, jusqu’à l’extase parfois, dans la sereine lumière d’une œuvre qui respire la grâce, celle dont Dieu fait à la fois les artistes et les saints ?



Jusqu’au bout, Yoki a été au milieu de nous l’humble serviteur et l’ardent serveur de cette beauté-là. Chez nous beaucoup, et ailleurs aussi, il a semé, dans le verre, sur la toile et autrement encore, ces étincelles de poésie jaillies d’un cœur profondément contemplatif, des œuvres destinées à exciter le mystère qui nous habite et nous invite : notre capacité d’émerveillement. Il l’a fait avec un sourire fraternel, sans la prétention énervante des vedettes de l’esthétisme, mais dans la simplicité des partages chaleureux. Chez lui, le culte du beau donnait la main aux délices de la rencontre, avec l’accent inimitable de Joan, toujours en verve, dans les riches coloris de la communion humaine.



La bonté aussi, celle qui nous fait mieux comprendre pourquoi Dieu est amour, conjointement avec la beauté justement. En ce monde où il faut être trop bon pour l’être assez, la beauté serait encore froide et les œuvres tristement anonymes s’il n’y avait l’infinie bonté de Dieu et la chaude amitié de certains artistes. Nous admirons les prouesses des esthètes, mais nous sommes surtout touchés, jusqu’à l’émotion, jusqu’aux larmes, quand elles nous sont servies par un cœur généreux, dans le merveilleux rayonnement de la tendresse. Il en faut pour l’intelligence, il en faut surtout pour le cœur. Heureux ceux qui peuvent offrir tous les deux, comme des compagnons de pleine humanité, à l’image de Celui qui vient de nous redire : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux qu’ils soient avec moi et qu’ils contemplent ma gloire, parce que tu m’as aimé. »



Yoki baignait dans cette double logique de contemplation et d’amour. Depuis ses commencements de pauvreté qu’il aimait évoquer sans aigreur ni regret, jusqu’à ses fréquentations des plus fins artistes et des plus subtils intellectuels, il resta lui-même pour continuer d’aimer les petits comme les grands, de tout son cœur simple et joyeux. Passer une soirée chez lui –ou plutôt chez eux- était un régal pour l’esprit et aussi une caresse pour le cœur. On en revenait pas seulement plus cultivé, mais surtout plus affectionné, comme la lumière et la chaleur sont inséparables dans ce bel artiste qu’est le feu.



Enfin la spiritualité. Il faut même dire : la mystique. Si l’art ouvre une porte sur une transcendance énigmatique, si l’amour -à commencer par celui qui relie des conjoints, les enfants, les petits enfants- a toujours un goût d’éternité, il faut oser pousser le portail qui mène à la source de tout. Tous n’y parviennent pas. Personne ne le leur reprochera. Mais quel nouveau bonheur que celui de pouvoir tout réunir et finalement tout goûter dans le mystère même de Dieu, « afin qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi je sois en eux », priait Jésus pour nous. Oui, là, quand la beauté prend une majuscule, quand la bonté devient l’Amour même, quand la spiritualité s’habille de mystique, comme un lever de soleil derrière le vitrail de l’existence.



Qui n’a pas été frappé par la foi et par la vie religieuse de Yoki ? Sans ostentation certes –il était trop humble pour vouloir donner des leçons-, mais avec des convictions profondes, puisées dans la tradition familiale, étayées par la religion irlandaise de Joan, nourries par les belles liturgies et musiques qu’il chérissait. Cette spiritualité ne l’a jamais empêché de demeurer un homme libre, avec une réflexion critique, y compris sur son Eglise. Mais la figure du Christ et des saints, les symboles et les vérités de l’Evangile qu’il a si souvent mis en scène et en lumière, habitaient sa personne, non seulement comme source d’inspiration esthétique mais comme moteur de vie concrète. Il vivait de ce qu’il illustrait, il illustra ce qui le faisait vivre.



Pour toutes ces raisons, et tant d’autres encore que vous pourriez exprimer encore mieux que moi, vous, si nombreux, qui l’avez connu et aimé, admiré et rencontré, nous lui disons aujourd’hui merci. Devant Dieu et devant vous. Merci et au revoir.

Dans le Royaume de la Pâque, en plein mystère trinitaire et dans la communion des saints, tout n’est que beauté, bonté et spiritualité. Les pinceaux sont pour ce monde. Les yeux du cœur pour l’éternité.



Claude Ducarroz



samedi 10 novembre 2012

In memoriam 2012

In memoriam 2012




Guillaume. Il s’appelle Guillaume. Il a 4 ans. Il fréquente déjà l’école enfantine. La maîtresse vient de parler de l’importance de l’eau pour la vie humaine. Elle pose alors la question : « Qu’est-ce qui est le plus nécessaire pour qu’on puisse vivre ? » Et Guillaume de répondre du tac au tac : la liberté !

Cet épisode dont je vous garantis l’authenticité rejoint la célébration de ce jour. En régime démocratique, un vrai soldat est un homme libre qui, potentiellement, préfère la liberté à sa propre vie.



Même si ce ne fut pas –heureusement- au cours de batailles toujours sanglantes, certains soldats de chez nous ont fait le sacrifice de leur vie en accomplissant leur devoir de citoyen « sous les drapeaux », comme on disait jadis. Aujourd’hui, nous leur disons un solennel merci.



N’oublions pas non plus, dans notre mémoire et notre reconnaissance, les femmes et les enfants qui ont participé à cette offrande patriotique en assumant vaillamment la dure condition de veuves et d’orphelins. Ces femmes en particulier rejoignent la pauvre veuve de l’évangile de ce jour qui, discrètement, a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. Nous ne dirons jamais assez notre gratitude à ces vaillantes personnes qui, sans être au front, ont fait front vaillamment aux malheurs de l’existence pour l’amour de notre patrie.

Ces patriotes de l’ombre sont représentées dans le premier vitrail à gauche dans le chœur de notre cathédrale. Au pied de la femme symbolisant l’histoire, qui dévide le fil des évènements en utilisant un rouet, nous voyons une femme en deuil qui pleure, le visage dans ses mains, en laissant tomber à terre la palme de la victoire. Les deux dates entourant cette veuve disent tout : 1914-1918. On pourrait ajouter, hélas ! 1939-1945.



Depuis 1945, heureusement, notre armée n’a jamais plus vécu une mobilisation générale dans une atmosphère de guerre. Il faut d’abord le reconnaître : nous le devons surtout à la nouvelle Europe qui a su, peu à peu, exorciser ses démons d’impérialisme et autres « ismes » en misant désormais sur la paix, la coopération et même une certaine fraternité. N’empêche que de nouveaux défis se lèvent sans cesse, qu’il faut relever avec les mêmes valeurs qui nous ont permis de surmonter les épreuves de jadis, sous l’arbre de la liberté.



Les moyens de communication actuels nous fournissent instantanément les informations mondiales qui viennent heurter à la porte de notre conscience et de notre cœur. Nous ne pouvons plus nous abriter derrière l’ignorance, comme si nous ne savons pas. Encore faut-il que notre degré d’engagement pour la paix dans la liberté -qui fit l’honneur de notre peuple et de son armée- soit à la mesure de cette information.



Oui, quelles sont aujourd’hui la largeur et la profondeur de notre service à la paix et à la liberté dans ce monde dont nous sommes, que nous le voulions ou non, profondément solidaires ?



Ceux et celles qui frappent à notre porte, venus parfois de très loin, nous rappellent que nous ne pouvons plus cultiver notre noble idéal démocratique sans nous sentir interdépendants de ceux qui subissent parfois le contraire, ou luttent comme nous pour les mêmes idéaux, tout près ou à l’autre bout du monde.



Quand il partit pour Sarepta, très loin de chez lui, le prophète Elie fuyait la persécution du roi Achab. Sur la route de son exil vers Sidon au Liban, il rencontra cette veuve avec son fils au bord de la famine. Ce fut le choc de deux misères qui provoqua le miracle de l’huile et du pain, parce qu’il y eut dialogue, accueil, solidarité entre personnes que tout aurait pu opposer.



Notre armée est peut-être un rempart. Sur ce rempart, des veilleurs sont près à donner leur vie pour préserver notre liberté, aujourd’hui comme hier. A tout rempart il faut aussi des portes, et même des ponts. Fribourg en est l’évidente démonstration.

Tel est le rôle de nos autorités. Appuyées sur le rempart : ouvrir des portes, bâtir des ponts, pour une Poya de liberté contagieuse et de paix toujours plus universelle.



Le rempart est un instrument de défense. Il doit être surtout un message permanent. Dans ce petit pays, fidèle à son passé et ouvert sur son avenir, il y a encore des hommes et des femmes –des petits Guillaume qui deviendront grands- qui ont encore assez le goût de la liberté pour trouver et prouver qu’elle est aussi essentielle à la vie que l’eau de nos sources.

A condition de la boire, cette liberté, à la santé de tous, chez nous et jusqu’au bout du monde.





Claude Ducarroz





samedi 3 novembre 2012

Homélie du 31ème dimanche ordinaire

Homélie


31ème dimanche ordinaire



« L’Eglise, c’est beaucoup trop compliqué pour moi. Je préfère suivre ma religion personnelle en obéissant à ma conscience. »



Vous avez sûrement entendu une réflexion semblable de quelqu’un qui se dit croyant, mais ne veut pas s’embarrasser de dogmes à croire, de rites à pratiquer, d’obligations à observer. Pourquoi surcharger sa vie de traditions d’un autre âge, que d’autres nous imposent, alors qu’on peut être religieux –et peut-être même bon chrétien- simplement en étant un honnête homme, sans couper les cheveux en quatre au salon de coiffure d’une Eglise ?



Il y avait quelque chose de cette mentalité chez ce scribe qui s’avança vers Jésus en lui demandant : « Quel est le premier des commandements ? » Sous entendu : celui qui résume tous les autres et suffit à faire un bon juif fidèle et même pieux.

Jésus ne va pas chercher midi à quatorze heures : il lui rappelle ce qu’il sait déjà, à savoir l’essentiel de la loi divine confiée à Moïse pour le peuple d’Israël. Nous connaissons aussi ce double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.



Tout paraît donc simple en effet. Mais en même temps, tout se complique quand il s’agit de mettre en pratique en vérité cette feuille de route aux apparences d’extrême sobriété.

D’abord tout commence par ces deux mots qui donnent le ton : « Ecoute, Israël ! »

Ecouter Dieu. Certes c’est l’écouter dans l’intimité de sa conscience, ainsi définie par le concile Vatican II : « …le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » GS no16.



Est-ce à dire que tout le reste ne sert à rien, à savoir les commandements et autres recommandations promulguées par les religions ? Nous le vérifions chaque jour en observant l’actualité du monde et notre propre vie. En toute conscience, et parfois même en toute bonne conscience, nous sommes capables du meilleur et aussi du pire, tant notre faculté de faire le bien est parfois submergée par notre habileté à faire le mal, en allant même jusqu’à le justifier.



Comme il fait bon alors, rappelé par la révélation divine et par notre religion, entendre à nouveau le commandement du double amour sans lequel nous risquons tous de nous tromper nous-mêmes et de tromper les autres dans l’accomplissement aveugle de notre propre volonté.

Oui, c’est très simple puisque Jésus lui-même le dit : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Mais en même temps, qui peut dire qu’il a déjà aimé Dieu « de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force. » ? Et qu’il a aimé son prochain, y compris ses ennemis, ajoutera Jésus, « comme lui-même » ?

En amour selon Dieu, nous serons toujours des apprentis de première année. Faut-il alors se décourager, devenir des dépressifs de la sainteté ? Surtout pas.

A ce scribe qui n’était certainement pas meilleur que nous, Jésus a fait cette déclaration pleine d’espérance : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. »



Et puis justement, sur cette route d’exigence mais aussi de beauté et de joie, il y a le secours de Dieu et la fraternité de l’Eglise.

Il y a d’abord ce grand prêtre dont nous parle l’épître aux Hébreux qui nous rappelle que Jésus est « capable de sauver de manière définitive ceux qui s’avancent vers Dieu grâce à lui. » Sur la route de la sainteté, nous sommes bien accompagnés, en cas de chute quelqu’un est toujours prêt à nous relever. Il y a la morale, il y a aussi le pardon ; il y a parfois la misère, il y aura toujours la miséricorde.



Et puis heureusement, il y a l’Eglise. Certes elle ne remplace pas notre conscience personnelle, elle s’engage même à la respecter. Mais elle est aussi là pour éclairer cette conscience, pour signaler les impasses, pour nous donner la main quand nous trébuchons, afin que l’amour de Dieu et du prochain demeure notre boussole, jusque dans nos brouillards et nos nuits intérieurs.



Cette Eglise ne doit jamais oublier que, selon la parole de Jésus, l’amour de Dieu et du prochain « vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices ». Autrement dit tous nos cultes, même les plus religieux, et ce qui va avec, ne sont rien si l’amour n’est pas à la base de tout, dans ses deux faces inséparables : aimer Dieu, aimer son prochain.



Toute religion risque toujours de surévaluer l’extérieur contrôlable au détriment de l’intérieur personnel et mystérieux. C’est pourquoi il y a parfois des conciles pour remettre l’Eglise au milieu du village, ou plutôt l’Evangile au coeur de l’Eglise. Merci Jean XXIII, merci Vatican II.



Ce retour au centre est symboliquement représenté dans le portail d’entrée de notre cathédrale. Le Christ en gloire domine le monde, l’histoire, l’Eglise. Ce Christ, « le grand prêtre qu’il nous fallait », a gardé la couronne d’épines pour rappeler son sacrifice par amour. Et dans les trois voussures est représentée la communion des anges et des saints, tous les mains jointes, qui nous accueillent ici et nous attendent là-haut en priant pour nous.

Prenons place dans ce beau cortège d’humains pécheurs mais sauvés, qui s’avancent vers le Royaume, à la rencontre du Christ-Roi.

Oui, nous faisons partie du pèlerinage puisque Jésus redit à chacun de nous : « Confiance, tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. »



Claude Ducarroz