samedi 29 décembre 2018

Fête de la sainte Famille

Homélie Fête de la sainte Famille Il y a 5 jours, à Noël, c’était Jésus qui était au centre. « Je vous annonce une bonne nouvelle, chantaient les anges, aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » Mais il n’était pas seul. Jésus n’est pas tombé du ciel comme un OVNI divin. Quand les bergers arrivèrent à la crèche, « ils trouvèrent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. » Le Verbe fait chair est un pur cadeau de Dieu. Mais il est venu jusqu’à nous en faisant le même voyage que chacun de nous. « Conçu de l’Esprit Saint –certes pas comme nous- , il est cependant « né d’une femme » tout comme nous, en grandissant dans son corps, en reposant sur son cœur, en s’appuyant sur sa foi. Les mamans parmi vous savent ce que ça veut dire ! Dans son village de Nazareth, on disait de Jésus qu’il était « le fils de Marie et de Joseph », un petit artisan du bois. Tous les trois, entourés par la parenté et le voisinage, ont vécu l’existence d’une famille ordinaire, avec les joies, les peines, les soucis des gens simples de Galilée. Telle fut la sainte famille de Nazareth. Et pourtant il y avait un grand mystère au cœur de cette humaine communion. Plus l’enfant Jésus grandissait, comme il est dit, « en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et les hommes », plus il révélait une autre communauté au creux de son secret. Parce que le fils de Marie et Joseph était d’abord le Fils de Dieu fait homme, un nouveau visage de Dieu s’exprimait dans ses paroles et ses actes pleins de miséricorde. Dieu lui-même est famille parce qu’il est Amour majuscule. Il est communauté de trois personnes dans le mystère de la Trinité. Dans la vie humaine de Jésus se manifeste la relation ineffable du Fils au Père éternel dans le souffle de l’Esprit. Oui, dans le cœur humain de Jésus bat le cœur même de Dieu-Amour, amour en lui-même et amour pour nous. Dès lors toutes nos familles, sous leurs diverses formes possibles, en reçoivent une dignité, une valeur, une beauté merveilleuses. Nous savions déjà que l’homme, la femme et l’enfant sont créés à l’image de Dieu et qu’il faut chercher et trouver dans leur communion la plus lumineuse signature de Dieu en ce monde. Et la sainte famille de Nazareth est venue consolider, transfigurer, éterniser ces liens qui font de chacun de nous, par un acte d’amour, le troisième de deux autres, tous les trois placés sur orbite d’éternité. C’est ça, la famille dans le dessein de Dieu. Est-ce à dire que seules les familles parfaites peuvent réaliser une telle vocation ? La famille de Nazareth était sainte, mais elle n’était pas parfaite. Elle a aussi connu des tensions, des questionnements. Elle a traversé des crises. La joie de ses bonheurs a donné la main aux larmes de ses chagrins. Dès lors toutes nos familles, dont aucune n’est sans problème, peuvent puiser du courage –bien nécessaire- en fréquentant à la fois la famille qu’est Dieu et la famille de Jésus, si proches des nôtres. On peut appeler cela la prière ou l’eucharistie, en famille par exemple. On voit bien que beaucoup de nos familles sont aujourd’hui fragilisées, et parfois même en crise. On songe à celles qui traversent des deuils douloureux, comme la mienne, après la mort si rapprochée de Bernard et Suzanne, sans oublier Jacquy. Mais nous ne sommes pas les seuls, nous ne l’oublions pas. On pense aussi aux familles qui, parfois malgré le sacrement de mariage, sont secouées et même ébranlées jusque dans leurs bases. Nos familles, toutes nos familles, ont besoin d’être encouragées plutôt que stigmatisées. Evidemment, on ne peut pas tout approuver ni tout excuser, notamment quand des enfants sont les victimes innocentes des adultes. Mais j’estime que celles et ceux qui luttent par amour et pour l’amour, malgré les échecs, doivent continuer d’êtres aimés plutôt que accablés. Que Dieu-Trinité nous bénisse tous et que la sainte famille de Nazareth nous donne la main tout au long de l’année qui va bientôt commencer. Ce sont mes vœux pour vous tous, que je dépose à la crèche. Claude Ducarroz

dimanche 16 décembre 2018

Pour l'anniversaire du pape François

Regard critique Ah ! le pape… Le style, c’est l’homme. Et aussi le pape. Je suis très surpris…en bien. Domicile à Ste-Marthe, à l’écart des palais ; moins d’or et de dentelles dans les liturgies ; un langage simple, spontané, même avec quelques dérapages à la clé ; une volonté évidente de proximité avec le peuple. On aime le pape parce qu’on sent qu’il nous aime. Tous, à commencer par les plus humbles et les plus pauvres. C’est de l’évangile en barre. Merci. Et puis il y a la mission. Je suis impressionné par sa demande constante de prière pour lui. Quelle responsabilité ! Il se sait et se sent dans la main de Dieu. Et aussi, quelque part, remis entre nos mains. Il a réussi à faire bouger quelques lignes. Dans la société, avec son encyclique sur l’écologie, avec sa solidarité affichée et cohérente avec les migrants en perdition. Et dans l’Eglise ? C’est tellement difficile ! Le synode sur la famille a mieux promu une pastorale de la miséricorde. Très bien. Dans les affaires de pédophilie, il semble maintenant au clair et efficace. Et sur les grandes réformes internes ? J’attends davantage. Après 5 ans et 26 séances prolongées avec son conseil rapproché (le groupe des 9 cardinaux), qu’est-il sorti jusqu’à ce jour ? Pas grand-chose, semble-t-il. On devine beaucoup de résistances. J’espérais que tout irait plus vite : la réforme de la curie, la décentralisation de l’autorité, l’élargissement des ministères, la place de la femme dans notre Eglise, des avancées œcuméniques significatives : que c’est lent ! Si ça avance… Enfin le défi de l’évangélisation ! L’ambiance générale est rendue plus favorable par le témoignage de notre pape. Mais comment annoncer l’évangile dans une société aussi éclatée, dans la variété des cultures et la complexité des situations ? Personne n’a la recette ! Car là, c’est notre affaire à tous. Donc, à nous d’y aller, sans tout ni trop attendre de Rome. Même un bon pape… n’est que le pape ! Claude Ducarroz

mardi 11 décembre 2018

Courage, Mesdames!

Mesdames, courage ! Triomphe féminin ! Le vocabulaire est devenu dithyrambique pour saluer l’élection simultanée de deux femmes au conseil fédéral. Une première dans notre histoire suisse. On peut comprendre les accents glorieux de tels commentaires. Encore convient-il de rester modeste, tant la route est encore longue, même dans notre société dite « libérale avancée », pour concrétiser l’égalité hommes-femmes. Pour favoriser cette égalité, tout en appréciant les légitimes diversités humaines, il faut d’abord une politique familiale plus généreuse. Il faut aussi combler plus rapidement les écarts de présence des femmes dans les milieux économiques et politiques. Trois femmes sur sept conseillers fédéraux ne font pas encore un vrai printemps démocratique. Mesdames les citoyennes, courage ! Et dans notre Eglise, me direz-vous ? Nous donnons volontiers des leçons d’égalité à notre société, comme l’a fait le concile Vatican II en disant : « Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne…basée sur le sexe…doit être dépassée et éliminée comme contraire au dessein de Dieu ». (Gaudium et spes no 29.) Il serait temps que notre Eglise s’interroge sur sa pratique interne. On peut heureusement constater que l’histoire de l’Eglise fournit de nombreux exemples magnifiques prouvant que des femmes – surtout des religieuses - ont assumé d’importantes responsabilités dans le déploiement de l’Evangile au sein des communautés chrétiennes et même dans la société. Aujourd’hui, des femmes remarquables et dévouées s’engagent, y compris à plein cœur et à plein temps, dans les domaines de la formation, des services et de l’animation de nos communautés. Merci Mesdames ! Mais il reste chez nous des discriminations qui deviennent de moins en moins compréhensibles, et franchement inacceptables. A Rome ou ailleurs, on peut inviter quelques femmes comme auditrices lors de certains rassemblements ecclésiastiques. Mais finalement, qui décide, y compris sur des questions touchant de près les femmes et les familles ? Ce sont des hommes célibataires exclusivement, car seuls les clercs sont aptes à exercer un pouvoir de juridiction dans notre Eglise, selon le droit canon (no 129). Ce même droit canon –qui régit notre vie concrète en Eglise - continue d’exclure les femmes des ministères du lectorat et de l’acolytat (no 230 .1). Sans compter que les femmes, simplement parce qu’elles sont femmes et non pas « des hommes comme les autres », ne peuvent accéder à aucun des degrés du sacrement de l’ordre (canon 1024), ainsi qu’on vient de le rappeler lourdement au Vatican. Heureusement, des chrétiennes se réveillent, s’expriment, exigent des changements qui vont dans le sens d’une lutte (pacifique) contre un certain cléricalisme ambiant. Il faut prendre au sérieux ces voix prophétiques, qui rejoignent d’ailleurs de nombreuses déclarations de synodes diocésains depuis longtemps à travers le monde entier. (Cf. Synodes 72 en Suisse). A force de toujours renvoyer à plus tard des réformes importantes et urgentes, notre Eglise court le risque de voir nombre de chrétiens –hommes et femmes- quitter la barque ecclésiale et chercher hors du bercail de quoi épanouir leur foi et pratiquer leurs valeurs évangéliques. C’est un grand dommage. C’est même un malheur. Car je crois que nous avons tous besoin les uns des autres, hommes et femmes baptisés dans une même et égale dignité pascale (Cf. Vatican II –Lumen gentium no 32), pour collaborer à la réforme dont l’Eglise a continuellement besoin, dans le dynamisme de l’Esprit du Christ. C’est encore le concile Vatican II qui l’a répété (Décret sur l’œcuménisme no 6). Alors, Mesdames les baptisées, courage ! Claude Ducarroz A paru sur le site cath.ch

vendredi 7 décembre 2018

Immaculée Conception

Homélie Immaculée Conception Fête de l’Immaculée Conception. Dites cela à un jeune d’aujourd’hui. Immaculée et conception. Que voulez-vous qu’il comprenne ? A quoi va-t-il penser ? Ne serait-il pas temps de revisiter et même de réviser notre langage religieux ? Même parmi les adultes, normalement mieux formés, il règne une grande confusion autour de cette fête. Certains croient, puisqu’on approche de Noël, qu’il s’agit de la conception virginale de Jésus dans le sein de sa mère, ce qui d’ailleurs n’est pas beaucoup plus clair. Et si l’on disait plus simplement, comme dans les Eglises d’Orient, que Marie est la toute sainte –panaghia- parce qu’elle a été préparée par Dieu, depuis toujours, pour être la digne mère de Jésus, le saint de Dieu au milieu de nous ? Oui, « comblée de grâce », comme l’ange la salue, parce que le Seigneur est totalement avec elle, en attendant que le Fils éternel du Père vienne totalement en elle, dans le mystère de l’incarnation. En Marie, tout est grâce, tout est don, tout est cadeau gratuit, et d’abord la parfaite sainteté qui l’habite et rayonne en elle. Mais en même temps, cette divine habitation, qui va bientôt s’épanouir en elle sous la forme humaine de Jésus de Nazareth, n’entre pas en elle, en son cœur et en son corps, par une effraction qui bousculerait son humanité à elle. Dieu est divinement délicat, respectueux, scrupuleux. Il apparaît à Marie sur les ailes d’un ange. Il se fait d’abord proposition. Il devient question. Dieu est patient. Il attend une réponse. Il est même prêt à donner des explications, car il s’adresse à une femme adulte, intelligente, libre. La sainteté originelle de Marie ne fait pas d’elle une machine à « béni oui-oui », mais une partenaire du mystère proposé - et non pas imposé - à son humble, mais riche personnalité. Car elle sera impliquée toute entière, telle qu’elle est, dans sa foi d’Israël attendant le Messie, dans son esprit capable de réfléchir sérieusement avant d’acquiescer, dans son cœur préparé pour l’amour maternel, dans son corps de femme destiné au don de la vie. Et parce que c’est Dieu qui frappe à sa porte, parce que c’est l’Esprit Saint qui la prend sous son ombre, Marie sera respectée en tout son être. C’est donc en femme debout qu’elle pourra dire : « Voici la servante du Seigneur, que tout m’advienne selon ta parole ». Alors, alors seulement, le Verbe peut se faire chair pour demeurer parmi nous, le Fils du Très-Haut, le Sauveur du monde, en un mot : Jésus. Y a-t-il encore quelque chose à retenir, pour nous maintenant, dans cet évènement originel et fondateur, pour l’Eglise de toujours, que nous sommes aujourd’hui ? Trop souvent, y compris dans l’Eglise, et singulièrement dans notre Eglise, on s’est servi de l’humilité de Marie comme « petite servante », de sa docilité à la parole, et même de sa sainteté toute féminine, pour inciter les femmes à se tenir dans une discrétion de soumission, dans un esprit de « petits services » cachés. N’a-t-on pas insisté pour que les femmes demeurent dans l’allégeance résignée à ceux qui - des hommes évidemment- ont les privilèges de l’autorité sacrée, quand ce n’est pas le rude pouvoir d’imposer l’obéissance ? Heureusement, aujourd’hui, sans du tout désavouer les saintes femmes du passé - religieuses ou laïques -, les femmes se réveillent plus adultes, plus responsables, plus actives dans notre Eglise. Elles le font savoir et j’estime qu’elles ont raison. Car je crois qu’elles peuvent trouver en Marie de Nazareth l’image d’une sœur ou d’une mère qui, tout en étant disponible pour le service, ne s’abaisse pas dans la servitude, mais se redresse, belle et forte, dans la libre collaboration avec Dieu lui-même, elle qui dira avec une certaine grandeur d’âme : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles. Saint est son nom ». C’est pourquoi, nous aussi aujourd’hui, avec toutes les générations, en la confessant immaculée, nous pouvons surtout la proclamer bienheureuse. Et beaucoup d’autres femmes en Eglise avec elle. Avec notre merci pour ce qu’elles font et feront, et surtout pour ce qu’elles sont. Claude Ducarroz

mardi 6 novembre 2018

Ah! le pouvoir...

Ah ! le pouvoir… L’actualité avance par vagues. Après la houle liée au sexe, dans le déferlement des scandales provoqués par l’affaire Weinstein, voici la déferlante des esclandres autour d’un certain (mauvais) usage du pouvoir. Le schéma est toujours le même : les hommes et les femmes investis d’un pouvoir sont tentés de se croire tout-puissants, non seulement perchés au dessus du commun des mortels, mais aussi juchés au dessus des lois. Et nous remarquons, à peine étonnés, que beaucoup succombent à cette pernicieuse tentation, que ce soit dans l’Eglise ou dans les strates fort complexes de notre société. On sait maintenant que les abus sexuels parmi le clergé s’expliquent notamment par des abus de pouvoir, surtout quand celui-ci se revêt des oripeaux de la sacralité religieuse. D’où la croisade actuelle contre le cléricalisme, conduite par le pape François lui-même. On vérifie aussi que les autorités politiques, qu’elles soient de gauche ou de droite - et même du centre !- cèdent bien facilement aux mirages des excès, des privilèges et même des magouilles, y compris quand les contre-pouvoirs démocratiques et médiatiques devraient les inciter à redoubler de prudence à défaut d’honnêteté. Plusieurs réactions sont possibles devant la répétition de ces révélations qui vont de l’erreur bénigne jusqu’au péché de malversation qu’on s’acharne à nier après l’avoir dissimulée. Il convient d’abord de louer le courage de celles et ceux, surtout dans les milieux administratifs, judiciaires et médiatiques, qui dénoncent ces faits et gestes si maléfiques pour notre démocratie soit-disant libérale…et propre. Certes, il faut éviter absolument les rumeurs infondées, les fausses accusations et les chasses aux sorcières. Mais certains lanceurs d’alerte méritent notre reconnaissance, dans les deux sens de ce mot. Est-ce à dire qu’il faille désormais se méfier de tout le monde, suspecter tous les magistrats, traquer nos hommes et femmes politiques ? Certainement pas. Parce que la grande majorité d’entre eux est constituée de citoyens honnêtes, qui se mettent au service du peuple de manière désintéressée. Les petits privilèges de la gloire, les ivresses que suscitent parfois les vapeurs d’une autorité reconnue et célébrée : tout cela s’efface très vite au rude contact des réalités fort complexes qui exigent engagement personnel, travail persévérant, et même beaucoup de sacrifices pas nécessairement récompensés. Mais le danger suivant existe : que la multiplication des méchantes « affaires » conforte nos citoyens dans la conviction que tous ces politiciens sont des pourris, qu’on ne peut plus leur faire confiance, qu’il faut donc se réfugier, ou dans l’opposition systématique, ou –pire encore- dans l’abstention généralisée. Comment nier que de telles attitudes mettent en péril les fondements de notre vivre-ensemble et fassent le lit des extrémismes de tout acabit, toujours prêts à fleurir sur les délitements de nos valeurs démocratiques ? Dès lors, deux comportements s’imposent, à partir du sens des responsabilités qui devrait toujours guider notre conscience et notre action : demeurer vigilant, car personne n’est à l’abri de dérapages, petits ou grands, et c’est faire œuvre de salubrité que d’être aux aguets. Mais le mieux est encore de participer pleinement, chacun selon ses possibilités et charismes, au déroulement correct des activités socio-politiques, par l’intérêt porté à la chose publique, par le vote réfléchi et par la collaboration citoyenne à tous les niveaux. Et ça vaut aussi pour l’Eglise. Il suffit de rappeler cette injonction de Jésus, scandalisé de constater que ses apôtres, juste après le lavement des pieds et l’eucharistie, se disputaient encore pour savoir qui était le plus grand d’entre eux : « Il ne doit pas en être ainsi parmi vous…. Que celui qui commande prenne la place de celui qui sert. » (Lc 22,26). Claude Ducarroz A paru sur le site cath.ch

jeudi 1 novembre 2018

Toussaint 2018

Toussaint 2018 Le trans-humanisme. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de cela puisque les médias s’y intéressent de plus en plus. C’est l’idée –car pour le moment c’est surtout une imagination- que l’homme peut être augmenté, en plusieurs de ses dimensions, par les progrès de la science et des techniques, et notamment grâce aux extraordinaires performances de l’électronique. Si l’on peut dessiner en trois D nos rêves les plus fous, pourquoi ne pourrait-on pas un jour les traduire dans la réalité ? N’a-t-on pas déjà la possibilité de remplacer plusieurs pièces usagées de notre corps par des membres artificiels ? Pourquoi ne ferions-nous pas de même dans notre cerveau ? Certains, peut-être pas si utopiques que cela, rêvent d’allonger notablement notre vie sur terre, et pourquoi ne deviendrions-nous pas immortels ? Ces fantasmes –qu’il ne faut pas trop tôt taxer de folles élucubrations- prouvent au moins une chose : même quand l’homme a éliminé Dieu, même quand il l’a remisé dans les oubliettes de l’histoire, il ne cesse de se comprendre ou de se désirer comme programmé pour une vie éternelle. Et comme, selon lui, il ne faut plus compter sur Dieu pour y arriver, il estime qu’il pourra y parvenir lui-même, tôt ou tard, par ses propres moyens. Dans ce contexte, nous voilà réunis pour la messe de la Toussaint, avec, concernant nos chers défunts, nos seuls souvenirs pour certains, le sentiment d’une certaine communion pour d’autres, et l’espoir d’un possible revoir pour les plus religieux d’entre nous, parce que, nous aussi, nous croyons à l’immortalité des personnes, même décédées. Pas au terme de nos efforts sur-humains, mais par l’accueil reconnaissant d’une grâce offerte par un certain Jésus de Nazareth qui nous a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra éternellement. » Le trans-humanisme ou le sur-humanisme, nous ne le cherchons pas dans une performance humaine. Nous le recevons comme un cadeau de la performance divine en Jésus que Dieu a ressuscité d’entre les morts comme premier né d’une multitude de frères et sœurs…que nous sommes. Dans la résurrection de Jésus, constaté par des témoins sidérés mais fiables, Dieu a mis en route la transformation, et même la transfiguration, de notre humanité mortelle en promesse garantie de vie éternelle. Pas besoin de l’inventer nous-mêmes, il suffit de l’accueillir comme un don, certes qui nous dépasse infiniment, mais surtout qui nous comblera parfaitement, au-delà de toutes nos imaginations et de tous nos désirs. Face à l’utopie de la trans-humanité, nous pouvons choisir : ou essayer de conquérir l’éternité par nous-mêmes, ou la recevoir comme une grâce, de celui qui, ayant passé par la mort comme nous, est revenu nous confirmer cette promesse avec des arguments solides: « Là où je suis, vous serez aussi avec moi pour toujours. » Est-ce à dire que nous n’ayons plus rien à faire, sinon à nous laisser aller dans le n’importe quoi ici-bas, en attendant la suite dans l’au-delà ? D’abord il n’est pas indifférent que, par la foi, nous prenions ce chemin-là pour avancer humainement dans l’existence, de sorte que nous arrivions dans la cible au moment de quitter notre vie en ce monde. Croyons-nous à notre vocation éternelle ? Et puis, justement dans l’évangile de cette fête, Jésus, qui nous promet une fois de plus ce qu’il appelle « le royaume des cieux », nous indique une feuille de route pour la sécurité de notre pèlerinage en cette vie, en espoir de l’autre. Les promis à la résurrection ne peuvent pas vivre n’importe comment. S’ils veulent être au rendez-vous du bonheur éternel, il leur est proposé cet itinéraire qu’on nomme justement « les béatitudes », à savoir des déclarations ou des promesses de bonheur. Etre assez pauvre pour tendre la main vers Dieu et recevoir sa parole et sa présence avec reconnaissance. Etre assez juste, pur, miséricordieux, pacifique avec nos frères et sœurs humains pour leur indiquer ainsi le chemin qui mène au Dieu de l’amour et de la vie éternels. Porter et supporter nos épreuves, y compris celle de la mort –la nôtre et celle de ceux que nous aimons- avec les larmes de l’espérance et non pas celles du désespoir. Traverser cette vie en misant sur l’amour pour nous retrouver, à l’autre bout, prêts à nous fondre dans l’Amour majuscule qu’est Dieu, en qui nous retrouverons tous ceux et toutes celles que nous avons aimés et qui nous ont aimés. Et même quelques autres. Finalement, ne jamais oublier cette petite phrase qui change tout dans la vie et à l’heure de la mort : « Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ». Claude Ducarroz

dimanche 21 octobre 2018

invitation à vous!

Invitation à vous L’organisation « Plans fixes » - qui diffuse des entretiens filmés avec diverses personnalités de Suisse romande - m’a sollicité pour un enregistrement. Il s’agit d’un film en noir et blanc, piloté par le journaliste et animateur Jean-Marc Richard. Ce film passera en première diffusion au cinéma Rex de Fribourg (près de la gare) le mercredi 7 novembre à 18h.30. La projection, gratuite et ouverte à tous, dure 50 minutes et sera suivie d’un apéritif convivial. Je vous invite bien cordialement. Pour la joie de nous revoir ! Claude Ducarroz

jeudi 18 octobre 2018

Pape François: regard critique

Regard critique Ah ! le pape… Le style, c’est l’homme. Et aussi le pape. Je suis très surpris…en bien. Domicile à Ste-Marthe, à l’écart des palais ; moins d’or et de dentelles dans les liturgies ; un langage simple, spontané, même avec quelques dérapages à la clé ; une volonté évidente de proximité avec le peuple. On aime le pape parce qu’on sent qu’il nous aime. Tous, à commencer par les plus humbles et les plus pauvres. C’est de l’évangile en barre. Merci. Et puis il y a la mission. Je suis impressionné par sa demande constante de prière pour lui. Quelle responsabilité ! Il se sait et se sent dans la main de Dieu. Et aussi, quelque part, remis entre nos mains. Il a réussi à faire bouger quelques lignes. Dans la société, avec son encyclique sur l’écologie, avec sa solidarité affichée et cohérente avec les migrants en perdition. Et dans l’Eglise ? C’est tellement difficile ! Le synode sur la famille a mieux promu une pastorale de la miséricorde. Très bien. Dans les affaires de pédophilie, il semble maintenant au clair et efficace. Et sur les grandes réformes internes ? J’attends davantage. Après 5 ans et 26 séances prolongées avec son conseil rapproché (le groupe des 9 cardinaux), qu’est-il sorti jusqu’à ce jour ? Pas grand-chose, semble-t-il. On devine beaucoup de résistances. J’espérais que tout irait plus vite : la réforme de la curie, la décentralisation de l’autorité, l’élargissement des ministères, la place de la femme dans notre Eglise, des avancées œcuméniques significatives : que c’est lent ! Si ça avance… Enfin le défi de l’évangélisation ! L’ambiance générale est rendue plus favorable par le témoignage de notre pape. Mais comment annoncer l’évangile dans une société aussi éclatée, dans la variété des cultures et la complexité des situations ? Personne n’a la recette ! Car là, c’est notre affaire à tous. Donc, à nous d’y aller, sans tout ni trop attendre de Rome. Même un bon pape… n’est que le pape ! Claude Ducarroz

lundi 8 octobre 2018

La parole au peuple. Prenons-la!

La parole au peuple. Exprimez-vous !

Dans sa lutte contre les abus sexuels perpétrés par des membres du clergé, le pape François, après avoir établi un diagnostic pertinent dans la culture du cléricalisme, a lancé deux initiatives intéressantes. D’une part il rassemblera tous les présidents des conférences épiscopales lors d’une assemblée extraordinaire du 21 au 24 février 2019. D’autre part, dans une lettre au peuple de Dieu datée du 20 août 2018, il mobilise toute l’Eglise catholique dans ce combat évangélique contre de tels scandales. Il écrit : « Il est nécessaire que chaque baptisé se sente engagé dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons besoin… Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu. »
Tout cela est bel et bon. Mais attention au piège possible.
Puisque les principales décisions seront prises au Vatican par l’assemblée des évêques autour du pape, les braves « chrétiens de la base » pourraient en déduire qu’ils n’ont pas voix au chapitre, sinon par la prière et le jeûne, dans l’attente docile des décrets tombant d’en haut. Après tout, ces abus ont été pratiqués par le clergé, y compris par certains évêques. C’est surtout à eux de se convertir.
Or la révélation de certains péchés d’un certain clergé met en évidence un disfonctionnement structurel dont souffre toute l’Eglise, de sorte que tout le peuple de Dieu doit maintenant prendre en charge, avec la grâce de Dieu, des redressements aussi urgents que nécessaires. Il y va de la crédibilité de notre Eglise dans son pèlerinage actuel en notre histoire. Et pour tout dire, il s’agit de sa docilité aux appels de l’Evangile du Christ et de ses réponses aux signes de l’Esprit.
L’excellent journal La Croix, à titre d’exemples, signale les questions suivantes : quelle place pour les prêtres ? quelle place pour les laïcs ? comment faire droit à l’égalité de tous devant le baptême ? quelle place pour les femmes ? où et comment organiser le débat dans l’Eglise ? comment assumer les fautes de l’Eglise ? (Cf. La Croix du 19 septembre 2018).
La simple lecture de ces thèmes devrait suffire à susciter l’expression libre parmi tous les chrétiens, et même au delà. Rien ne serait plus dommageable qu’un silence douloureux mais résigné, qu’une indifférence déprimée face aux enjeux de ces graves évènements.
C’est pourquoi, de ma modeste place, je fais appel aux chrétiens, personnellement et en communautés, pour qu’ils expriment, en toute liberté et responsabilité baptismales, leurs opinions, leurs réactions et leurs propositions au sujet des indispensables réformes à promouvoir dans notre Eglise. Plus concrètement, qu’ils les envoient à l’évêque suisse qui représentera ses collègues à la prochaine assemblée de février. Nous avons l’espoir que les voix du peuple de Dieu seront entendues et prises en compte. Car rien ne serait plus décourageant qu’une réunion en vase clos, sous une forêt de mitres, sans le témoignage du peuple chrétien et donc sans nous. Plus que jamais : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises ! » (Ap 2 et 3).
Le pape n’a-t-il pas écrit : « Le seul chemin que nous ayons pour répondre au mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu » ?
La parole est au peuple ! Prenons-la ! Exprimons-la !
A toutes fins utiles, voici l’adresse de Mgr Felix Gmür, qui représentera les évêques suisses à l’assemblée de Rome en février prochain :
Case postale 216  4501 Soleure  generalvikariat@bistum-basel.ch                   

                                                                                                                      Claude Ducarroz

vendredi 31 août 2018

Foin du cléricalisme

Entre diagnostic et thérapie

Non ! Je ne veux pas rajouter une couche à l’interminable litanie des lamentations. Même si, à propos des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique, il faut continuer d’exiger compassion et compensation à l’égard des victimes, et une juste punition à l’égard des coupables.
A la suite du pape François, il est maintenant urgent de dresser un diagnostic précis pour promouvoir une thérapie efficace.
Le 4 mai 1877, l’homme d’Etat français Léon Gambetta proclamait devant l’assemblée nationale : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Curieusement, le pape François a repris cette formule presque mot à mot pour fustiger la détestable culture ecclésiastique qui a gangréné certains milieux d’Eglise. Un diagnostic qu’il convient d’expliciter, pas pour tenter d’excuser mais pour essayer de comprendre… et surtout corriger !
Le cléricalisme, c’est s’estimer au dessus des autres chrétiens -  a fortiori au dessus des autres humains-, parce qu’une consécration mystérieuse nous a imprégnés d’un sceau sacré.
Le cléricalisme, c’est manifester un pouvoir pesant en vertu d’une mission reçue, avec d’autant plus d’arrogance que la responsabilité semble confiée d’en haut.
Le cléricalisme, c’est dominer sans partage sur une communauté en revendiquant l’obéissance aveugle des brebis à l’égard du « bon pasteur » qui les guide « au nom du Seigneur ».
Le cléricalisme, c’est abuser de la faiblesse des autres, en oubliant la sienne, sous prétexte que la grâce divine nous investit d’une force surnaturelle.
Le cléricalisme, c’est se croire dispensé des règles humaines de la justice et du respect parce que nous sommes au service d’une Eglise qui a ses propres traditions immémoriales.
Le cléricalisme, c’est se distinguer de toutes les manières pour accréditer une position de surplomb sur le commun des mortels, du moment que nous sommes « mis à part » en vue d’une mission supérieure.
Le cléricalisme, pour certains, c’est estimer que les frustrations dues à la pratique d’un célibat vécu comme une obligation insupportable, autorise des compensations secrètes que l’Eglise saura bien camoufler pour préserver sa réputation dans le grand public.
Le cocktail de plusieurs de ces pratiques peut conduire au pire, comme on doit hélas ! le déplorer, dans les larmes de notre pénitence collective.
Il est temps de passer à des thérapies de choc…évangéliques.
Il y a certainement, du côté des formateurs des futurs prêtres, des prises de conscience qui les ont rendus plus lucides et plus prudents dans le discernement et l’accompagnement des candidats.
On ne fera pas l’économie d’une nouvelle mentalité parmi les serviteurs de l’évangile et de l’Eglise, que sont les prêtres. La fragilité des autres n’autorise aucun abus dans le ministère. Le caractère sacré de la mission reçue requiert la plus douce humilité. En régime chrétien, l’autorité n’est-elle pas le contraire du pouvoir qui impose, autrement dit un service qui aide l’autre à grandir dans la vraie liberté ? Faut-il se distinguer par des apparences clinquantes ou par le rayonnement des charismes les plus humbles ?
Le dialogue et le partage entre les prêtres et les autres membres du peuple de Dieu n’est-il pas une meilleure garantie de communion dans l’animation de la communauté, plutôt que l’imposition hiérarchique et sacrale de décisions purement cléricales ?
Ne faut-il pas revoir les conditions humaines et spirituelles dans lesquelles les prêtres vivent leur célibat, surtout quand ce célibat semble, du moins à certains, un lourd fardeau à porter plutôt qu’une grâce qui les porte ?
Il nous faut re-méditer ces textes du concile Vatican II. « Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité communes à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » Lumen gentium
no 32.
Foin du cléricalisme !

Claude Ducarroz
3960 signes


vendredi 17 août 2018

Homélie eucharistique

Homélie
19 août 2018

Encore !
Ceux qui, parmi vous, participent à la messe chaque dimanche l’auront peut-être remarqué : durant 5 dimanches de suite, l’évangile de la liturgie ne nous parle que de l’eucharistie. En réalité, c’est la lecture continue, par tranche, du 6ème chapitre de l’évangile de Jean qui compte, à lui tout seul, 72 versets.

Bien sûr, je pourrais rajouter une couche de commentaire sur le mystère eucharistique, ne serait-ce qu’à partir du premier verset de l’évangile d’aujourd’hui : « Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

Permettez que je m’attache plutôt à une autre phrase : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui. » Et la question se pose alors :   Comment les chrétiens qui communient si intimement à Jésus peuvent-ils devenir eux-mêmes « eucharistiques », et si possible dès-ici bas ? Car finalement, si la communion au corps et au sang du Christ -réellement présent dans l’eucharistie- nous fait « demeurer en lui », ça devrait se manifester dans notre vie, au point que même les autres devraient pouvoir le remarquer.

Quand on relit tout ce chapitre 6 de saint Jean, on pourrait baliser ainsi le cheminement du chrétien eucharistique : partir de la nature respectée, œuvrer dans la culture sous toutes ses formes et participer pleinement au culte qui culmine justement dans l’eucharistie.
Vous vous en souvenez ! La promesse de l’eucharistie a commencé par ce qu’on appelle la multiplication des pains.
Le pain -et le vin évidemment-  y compris à la messe, c’est d’abord le fruit de la nature. On le sait bien, à l’heure de la moisson, de la vendange …ou de la sécheresse. D’ailleurs Jésus avait rassemblé les foules au bord du lac et il fit asseoir les gens, dit l’évangile, « là où il y avait beaucoup d’herbe ». L’état d’esprit eucharistique commence par un certain regard contemplatif sur la nature, une certaine mentalité écologique, un respect des biens de la terre. Le pape François nous le rappelle dans son encyclique Laudato si : « L’eucharistie est source de lumière et de motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement. Elle nous invite à être gardien de toute la création. » (no 236).

Et puis il y a évidemment la culture, au sens premier du terme : cultiver la terre et gérer ses richesses pour les mettre au service des hommes, de tous les hommes.  Pour nourrir les foules comme pour célébrer l’eucharistie, il faut le pain « fruit du travail des hommes et des femmes. » D’ailleurs Jésus a aussi dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Et pour accomplir son miracle, il a eu besoin des cinq pains d’orge et des deux poissons qu’un enfant à bien voulu offrir pour les partager.
Vous aurez aussi remarqué que les disciples sont mis à contribution pour la suite de l’évènement, y compris pour ramasser les morceaux qui restaient afin que rien ne soit perdu.

Il faut donc étendre le principe de culture à tout ce que les hommes font à partir de la nature, par le travail sous toutes ses formes, y compris par les arts, les sciences, les techniques les engagements socio-politiques, etc…
Mais à condition que tout cela respecte la nature, favorise la solidarité et organise le partage, avec priorité pour celles et ceux qui sont encore victimes des injustices et des inégalités.

Rien n’est plus contraire à l’eucharistie qu’une société où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Le consumérisme à outrance, le pillage et le gaspillage des biens de la terre, le matérialisme arrogant : voilà l’ennemi. Une fois de plus, le pape nous le rappelle. Il nous presse de passer de la culture des déchets à la culture du partage. En somme : à la table eucharistique.

Je n’oublie pas le culte, à savoir la vie spirituelle, qui culmine dans la liturgie, à commencer par l’eucharistie. Là tout se rassemble, se noue et s’offre dans le divin et humain sacrifice. Quand nous nous rassemblons pour la messe, nous prenons avec nous la nature cosmique, nous portons en nous et avec nous toute l’humanité en quête de justice et de paix, nous constituons l’Eglise universelle autour de Jésus mort et ressuscité.

L’eucharistie épouse toutes ces dimensions. La nature est au rendez-vous, car, dit le pape, « l’eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique ». La culture brille aussi sous toutes ses facettes, y compris dans les scintillements de la beauté esthétique, et le vrai culte pascal est re-présenté « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Avons-nous conscience de tout cela ? Sommes-nous disposés à nous investir, dans la société et dans l’Eglise, pour que cette riche alliance de tant de beaux mystères soit plus visible, plus crédible, plus fraternelle, plus désirable ?
Sommes-nous prêts à devenir davantage eucharistiques ?
Claude Ducarroz


mardi 14 août 2018

Assomption de marie 2018

Assomption 2018
« Actuellement, on ne parle que d’elles ! », me disait un homme sans doute un brin jaloux.  Et c’est un peu vrai : depuis certaines révélations particulièrement sordides, on parle beaucoup de la femme et des femmes. A juste titre, elles ne manquent  aucune occasion de faire parler d’elles quand il s’agit de rappeler leur égalité foncière en humanité, de revendiquer le respect de toute leur dignité ou d’exiger leur juste promotion partout où le sexisme continue de sévir.

On pourrait dire que, aujourd’hui, à la faveur de cette fête, l’Eglise catholique s’y met aussi. Elle place en évidence, jusque dans sa liturgie, une Femme -avec f majuscule- « ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. » Qui dit mieux ? serait-on tenté de répéter aux féministes de toutes couleurs.

C’est la fête de l’assomption de la vierge Marie, la mère de Jésus. Dans la théologie et la piété catholiques, portées par d’antiques traditions, tant en Orient qu’en Occident, ceci est devenu très tôt évident : la mère du Christ ressuscité, la femme toute sainte, que toutes les générations doivent proclamer bienheureuse, a été enlevée et élevée au ciel pour partager, dès sa mort, la gloire de Jésus, le premier né d’entre les morts.
Cette merveille réjouit le peuple de l’Eglise, heureuse d’acclamer dans la lumière pascale, celle que Jésus nous a donnée pour mère du haut de sa croix.

Aujourd’hui, et spécialement dans cette église qui est consacrée à Notre-Dame, c’est un peu la fête de famille autour de la maman bienheureuse, entièrement absorbée en Dieu, avec tout ce qu’elle fut et tout ce qu’elle est, à savoir aussi son corps en qui l’Esprit saint a fait germer et grandir le corps de Jésus, le Verbe fait chair au milieu de nous.
Rien en Marie ne s’opposait à cette transfiguration immédiate. Et c’est ce qui lui est arrivé, par pure grâce évidemment.
Encore faut-il en tirer quelques conséquences pour nous aussi aujourd’hui.

La première, c’est que l’assomption de Marie est un privilège, mais pas une exception. Elle nous précède dans cette grâce toute pascale, mais nous n’en sommes pas exclus. Au contraire, ce qui est arrivé à Marie d’abord nous est promis aussi à nous, selon l’engagement formel du sauveur : « Je vais vous préparer une place… Là où je suis, vous serez aussi avec moi. »
Et saint Paul le rappelait aux Corinthiens qui avaient de la peine à le croire : « De même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous revivront pour la vie éternelle par la résurrection …quand ce Christ aura anéanti la mort. »
L’assomption de Marie, c’est donc l’assurance que nous serons un jour et pour toujours avec Jésus vivant, comme elle et avec elle, et tous les autres aussi. En un mot : quelle que soit notre vie actuelle, le meilleur est encore devant nous. Marie la bienheureuse, Marie la glorieuse, nous aide à y croire et, en priant pour nous,  à le vivre, même imparfaitement.

Et comment, me direz-vous ?
Entre autres en respectant la beauté et la dignité du corps, et singulièrement du corps de la femme, de toutes les femmes. Car ce qu’il y a d’extraordinaire –sans être unique-, c’est justement que l’assomption de Marie, comme nous le rappellent tant de peintures et d’images, implique pleinement son corps sexué lors de son entrée en gloire. Ne serait-ce pas justement ce qu’on pourrait nommer une magnifique originalité mariale du christianisme :  le destin éternel du corps ?
Comme le sauveur a passé par le corps d’une femme, Marie de Nazareth, pour venir jusqu’à nous en pleine humanité, de même le salut impactera aussi notre corps.
Car il est vrai que Dieu dans le Christ, et avec la collaboration physique et croyante de Marie, veut emmener dans sa gloire tous les hommes et tout l’homme, y compris notre corporéité un jour récupérée.
La manière dont nous regardons et à fortiori traitons le corps de la femme mesure notre degré de foi en notre vocation à la résurrection bienheureuse. Il y a aussi un juste féminisme chrétien et, si j’ose le dire, un féminisme marial.

J’ajoute enfin que le culte marial, comme on le nomme parfois, si développé dans cette basilique, ne doit pas servir de prétexte à justifier sournoisement un certain sexisme qui sévit parfois ou peut toujours revenir. On pourrait en effet croire que les chrétiens –et surtout les catholiques- ont déjà beaucoup donné à la femme à travers la figure de Marie glorieuse ou par la piété mariale. Dès lors ça pourrait autoriser, à l’égard des autres femmes - certes moins saintes qu’elle, mais tout aussi sainte que les hommes sinon plus-, des attitudes  de discrimination rampante.

Respecter le génie féminin, apprécier ses charismes et qualités spécifiques, ce n’est pas soumettre la femme et les femmes à des exclusions ou des barrières. Il faut leur permettre partout de déployer, pour l’enrichissement de notre humanité, les valeurs et les beautés qu’elles recèlent, pour les mettre au service de tous, tant dans la société que dans l’Eglise.

Il me semble que Marie, élevée toute entière au ciel, aujourd’hui, nous dit aussi cela…sur la terre !
Ainsi soit-il !
Claude Ducarroz





mercredi 25 juillet 2018

Philip ou Nicolas ?

Philip ou Nicolas ?

Le grand écrivain américain Philip Roth est décédé le 22 mai dernier à l’âge de 85 ans. Certains exégètes de sa vie et de son œuvre n’ont pas manqué de souligner son athéisme clairement assumé. Il a écrit par exemple : « Quand plus personne ne croira en Dieu, il y aura enfin la paix dans ce monde. » J’avoue que cette petite phrase, plantée dans mon esprit comme une flèche, continue de me faire réfléchir.
 A relire l’histoire des civilisations, et plus spécialement celle des religions, on doit bien reconnaître que Philip Roth n’a pas tout tord, comme on dit.
 Pour demeurer proche de chez nous, nous commémorons cette année la cruelle Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui ravagea une grande partie de l’Europe en mettant aux prises catholiques et protestants. Rien qu’en Suisse, ces mêmes chrétiens se sont vaillamment combattus au cours des deux batailles de Willmergen (1656 et 1712), sans parler de notre dernière guerre civile – le Sonderbund de 1848- dans laquelle le paramètre confessionnel a encore joué un grand rôle.
On peut évidemment esquiver la question en rappelant ce qui s’est passé en Europe au XXème siècle. Quand des soit disant « sauveurs «  de l’humanité sans dieu ont voulu s’imposer au monde, ils n’ont pas fait mieux, ou plutôt ce fut bien pire. Il suffit d’évoquer les millions de morts qui pèsent sur la conscience de Hitler, Staline, Mao et autres Pol Pot, tous vénérés en leur temps comme de nouveaux messies.
Mais l’interrogation demeure. Le défi est là. Il nous reste sans cesse à prouver que la réunion des croyants –à fortiori la communion des chrétiens- est un facteur de paix et de réconciliation au service d’une société enfin fraternelle.
Et j’entre dans la cathédrale de Fribourg. Aussitôt à droite brille le vitrail consacré à Nicolas de Flüe. Il honore son intervention pacificatrice du 21 décembre 1481, qui réconcilia les Suisses à la veille d’une guerre civile déjà programmée. Au bas du vitrail, il est rappelé cette petite phrase tirée de sa lettre aux Bernois (1482) : « La paix est toujours en Dieu, car Dieu est la paix. » Cet ancien soldat, devenu un ermite tout adonné au silence et à la prière, nous indique la voie. Et surtout notre devoir, plus que jamais impérieux : être, à l’image de notre saint national, des apôtres inconditionnels des béatitudes évangéliques (Cf. Matthieu 5,1-12), chacun personnellement et dans notre société.
Devant la montée des périls à l’horizon de notre actualité, comment vont réagir celles et ceux qui se réfèrent à Dieu, quelle que soit leur religion ? Les croyants vont-ils faire front commun pacificateur – y compris avec tant d’agnostiques et d’incroyants  pleinement humanistes - pour exorciser les violences endémiques en promouvant la justice et finalement l’amour ?
Quand nous sommes invités à nous engager dans le dialogue interreligieux, quand nous sommes pressés de progresser dans la réconciliation œcuménique, il ne s’agit pas seulement de débats théologiques « entre nous ». Il y va de l’avenir de notre convivance sur cette planète. En sauvant notre avenir humain, avec la grâce de Dieu, nous sauvons aussi l’image de notre Dieu. Est-il le dieu des armées en batailles ou le Père de tout amour ? Un certain Jésus de Nazareth nous l’a rappelé, en devenant lui-même notre paix, en tuant toute haine, en brisant tous les murs de séparation, en réconciliant tous les hommes dans une fraternité vraiment universelle.
Une grâce, mais aussi tout un programme de vie, une feuille de route pour chaque jour.

Claude Ducarroz


3528 signes

mardi 19 juin 2018

Ainsi donc... Je m'interroge

Ainsi donc…  Je m’interroge !

Je lis dans une déclaration du cardinal Ladaria, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, en date du 30 mai 2018 :
« L’Eglise ne possède pas la faculté de conférer aux femmes l’ordination sacerdotale… C’est une décision du Seigneur et des apôtres… Cette sentence doit être gardée de manière définitive par tous les fidèles de l’Eglise… Elle a été  proposée infailliblement  par le Magistère ordinaire et universel…. Elle fait partie de la substance du sacrement de l’ordre…. C’est irrévocable. »
Ainsi donc, seuls les hommes (mâles) peuvent « représenter » le Christ dans les actes sacramentels découlant de l’ordination presbytérale.
Ainsi donc, les femmes, uniquement parce qu’elles sont des êtres humains féminins, sont exclues définitivement d’un des biens les plus précieux du Royaume de Dieu.
Ainsi donc, dans la perspective de la réconciliation des Eglises, toutes les femmes exerçant un tel ministère dans les autres Eglises, devront y renoncer pour permettre la communion œcuménique souhaitée.
Ainsi donc, mettre en doute la qualité évangélique ou perpétuelle de cette exclusion mettrait en grave danger la sécurité de la foi et la validité du service concernant le sacrement de l’ordre.
Ainsi donc, les femmes, et surtout les femmes catholiques, ne devraient éprouver aucune gêne devant cette exclusion radicale puisqu’elle n’inclut aucune subordination de la femme à l’homme, et surtout pas dans l’Eglise.
Heureusement, je lis aussi :
« Quand Jésus, à travers villes et villages, prêchait et annonçait la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, les Douze l’accompagnaient, ainsi que quelques femmes… »  Lc 8,1-2
Je lis encore : « Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a ni juif ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » Gal 3,27-28.
Et je lis toujours: « Toute forme de discrimination…fondée sur le sexe… doit être éliminée comme contraire au dessein de Dieu. » (Vat II  Gaudium et spes no 29)
Et je lis enfin : « L’assemblée synodale suisse (1972) souhaite que la recherche concernant l’ordination sacerdotale des femmes soit poursuivie. »
Et je m’interroge beaucoup. Toujours plus !

Claude Ducarroz


A paru sur le site  cath.ch

samedi 12 mai 2018

Retour à l'essentiel

Retour à l’essentiel

Faut- il en rajouter une couche ? Qui n’a pas encore exprimé quelque pensée profonde à l’occasion des 50 ans de Mai 68 ? Chacun y est allé de son analyse, de son bilan, de sa  critique. Je ne vais donc pas prolonger le concerto discordant des grandes déclarations définitives. Qu’il me suffise de transcrire un état de la situation actuelle, que je trouve particulièrement pertinent de la part d’un professeur de médecine et de psychologie. Nous vivons dans une société addictive,  obsédée par le quantitatif, poussant à la distraction, c’est-à-dire à éviter l’essentiel. Il semble bien que nous sommes dans une crise de civilisation dont les symptômes sont l’addiction, l’agression et la dépression. Dr Jacques Besson
Rude diagnostic !
Il ne sert à rien de pousser des gémissements désolés, de pleurer dans son coin ou de se retirer sous sa tente passéiste. Ne faut-il pas revenir plutôt à cet essentiel qui constitue l’être humain, quel que soit le contexte de son aventure en ce monde ? On ne sera pas étonné d’y redécouvrir une valse à trois temps en guise de danse pour le bal de l’existence ici-bas.
* Exister, et apprécier de vivre, en sachant qu’il y a une croissance continue dans le voyage de la vie, à condition de donner du temps au temps, patiemment.
* Etre libre, user de cette liberté, mais aussi se savoir pleinement responsable, afin de produire des fruits positifs pour tous.
* Se respecter soi-même en toutes ses dimensions, et respecter les autres dans ces mêmes dimensions, pour jouir d’un certain bonheur, largement partagé.
* Apprécier la nature si généreuse, mais aussi créer de la culture en ses magiques expressions, jusqu’au culte d’une continuelle célébration de la beauté.
* S’éprouver soi-même comme un profond mystère, et le discerner chez les autres, en promouvant ensemble la spiritualité de la personne.
* Se savoir aimé, aimer à notre tour en toutes circonstances et répandre autour de nous le goût d’aimer.
Je crains que ces quelques réflexions de bon sens –sans prétendre être exhaustives- apparaissent comme des conseils issus d’une morale aujourd’hui dépassée. Peut-être. A moins que ce soit tout simplement un humanisme de base.
Car que serait une vie humaine sans croissance, sans compter avec le temps ? Que devient une liberté sans le sens de la responsabilité ? Serait-ce encore un vrai bonheur, celui qui s’édifierait sur le malheur des autres ? Pouvons-nous investir dans la culture sans commencer par respecter la nature ? Le mystère qu’est l’être humain n’est-il pas habité par un certain esprit, avec ou sans religion subséquente ? Et finalement, pour le dernier mot, donnons la parole à Jacques Brel, qui n’avait rien d’un bigot : « Quand on n’a que l’amour pour vivre nos promesses sans nulle autre richesse que d’y croire toujours… »
Vive Mai 2018 !

A paru sur le site cath.ch

Claude Ducarroz


2833 signes

dimanche 6 mai 2018

Homélie du 6ème dimanche de Pâques

Homélie
6ème dimanche de Pâques
6 mai 2018

Savez-vous compter jusqu’à 12 ? Si oui, vous pouvez relire sans problèmes les 8 versets de l’Evangile de ce dimanche : ils contiennent 12 fois les mots aimer ou amour. Sans vous choquer, j’ai pensé spontanément à la belle chanson de Jacques Brel, qui n’était pas spécialement pieux : « Quand on n’a que l’amour à s’offrir en partage au jour du grand voyage qu’est notre grand amour. »

Précisément, il s’agit ici du discours de Jésus avant son grand départ vers le mystère pascal, la croix, la pâque. 12 fois. C’est une idée fixe, c’est une obsession. Essayons de mieux comprendre.
Ici, c’est un amour en cascade, avec une logique imparable pour passer d’un amour à un autre. Et finalement toujours le même.

Jésus commence tout en haut. « Comme le Père m’a aimé… »
On n’entend rien au mystère de l’amour si l’on ne part pas de cette affirmation centrale, essentielle, vitale : « Dieu est amour », dans la parfaite communion du partage affectueux entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. L’Amour majuscule, l’amour source, c’est Dieu en Trinité. Le Père aime le Fils dans la fièvre ardente du Saint-Esprit.
Mystère insondable, ineffable, inexprimable. Et pourtant Jésus, le fils de Dieu fait homme, nous a conduits jusqu’à l’orée de cet abîme d’amour en nous aimant comme le Père l’aime, jusqu’au bout, infiniment.   

Sur la croix, mais déjà tout au long de sa vie parmi nous, il en a fait la démonstration : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Il l’a fait, jusqu’à la dernière goutte de son sang, crucifié et eucharistique.
Qui que nous soyons, Dieu nous aime, Jésus nous aime, et il continue de nous aimer, en le montrant et en le démontrant de multiples manières. Et il insiste : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. »

« Moi je vous ai choisis, ajoute Jésus, pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Quel fruit ? « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » Encore et toujours l’amour !

Seulement voilà, face au tsunami de l’amour de Dieu envers nous, nous avons de redoutables pouvoirs en nous pour l’empêcher d’aller plus loin, de féconder l’Eglise, d’irriguer toute l’humanité. Il suffit d’être sensible à l’actualité de notre monde. Comment des humains peuvent-ils infliger à d’autres humains – leurs semblables- autant de souffrances, de violences, d’injustices ?

Je vous l’avoue : devant l’abîme du mal, en nous et autour de nous, je n’ai pas de réponse toute faite, je m’interroge encore, et il est bien permis d’interroger Dieu lui-même.
Finalement, les belles théories, mêmes religieuses, nous paraissent bien dérisoires devant le triste spectacle de certaines tragédies. Alors, n’y a-t-il plus rien à faire, sinon gémir ou pleurer dans son coin, ou alors crier sa révolte et maudire Dieu sait qui ?

Heureusement, il y a précisément cet évangile. Si nous sommes d’abord les fruits d’un amour aux dimensions même de Dieu, si nous avons éprouvé cet amour en contemplant Jésus Christ, si nous sommes ouverts aux signes de cet amour qu’il nous offre encore, notamment dans son Eglise, alors il est possible de nous relever, de tenir debout, de nous remettre à marcher dans ce monde. Avec cette feuille de route : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Le salut du monde, comme le bonheur de l’homme, comme la mission des chrétiens, ce sera toujours un sursaut d’amour. D’ailleurs, tant de frères et sœurs –nos aînés les saints, mais aussi les saints et saintes d’aujourd’hui- sont là pour nous faire cette démonstration, pour nous donner la main de leurs exemples, pour nous entraîner dans la danse de la charité sans barrière et sans frontières, "Quand on n’a que l’amour à offrir en prière pour les maux de la terre, en simple troubadour », chantait Jacques Brel.

Plus que jamais, dans le contexte d’aujourd’hui, les chrétiens doivent être de courageux combattants de l’amour universel, celui qui s’investit dans nos relations les plus banales et les plus quotidiennes, celui qui lutte aussi pour la justice et la paix, celui qui seul peut révéler au monde le vrai visage du vrai Dieu.

Il ne faut jamais regretter d’avoir aimé, au moins un peu, comme Dieu nous aime. Contre vents et tempêtes contraires, les chrétiens ne peuvent cesser de semer prophétiquement autour d’eux des semences d’amour, par des dons et même des pardons. « Quand on n’a que l’amour pour habiller matin, pauvres et malandrins  de manteaux de velours. », chantait Jacques Brel.

Il met en danger sa foi, le chrétien qui cesserait de croire à l’amour, de miser sur l’amour, de prendre le beau risque d’aimer, encore et toujours. Encore Jacques Brel : « Quand on n’a que l’amour pour vivre nos promesses sans nulle autre richesse que d’y croire toujours. »

Sans doute, il n’est pas toujours facile de savoir ce que veut dire vraiment aimer quand les circonstances sont complexes et embrouillées, quand les personnes ne sont pas nécessairement aimables, voire quand elles ne nous aiment pas en retour.
Alors l’Esprit-Saint, sollicité dans la prière, vient à notre secours pour nous permettre de mieux discerner et surtout pour avoir le courage d’aller au bout de la générosité, malgré tout.
Et puis le partage entre frères et sœurs de bon conseil peut être utile, voire nécessaire, pour aimer non pas aveuglément mais lucidement. Mais aimer quand même.

Reste qu’au terme de notre route humaine ici-bas, nous ne serons interrogés que sur l’amour, puisque, nous répète Jésus, « je vous dis cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » N’est-ce pas lui encore qui dit un jour : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ? »
Et Jacques Brel est encore d’accord : « Quand on n’a que l’amour pour qu’éclatent de joie chaque heure et chaque jour. »

Claude Ducarroz




mercredi 11 avril 2018

Poème de mon frère Bernard

Par dessus les frontières
Par-dessus les frontières
L’amitié nous répond
Si tu es la rivière
Je serai le pont
Par-dessus nos orages
Il y a tant de ciel bleu
Qu’on y voit sans nuages
Le soleil quand il pleut

Par-dessus les frontières
L’amitié nous répond
Donne-moi ta lumière
Je serai chanson
Par-dessus nos musiques
Il y a tant d’alizés
Que ces mots sont magiques
Nous revoir, nous aimer

On a la clef de vos problèmes
Vous êtes une île à nos bateaux
Pour le panache et la bohème
On est enfants de Cyrano

A sauts de notes, à saut d’arpèges
Nos cœurs ont pris le grand galop
Chevaux de bois, chevaux de neige
On se retrouve un ton plus haut

Le temps nous offre un verre à boire
On a gardé la channe au frais
Vous êtes un peu de notre histoire
De la montagne et des chalets

Notre pendule est en vacances
On a le temps de vous chanter
Tous les printemps de la romance
Rosiers d’amour et champs de blé

Le monde est là devant la porte
Qu’il est petit vu de là-haut
Dans la fusée qui nous emporte
On peut rêver des temps nouveaux
Bernard Ducarroz                                                                            Poème posthume




dimanche 8 avril 2018

Homélie 2ème dimanche de Pâques

HOMELIE
2ème dimanche de Pâques 2018

C’est la noce à Thomas… et nous y sommes aussi.
Car derrière les figures et les évènements décrits dans cet évangile, se cache le miroir de l’Eglise…que nous sommes.
Cette première Eglise a commencé par s’enfermer dans la peur, portes closes et même verrouillées. C’est le ghetto religieux, la forteresse assiégée « par peur des juifs ». Certains diraient plutôt aujourd’hui « par peur des musulmans ».

Heureusement, Jésus, sans enfoncer la porte, vient et il est là au milieu d’eux. Sa fidélité est plus forte que nos peurs. Abondamment, il redonne à ses disciples les cadeaux de sa Pâque : la paix, l’Esprit Saint, le pardon, les conditions de la vraie joie. Non sans leur rappeler qu’il les envoie comme le Père l’a envoyé, jusqu’au bout du monde –les périphéries, dirait le pape François-. Il leur faudra sortir, ce qu’ils feront bientôt sous la poussée de ce même Esprit Saint, le jour de Pentecôte.

Mais chez les Douze comme dans l’Eglise d’aujourd’hui, il y a souvent des absents. On peut même affirmer qu’ils sont largement majoritaires actuellement. Thomas n’est pas là. Il a bien gardé quelques contacts avec les autres apôtres, mais on ne lui fera pas croire n’importe quoi. Ils ont vu le Seigneur ressuscité ? Tant mieux pour eux, mais lui, il ne croira pas, à moins de voir la marque des clous et de toucher le côté blessé de Jésus. Un malcroyant moderne et un homme en plus, un vrai. Il lui faut plus qu’un témoignage, toujours suspect de naïveté religieuse. Il a besoin de preuves tangibles.

Jésus est bien patient et bien bon. Il répète pour Thomas la scène du soir de Pâques, tout en s’adaptant au dur à cuire qu’était cet apôtre. Car l’évangélisation peut comporter des étapes. Il invite Thomas à le toucher, tout en lui proposant de baisser sa garde : « Cesse d’être incrédule. Sois croyant. »
Il se produit alors ce qui arrive encore souvent aujourd’hui. Touchés par la grâce, les plus durs à croire deviennent parfois les plus croyants, une fois passée la crise de… foi. Mieux que d’autres, l’ex-incroyant devenu croyant exprime la foi de l’Eglise concernant le mystère du Christ : « Mon Seigneur et mon Dieu. » Ce qui lui vaut une béatitude personnalisée : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Oui, il peut, il doit y avoir un bonheur à croire, même si l’on ne voit rien ou pas grand’chose. Car le Seigneur continue de nous faire signe, avec l’espoir que les chrétiens deviennent eux-mêmes des signes invitant les autres à croire, même avec quelque retard à l’allumage, comme ce fut le cas pour Thomas. Il y a tellement de Thomas en attente dans notre monde.
Quels signes Jésus continue-t-il de nous adresser aujourd’hui comme au temps des apôtres, à nous qui sommes son Eglise en notre temps ?
A la fin de l’épisode de Thomas, l’évangéliste rappelle que beaucoup de signes sont consignés dans un certain « livre », à savoir la Parole de Dieu mise par écrit, qu’il nous faut lire, méditer, mettre en pratique.
Et puis, dans ce même passage, il y a place pour deux sacrements. D’abord le pardon des péchés, sous diverses formes, pour nous rendre la paix du cœur et de la conscience. Et puis l’eucharistie, ce mystère par lequel, d’une certaine manière, nous touchons le corps du Christ, comme Thomas l’a fait, ou plutôt nous nous laissons toucher par Jésus en son corps et en son sang, la plus belle preuve de son amour.
Mais après cela, et bien d’autres grâces encore, comment devenir nous-mêmes des signes qui font signe ? Les deux autres lectures de cette messe répondent à cette question.
D’abord tenir bon dans la foi, courageusement. Pas de manière arrogante, mais sans en avoir honte non plus. Car, nous rappelle l’apôtre Jean, qui donc est le vainqueur du monde ?– le monde qui s’oppose à Dieu-, c’est celui qui croit que Jésus est le fils de Dieu. Oui, une foi forte mais humble, en dialogue avec les incroyants ou les croyants d’autres religions, comme nous y invite aussi le pape François.

Et puis, il y a la vie très concrète, pour que notre foi ne se réduise pas à de pieuses déclarations théoriques.
La qualité de l’ambiance que l’on trouve dans les communautés chrétiennes doit plaider pour la vérité de l’évangile.
« La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme », rapporte l’auteur des Actes des Apôtres. Et ça va loin, puisqu’il est précisé : « Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. » C’est ce qui conférait au témoignage des disciples une grande puissance, car cette solidarité leur permettait de distribuer en fonction des besoins de chacun.
Il n’y a pas de communauté chrétienne crédible sans l’esprit de partage et d’entraide, preuves d’une vraie fraternité, dans et hors du cercle des croyants.
Sans oublier la promesse pascale répétée à la fin de l’évangile de ce dimanche : «  … pour qu’en croyant, vous ayez la vie en vous. »


Claude Ducarroz

mercredi 4 avril 2018

Et après Pâques?

Et après ?

Et voilà ! C’est déjà fini. Pâque est passée. On a profité des vacances, malgré le temps maussade. Certains sont venus à l’église. Il y avait foule en quelques endroits privilégiés. C’était en « petit comité liturgique » dans la plupart des sanctuaires plus modestes. Ainsi va la vie !
Et après ? Et maintenant, après Pâques ?
« Fils de Dieu, vous êtes fils de la résurrection », dit Jésus (Cf. Luc 20,36). Surtout après avoir fêté Pâques. Et comment donc ?
J’entrevois trois terrains d’exercice prioritaires.
* Ne serait-ce pas le plus beau service que les chrétiens puissent rendre à toute l’humanité, y compris à celles et ceux qui se définissent incroyants ? A savoir continuer de croire et d’affirmer que le destin de toute personne humaine dépasse les étroites limites de sa naissance et de sa mort.
Nous sommes les veilleurs de l’éternité, les gardiens de la transcendance humaine. Nous estimons tellement la valeur de la personne, quelle qu’elle soit, que nous persistons, fût-ce contre vents et marées, d’annoncer sa mystérieuse dignité par sa vocation à la vie éternelle au-delà de la mort. Plus que jamais, quand semblent s’éteindre les lumières de la foi, il nous faut entretenir ardemment la petite bougie allumée à la flamme du cierge pascal. Elle nous rappelle cette merveille : l’être humain –tout humain- est à ce point accroché à Dieu qu’il n’échappera jamais au rayonnement de son amour puisque la vie a été plus forte que la mort dans l’évènement de la résurrection de Jésus de Nazareth. Dont acte.
* Tout cela peut paraître bien spirituel, et même surnaturel. Alors soignons aussi notre deuxième terrain d’exercice pascal. Je pense à l’Eglise. Des chrétiens, errants dans les tempêtes de l’individualisme religieux ou irréligieux, ne tiennent pas le coup très longtemps. Notre foi –pur don de Dieu- nous est aussi offerte par une communauté. C’est en communauté que nous pouvons continuer de croire au Dieu de Jésus Christ, et même de donner envie d’y croire. La vague pascale doit irriguer nos communautés chrétiennes comme une rivière peut féconder même les rivages les plus asséchés. Chrétiens re-nés à Pâques, nous ne pouvons que soutenir plus ardemment les projets de renouveaux de l’Eglise tels que le pape François et tant d’autres leaders religieux nous les proposent, en particulier du côté des périphéries humaines et par des réconciliations œcuméniques. Il serait étonnant, et même navrant, que l’Eglise ne soit pas davantage « réformée », autrement dit « fille de la résurrection ».
* Mais nous ne sommes pas chrétiens –par grâce - seulement pour nous.  Le dessein de Dieu en Jésus vise toute l’humanité. Rien ne nous empêche –bien au contraire- de semer dès ici-bas des graines pascales dans les strates complexes de notre humanité. Dans nos relations quotidiennes, chacun avec les charismes dont il dispose, nous pouvons transformer, voire transfigurer l’ambiance de notre société. Sans l’illusion de construire un impossible paradis sur la terre, il est important que les chrétiens, unis à tous leurs frères de bonne volonté, créent des ilots de justice, de paix et de fraternité partout où ils vivent et agissent. Que voilà de belles pâques anonymes, mais réelles, qui peuvent peut-être augmenter dans le cœur des personnes le bienheureux désir du royaume de Dieu promis.
Tout a été accompli sur la croix et dans la Pâque de Jésus.
Mais avec lui, d’une certaine manière, tout reste à faire.
Le Ressuscité embauche toujours. Allons-y !

Claude Ducarroz                                                                                       3487 signes




mercredi 28 mars 2018

Pâques 2018

Pâques 2018

Voilà ! C’est fait. Et bien fait. Le Christ est ressuscité. Jésus de Nazareth est entré dans la gloire de Dieu. Tant mieux pour lui.

Et après ? Et nous alors ?

Il nous faut d’abord mesurer, un peu au moins, la merveille qui vient d’arriver. Et nous laisser émerveiller.
Alors que tous les hommes sont mortels et retournent, d’une manière ou d’une autre, à la poussière d’où ils sont tirés, voici que l’un d’entre eux, de chair et de sang comme tous les autres, sort de son tombeau et revient à la vie.

Mais attention ! Pas pour jouer seulement quelques prolongations en attendant de re-mourir pour de bon. Il s’agit d’une résurrection et non pas d’une réanimation. A partir de cette relevée d’entre les morts, le Christ ne meurt plus, plus jamais.
 Il est entré dans un autre univers, le monde de Dieu, ce qu’on appelle son royaume, comme il est dit : « … là où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car la mort ne sera plus. ».
Il y est maintenant, avec son corps transfiguré. Car c’est toute son humanité qui participe désormais à la gloire de Dieu.

Devant cette merveille, qui demeure un profond mystère, on peut réagir de plusieurs façons. Beaucoup n’y croient pas, parce qu’ils estiment que c’est impossible, comme ils disent : « trop beau pour être vrai. »  Et ils continuent leur chemin vers la mort, sans l’espérance d’un au-delà.

D’autres y croient …un peu. En faisant confiance aux témoignages exprimés dans la Bible, ils croient que c’est bel et bien arrivé à ce Jésus de Nazareth, mais seulement à lui pas à d’autres, pas à nous. Etonnés, intéressés peut-être, ils restent au bord du chemin et regardent passer le ressuscité sans entrer dans son cortège en marche vers le ciel.

Si Jésus n’était ressuscité que pour lui, il serait un terrible égoïste. Son Dieu ne serait pas Amour. Comme le disait l’apôtre Paul, nous serions les plus malheureux d’entre les hommes. Mais il ajoute : « Si nous sommes passé par la mort avec le Christ, nous croyons que nous virons aussi avec lui. » Plus encore, il ose écrire aux Colossiens : Vous êtes ressuscités avec le Christ ». Et aux Ephésiens : «  Dieu nous fera assoir dans les cieux avec le Christ ressuscité ».
Et Jésus lui-même l’a dit : « En étant fils de Dieu, vous êtes fils de la résurrection. »

Qu’est-ce que ça change pour nous ? Car si ça ne change rien, à quoi bon croire ? à quoi bon fêter Pâques ?

Contre vents et marées –qui ne manquent pas de nos jours-, il nous faut continuer de témoigner que le destin de l’homme –de tout homme- dépasse les frontières de sa mort et que nous sommes des promis à la résurrection à cause de Jésus.  Oui, l’affirmer humblement mais courageusement, sans forfanterie mais sans honte non plus. C’est peut-être notre mission en ce monde, même si nous devenons un petit reste. Porter cette espérance pascale, c’est un beau service à rendre à toute l’humanité.

Mais le dire ne suffit pas. Il faut le vivre pour pouvoir le montrer et peut-être donner envie d’y croire. Dès ici-bas, dès maintenant, il y a une manière ressuscitée d’exister en ce monde, il y a une façon pascale d’être des humains. Tout l’évangile nous y invite, et nous recevons les grâces pour cela, par l’Esprit Saint.

Parce que notre vie comme notre mort est suspendue à l’évènement de Pâques, nous pouvons exister pleinement sur cette terre en fixant notre regard sur les réalités d’en haut, celles qui donnent sens à la vie, qui dessinent l’avenir de l’humanité, qui impactent le destin de l’univers lui-même.

Quand quelqu’un se laisse « pâquer » avec le Christ, il revoit son échelle des valeurs : l’être avant le paraître, la générosité plutôt que l’accumulation des avoirs, l’attention aux plus pauvres et aux plus souffrants plutôt que la jouissance égoïste de son petit bonheur dans son coin.

Et puis s’engager, autant que possible, chacun selon ses moyens et capacités, pour transformer notre société afin qu’elle ressemble, au moins un peu, au royaume qui nous attend, à savoir celui de la fraternité universelle dans la justice et dans la paix.

Sans oublier que l’Eglise est et doit être une famille pascale dans laquelle nous anticipons, par nos relations et par nos engagements, l’ambiance promise dans le royaume de Dieu. Oui, une Eglise de l’unité retrouvée, avec des communautés un peu plus chaleureuses, dans lesquelles hommes et femmes –comme au jour de la première Pâques – collaborent étroitement pour annoncer joyeusement la bonne nouvelle du salut.

Fêter Pâque, c’est beau, c’est joyeux. Vivre Pâques, c’est encore plus beau, c’est heureux, en faisant des heureux. Car finalement, si nous basculerons un jour dans le royaume par la grande attraction de l’amour divin, ce même amour peut déjà inspirer et dynamiser notre vie d’aujourd’hui. Toujours miser sur l’amour : c’est ça Pâques.

Semons des graines de Pâques tous les jours, et notre monde aura peu à peu l’allure d’un jardin du royaume.

                                                                       Claude Ducarroz