dimanche 26 août 2012

Dédicace de la cathédrale

Homélie pour la fête de la dédicace de la cathédrale

Diastole, systole. Le cœur. En un mot : la vie.

Rassurez-vous, je ne me prends pas pour le docteur René Prêtre, mais je retiens ce que disent beaucoup de Fribourgeois à propos de la cathédrale : elle est le cœur de notre cité. Le faire- part d’invitation envoyé par les autorités communales à l’occasion de l’inauguration de la Place Ste-Catherine illustre aussi cette vérité : l’église de St-Nicolas y est présentée comme le centre de la ville, un édifice qui domine majestueusement le quartier du Bourg, selon le fameux plan de Marini.
Le cœur, autrement dit le lieu géographique, culturel et surtout spirituel qui rassemble les énergies de la population –la systole- et qui les renvoie au loin, jusque dans les extrémités vitales – la diastole.

Systole ! Elle bien à nous, de chez nous, notre cathédrale en fête, spécialement aujourd’hui, avec la réunion de ses fidèles et de ses autorités. Elle est tellement de Fribourg, elle est quelque part tellement Fribourg, qu’on peut aussi la nommer « la maison du peuple », sans oublier cependant sa longue histoire religieuse.

Eglise paroissiale du « bourg libre » dont la première consécration par l’évêque de Lausanne Roger de Vicosoprano eut lieu le 6 juin 1182. Puis collégiale confiée au chapitre des chanoines à partir du 20 décembre 1512 –il y a 500 ans exactement- grâce aux efforts diplomatiques de Pierre Falk et par la décision du pape Jules II. Enfin cathédrale de notre diocèse dès le 17 octobre 1924 par une bulle du pape Pie XI. Sous ses voûtes, que de fidèles ont prié, que de chanteurs et musiciens ont animé les liturgies, que d’ecclésiastiques –depuis deux papes et saint Pierre Canisius jusqu’aux simples vicaires- ont prêché, que d’artistes ont travaillé, que de personnalités ont défilé, que d’évènements ont été célébrés, en lien avec la vie ecclésiale, mais aussi avec le destin de la ville et du canton ! On peut dire, je le crois, sans tomber dans l’inflation cléricale, qu’ici bat le pouls de notre histoire ancienne et actuelle. C’est pourquoi il faut que notre cathédrale, qui brille maintenant sous les feux de ses restaurations réussies, garde sa double vocation : être le premier sanctuaire de sa vie religieuse et rester le témoin palpitant de la vitalité sociale de notre peuple.

* Systole, l’espace du rassemblement ouvert à tous, y compris à celles et ceux qui ne partagent pas nécessairement toutes les convictions de notre Eglise catholique romaine. Il faut que dans ces murs, tous se sentent bien parce que bienvenus, à la maison parce que c’est là aussi chez eux.
* Diastole, lieu de ressourcement pour un envoi responsable -et peut-être inspiré- vers les horizons de l’engagement chrétien et civique, dans les vastes champs d’humanité à labourer et à ensemencer : ceux de la politique, de l’économie, de la solidarité, de l’écologie et de la culture. Tout cela, évidemment, dans le respect des traditions qui ont conféré à ces lieux une âme marquée par l’esprit chrétien.

C’est aussi l’occasion de remercier celles et ceux qui, dans les cercles d’Eglise comme dans les milieux de la société, prennent à cœur de veiller sur notre cathédrale -ses murs, ses œuvres d’art, son état d’esprit, sa vocation multiple- afin que son avenir, malgré les bouleversements constatés dans l’Eglise et dans le monde, soit digne de son merveilleux passé.

Evoquer ce passé, ce ne doit pas devenir de la nostalgie à bon marché. Une telle cathédrale, comme un organisme vivant, ce sont d’abord les personnes qui la fréquentent pour y vivre des rencontres vivifiantes. Dans la splendeur des liturgies comme dans le murmure silencieux des prières personnelles, dans la contemplation émerveillée de ses riches beautés comme dans la recherche plus ou moins angoissée d’un sens à la vie au milieu des joies et des peines quotidiennes.
Le pire qui puisse lui arriver, à notre chère cathédrale, c’est qu’elle devienne peu à peu une coquille vide de spiritualité, une sorte de musée religieux, le témoin muet d’un passé glorieux mais révolu. A partir du moment où il y aurait plus de touristes que de fidèles –mais je sais qu’on peut être l’un et l’autre-, le cœur de ce sanctuaire donnerait des signes de fatigue, l’infarctus spirituel menace, il est grand temps de consulter le cardiologue des âmes.

Tel est, entre autres, l’objectif de la nouvelle évangélisation initiée par le pape Benoît XVI et encouragée par notre évêque. Dans ce mouvement de renouveau -qui honore parfaitement les 50 ans du concile Vatican II-, la cathédrale, ses fidèles et ses autorités de toutes sortes doivent être en première ligne. Un nouveau curé, plein d’expérience et de dynamisme, va travailler à cela avec vous. Vous saurez lui apporter votre contribution fraternelle, d’autant plus que les temps semblent durs à cause du manque de prêtres et de la baisse de la foi dans le peuple.

Retour au centre, autrement dit à l’évangile, y compris celui qu’on peut partager avec d’autres à la maison. Ranimer le cœur, autrement dit revenir à l’eucharistie qui est, comme le rappelle le concile, le sommet de la vie chrétienne, pour un culte « en esprit et en vérité ». Soigner les artères, autrement dit prendre le temps de prier, de réfléchir en silence, de laisser à l’Esprit Saint un espace pour ses inspirations.
Oui, vivre une Eglise dont la ferveur s’épanche en prophétisme audacieux au cœur de la société, car la systole de la vie religieuse ne doit pas devenir un pieux repli sur soi. Elle doit s’épanouir en diastole du témoignage courageux là où nous vivons au jour le jour.

Que la fréquentation de cette cathédrale, avec ses magnificences esthétiques et ses offres liturgiques, soit un stimulant pour le renouveau dont nous avons tous besoin. Alors nous pourrons continuer de chanter avec le psalmiste : « Quelle joie quand on m’a dit : Nous irons à la maison du Seigneur… Que la paix règne dans tes murs… A cause de mes frères et de mes proches, je dirai : paix sur toi. A cause de la maison du Seigneur, je prie pour ton bonheur. » Ps 122

Claude Ducarroz



samedi 18 août 2012

Homélie du 20ème dimanche ordinaire

Homélie
20ème dimanche ordinaire

Il faut les comprendre, ces juifs qui se posent la question suivante : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? ». En effet Jésus avait exprimé un propos plutôt déconcertant : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour que le monde ait la vie. » Faut-il être anthropophage pour suivre Jésus de Nazareth ? Que penser, dès lors qu’il a récidivé en affirmant : « Ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. » ? Et encore plus explicitement : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. »
Nous savons que cette manière de parler a aussi troublé les païens aux premiers temps de l’Eglise puisque certains polémistes antichrétiens ont répandu le bruit que les chrétiens tuaient un enfant, le roulaient dans la farine avant de le dévorer pour adorer leur dieu.

Quant à nous, nous sommes peut-être un peu trop habitués à ces paroles et à leur interprétation sacramentelle pour imaginer ce que peuvent ressentir des personnes non averties qui, aujourd’hui encore, entendent ces déclarations pour la première fois.
Heureusement, nous avons l’Eglise, depuis les apôtres jusqu’à nos jours, pour nous guider sur le chemin de la foi sans tomber dans des interprétations trop littérales qui nous conduiraient dans des impasses de langage mais aussi de pratique.

L’eucharistie est un mystère et le demeurera toujours, comme nous le proclamons à chaque messe après la consécration: « Il est grand le mystère de la foi ! »
Qu’est-ce à dire justement aux yeux de la foi de l’Eglise ?

Le premier mystère, sans lequel nous ne comprendrons jamais tous les autres, c’est que « Dieu a tellement aimé le monde qu’il nous a envoyé et donné son fils unique. » Pas n’importe comment, pas en théorie, mais dans la présence humaine d’un frère en chair et en os. « Car le Verbe s’est fait chair et il a planté sa tente au milieu de nous. » Nous n’en finirons jamais de méditer sur cet amour basique qui fit l’incarnation dans le sein d’une femme, puis Noël et toute la vie du Christ, et enfin la croix, sa mort et sa résurrection.
A chaque étape de cette merveilleuse histoire, le corps intervient concrètement parce que Dieu s’est voulu proche de nous dans le Christ en empruntant 100% nos chemins de pleine humanité. Y compris sa présence dans la chair pour déclencher entre lui et nous une extraordinaire union, une communion. C’est ce que Jésus a promis en disant : « De même que le Père qui m’a envoyé et vivant et que je vis par le Père, de même celui qui me mangera vivra par moi. »

Jésus a compris que, pour que cette communion puisse être offerte à tous les hommes de tous les temps, il fallait trouver un moyen qui la rende disponible universellement, mais sans rien perdre du corps à corps de la communion. Alors il a inventé l’eucharistie : placer sa présence réelle, et donc quelque part charnelle, dans un geste symbolique qui permette de transformer tous les libres croyants en invités à son dernier repas, comme les apôtres. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui. »
Ce n’est pas physique au sens de la démonstration chimique, mais c’est mystique au sens de la présence réelle sous des signes à la fois simples et concrets. Quoi de plus humble en effet, à la portée de chacun : un peu de pain, un peu de vin partagés. Quoi de plus communiant que la manducation qui transforme le mangé en celui qui mange. Et là dans le sens inverse : celui qui est mangé –Jésus - nous transforme en lui : « Celui qui mange ce pain, dit-il, vivra éternellement. »

Vous venez communier. On vous le propose : ce n’est pas un vague Jésus, un ectoplasme, c’est le corps du Christ. Vous dites Amen en l’accueillant dans votre corps. Et vous recevez sa présence, son amour, son Esprit en vous, dans ce corps à corps sacramentel. Comme on le répète à chaque messe : c’est l’alliance nouvelle et éternelle, c’est la sainte communion.

Permettez seulement que j’ajoute quelque chose qui peut être pour certains une surprise : il y a un autre sacrement de l’alliance, c’est le mariage. Là aussi, il y a promesse puis réalité de la communion, et d’une communion dans l’amour qui passe par un corps à corps de présence réciproque. On comprend alors pourquoi l’Eglise fête l’union conjugale comme un sacrement, une alliance sacrée. Et pourquoi elle propose la messe, là où la foi des conjoints la souhaite, pour eucharistier cette communion humaine par la communion christique.

Personnellement, quand je vois des mains de mariés, reconnaissables justement à une alliance, s’ouvrir et se tendre pour la communion, je place le pain consacré -le corps du Christ- sur cette alliance. Et je demande au Seigneur que son corps, donné ainsi par amour, bénisse, consolide et peut-être guérisse la communion des mariés dans toutes ses dimensions, y compris charnelle, pour une alliance renouvelée dans celle de Jésus. Car je crois que ces deux sacrements d’alliance –l’eucharistie et le mariage- sont appelés quelque part à se marier aussi. Jésus aux noces de Cana, qui multiplia le vin de la fête, et peut-être en garda un peu pour la sainte Cène puisqu’il était si bon, c’est encore aujourd’hui.

Claude Ducarroz


mardi 14 août 2012

Homélie de l'Assomption de Marie

Homélie pour l’Assomption 2012

Marie de Nazareth sous toutes ses coutures !

Je n’ai rien à vous cacher. J’ai passé une partie de mon été dans un gîte paroissial pour accueillir les pèlerins en route vers Compostelle, à 50 km de Burgos. Ce qui m’a permis, entre autres, de visiter quelques belles églises ruisselantes de dorures, comme on sait les décorer en Espagne. Dans l’une d’elles, j’ai compté 12 statues différentes de la Vierge Marie. Je respecte évidemment la piété sincère des fidèles qui pensent devoir honorer ainsi la sainte Vierge, même si une telle profusion n’est pas entièrement de mon goût.
J’ai pensé au concile Vatican II qui « exhorte ceux qui portent la parole de Dieu à s’abstenir avec le plus grand soin, quand la dignité de la Mère de Dieu est en cause, à la fois de toute exagération et non moins d’une excessive étroitesse d’esprit. » (Lumen gentium no. 67)
Et je me suis demandé ce que j’allais pouvoir dire, une fois de plus, dans l’homélie de l’Assomption de Marie qui échoit chaque année au prévôt de notre cathédrale.

A travers ces statues –sans compter les tableaux-, j’ai pu contempler Marie sous toutes ses coutures. Et peut-être bien que l’Assomption, c’est aussi l’entrée de Marie dans la lumière de son fils ressuscité, oui, justement « sous toutes ses coutures. »
En effet, ce mystère signifie que toute la personne de Marie est ainsi accueillie pleinement, sans aucune réserve, dans le Royaume de Dieu, car rien en elle n’en est indigne, puisqu’elle parvient dans la gloire y compris avec son corps. On peut alors décliner, pour s’en émerveiller, les divers aspects de sa personnalité qui trouvent ainsi leur parfait épanouissement pascal au moment de son assomption dans le ciel.

* Il y a d’abord la femme, avec tout ce que ce mot suppose de beauté et de délicatesse. D’ailleurs à deux reprises, dans des moments importants, Jésus l’a interpelée en lui disant « Femme… », à Cana au commencement de sa vie publique et à la fin de son parcours, au pied de sa croix : « Femme, voici ton fils, voici ta mère ». C’est d’abord la femme, et donc toute sa féminité, de corps, de cœur, d’esprit, qui entre aujourd’hui dans la gloire de Dieu. Celle qu’Elisabeth salua comme « bénie entre toutes les femmes.. », mais aussi la femme mariée, celle qui fut l’épouse de Joseph, à ne jamais oublier.

* La femme, et aussi la mère. Et là encore, c’est l’évangile qui en parle. Qu’est-ce qui fit le bonheur des bergers et des mages à la crèche ? C’est de contempler « Jésus avec sa mère ». Il y eut même un jour une femme dans la foule qui y alla d’un couplet très réaliste pour Marie en présence de Jésus, lorsqu’elle dit littéralement : « Heureux le ventre qui t’a porté et les seins que tu as tétés ! » Lc 11,27. Vous aurez noté : heureux… c’est une béatitude, une hymne à la maternité de Marie.

* La femme, la mère. Et finalement la sœur, notre sœur dans la foi, la sœur aînée, celle qui prend soin de toute la famille, celle qui entraîne ses nombreux frères et sœurs sur le chemin de l’écoute et de la mise en pratique de la parole de Dieu. Quand Marie et la parenté de Jésus sont là qui le cherchent, Jésus ajoute : « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. » Mc 3,35. D’ailleurs, n’est-ce pas en disant « Qu’il me soit fait selon ta parole » que la jeune fille de Nazareth est devenue précisément la mère du Seigneur ? Pas étonnant dès lors qu’elle se soit retrouvée à la Pentecôte au milieu des « frères de Jésus », autrement dit les premiers chrétiens, l’Eglise naissante.

La femme féminine et épousée, la mère de corps et de cœur, la sœur modèle : voilà Marie aujourd’hui dans sa gloire. La sainteté, chez elle, c’est tout cela transfiguré, autrement dit la foi en la parole, l’amour de Dieu et de ses prochains, la proximité de communion avec Jésus.
Une communion aujourd’hui entièrement assumée dans l’assomption, consumée dans la gloire, consommée dans la joie.

Les diverses cultures expriment ce mystère dans la variété des sensibilités, dans l’exubérance des images, en toutes sortes de formes pieuses. Point n’est besoin d’en rajouter à l’infini, en accumulant les couronnes. Car l’essentiel est ailleurs.
Marie nous donne rendez-vous aujourd’hui encore, dans l’Eglise et dans la société. Elle ne cesse de nous inviter à laisser transfigurer en nous, que ce soit au masculin ou au féminin, ce qui fut assumé par Dieu en elle.

* La femme et la féminité, leurs valeurs, leurs beautés, leurs forces et leurs fragilités réunies : toutes ces merveilles plus que jamais indispensables à la pleine humanité du monde, et donc respectables, à respecter et à faire respecter partout.

* La mère et ses capacités d’amour gratuit, de courages, de pardon, toutes les fécondités contenues dans les entrailles et surtout dans le cœur des mamans, celles des joies et celles des croix.

* La sœur dans la foi, nos sœurs en religion, pas seulement dans les monastères, mais dans les ministères, aujourd’hui surtout, dans nos communautés chrétiennes. Sans oublier tout ce qu’elles font, souvent humblement mais efficacement, dans les réseaux sociaux où se joue l’avenir de notre humanité.

C’est finalement tout cela que Marie emporte avec elle dans son assomption, dans l’éblouissante clarté de sa gloire, mais aussi dans la solide anticipation de la nôtre, comme une aurore, une promesse, une espérance pour chacun de nous.

Autant dire que Marie de l’assomption, moins dans les fastes des survêtements baroques que dans les murmures des communions intérieures, demeure proche, présente, actuelle.

« Réjouis-toi, Marie, comblée de grâces, le Seigneur est avec toi… prie pour nous maintenant et à l’heure de notre mort ! »
Amen.

Claude Ducarroz