samedi 29 août 2015

Dédicace de la cathédrale

Dédicace de la cathédrale
2015

Attention ! je vous préviens. Je vais vous poser une question un peu brutale, que vous n’allez peut-être pas trouver « de circonstance » en cette joyeuse fête de l’anniversaire de la dédicace de notre cathédrale. Je le fais quand même parce que cette question a été posée par notre évêque lui-même lors du dernier conseil presbytéral : y aura-t-il encore l’Eglise chez nous dans 20, 30 ou 50 ans ?

Les statistiques ne disent pas tout. Et surtout elles ne sauraient avoir le dernier mot. N’empêche qu’elles nous disent quelque chose. Et quoi donc ? Chez nous aussi, de plus en plus de personnes se déclarent incroyantes, voire athées. D’autres sont seulement indifférentes ou insensibles à la religion, aux religions, parfois en accusant celles-ci d’apporter la division, la violence et même la guerre en ce monde.

Même parmi les croyants –en quelque chose, en quelqu’un au dessus de nous-, bien peu se relient encore à une Eglise, à notre Eglise. Ils préfèrent se fabriquer une religion à eux, sur mesure, à la carte. Les plus proches se présentent comme croyants mais non pratiquants. Sporadiquement, ils ont recours aux services de l’Eglise, du moment qu’ils y ont droit puisqu’ils paient leurs impôts ecclésiastiques. Mais il ne faut surtout pas leur demander davantage. On ne dérange pas un croyant qui fait sa sieste.

Il reste donc le modeste groupe des convaincus appelés « pratiquants », toujours moins nombreux, réduits parfois à un petit troupeau en absence ou en attente –c’est selon- de pasteurs toujours plus rares, donc stressés, pressés, fatigués. Excusez-nous, s’il vous plaît !

Bien sûr, on peut dépeindre la situation avec le pinceau de l’optimisme parce qu’il y a VOUS justement, et bien d’autres, avec des signes de naissance ou de renaissance, ici ou là, qui justifient notre espérance. Mais, à vues humaines, la pente vers la progressive diminution semble irréversible, notamment parmi les jeunes. Ira-t-elle jusqu’à la disparition, comme ça s’est déjà vu ailleurs dans l’histoire ? Ce n’est pas certain, mais la question se pose, qu’il ne faut pas craindre de se poser.

* Dans la première lecture, on accompagne justement le peuple d’Israël au retour de son exil à Babylone, une épreuve qui avait presque éteint la foi juive à Jérusalem. Pour la renaissance d’Israël, le prêtre Esdras et le laïc Néhémie comptent sur deux restaurations : la loi re-proclamée au milieu du peuple et la reconstruction du temple de Jérusalem. Nous partageons ce matin l’émotion de la fête lors du retour de la loi sur la place publique.

* Mais c’est tout autre chose dans la deuxième lecture. Désormais fidèles à la loi du Christ, très éloignés d’un temple qui sera bientôt détruit, sans église-bâtiment, les chrétiens de Corinthe entendent un message révolutionnaire. La maison de Dieu, c’est eux et même, leur dit l’apôtre, « le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous. » Et pourquoi donc ? Les fondations, même posées par les architectes apostoliques, c’est Jésus Christ lui-même. Bonne nouvelle : l’Esprit de Dieu habite en vous !

Autrement dit : les bâtiments sont fragiles - même les temples et les églises-,  les institutions –mêmes ecclésiales- sont toujours précaires. Ce sont les personnes qui sont sacrées, car elles sont fondées solidement sur l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. Tout le reste, finalement, est seulement utile, au service de cette rencontre mystérieuse entre ces personnes et leur Dieu. Utile, certes, mais suivant les circonstances, pas absolument nécessaire, pourvu que la communion perdure entre les humains et leur créateur et sauveur.

* Et là on peut avoir des surprises. Par exemple celle que Jésus a provoquée chez Zachée, un marginal rencontré sur les périphéries d’Israël, et non pas au temple. En effet, Zachée vivait à Jéricho, il était publicain, autrement dit collecteur des impôts pour les romains. Petit de taille, il s’en mettait plein les poches. On comprend pourquoi il était détesté de tous. Mais il y avait en lui un grand désir de communion et de renouveau puisqu’il alla jusqu’à grimper sur un arbre pour voir Jésus qui devait passer par là.
Alors Jésus, au risque de scandaliser le monde des bien-pensants, alla demeurer chez lui, partager le repas avec lui, pour apporter le salut dans à toute sa maisonnée. Il ne lui a pas donné rendez-vous au temple. Il est venu à domicile « chercher et sauver ce qui était perdu ». Parce que c’est pour cela que le Fils de l’homme est venu dans le monde.

Nous sommes heureux d’avoir une magnifique cathédrale à disposition pour les célébrations liturgiques, les recueillements plus personnels et la culture chrétienne imprégnée de beauté. Je profite de dire merci à toutes celles et tous ceux qui la fréquentent pour le bien de leur foi, celles et ceux qui la soignent pour la maintenir en sa bonne forme de splendeur, sans oublier simplement celles et ceux qui la visitent au bénéfice de leur culture et de leur bien-être humain.

Je suis heureux d’être prêtre depuis 50 ans, car j’ai pu vérifier combien cette vocation –qui ne se justifie et ne tient le coup que par la grâce de Dieu- est un beau cadeau à partager dans les joies et les peines de chaque jour, avec vous justement.

Et puis il y a l’Eglise, avec un grand E, celle que l’on sent et ressent particulièrement fort dans une cathédrale, avec ses liens avec notre évêque et son diocèse, avec la paroisse et l’unité pastorale, avec ce canton, cette ville, ce quartier. Merci aussi à toutes celles et tous ceux – prêtres, diacres, religieux, laïcs hommes et femmes- qui tenez bon dans la persévérance de la foi et de l’amour. Là est plus que jamais l’essentiel.

Eclairés par la parole de Dieu, nourris des sacrements, joyeux dans la prière, toujours animés par l’esprit de service, notamment en solidarité avec les souffrants et les pauvres, c’est à nous que Jésus redit aujourd’hui cette promesse qui nous rend humbles, nous redonne confiance et stimule nos engagements et nos fidélités : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » Lc 12, 32.

Claude Ducarroz

samedi 15 août 2015

Assomption de Marie

Assomption 2015

Et de onze ! Oui, c’est la onzième fois de suite que je préside la messe de l’Assomption de Marie dans cette cathédrale, avec, évidemment, l’homélie qui fait partie du programme. Je me suis donc demandé ce que j’allais pouvoir dire encore, sans trop me répéter, sur le mystère marial qui nous rassemble aujourd’hui.

Je me suis souvenu de la remarque du révérend doyen de mon enfance, lui qui nous affirmait en latin : « De Maria numquam satis », ce qu’on peut traduire  « Au sujet de Marie, on n’en dira jamais assez », autrement dit « jamais trop ».

Et puis le concile Vatican II a passé par là, qui déclare avec sagesse : « L’Eglise catholique exhorte vivement les théologiens et ceux qui portent la parole de Dieu, à s’abstenir avec le plus grand soin, quand la dignité unique de la Mère de Dieu est en cause, à la fois de tout excès contraire à la vérité et non moins d’une étroitesse  injustifiée…. Que les fidèles se souviennent qu’une véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité pas plus que dans une vaine crédulité ; la vraie dévotion procède de la vraie foi. »

La vraie foi ! Et nous voilà renvoyés à la révélation biblique qui nous parle de Marie. Concrètement, à l’évangile de cette fête, à savoir le récit de la visitation de Marie à sa cousine Elisabeth.

Qui est Marie pour Elisabeth ? Elle le dit clairement : « Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. »

Marie est d’abord saluée comme une femme, certes bénie, mais au milieu des autres femmes, de toutes les femmes. Pourquoi donc a-t-on placé si souvent Marie au dessus de tout, au dessus de toutes, au point d’en faire une vierge-mère hors sol ?

N’est-elle pas d’abord la petite servante de Nazareth, comme elle se définit elle-même, sans prétention, mais sans honte non plus ? Parce que, dans son cantique d’action de grâces – le Magnificat-,  elle exalte le Seigneur pour les merveilles qu’il a accomplies en elle, mais c’est encore au titre de l’humble servante qu’elle est demeurée tout au long de son existence, y compris dans le mystère de son assomption.

On doit évidemment ajouter à cela sa maternité, qu’Elisabeth reconnaît en la nommant « mère de mon Seigneur », tout en soulignant, d’une manière très réaliste, que cet enfant est bel et bien « le fruit de ses entrailles ».

Femme et mère : j’espère que les femmes parmi nous, sans tomber dans un féminisme échevelé, savent encore se reconnaître en Marie de Nazareth, sans oublier l’admiration, le respect et la reconnaissance que les hommes doivent à l’une – Marie- … et à toutes les autres.

Marie, femme et mère. Et puis la croyante, la première chrétienne, « celle qui a cru en l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Car c’est ça, être chrétien. C’est entendre, normalement grâce à l’Eglise, une parole venue vers nous de la part du Seigneur, une parole qui éclaire notre vie et transfigure notre mort.

Une bonne nouvelle pascale, capable de faire des merveilles en celles et ceux qui, comme Marie, l’accueillent en leur cœur par la foi. Un évangile destiné à être mis en pratique dans nos relations de tous les jours, qui transforme toutes nos visites humaines en divines visitations, parce que le Seigneur est présent chaque fois que l’amour est à la base de nos rencontres, même les plus banales d’apparence.

Dans le mystère de l’assomption de Marie, ce sont tous ces rendez-vous d’amour, de la crèche à la croix, qui sont assumés et finalement récompensés dans la communion finale avec le Dieu-Amour. Or nous aussi, nous sommes attendus dans le Royaume de Dieu, comme Marie et avec Marie, pour une dernière et parfaite merveille : Dieu tout en tous, Dieu tout en nous !

Très bien, me direz-vous. Mais en attendant, il faut bien vivre, tant bien que mal, les pieds sur terre, en ce monde tel qu’il est. Là encore l’évangile de cette fête nous donne une feuille de route. C’est même Marie elle-même, dans son cantique, qui nous montre la voie, et très concrètement.

Quelles sont ces merveilles qui soulèvent sa louange, autrement dit ce que Dieu a réalisé en elle et qu’il souhaite voir réaliser en nous et par nous, que ce soit personnellement ou en Eglise, le nouvel Israël ?

Ce n’est pas déraper dans la basse politique, mais c’est promouvoir un nouvel humanisme que de les rappeler. Il y a une façon mariale d’être au monde sans être du monde, comme le désirait Jésus pour ses amis en priant pour eux la veille de sa mort.

C’est se mettre au service de Celui qui « étend sa miséricorde sur ceux qui le craignent, qui disperse les superbes en déployant la force de son bras, qui renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles, qui comble de biens les affamés en renvoyant les riches les mains vides, qui se souvient toujours de son amour. »

Autant dire, dans le monde où nous vivons, que le programme marial du Magnificat est encore loin d’être appliqué, même dans l’Eglise. Marie, sur les nuages de l’assomption où certains la placent, ne doit pas nous faire oublier notre vocation terrestre qu’elle résumait ainsi aux noces de Cana : « Faites tout ce que Jésus vous dira. » Finalement, il nous dit à nous les mêmes choses qu’à elle : « Heureux celles et ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »

Si l’on veut un jour rejoindre Marie dans sa gloire pascale reçue de Jésus ressuscité,  nous savons maintenant par où commencer et comment continuer, en attendant la même assomption espérée.


Claude Ducarroz

vendredi 14 août 2015

Eucharistiquement vôtre

Eucharistiquement vôtre
Jean 6,51-58

L’eucharistie est aussi une feuille de route.
Quand Jésus « multiplie » les pains et les poissons pour nourrir (gratuitement) une foule en détresse, tout le monde l’applaudit, on le suit de l’autre côté du lac, on veut le faire roi.
Quand il se présente lui-même comme « le pain de vie » en personne, ça murmure sérieusement dans les rangs. C’est qui, celui-là ? C’est quoi ça ?
Quand il invite à « manger sa chair et boire son sang » pour obtenir la vie éternelle, presque tous le quittent. Les apôtres eux-mêmes, déconcertés, semblent hésiter. Il faut une bonne question de Jésus – «Voulez-vous partir vous aussi ? » - et un sursaut de foi chez Pierre – « Tu as les paroles de la vie éternelle » -pour que le petit troupeau des Douze continue de l’accompagner.
On peut comprendre toutes ces réactions. Passer du pain matériel au pain eucharistique en accueillant en soi par la foi le mystère de la personne de Jésus : voilà qui n’est pas évident.
Et l’Eglise d’aujourd’hui continue d’en faire l’expérience.
Quand les chrétiens s’engagent pour soulager les foules sous le joug de toutes sortes de misères, par toutes les initiatives de la compassion et de la solidarité, tous (ou presque) applaudissent. On le voit actuellement dans les commentaires autour du bon pape François.
Quand cette même Eglise annonce plus explicitement l’Evangile en pointant vers la personne du Christ, le fils de Dieu, notre frère universel et le Sauveur du monde, beaucoup décrochent déjà. Encore une religion qui prétend à la seule vérité et cherche à imposer ses dogmes et sa morale au reste du monde. Non, merci !
Et quand les Eglises offrent le mystère de l’Eucharistie comme nourriture capable de fortifier la foi et la charité ici-bas tout en conduisant vers la vie éternelle, les rangs s’éclaircissent rapidement, même parmi les croyants. « Oh ! vous savez,  moi, je suis croyant, mais pas pratiquant » Comprenez : « Je me passe de l’eucharistie, je peux vivre sans elle. »
La foi est un voyage. Si le don est toujours offert à tous comme une grâce, l’accueil de ce cadeau prend les formes d’une aventure qui peut comporter des étapes, des soubresauts, des zigzags spirituels. La foi se tricote avec la vie réelle qui implique bien des questionnements, notamment au fil des épreuves personnelles ou communautaires.
Jésus ne reproche à personne d’être « en route ». Il éclaire seulement le pas suivant avec sa parole de lumière. La table eucharistique est toujours mise au bord des chemins d’humanité pour celles et ceux qui ont aussi faim de ce pain-là.
A eux finalement d’être des croyants vraiment pratiquants – de l’eucharistie et de l’Evangile mis en pratique-  pour donner envie de prendre place à cette table, d’expérimenter une Eglise accueillante et surtout de rencontrer là le Pain vivant qui nourrit les voyageurs et fait vivre éternellement.

                                                           Claude Ducarroz


A paru sur le site  cath.ch