mercredi 25 décembre 2019

+ Pierre Huwiler

Homélie
+ PIERRE HUWILER

La vie est une chanson. Surtout la vie d’un compositeur de musique et de chants. Pierre nous a tellement aidés et incités à chanter. Sa vie chante encore pour nous. Il est en personne un chant. Aujourd’hui et au-delà évidemment.

A la source de ce chant, une portée, tout un programme. Oui, cette base toute humaine, l’humus familial : des parents, des frères et sœurs, une chorale d’amour, qui exalte la vie, avec une merveilleuse figure à la clef, l’oncle et parrain Pierre. L’abbé Kaelin, inoubliable. Le petit Pierre avait de qui tenir. Il a tenu, il est devenu lui-même, il fut –non, il est encore-, lui aussi inoubliable : Pierre Huwiler, notre frère, notre ami, notre enchanteur d’amour et de vie.

Sur la portée de sa vie, Pierre a tellement écrit, des musiques et des chansons, pas dans un conservatoire qui sentirait le renfermé, mais sur le vaste horizon de l’imagination, de la créativité, de la générosité débordante.

Toujours plein d’idées et à l’affut de nouveaux projets, il était une sorte d’alchimiste de la musique populaire, dans le plus noble sens de ce mot. Capter les musiques du vaste monde, non pour copier mais pour transfigurer, et servir sur toutes les tables fraternelles des cadeaux d’émotions et de messages, comme on partage le pain et le vin.

Chez lui, la joie des mélodies pouvait se marier avec la profondeur du propos, comme une cantilène d’humanisme poétique.
Puis-je ajouter que mon frère Bernard -entre autres-  a été un serviteur particulièrement fécond de cette intense et amicale collaboration ? Pierre savait d’ailleurs le reconnaître.

L’un donnait le texte, l’autre le ton, et la musique enchantait le tout, sur les ailes d’une bonne nouvelle jetée au vent de toutes les solidarités. C’était un évangile tantôt laïc, tantôt religieux, mais toujours destiné à créer de nouvelles communions, humaines et donc chrétiennes.

Car Pierre Huwiler ne composait pas pour se sculpter une statue de créateur élitiste. Il composait des chants…pour qu’on les chante, tout simplement. Et que les chantent les gens, sans barrière et sans frontière, pour manifester leur joie, pour consoler des tristesses, pour exprimer la foi.

Dans les églises ou dans les halles de fête, il fallait chanter, et si possible que tous chantent, ou écoutent comme s’ils chantaient aussi.
Car nous nous sentions rejoints dans notre humanité par toutes les gammes des bons et beaux sentiments de Pierre, portés par les notes, tantôt témoins de sa fourmillante fantaisie, tantôt rayonnement de sa chaleureuse empathie. Et même nos larmes devenaient des perles qui brillent au bord de nos yeux éblouis.

Au festin de la beauté, marquée par son talent personnel, il ajoutait toujours de nouvelles dimensions. Par ses sources d’inspiration et par ses expressions originales, il savait enrichir notre esprit, dilater notre cœur, élargir l’espace de nos tentes un peu trop helvétiques.




Quand il dirigeait, sans être théâtral, ses bras brassaient les chœurs et les cœurs comme on pétrit le monde ; ses doigts pointaient la perfection esthétique, et l’on pouvait lire dans son visage et dans ses yeux sa volonté émouvante de faire passer un immense amour, tout en sourire.
Merci, Pierre. Et aussi merci à celles et ceux qui ont si bien interprété ses musiques et ses chants.

Est-ce à dire que ce beau concert est terminé, que les lumières multicolores –comme sa vie- vont maintenant s’éteindre, qu’il reste seulement des souvenirs bénis, parce que le compositeur et le chef de chœur nous a quittés, pour notre tristesse et pour nos regrets ?

Il s’est envolé juste avant Noël, à l’heure où les anges s’adonnent aux dernières répétitions en vue de la douce et sainte nuit.
Noël, c’est un enfant, n’est-ce pas Pierre…et Bernard ?

Mais, heureusement pour nous, et pour toi, Pierre, l’enfant de Noël a bien grandi. Il a lancé par sa vie, sa mort et sa résurrection un chant nouveau qui submerge ce monde, une mélodie du bonheur éternel, une bonne nouvelle en forme d’alleluia, un concert inextinguible.

La symphonie de cette vie-là est tellement plus résistante que toutes les maladies et plus puissante que la mort elle-même. Cette promesse vaut pour tout le monde, y compris pour ceux qui n’y croient pas ou ont de la peine à y croire, par exemple devant les épreuves de l’existence.

Là où il y a de la vraie vie partagée, là où il y a un authentique amour, Dieu est là, avec son Royaume promis. Et là où quelqu’un a semé de la beauté, par exemple en créant ou en interprétant de la musique pour alléger ou enchanter les autres, alors il y a de l’éternel qui a commencé au milieu de nous, et qui ne saurait s’éteindre.

Bien sûr, ça n’empêche pas le chagrin d’avoir perdu un être cher, ò combien ! Mais les énergies de la Pâque peuvent même faire sourire nos larmes, faire chanter nos pleurs, transfigurer nos questionnements en confiance pour des lendemains de vie plus forte que la douloureuse morsure de la mort.

Créer de la beauté, c’est un défi à cette mort. Les artistes sont des veilleurs de l’éternel, des gardiens de l’amour durable, comme les anges de Noël qui se sont tous retrouvés au rendez-vous du matin de Pâques. Divine surprise !

J’ose le croire et le dire, sans l’imposer à personne mais en le proposant à vous tous : même aujourd’hui, même maintenant, avec Pierre, on peut encore chanter l’alleluia.



Claude Ducarroz

samedi 7 décembre 2019

Pour Notre Dame

Immaculée Conception 2019
Notre-Dame de Lausanne

L’Immaculée Conception de la Vierge Marie.
C’est une belle fête.
Mais quelle fête ?
Sans vous offenser, que répondriez-vous si je vous posais maintenant cette question ?
Que diriez-vous à quelqu’un d’éloigné de notre religion, qui vous dirait : l’Immaculée Conception, c’est quoi ça ?
Même parmi les catholiques bon teint, certains confondent parfois l’Immaculée Conception de Marie avec ce qu’on appelle la conception virginale de Jésus, à savoir que l’homme Jésus de Nazareth a surgi comme un cadeau entièrement divin dans le sein de sa mère Marie consentante, mais sans l’intervention d’un homme, « par l’opération du Saint Esprit », comme on disait jadis, ce qui n’aide pas nécessairement à mieux saisir le cœur de ce mystère.

Mais l’Immaculée Conception de Marie, c’est encore autre chose. Dans les Eglises d’Orient, on parle de Marie comme de la « pan-aghia », à savoir la Toute Sainte, la sainte en tout ce qu’elle fit et en tout ce qu’elle fut. Car l’Immaculée Conception, c’est une magnifique histoire de sainteté dès le début, dès ses origines secrètes, pour la préparer depuis toujours à devenir –sous réserve de son libre consentement-, la digne mère du Fils de Dieu, l’homme nouveau, l’homme parfait selon Dieu, au milieu de nous.
Marie de Nazareth fut toute sainte, sans péché, mais pas sans progression dans cette sainteté, au fur et à mesure des évènements, y compris des épreuves qui ont sollicité sa foi, sa confiance, son amour.
Une sainteté-cadeau certes, car toute sainteté est d’abord une grâce entièrement gratuite, que personne ne peut mériter, même pas Marie. Mais la sainteté, c’est aussi, à partir du cadeau, une aventure avec Dieu, non sans étonnements, non sans questionnements, non sans abandons dans la nuit de la foi.
On le voit si bien dans l’évangile de l’Annonciation, depuis le premier bouleversement intérieur jusqu’à l’acquiescement de la parole donnée : « Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole. » Un pèlerinage inconfortable, un voyage plein de divines surprises.

Sans parler explicitement de Marie, l’apôtre Paul nous aide à comprendre le mystère de cette fête quand il évoque ceux et celles « qui ont été choisis et bénis dans le Christ dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés devant lui, …à la louange de la gloire de Dieu. »
Dans ce cortège des comblés de bénédictions de l’Esprit, Marie la « comblée-de-grâces » marche humblement en tête. C’est pour nous une joie de le reconnaître et de la célébrer en ce jour, surtout à l’approche de Noël où Marie nous donne déjà rendez-vous pour accueillir Jésus, le fils de Dieu… et le sien aussi.

Encore faut-il ne pas tirer de cette belle fête des conclusions pas toujours très évangéliques dans la vie de notre Eglise. Il est arrivé –reconnaissons-le humblement- que la superbe figure de Marie, notamment dans ses privilèges d’Immaculée Conception et d’Assomption, occupe une telle place dans la piété liturgique ou populaire, que les autres femmes, à son ombre éblouissante, disparaissent ou du moins s’effacent des radars de la sainteté ou des ministères reconnus.

 L’Immaculée Marie était aussi une épouse et une mère. Combien de femmes épouses et mères sur les registres de la sainteté proclamée ? N’a-t-on pas pris prétexte de son humilité de servante pour apprécier surtout les femmes servantes dans notre Eglise, comme si elles ne pouvaient pas aussi, avec leurs charismes originaux et si généreux, prendre des responsabilités utiles et nécessaires dans les ministères de réflexion et de décision, de célébration et de mission ?

La beauté et la sainteté insignes de Marie ne doivent pas occulter celles des autres femmes dans l’Eglise de toujours, et par conséquent dans la nôtre aujourd’hui. J’ose dire que Marie, de mon point de vue, quand on reconnaît son rôle éminent dans la vie et la mission de Jésus, comme dans les débuts de l’Eglise, milite pour un sain et saint « féminisme catholique » qui ne peut qu’enrichir le rayonnement de l’Evangile dans et par notre Eglise, elle qui en a tellement besoin de nos jours.

S’il faut combattre un certain mauvais cléricalisme, à la demande même du pape François, j’estime que la promotion des femmes dans notre Eglise est une belle opportunité de grandir dans une Eglise où, comme le disait l’apôtre Paul qu’on ne peut soupçonner de féminisme révolutionnaire : « Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ. Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. » (Gal 3,27-28).
C’est ça l’Eglise !  L’Eglise christique ! L’Eglise apostolique ! L’Eglise mariale !

Claude Ducarroz




mercredi 4 décembre 2019

Pour + Béatrice Jubin

Homélie

+Béatrice Jubin

Elle s’appelait Béatrice, ce qui veut dire « la bienheureuse ». Et elle l’était, mais attention ! à sa manière. Heureuse en faisant des heureux. Ca, c’était tout Béatrice. Sans oublier son si joli nom…Fleury ! Tout un jardin fleuri !

Oui, heureuse en faisant des heureux ! Je le savais, mais je l’ai encore mieux saisi, cher Paul et chère Marie, en vous écoutant parler de votre épouse et de votre maman, avec aussi l’écho des petits enfants.
Et ils sont nombreux parmi nous, venus d’ici et d’ailleurs –et notamment du Jura, et aussi de très loin-  celles et ceux qui pourraient en rajouter, en toute sincérité.

C’est pourquoi cet Adieu prend d‘abord la forme du merci, chère Béatrice, pour tout ce que tu fis, et surtout ce que tu fus, au milieu de nous, avec nous, pour nous.
Béatrice, c’était un amour sans barrière et sans frontière. Un amour à trois dimensions.

La première est plutôt intime. C’est sa tendresse pour vous, sa famille. Vous allez garder dans vos souvenirs tant de gestes et de paroles qui vous ont aidés à grandir, à devenir meilleurs, et cela à l’ombre chaleureuse de sa douce présence, pleine de gentillesse, de générosité et d’humour.



Nous vous laissons avec respect, dans le silence ou dans le partage, le beau devoir de conserver cette mémoire, de la ranimer dans vos rencontres, d’en faire une compagne de votre pèlerinage en humanité. Je pense aussi à vous, les petits-enfants Ioannis et Léa.
« Heureusement que Béatrice était là », m’as-tu avoué, cher Paul, en évoquant ta longue vie. Elle m’a aimé, elle m’a vivifié, elle m’a aussi corrigé. 57 ans de mariage, et Marie en cadeau. Merci Béatrice.

Mais Béatrice était aussi programmée pour d’autres horizons, plus larges. A partir de son Jura natal –où elle a perdu sa mère à l’âge de 11 ans-, elle s’est laissé entraîner de bon coeur, main dans la main avec le Paul, vers le vaste monde de la solidarité, chez nous et aussi ailleurs, dans l’univers du développement intégral.
Elle n’a pas seulement suivi, elle a participé, humblement, mais avec une si belle empathie.

Séjour à la Réunion durant trois ans, puis partenaire de l’activité de Paul au service de Frères sans Frontières, puis de l’Action de Carême suisse, et aussi par ses propres activités professionnelles dans l’EMS des Chênes : on peut dire vraiment qu’elle a passé en faisant le bien, beaucoup de bien, sans élever la voix, mais en laissant parler son cœur toujours grand ouvert. Encore une raison de plus de lui redire merci.

Il y avait en Béatrice une troisième dimension, toujours dans le registre de l’amour, mais celle-là, en débouchant sur le mystère le plus profond de sa riche personnalité.


Béatrice était une croyante, une priante, une pratiquante de l’Evangile. C’est à partir de cet Evangile, souvent creusé avec d’autres, qu’elle « faisait Eglise », en conservant une liberté critique, sans cesser d’être en communion, comme il convient aux adultes dans la foi.

Car chez elle la spiritualité irriguait une vie « les pieds sur terre ». Dans ses eucharisties, les fruits de la terre et du travail des hommes et des femmes gardaient toute leur saveur humaine, y compris quand l’Esprit venait les transformer en repas du Seigneur de Pâque.

Et justement, c’est maintenant la grande invitation pascale. Puisque Dieu nous aime toujours le premier, et ne peut jamais cesser d’aimer, de nous aimer, même si nous sommes tristes évidemment, nous laissons Béatrice rejoindre la maison de famille universelle, à la mesure de l’Amour majuscule de notre Dieu, là où il y a de la place pour beaucoup de monde.

Béatrice a trouvé sa place. Elle lui était réservée, dans le cœur même de Dieu, tout en demeurant encore dans le nôtre, puisque l’amour, même dans l’épreuve de l’absence visible, allume des communions qui ne s’éteignent jamais. Sur terre comme au ciel.

Elle était Béatrice, bienheureuse en faisant des heureux, nous par exemple. Elle est maintenant encore plus Béatrice. C’est Dieu lui-même, en l’accueillant chez lui, qui la rend bienheureuse pleinement et pour toujours.

A Dieu, Béatrice !

                                               Claude Ducarroz


mardi 3 décembre 2019

Noël sans Noël ?l

Noël sans Noël ?

            Pauvre Noël ! Attaquée de toutes parts, que va-t-il rester de cette fête exsangue ?

            L’assaut a déjà commencé juste après la Toussaint. Le rouleau compresseur du consumérisme a passé par là, à grand déploiement de publicités toujours plus sophistiquées, toujours plus agressives. Le black friday a pris le relai, puisqu’il faut surtout acheter à prix réduit le maximum d’objets dont on n’a pas besoin. Le Père Noël, bedonnant sous ses faux airs de grand-père sympa et surtout gavé, occupe maintenant le terrain, en faisant une concurrence peu loyale au saint Nicolas plus maigre et plus religieux. Même les militants de la nouvelle vague verte sont partis en guerre. Il faudrait supprimer Noël pour éviter la surconsommation éhontée, ouvrir l’ère bénie de la décroissance et sauver la planète par une sainte austérité. Bien sûr, dans les écoles, certains continueront vaillamment à évoquer Noël, ne serait-ce que pour remplir un devoir d’information culturelle auprès des bambins. Mais ils sont avertis : pas question de parler de Jésus ni de placer l’Enfant de Bethléem dans la crèche. Ce serait contrevenir à la sacrosainte « neutralité religieuse » qui impose désormais de respecter les autres religions et les sans-religion… en ignorant le christianisme évidemment.

            Nous en sommes là. Mais pas de panique.
            Il faut aussi reconnaître qu’à l’occasion de ces Noëls sans vrai Noël, des valeurs « chrétiennes » semblent se réveiller et inspirer d’innombrables personnes dont beaucoup n’ont plus rien à voir avec la religion, et encore moins avec les Eglises. Ne serait-ce pas du « christianisme anonyme », à savoir l’imprégnation, par osmose discrète, de sentiments et d’actions qui fleurent bon l’évangile ? Tiens ! Sans vouloir tout récupérer au bénéfice de notre religion, il n’est pas indifférent que, justement à l’occasion des fêtes de Noël, des gens se mettent à penser davantage aux pauvres et aux oubliés, à vouloir visiter des malades et personnes âgées, à offrir des cadeaux pour faire plaisir gratuitement, à revisiter des églises, etc… Il doit bien y avoir quelque part du Noël là-dedans, même si l’on n’y pense plus guère.

            Et puis Noël, le vrai, selon l’évangile : personne ne pourra jamais l’effacer complètement. Car celui-là est toujours bien présent. Un couple de pauvres en déplacement forcé ? On en voit tous les jours. Des voyageurs démunis constatant qu’il n’y avait plus de place pour eux dans l’hébergement public ? N’en avez-vous jamais rencontrés ? Des bergers –gens modestes et souvent méprisés- plus disponibles que beaucoup d’autres quand ils ont l’occasion d’entendre une « bonne nouvelle de salut » et de chanter les louanges de Dieu : j’en connais beaucoup autour de moi. Et même des anges, sans ailes, mais tellement prompts à rendre service de bon cœur et à secourir en priorité les plus souffrants de notre monde. Gloire à Dieu, paix sur la terre !

            Et n’oublions pas le plus Noël des Noëls. Là, au cœur de l’eucharistie - à minuit ou plus tard -, n’est-ce pas Noël quand le Seigneur Jésus se fait tellement petit –un morceau de pain- pour venir habiter réellement l’humble crèche de notre cœur, de notre foi et même de notre corps ? Pour notre joie !
            Ce Noël là, jamais personne ne pourra nous l’enlever.  Et c’est lui qui illumine et transfigure tous les autres.

A paru sur le site  www.cath.ch                                                                   Claude Ducarroz


jeudi 7 novembre 2019

Pour + Soeur Monique Baptiste

+ Sœur Monique Baptiste
1957-2019

Quelques jours avant son départ, Sœur Monique-Baptiste avait une autre façon de résumer sa vie quand elle me dit : « Dieu m’a conduite par le juste chemin » (ps 23). Et maintenant « tout est accompli » (Jésus sur la croix, en Jn 19,30.)

Un chemin humain, un chemin chrétien, un chemin de religieuse. Et maintenant, tout est accompli, dans la maison du Père. Parfaite Visitation.

Il faut rappeler son chemin humain. Chacun de nous commence par la vie, la première des grâces, au carrefour de l’amour de nos parents. La famille a beaucoup compté pour Monique. Des Singinois à Courtepin, c’est déjà une destinée de constructeurs de ponts, dans une humanité de partage. Il faut honorer ces valeurs familiales, bien de chez nous, dans la meilleure des traditions, avec des parents engagés par le travail et dans l’Eglise, qui eurent le souci de transmettre aussi la foi à leurs 4 enfants. Transmettre dans le respect de la liberté, c’est aussi cela qui conduisit Monique d’abord sur le chemin de l’enseignement. Déjà une vocation !

Un chemin juste, ajusté. Pour Monique, ce fut la coincidence, presque toujours, entre la route de la vie humaine et le sentier de la communion au Christ. Un baptême ancré dans l’existence concrète. Comme elle me le disait : «  Finalement, le sens de la vie, c’est quelqu’un qui nous regarde toujours le premier avec amour, et qui transforme notre regard sur les autres. »

Oui, c’est le Christ qui fait le chrétien, dans la variété des parcours humains. Mais quand on croit à son amour, il peut arriver quelques surprises. Des appels étonnants. Pour Monique, encore bien jeune, ce fut la vocation religieuse, et plus précisément dans cette communauté de la Visitation caressée par les rayons d’amour de saint François de Sales. Dans cette spiritualité chaleureuse et lumineuse, Monique devenue Monique Baptiste –tout un  programme ! - se sentait à la fois libre et à l’abri, comme elle me l’avait fait remarquer. Priante en silence et en liturgie, et aussi accueillante dans et au delà de la communauté. Aimable et exigeante, d’abord pour elle-même. Et tout faire par amour évidemment, puisque « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils pour le sauver. »

Avancer sur le juste chemin. Et qui fixe l’itinéraire ? Qui nous donne la main dans les aléas du voyage ?  Monique Baptiste a connu la joie mais aussi la croix. Elle en a fait le mât solide de son bateau, surtout dans les tempêtes de la maladie, avec ses soubresauts qui mettent à rude épreuve l’espérance. Comme elle me le disait : « J’ai essayé de vivre les tuiles avec le Christ. »

Il faut le reconnaître, et savoir rendre grâces à l’Esprit du Seigneur en pensant au témoignage donné par Sœur Monique Baptiste parmi nous –à sa communauté et à bien d’autres -: sa confiance jusqu’à l’ultime abandon, sa persévérance à assumer jusqu’au bout ses responsabilités, son courage dans la souffrance à répétitions nous ont profondément édifiés.

Sans chercher à le dire par des belles paroles, elle nous l’a montré par ses attitudes de vie : elle a partagé le destin de Jésus dans la descente vers la mort. Puisque tout est accompli maintenant, il est venu le temps de sa Pâque avec le même Jésus, ressuscité.
 Et qu’elle proclame aussi, par sa mort et dans la vie éternelle, que « Jésus est le Seigneur à la gloire de Dieu le Père. »

Elle a vécu en Jean-Baptiste qui désigne le Christ, au point de diminuer en Lui pour que Lui grandisse, en elle et en nous. Elle est maintenant pascale pour partager avec lui le bonheur promis à ceux l’ont bien servi parmi nous.

Il y a quelque chose de la vie et de la mort de Sœur Monique Baptiste dans cette lettre de François de Sales : « Vous allez prendre la haute mer. Ne changez pas pour cela de patron, ni  de mât, ni de voile, ni d’ancre ni de vent. Ayez toujours Jésus Christ pour patron, sa croix pour arbre sur lequel vous étendrez vos résolutions en guise de voile. Que votre ancre soit une profonde confiance en lui, et allez à la bonne heure. Que le vent propice des inspirations célestes enfle de plus en plus les voiles de votre vaisseau et vous fasse heureusement surgir au port de la sainte éternité. »

Chère Sœur Monique-Baptiste, tu nous as quittés, et ça nous rend tristes. Mais maintenant, tu es arrivée, et nous te souhaitons un bon séjour « à la maison. »

Claude Ducarroz



jeudi 31 octobre 2019

Avant d'aller au cimetière

Toussaint 2019

« Pourquoi tu pleures ? »
C’était à la fin d’un enterrement. Un petit garçon, qui tenait la main de son père, s’est tourné vers lui en lui posant cette question : « Papa, pourquoi tu pleures ? »

Quand un être cher s’en va, surtout lorsque les circonstances sont particulièrement tristes, inattendues, voire dramatiques, nous pleurons, et c’est bien naturel de le faire. Il ne faut jamais avoir honte de ses larmes.

Nous avons toujours au moins deux raisons de pleurer : justement parce que la personne décédée nous est chère, et aussi parce qu’elle est morte, disparue, comme on dit pudiquement. Nos larmes sont le témoignage d’un amour blessé et en même temps le signe d’un espoir cassé. On voudrait tellement tenir encore l’être aimé dans nos bras, et le retenir pour toujours dans la vie.
Derrière tout amour vrai, il y a nécessairement, qu’on l’avoue ou non, le désir d’un toujours, et sa nostalgie éplorée, quand il faut dire un dernier adieu à celle ou celui qui nous aimait et qu’on a tant aimé.
Alors les pleurs coulent, les larmes arrosent les souvenirs. Il va falloir vivre, ou du moins survivre, sans la présence de cet autre qui donnait un sens à notre existence et contribuait à notre bonheur. On a parfois l’impression qu’on ne pourra jamais plus être heureux. Et pourtant il nous faut continuer de vivre.

Où sont les clefs de cette énigme qui, tôt ou tard, nous rattrape tous ?

Du côté de l’amour perdu, nous pouvons faire quelque chose. Il est  possible que nous ayons l’impression de ne jamais pouvoir retrouver le bonheur, ou pas comme avant.
Mais je suis sûr que nous avons encore de quoi aimer, d’autres à aimer, pour leur bonheur et pour le nôtre. Nos chers disparus nous ont peut-être dit, et souvent montré, qu’il y a encore de quoi continuer d’écrire de l’amour, même sur les marges de la vie qui nous reste.
Dans la cadre de la famille le plus souvent, mais aussi au-delà. Il y a toujours, il y aura toujours des malheureux à secourir, des solitaires à accueillir, des pauvres à servir, des malades à visiter, etc… Autrement dit des frères et sœurs à aimer, sans barrière et sans frontière.
Les souvenirs bénis des morts qui nous font encore pleurer peuvent devenir des invitations à continuer l’affection d’hier par la compassion d’aujourd’hui. Rien n’est plus digne de la mémoire des morts que l’humble service des vivants.

Mais que faire pour l’espérance, me direz-vous ? Cette espérance d’un toujours qui semblait indissociable de nos amours. Dire à quelqu’un « je t’aime », de tout son cœur, de tout son corps, c’est lui dire : « je ne voudrais pas que tu meures ». Et pourtant il est mort, elle est morte, et c’est bien ce qui provoque ce terrible chagrin qui peut même conduire tel ou telle jusqu’à l’orée du désespoir.
Alors là, il faut s’arrêter et réfléchir. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas la clef du « toujours », que l’éternité de l’amour n’existe pas. Il nous faut simplement, je dirais surtout humblement, accepter de la recevoir de la main d’un autre que de soi-même. Nous ne nous sommes pas donné la vie à nous-mêmes, nous l’avons reçue comme un don, un cadeau gratuit, y compris avec cette merveilleuse capacité d’aimer et d’être aimé.
Bonne nouvelle ! L’auteur de la vie, le maître de notre vie, est aussi le vivant de Pâque, celui qui a traversé la mort, celui qui est ressuscité au-delà de cette mort. Pas seulement pour lui, comme s’il était un champion solitaire qui abandonnerait tous les autres dans leur triste néant.
Non, d’au delà de sa mort, il est revenu nous annoncer cette étonnante nouvelle et rallumer notre fragile espérance : « Là où je suis, vous serez aussi avec moi pour toujours ». Par amour évidemment. En ajoutant : « Croyez-vous cela ? »

Bien sûr, ça signifie un énorme saut dans la foi, dans l’abandon confiant en cette promesse. Tous ne parviennent pas à y croire. Il ne faut surtout pas les juger, et encore moins les discriminer.
Par ailleurs, ce cadeau de Jésus –la vie éternelle- ne disqualifie pas nos larmes, n’empêche pas nos chagrins humains.
Il ne répond pas à toutes nos questions légitimes. Jésus lui-même a pleuré devant le tombeau de son ami Lazare. Il a aussi posé ses questions à Dieu du haut de la croix : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
La foi en la vie éternelle -qui nous donne cet immense espoir de nous retrouver tous pour continuer de nous aimer en Dieu-, cette foi respecte notre humanité faite de grandeurs et de misères, de joies et de peines, de rires et de larmes, de quelques certitudes bienheureuses et de beaucoup d’interrogations.
Du moins savons-nous maintenant que dans tout amour sincère veille une semence d’éternité qui fleurira dans le royaume de Dieu, quand ce Dieu-Amour sera « tout en tous ».
Puissions-nous continuer de vivre, et un jour aussi de mourir, dans cette espérance-là !

                                               Claude Ducarroz

mardi 29 octobre 2019

Après le synode sur l'Amazonie

Où est l’Amazonie ?

 Dans la foulée de son encyclique Laudato sì sur la sauvegarde de la maison commune et la promotion d’une écologie intégrale (2015), le pape François a eu le courage prophétique de passer aux travaux pratiques en convoquant au Vatican un synode extraordinaire sur l’Amazonie.

Sur le versant écologique, le bilan est audacieux, à la mesure des agressions qui blessent ce vaste territoire et impactent ses populations de manière cruciale. On aurait pu se contenter d’une problématique régionale, découplée du reste du monde. Or le document final nous implique tous dans le sauvetage de cette portion de notre planète. De même que la responsabilité globale est en jeu dans les causes des crises écologiques qui affectent ces terres et leurs habitants, ainsi la solidarité internationale doit se montrer active pour apporter des solutions humaines à ces questions vitales. L’Amazonie, c’est loin, là-bas. Mais, pour soigner ses maux, nous devons tous nous mobiliser. Peu ou prou, nous sommes tous un peu Amazoniens, pour le meilleur ou pour le pire.

Avec sa grande intelligence pastorale, le pape avait assigné aussi au synode le devoir de réfléchir sur la mission et la vie de notre Eglise dans ces territoires isolés. Le diagnostic est impitoyable. A côté de germes d’évangile prometteurs, des renouveaux urgents doivent être mis en œuvre pour une présence d’Eglise qui soit à la fois fidèle au message du Christ et profondément enracinée dans les cultures respectées de ces peuples. Pour assurer un meilleur dynamisme missionnaire, des questions délicates ont été empoignées à bras le corps : le rôle actif des laïcs, les responsabilités pastorales des femmes, la vie et le ministère des prêtres, l’inculturation de la liturgie, etc… Et aussitôt sont apparus des clivages qui risquent bien d’enliser les quelques audaces prophétiques dans les sables des traditions les plus frileuses.

Un éventuel diaconat pour les femmes ? Après la mort clinique d’une précédente commission d’étude, on peut essayer de la ranimer ! Des ministères reconnus dans l’animation des communautés par ces mêmes femmes ? On va réfléchir ! Sans déroger à la tradition du célibat obligatoire pour les prêtres de l’Eglise latine, ne pourrait-on pas –à certaines conditions et exceptionnellement- ordonner des hommes mariés ? Peut-être, mais seulement s’ils sont d’abord des diacres aguerris. Et le tout, uniquement avec l’autorisation du pape, au cas par cas. 

Derrière ces velléités plutôt que ces volontés, je subodore une peur. On redoute celles et ceux qui estimeraient qu’il y a aussi, ecclésialement, des Amazonies hors de l’Amazonie. Quand un prêtre, âgé ou fatigué, parcourt un vaste territoire pour assumer la pastorale dans 10, 20 ou 30 paroisses –des clochers, comme on dit poétiquement en France-, ne sommes-nous pas un peu en Amazonie ? Y compris chez nous. Même s’il peut compter sur le dévouement admirable des laïcs, à commencer par les femmes ! On pourrait ajouter d’autres exemples.

Si le synode, du point de vue de l’avenir de notre Eglise, aboutit à clôturer hermétiquement l’Amazonie dans ses exceptions pour éviter toute contagion des réformes ailleurs, malgré les besoins avérés et les désirs répétés du peuple chrétien, on aura peut-être avancé en Amazonie, mais reculé chez nous.

Seigneur, accorde-nous la grâce de la patience.
Sans perdre celle de l’impatience !

Claude Ducarroz


Ce commentaire a paru sur le site cath.ch le 30 octobre 2019

dimanche 13 octobre 2019

Mission et Ste Marguerite

Homélie
Luc 17,11-19
13 octobre 2019

Il marchait vers Jérusalem où il pressentait que ça allait mal finir pour lui. Il marchait, mais il prenait tout son temps, le temps de croiser des gens, chemin faisant, pour leur annoncer la bonne nouvelle –ce qu’on appelle l’évangile – et pour les guérir de toutes sortes de maladie, selon les besoins de chacun.

Le terrain de mission n’était pas des plus faciles. La Samarie, habitée par des juifs dissidents et rebelles qui évitaient de fréquenter ceux de Jérusalem. Et ce n’était pas mieux en Galilée qu’on avait qualifié de « carrefour des païens », tant s’y mélangeaient des cultures et des religions surgies de tous les horizons.

Mais c’est justement là que Jésus aimait à circuler, à rencontrer les gens, surtout les plus humbles et les plus souffrants, pour leur révéler le visage de son Père qui est aussi le leur, le Dieu d’amour sans barrière et sans frontière.

 Et aujourd’hui le hasard fait que 10 lépreux vinrent à sa rencontre, autrement dit des malades, mais aussi des exclus, des méprisés, tant il est vrai que plusieurs maladies, y compris sociales et économiques, aggravent encore le pénible destin de ces malheureux.

Et Jésus les guérit, de leur lèpre évidemment, mais aussi de leur exclusion sociale et religieuse, puisqu’ils peuvent aller se présenter chez les prêtres.
Il le fait sans autre considération que la compassion active qui jaillit de son cœur touché par leur épreuve.

Il y a un samaritain parmi eux, autrement dit un hérétique peu fréquentable? Qu’à cela ne tienne !  C’est encore lui que Jésus citera en exemple  parce qu’il eut, bien plus que les autres, le réflexe de la reconnaissance. Relève-toi, lui dit Jésus – déjà le langage de la résurrection-, ta foi t’a sauvé.

Car la mission de Jésus, et par conséquent celle de l’Eglise aujourd’hui, est toujours la même, encore que les paysages et les contextes soient différents.

Oui, une Eglise en sortie, comme dit le pape François, qui s’avance au milieu des êtres humains tels qu’ils sont, qui les aime avec leurs grandeurs et leurs misères, qui leur annonce une bonne nouvelle de libération et de salut, qui enrobe ses paroles de gestes de compassion et de partage, qui ne met aucune limite ni aux élans de son cœur, ni aux accents de sa parole, ni aux bienvenues dans ses communautés.

 La mission est une aventure divine en pleine pâte humaine. Simplement, nous savons que Jésus nous tient par la main, que son Esprit respire en nous. Et nous avons envie d’inviter à ce pèlerinage d’amour et de liberté tous ceux que nous rencontrons, pour leur joie et pour la nôtre. Une belle mission !

Quelqu’un a vécu un peu tout cela, et même beaucoup, en arpentant les chemins caillouteux de sa campagne près de Romont, en pays de Fribourg.

 Elle avait les pieds bien sur terre, mais elle marchait surtout à la rencontre des autres, à commencer par les plus petits et les plus nécessiteux, par solidarité humaine, mais aussi par esprit missionnaire.

Car c’est bien cela, l’évangile en actes : visiter les malades, enseigner le catéchisme aux enfants, inviter à la prière en priant beaucoup soi-même, autrement dit aimer Jésus et le faire connaître et aimer, au ras des pâquerettes –elle s’appelait Marguerite.
Non pas en accomplissant des choses extraordinaires, mais en distribuant avec charité la petite monnaie des conseils tout en sourire, des invitations tout en respect, des sacrifices de soi tout en gratuité, les yeux et le cœur tournés vers la croix de Jésus ressuscité.

Marguerite Bays est actuellement canonisée à Rome. Elle doit en être très étonnée, et même plutôt gênée. Elle figure en image au fronton de la basilique St-Pierre à côté d’un cardinal anglais, John Henry Newmann, un géant de culture du même siècle qu’elle.

Mais soyons rassurés, Marguerite demeurera toujours la sainte bien de chez nous, pieuse et généreuse, dans la sainteté de la proximité avec les gens simples et au service d’un évangile qui rejoigne les pauvres de toutes sortes.

Avec elle, l’Eglise nous rappelle que la vocation à la sainteté de la vie –autrement dit miser sur la foi et sur l’amour- est à la portée de tout le monde, avec les énergies de l’Esprit du Christ.

Car Jésus, avec les saints et saintes d’hier et d’aujourd’hui, en attendant ceux de demain, continue de marcher mystérieusement dans notre monde en nous disant à tous et à chacun : Relève-toi et va ! Ta foi t’a sauvé.


Claude Ducarroz

vendredi 4 octobre 2019

Jacques Loew: de conversion en conversion

Jacques Loew : de conversion en conversion
Il fait partie de ceux qu’on a appelé « les grands convertis du XXème siècle ». Et sa vie est bel et bien allée de conversion en conversion.

Un enfant gâté et un grand vide
Cet homme avait tout pour être heureux. Fils unique d’une famille de médecin, entre le soleil de Nice et les études de droit à Paris, il se découvre à 24 ans « complètement athée…puisque avant sa naissance rien n’existe pour l’homme et après sa mort rien n’existe non plus ». Un athéisme hédoniste, avec un grand creux à l’intérieur. Un séjour en Suisse –à Leysin exactement – pour cause de maladie sera un peu son chemin de Damas, complété par quelques jours à la Chartreuse de la Valsainte (Gruyère). La beauté de la nature l’a conduit à l’orée de la foi, le témoignage des moines en pleine eucharistie planta en lui cette question décisive : « Ou bien ces hommes sont fous ou bien c’est moi qui suis aveugle ». Il prie, il médite l’Evangile. Il entre alors dans l’univers de la foi par la porte royale de l’Amour de Dieu. Encore devait-il « avaler l’Eglise, » lui qui avait été placé à la catéchèse protestante pour qu’il échappât aux griffes des curés. Finalement, il est resté là où l’on pouvait dire en vérité les paroles de l’eucharistie, dans l’Eglise catholique, malgré ses lourdeurs historiques.

La ferveur du néophyte
Re-né dans la foi au Christ vivant et dans la communion de l’Eglise, le jeune converti s’annonce chez les Dominicains en 1934. Il goûte à fond la théologie thomiste, il devient prêtre en 1939, sans se douter qu’une nouvelle conversion l’attendait.
L’Eglise de France était alors soulevée par une volonté de nouvelle évangélisation en milieu ouvrier. Entraîné par le Père Lebret, fondateur de Economie et Humanisme, Jacques Loew devient le premier prêtre-ouvrier à Marseille. Ce fils de la bourgeoisie partage la vie des dockers. Dans la solidarité sur les quais, Jacques Loew prend conscience de plusieurs misères dans ce peuple : la violence de l’injustice, le manque de considération, de tendresse, de sens à la vie. Treize ans durant, sa vie de prêtre sera intimement mêlée à celle des prolétaires. Deux rencontres vont illuminer cette recherche et cette expérience originales. En 1942, c’est un premier contact avec Madeleine Delbrêl, elle-même convertie, qui s’était installée en banlieue rouge de Paris, à Ivry, pour témoigner de l’Evangile en pleine pâte marxiste. Autre contact fécond en 1951 : la rencontre avec Mgr Montini à Rome, le futur pape Paul VI, toujours sympathisant des initiatives pastorales venues de France.

« Douleurs et déchirements »
1954. Un couperet tombe de Rome. Il est mis fin brutalement à l’expérience des prêtres-ouvriers. S’ouvre alors une grave crise provoquant des réactions en chaîne parmi les premiers concernés. Des prêtres quittent le ministère pour demeurer avec les ouvriers, d’autres finissent par obéir, la mort dans l’âme. Le Père Loew réagit par une résilience douloureuse mais positive. Il a l’intuition qu’il faut inventer autre chose pour garder la solidarité avec le monde ouvrier tout en évitant les pièges d’une sécularisation politique du ministère. En 1955 déjà, il fonde la Mission ouvrière saints Pierre et Paul, la MOPP. Dans les milieux populaires, il lance des équipes à forte densité évangélique. Partage de vie avec les plus pauvres, intense animation spirituelle et liturgique, sauvegarde du lien avec l’Eglise : de telles mini-communautés sont fondées aux quatre coins du monde, dans ces périphéries devenues chères au pape François. La MOPP, c’est la réponse prophétique, mais aussi ecclésiale, à l’épreuve de l’interdiction des prêtres ouvriers en France. Un rebondissement réussi, une nouvelle conversion.

Et puis vint le concile Vatican II
A l’affut des besoins de l’Eglise en ses profondeurs, le Père Jacques Loew a l’intuition que l’avenir du concile se joue au niveau d’un retour aux fondamentaux de la vie chrétienne. A partir de la redécouverte catholique de la Parole de Dieu –désormais largement diffusée dans et hors de la liturgie-, il faut constituer de nouveaux levains d’évangile pour la pâte humaine et ecclésiale. La mission se fera à partir de petites communautés-signes, ce qui correspondait d’ailleurs à l’évolution en cours parmi les institutions religieuses. Les grandes structures se fractionnent en mini-communautés. Encore faut-il les accompagner et les nourrir. C’est la fondation de l’Ecole de la foi à Fribourg dont la théologie universitaire offrait une opportunité de formation plus sereine qu’en France. Nous sommes au lendemain de 1968.
Durant 35 ans, fidèle au projet de son fondateur, l’Ecole de la foi a formé près de 2000 « disciples » -expression chère à Jacques- appelés à répandre ensuite cette bonne nouvelle à travers 75 pays de notre monde. Quelle nouvelle ? Un enseignement  biblique et théologique très sérieux, une vie spirituelle et liturgique savoureuse et surtout une vérification de l’acquis dans les profondeurs d’un fort partage communautaire en des petites équipes internationales. Ces trois piliers ont constitué la marque de fabrique pour les protagonistes de l’Ecole de la foi. Aujourd’hui encore, des laïcs, des religieux/ses et des prêtres en témoignent avec bonheur. Si l’Ecole de la foi de Fribourg a dû malheureusement cesser ses activités en 2006, une Ecole de la foi à Yamoussoukro a pris le relais maintenant en Côte d’Ivoire.

Les dernières conversions
Pas facile pour un fondateur de laisser son œuvre entre d’autres mains. Le Père Loew l’a fait pour la MOPP en 1973 déjà et en 1981 pour l’Ecole de la foi en la confiant à un couple diaconal, Noël et Josiane Aebischer. Il a pu alors s’adonner au rayonnement de sa brillante intelligence à travers des voyages et des prédications un peu partout dans notre monde, y compris au Vatican. De nombreuses publications constituent encore la richesse de son influence parmi nous. Encore fallait-il qu’il se préparât au grand départ. Ce ne fut pas simple…encore une conversion ! D’anciens désirs remontaient à la surface de son âme. La vie communautaire en monastère ? La vie érémitique dans la solitude ? Ce fut une recherche personnelle laborieuse. Cîteaux, Tamié, des ermitages dans les Pyrénées, il finit par trouver son ultime nid spirituel parmi les moniales trappistines d’Echourgnac, dans le Périgord. C’est là qu’il se remit entièrement à Dieu, le 14 février 1999 à l’âge de 91 ans.

Les traces vives d’un passage fécond
Quel bilan d’une telle aventure humaine et chrétienne, qui puisse continuer de nous édifier aujourd’hui ? Dieu seul le sait. Mais il nous reste des traces encore signifiantes pour nous. Ce qui aurait pu devenir banal est devenu une aventure parce que Dieu a écrit droit sur les lignes courbes de cette vie.
D’abord la foi. Elle ne fut pas un héritage, mais une redécouverte, une irruption à partir du vide. Dans une société de plus en plus sécularisée, les croyants par tradition ou par héritage sont de moins en moins nombreux. Comme Jacques Loew, nos contemporains sont ou seront de plus en plus des commençants ou des recommençants. Relire Jacques Loew, donner la main à un tel grand frère ne peut qu’encourager tous les novices de l’Evangile.
Une fois reconnu le visage humain et divin de Jésus de Nazareth au terme d’un voyage intérieur, c’est encore une autre histoire qui commence, la rencontre inévitable avec une Eglise fort imparfaite. Par les temps qui courent, il semble que les distances d’avec l’Eglise soient plus spontanées que les communions avec cette institution d’apparence humaine, trop humaine. Dans l’itinéraire de Jacques Loew, des rencontres personnelles ont compté davantage que les prestiges historiques des structures.  Où sont de nos jours ces témoins significatifs qui peuvent conduire fraternellement jusqu’au cœur du mystère de Jésus ? Ne sommes-nous pas tous invités, malgré nos faiblesses, mais dans la transparence de quelque béatitude évangélique, à servir de relai pour tant de cœurs assoiffés d’amour ouvert sur la vraie vie ? Aujourd’hui comme hier.
Quand l’homme et le chrétien finissent par coïncider, comment choisir sa voie pour avancer sur le chemin du salut ? Il faut avoir un cœur accroché à l’espérance, car l’itinéraire peut réserver bien des surprises. Encore faut-il avoir la souplesse de plusieurs vocations successives, car naviguer avec Dieu n’est jamais chose tranquille. On n’est pas chrétien pour enchaîner les siestes.
 Comment réagir quand le vent souffle violemment dans l’arbre de l’Eglise ? Se cramponner aux grosses branches. Autrement dit sans cesse revenir à Celui qui est le chemin, la vérité et la vie. Et donner la main à d’autres laissés pour compte au bord de la route. Le bourgeois Jacques Loew, finalement, a toujours préféré la fréquentation des pauvres et des derniers pour découvrir le lieu humain et ecclésial où Dieu lui donnait rendez-vous. C’est dans cette proximité qu’il a trouvé les terrains de sa mission en même temps que le bonheur d’être homme. Et aussi la véritable Eglise de Jésus, autrement dit là où bat le cœur eucharistique du Christ et là où souffle le vent imprévisible de l’Esprit.

Ultime parole, ultime silence
Enfin, il n’y a de transmission qui aide à vivre, que celle qui s’offre à partir d’une vie entièrement donnée. Jacques Loew, s’est beaucoup donné, mais pas sans peine. Les virages de son parcours sinueux ne furent pas  négociés sans hésitations ni souffrances. Trouver le terrain d’atterrissage final pour déposer son destin dans les mains de Dieu fut une quête ardue. On ne se quitte jamais sans arrachements quand il s’agit de se laisser absorber par l’Amour majuscule, jusqu’au bout. Le dernier mot fut son silence, à l’ombre des monastères de contemplation, quand  tout est déjà dit, quand il ne reste plus qu’à offrir le dernier sourire, le dernier soupir. Après avoir vécu tant bien que mal avec  Jésus au milieu des hommes, nul ne peut faire l’économie de mourir un peu comme lui, avant de passer dans la Pâque avec lui. Alors les grandeurs des extrêmes diminutions se superposent aux grandeurs des plus fécondes croissances pour former l’ultime sacrifice eucharistique. Pas seulement mourir en communiant, mais aussi communier en mourant Ou, selon Jacques, …comblé de n’être jamais rassasié de te désirer, et de commencements en commencements, par des commencements sans fin, j’irai ».

                                                                                  Claude Ducarroz
Pour mieux connaître la personnalité, l’oeuvre et les écrits de Jacques Loew, on peut relire  Le bonheur d’être homme – Entretiens avec Dominique Xardel  Editions du Centurion 1988

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jeudi 26 septembre 2019

Cherchez...vous ne trouverez pas!

Cherchez… et vous ne trouverez pas !

En (bon) citoyen de ma chère patrie, à l’approche des élections fédérales, je m’intéresse aux propositions des divers partis politiques. Et mon œil se fait un peu inquisiteur en compulsant les documents de leur propagande. Tiens ! voilà une grande affiche déployée sur le quai de la gare par le premier parti politique du pays. Sept fiers à bras sont près à partir à l’assaut pour sauver le pays de tous les malheurs que lui concoctent la gauche et les écologistes. Et je cherche la silhouette d’une femme. Aucune. Les sept candidats sont tous des hommes (mâles) qui nous promettent sans doute une Suisse meilleure…sans les femmes, même si elles constituent le 53% de notre population. Et quelle est cette démocratie dite « populaire » qui semble ignorer la capacité des femmes à assumer des responsabilités politiques au niveau national ?
J’ai cherché la femme, et je n’en ai pas trouvé.
Je tombe alors sur une photo montrant, tout souriants, une assemblée d’évêques catholiques réunis en synode à Rome pour discuter de la famille. C’était en 2015. Et je cherche aussi. Pas un visage de femme dans cette auguste assemblée. Je sais bien que des femmes, en coulisse, ont participé activement aux travaux de cette réunion d’Eglise. Je sais aussi que beaucoup  d’évêques, comme le pape, sont convaincus qu’il faut associer davantage les femmes à la réflexion communautaire et à la mise en pratique des orientations pastorales. Il demeure que, dans les organes de décisions ultimes –à Rome et ailleurs-, les femmes sont absentes.
Symboliquement, dans le contexte de notre société de plus en plus sensible à la promotion des responsabilités féminines, c’est une grave interrogation qui subsiste. Les arguments théologiques tiennent-ils encore devant une telle exclusion de moins en moins compréhensible ? Comment pourrait se manifester plus courageusement dans notre Eglise, le prophétisme de l’Evangile qui, selon saint Paul, fait de tout chrétien/chrétienne un être tellement nouveau qu’il ne doit subsister aucune discrimination entre le juif et le païen, entre l’esclave et l’homme libre, entre l’homme et la femme, du moment que nous sommes tous un en Jésus Christ. (Cf. Gal 3,28) ?
L’affiche d’un certain parti ne m’incite pas à lui faire confiance et à lui donner ma voix.  Certaines images et surtout certaines pratiques de mon Eglise n’aident pas non plus  beaucoup de femmes –et d’hommes aussi- à adhérer au beau message de cette même Eglise concernant l’égale dignité de toute personne humaine et, en elle, l’impossibilité de justifier une quelconque inégalité qui viendrait du sexe.
Franchement, il serait temps que mous fassions mieux que l’UDC en Eglise catholique !

Claude Ducarroz

A paru sur le site  cath.ch le 25 septembre 2019



jeudi 5 septembre 2019

Bel et Bon

Bel et Bon

Est-ce que je vieillis mal ? C’est possible. Mais pas certain.
Oui, je suis de plus en plus allergique  -jusqu’au dégoût- à tout ce qui salit notre environnement, à la basse vulgarité dans le langage, aux comportements bêtement provocateurs, à la « cul-ture » du trash dans les spectacles, surtout au cinéma, etc… J’ai l’impression que ce qui n’est pas scandaleux, voire abject, ne compte plus aux yeux de certains spectateurs et critiques à l’affût des prochaines turpitudes. Et ça me navre.
Et puis je réagis.
La triste esthétique des horreurs n’est sans doute pas révélée dans ce qu’on montre avec une chafouine ou naïve complicité. Elle se tapit dans les réalités de la vie ordinaire. Quoi de plus obscène, finalement, que des enfants qui meurent de faim, des innocents broyés par l’esclavage sexuel, des militants des droits humains condamnés à la prison ou à la mort, des requérants d’asile qui font naufrage dans la Méditerranée, tout près de chez nous, etc… ?
Douloureux spectacles ! Mais heureusement, il y a aussi l’autre face de notre pauvre humanité.
Des hommes, des femmes –et même des enfants- se dressent pour purifier et embellir notre maison-nature, des humains solidaires prennent des risques énormes pour faire triompher les idéaux de la liberté, de la justice et de la paix, des gens de toutes conditions résistent à l’enlaidissement du langage et aux exhibitions d’une certaine industrie du dégueulasse.
Et puis chacun de nous peut faire pencher la balance de notre société dans un autre sens, plus digne de l’homme, plus conforme aux desseins de Dieu.
Ajouter de la beauté à notre environnement, promouvoir le respect de tout être humain, miser sur ce qui édifie au lieu de céder aux sirènes de ce qui avilit. En un mot : semer un peu plus d’amour autour de soi, car le beau et le bon se donnent la main, toujours pour le meilleur.
Bien sûr, je ne vais pas fonder une nouvelle multinationale de la beauté, ni ouvrir une super-banque de la charité. La révolution de la civilisation passe par des actions simples, souvent cachées, mais combien efficaces quand on s’y engage pour de bon.
Je crois à la petite monnaie du véritable humanisme. Et il paraît que ça maintient jeune !


Claude Ducarroz

samedi 8 juin 2019

Pentecôte 2019

Homélie
Pentecôte 2019

Un violent  coup de vent… des langues de feu…
Pas facile de se représenter de manière un peu humaine qui est le Saint Esprit. C’est pourquoi certains l’ont appelé le grand méconnu de la Sainte Trinité, au point de devenir parfois l’oublié dans la vie des chrétiens. Heureusement, la fête de Pentecôte est là pour nous rappeler opportunément qui il est et surtout ce qu’il fait en chacun de nous, dans l’Eglise et dans le monde.

Et puis j’ai redécouvert qu’une autre image pouvait nous y aider. Dans les quatre évangiles, au moment du baptême de Jésus, il est mentionné que l’Esprit Saint est descendu sur lui « sous la forme d’une colombe ». Mais malheureusement, le commentaire de la Traduction œcuménique de la Bible ajoute : « Aucune interprétation certaine n’a pu être donnée de ce symbole ». Alors je me risque à un commentaire plus personnel que je soumets à votre méditation de baptisés ayant reçu, vous aussi, l’Esprit de Jésus. Ne sommes-nous pas tous des enfants de la Pentecôte ?

En bonne théologie trinitaire, l’Esprit Saint, c’est le lien d’amour infini entre le Père et le Fils, leur parfaite communion en personne, le fruit de leur éternel baiser. Précisément, lors du baptême de Jésus, c’est toute la Trinité qui s’exprime au moment où Jésus de Nazareth reçoit du Père par une voix céleste la révélation de ce qu’il est –« Tu es mon fils, le bienaimé »- en même temps que le Souffle divin qui va lui permettre d’accomplir sa mission de Sauveur comme Agneau de Dieu qui ôte le péché de monde.
Et cet Esprit va demeurer sur le Christ jusqu’au moment où Jésus le transmettra à ses disciples, et plus largement à toute l’humanité. L’évangéliste Jean note que Jésus, au moment de sa mort en croix, a transmis l’Esprit, première Pentecôte universelle. Et l’évangéliste Luc parlera en quelque sorte du même évènement, sur l’Eglise d’abord réunie au Cénacle lors de la Pentecôte, mais sans oublier le vaste monde puisque, sur la place, des gens issus de toutes les cultures entendirent, chacun dans sa langue, parler des merveilles de Dieu.

Et la colombe alors ?
Pour voler, elle a besoin de deux ailes inséparables et coordonnées. Et nous aussi, pour être de vrais chrétiens, abreuvés du Saint Esprit, comme dit saint Paul (ICo 12,13), il nous faut voler de deux ailes, sur le vent de ce même Esprit, si nous voulons bien nous laisser conduire par lui. L’aile de la fidélité et l’aile de la liberté.

La fidélité d’abord, car l’inhabitation du Saint Esprit, qui fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers avec le Christ, suscite en nous un profond attachement aux divers mystères révélés par l’évangile de Jésus. L’Esprit nous rappelle tout cela.
Sa parole à méditer et à goûter, son repas pascal à refaire en mémoire de lui, sa miséricorde à demander dans l’humilité et à accueillir dans la reconnaissance. Et même son Eglise –si imparfaite qu’elle soit-  justement parce qu’elle est le temple de l’Esprit et le Corps du Christ.
Face à toutes ces merveilles et à bien d’autres encore, l’Esprit nous incite à tenir bon dans la solidité de la foi, dans le courage de l’espérance, dans la vaillance de l’amour, dans la fidélité aux valeurs de l’Evangile.

 Et la prière, murmure de l’Esprit de Dieu qui habite en nous, nous ramène toujours à ce cri qui répète Abba, le balbutiement des enfants de Dieu bouleversés par la tendre majesté de Dieu le Père.

Mais il y a aussi l’aile de la liberté, puisque, nous l’a rappelé l’apôtre Paul, « nous n’avons pas reçu un Esprit qui ferait de nous des esclaves qui ont peur », mais un Esprit de fils et filles debout, un Esprit dont les fruits sont amour, paix et joie, sans oublier la liberté, car nous avons été appelés à la liberté (Gal 5,13) et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (IICo 3,17).

Dans le contexte où nous vivons, dans une société qui semble s’éloigner des valeurs de l’Evangile, dans une Eglise secouée par de pénibles évènements, Dieu sait si nous avons besoin de voler de nos deux ailes. Celle de la fidélité à tout l’essentiel venu du Christ mort et ressuscité, qui nous fait vivre en promis au Royaume de Dieu, et celle de la liberté qui nous permet de trouver des chemins - peut-être inédits- pour le renouveau de la vie évangélique et ecclésiale dans notre monde.

Toujours revenir au Christ Jésus, témoigner pour sa parole, vivre de sa présence, tenir fermement dans la communion de l’Eglise. Mais aussi laisser l’Esprit, comme il est dit, souffler où il veut, que ce soit dans des initiatives étonnantes pour exprimer ces témoignages, ou sur des chemins de réformes –si nécessaires- pour la vie de l’Eglise, ou encore dans des prises de positions qui peuvent parfois déranger nos habitudes, pourvu que ce qui est écrit de manière critique dans les marges reste sur la page de la fidélité au Christ et de la fraternité en Eglise. 

On le sait bien : les chrétiens, aujourd’hui comme hier, choisissent parfois leur aile. Tantôt certains veulent d’abord persévérer jusqu’à l’obstination dans la voie des traditions qu’ils jugent essentielles, tantôt d’autres veulent surtout explorer les chemins de fascinantes libertés pour des renouveaux qu’ils souhaitent bénéfiques.

L’Eglise ne serait-elle pas le lieu où ces deux ailes peuvent et même doivent battre ensemble, chacune avec ses priorités respectables, mais jamais dans l’exclusion de l’autre, et plutôt dans la collaboration de tous ?
Car nous avons un urgent besoin d’une nouvelle Pentecôte de vent et de feu, qui puisse continuer à incendier le monde par l’amour, réchauffer l’Eglise et l’éclairer du dedans, sans jamais oublier que le souffle vital, c’est justement l’Esprit Saint, celui qui renouvelle sans cesse la face de la terre.
« Puisque l’Esprit est notre vie, dit saint Paul, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Gal 5,25).


Claude Ducarroz

mercredi 5 juin 2019

Courrier du coeur

Courrier du cœur

« Dans notre Eglise, il me semble que rien de sérieux dans le changement ne se pointe à l’horizon. Comment ne pas désespérer et garder la foi ? »
Cette réflexion (par écrit) ne vient pas d’une personne hypercritique qui cèderait, comme de coutume, au prurit d’un réquisitoire malveillant. Il s’agit d’une dame d’un certain âge qui s’est très souvent engagée au service de l’Eglise dans un bel esprit de foi et d’amour désintéressé. C’est ainsi qu’elle exprime son « cri du cœur ». Il s’ajoute aux remarques désabusées et aux doléances consternées que j’entends autour de moi. Sans compter les commentaires vinaigrés ou ironiques provenant de milieux toujours prompts à casser du sucre sur le dos de notre Eglise.
Ce serait une grave erreur de répondre en haussant les épaules sous prétexte que l’Eglise a déjà connu bien d’autres crises ou agressions dont elle est, finalement, sortie toujours vivante, voire plus vigoureuse qu’auparavant. Dieu merci ! Laisser passer l’orage en attendant des jours meilleurs n’a jamais amélioré la météo ecclésiale.
Quand le concile Vatican II nous a rappelé que « l’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile » (Gaudium et spes no 4), ce n’était pas seulement une invitation à nous intéresser de plus près à ce qui se passe dans la société. C’était aussi un appel à écouter et surtout à entendre ce que les chrétiens de toutes sortes vivent et expriment, dans la foi et l’amour, au sein de leurs communautés. D’où cette précision à l’intention de nos pasteurs :  « Qu’avec un amour paternel les évêques accordent attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs », ceux-ci ayant « la faculté et même le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise ». (Gaudium et spes no 37).
A la suite du concile Vatican II, le peuple de Dieu a pris la parole pour s’exprimer dans un esprit de communion et de liberté sur les changements attendus dans notre Eglise pour qu’elle soit davantage missionnaire et prophétique au cœur de notre monde. Si l’on relit ces textes –par exemple ceux du Synode 72 en Suisse et ceux d’AD 2000 dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg-, il faut bien constater que beaucoup de réformes ardemment souhaitées attendent toujours leurs mises en œuvre. Et voilà que les problèmes non résolus, les appels perdus dans le désert de l’indifférence hiérarchique remontent à la surface avec un coefficient supplémentaire d’impatience, voire de colère. Il suffit de penser, par exemple, aux ministères laïcs, à l’œcuménisme, à la pastorale des familles, à la place des femmes dans notre Eglise, à la vie et au ministère des prêtres, à l’évangélisation parmi les jeunes, etc…
J’entends autour de moi le gémissement de beaucoup de cœurs chrétiens…et douloureux. Comment ne pas les encourager, plus que jamais, à prier et à lutter en Eglise, pour continuer de croire, d’espérer et d’aimer. Avec patience certes, mais aussi avec impatience. En manifestant l’une et l’autre, dans un esprit de communion active et aussi critique.
Sans jamais oublier que le cœur de l’Eglise, finalement, bat dans le cœur du Christ crucifié et ressuscité, là où Jésus ne cesse d’envoyer l’Esprit Saint sur l’humanité et sur son Eglise, afin de « renouveler la face de la terre ». (Ps 104, 30).

Claude Ducarroz


A paru sur le site  cath.ch  le 5 juin 2019

dimanche 28 avril 2019

50 ans ordination B. Jordan

Homélie
50 ans d’ordination de Bernard Jordan

Trois. Il faut trois amours pour faire un prêtre. Plus d’autres choses aussi, pour faire un bon prêtre. Comme vous le devinez, toute allusion à un prêtre présent ici ne serait qu’involontaire et fortuite. Car je me réfère au prêtre Thomas dont parle l’évangile de ce dimanche.

*  Pour faire un prêtre, il faut d’abord un amour humain, celui d’un père et d’une mère, unis par la tendresse et le respect. J’en vois une allusion discrète mais claire : ce Thomas est toujours surnommé Didyme. C’était un jumeau, circonstance on ne peut plus familiale, entre la surprise et le bonheur.
Par d’autres contingences et incidences, nous sommes tous d’abord des êtres humains, pétris de surprises et de bonheurs partagés, pour lesquels il nous faut rendre grâces, dans le miroir de nos parents et de nos familles d’origine. Pour le prêtre aussi, d’abord un humain parmi d’autres. Premier amour : la vie !

* Il faut ensuite devenir un chrétien. Certains ont reçu la grâce –de plus en plus rare de nos jours- de l’être presque sans avoir à le devenir, tant le cadeau de la foi au Christ était déjà déposé dans leur berceau.

Thomas n’était pas de ceux-là, semble-t-il. Appelé par Jésus de Nazareth parmi la fratrie des autres apôtres, il n’a jamais cessé de se poser bien des questions. Était-il moins croyant ou plus intelligent que les autres ? Il réfléchissait beaucoup. C’est lui qui dit un jour au Seigneur en public : « Nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ? »  (Jn 14,5).
 Mais il est allé plus loin, jusqu’au risque de l’incroyance. Ses collègues ont beau lui dire : « Nous avons vu le Seigneur ». Lui en conclut : « Non, je ne croirai pas. ».
Mais Thomas est aussi celui qui ira le plus loin –ou plutôt le plus profond- une fois passée l’épreuve du doute : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Un dur à cuire qui suscite ce commentaire de Jésus, sous la forme d’une béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! »
Il me semble que ça nous concerne tous ici, prêtres ou pas, et même les religieuses. Plus que jamais de nos jours, au sein d’une Eglise qui saigne encore au pied de la croix de Jésus, la foi est une victoire de haute lutte, au goût fragile de Pâque.
Seul Jésus peut nous donner ce cadeau-là en nous le disant à plusieurs reprises : « La paix soit avec vous ! »
Deuxième amour : la communion au Christ ! !

* Et puis le troisième. Pour ces apôtres –et finalement aussi pour Thomas, avec quelque retard-, c’est l’envoi, autrement dit la vocation, ici au ministère du pardon des péchés, mais peut-être avec une allusion eucharistique : toucher les plaies du corps de Jésus crucifié et ressuscité.
Une vocation nécessairement très personnelle, mais aussi profondément communautaire, dans la rude fraternité des Douze.

Mais attention ! Ces mêmes qui, pour le moment, se trouvent  enfermés dans une maison aux portes verrouillées  -ils avaient peur- seront bientôt propulsés sur la place publique par l’Esprit d’un appel devenu un puissant envoi.
Sans crainte, vers les gens, pour les gens, à commencer par les plus souffrants et les plus nécessiteux.

Décidément, on n’est pas prêtre pour goger là où ça sent bientôt le moisis, mais pour courir la belle aventure de l’apostolat en pleine pâte humaine, pas comme des pachas de l’évangile, mais comme d’humbles serviteurs de leurs frères et sœurs, humains d’abord, et tant mieux s’ils deviennent aussi chrétiens avec nous. Le troisième amour : le ministère !

Trois amours, en donnant la main à Thomas Didyme, à Thomas le croyant laborieux mais réussi, à Thomas l’apôtre dans son service d’évangélisation par la parole, les sacrements et bien d’autres ministères. Toujours pour les autres, toujours avec les autres, mais comme Jésus.

Et si c’était finalement un seul amour.
Dieu est Amour, et ça suffit. Mais un amour trinitaire évidemment, celui qu’on trouve ou retrouve dans la merveilleuse dignité de tous les baptisés, tous à égalité de grâce, de miséricorde et de témoignage « à cause de Jésus et de l’évangile ».

Dieu-Amour-Trinité : notre trésor commun, ouvert par le Christ au matin de Pâques, offert à toute l’humanité.

Et nous les prêtres –pas les seuls évidemment, et pas nécessairement les meilleurs-, nous voici serviteurs de ce cadeau-là.
Pour notre bonheur et aussi pour votre bonheur à vous, du moins nous l’espérons. Dans la source trinitaire et dans les fruits de la Pâque.


* L’amour humain, de chair, de cœur et d’âme : Dieu le Père créateur.
* L’amour chrétien, par les promesses universelles de l’évangile du Christ sauveur.
* L’amour par le ministère dans l’Esprit puisque Jésus souffla sur ses apôtres en leur disant : « Comme le Père m’a envoyé…je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint. »

Trois amours qui n’en font qu’un, tout en conservant la richesse des trois.

Bernard, il y a 50 années que ça dure pour toi. En te félicitant et en te remerciant, nous t’en souhaitons encore de nombreuses.
Pour ta joie et la nôtre.
 Et surtout pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Claude Ducarroz




samedi 20 avril 2019

Pâques 2019

Homélie Pâques II Voilà ! C’est fait, et bien fait. Du moins pour Jésus de Nazareth. Vous connaissez la nouvelle, la bonne nouvelle : « Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité, alleluia ! » Tant mieux pour lui, me direz-vous. Et pour nous, qu’en est-il ? C’est une bonne question, de lendemain d’hier, le lendemain de cette sainte nuit. Il y a assez de témoignages crédibles, y compris celui des femmes, malgré ce qu’en pensaient les apôtres hommes, et déjà quelque peu machistes. Oui, nous pouvons les croire, en fonction de rencontres étonnantes, qu’elles d’abord, puis ils n’ont pu inventer. Même s’il ne faut pas s’en étonner : alors comme aujourd’hui, il y eut aussi des « lents à croire », ainsi que les disciples d’Emmaüs, et même des incroyants assumés, comme le fut d’abord l’apôtre Thomas lui-même. Car il n’est pas si simple, quand on est un mortel et qu’on a déjà croisé la mort en soi et autour de soi, d’admettre qu’il puisse y avoir encore une vie après cette mort, même si nos désirs les plus profonds allument parfois en nous cette folle espérance. Heureusement, les faits sont là, dignes de foi, si incroyables qu’ils demeurent pour respecter notre liberté : « Le disciple entra dans le tombeau, il vit et il cru. » Marie Madeleine vint annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur vivant. Et Thomas lui-même –un dur à cuire- finit par s’exclamer en touchant les cicatrices du crucifié: « Mon Seigneur et mon Dieu. » Alors nous, maintenant ? Sommes-nous avant ou après la résurrection ? Pour répondre à cette question, il nous faut fréquenter un autre apôtre, qui n’était pas présent au moment des faits, ni à la croix, ni au matin de Pâques. Comme nous en somme. Paul de Tarse ose écrire aux Colossiens : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. » Autrement dit : c’est fait pour Jésus, et c’est comme si c’était déjà fait pour vous, même si c’est plutôt en espérance. Mais cette espérance ne peut pas décevoir « parce que l’Esprit Saint a été répandu dans nos cœurs », dit-il. En fait, nous naviguons entre la résurrection de Jésus et la nôtre à venir, celle-ci étant solidement amarrée à la première par un lien d’amour incassable : « Là où je suis, vous serez aussi avec moi. » On peut estimer que cette situation est un peu inconfortable. Tout est réalisé en Jésus, jusque dans sa chair transfigurée, mais tout reste à réaliser en nous, même si nous sommes bel et bien des promis à la résurrection. N’oublions pas que le cadeau reçu du Christ, même s’il doit encore déployer ses effets, fait déjà de nous des enfants de la Pâques, comme dit Jésus lui-même, des fils et filles de la résurrection (Lc 20,36). Il y a en nous l’ADN de Pâques. Ca ne change pas encore tout puisque nous sommes encore en attente de la pleine rédemption de notre corps, mais ça peut et même ça doit déjà changer beaucoup de choses, dès maintenant, dès ici-bas. Comment vivre en futurs, mais certains ressuscités ? Avec les énergies de l’Esprit pascal, il nous faut semer de la Pâque partout, en chacun de nous, autour de nous, dans l’Eglise et dans la société. Avec honneur, avec bonheur. * En nous d’abord, par un regard positif sur nous-mêmes, y compris notre corps et la sexualité, puisque nous sommes appelés à ressusciter corps et âme, même s’il est inutile d’en imaginer les modalités concrètes. Tout est digne d’être sauvé par le Christ pascal. * Soigner nos relations dans le sens du respect de cette même dignité chez les autres, par des engagements en faveur de la justice, de la paix et de la compassion autour de nous. Il y a encore tant à faire pour être des ferments de pâque dans notre société. * Accueillir avec reconnaissance notre destinée éternelle, au-delà de la mort, en favorisant la vitalité spirituelle de nos existences, y compris par la méditation de la parole de Dieu, la prière et les sacrements, tous pascals. *N’oublions pas l’Eglise, notre Eglise, surtout par les temps qui courent, elle qui a tellement besoin de passer par une pâque pour renaître après tant de relents mortels autour de certains scandales. Aimons-la assez pour collaborer à sa réforme. Vaste programme, me direz-vous. C’est vrai. Mais aussi quelle belle vocation ! Nous sommes tous convoqués par Jésus le vivant à être des artisans de vie, d’amour, de réconciliation, de fraternité sans barrière et sans frontière. Des pascals. N’est-ce pas stimulant, et gage de bonheur partagé, que nous soyons des médiateurs de pâque appliquée, pas dans des éclats retentissants, mais dans la petite monnaie de l’existence que le Ressuscité peut transfigurer en trésor d’éternité. Ne repartons pas comme avant. Laissons-nous ressusciter avec le Christ. Laissons-nous pâquer. Nous sommes les enfants de l’alleluia. Claude Ducarroz