mardi 26 novembre 2013

Lisez l'encyclique du pape François

Lisez l’encyclique sur la lumière de la foi

Benoît XVI et le pape François se sont mis ensemble pour nous offrir une belle réflexion sur la foi. Et ça vaut vraiment la peine de méditer cette encyclique « à quatre mains », comme on le dit de certaines sonates pour piano.
Ce qui frappe d’abord, c’est la prise en compte des idéologies actuelles face à la proposition de la foi. De Nietzsche à Wittgenstein, on sent que le pape allemand connaît ses classiques philosophiques. Que nous le voulions ou non, nous baignons dans cette atmosphère qui situe la foi comme une illusion (no 2) ou un saut dans le vide (no 3). La réponse papale est sereine et surtout intelligente : la foi éclaire toute l’existence humaine parce qu’elle vient de Dieu. (no 4). C’est donc du gagné pour l’homme et son passage sur cette terre.
Si la foi vient du passé (la mémoire des œuvres de Dieu dans l’histoire, d’Abraham à Jésus), elle ouvre un bel avenir puisqu’elle promet de nous conduire au-delà de la mort à cause de la résurrection du Christ. Et dans l’entre-deux, c’est l’aventure d’une communion, tant la foi est inséparable de l’amour reçu et donné. Retenons cette belle formule d’un des premiers martyrs chrétiens : « Notre vrai père, c’est le Christ et notre mère la foi en lui. » (no 5) parce que la foi chrétienne nous engendre à une vie nouvelle.
« La foi n’est jamais un fait acquis », nous rappelle le pape. Autrement dit, il faut  que ce don de Dieu soit nourri et renforcé pour qu’il continue à conduire notre marche. (no 6).
Si la foi suppose que l’homme puisse accéder à la vérité (ch. deuxième), cette même foi a besoin de réentendre les accents de la Parole qui appelle sans cesse, comme elle l’a fait tout au long de l’histoire du peuple d’Israël. Une parole d’amour évidemment, puisque l’homme ne peut croire qu’à celui qui l’aime.
C’est dire aussi qu’on ne peut croire « tout seul ». La foi se reçoit, s’exprime et se vit en communauté, dans cette Eglise ainsi décrite par Romano Guardini : « …la porteuse historique du regard plénier du Christ sur le monde. » (no 22)
C’est dans l’Eglise que la foi trouve et sa source et sa nourriture.  L’encyclique insiste sur le baptême (nos 41-43) et sur l’eucharistie (no 44), sans oublier l’importance de la confession de foi par le Credo (no 45) et l’expression de la prière, par excellence le Notre Père (no 46).
Si la foi nous offre de solides convictions, elle demeure une continuelle recherche, comme saint Augustin a si bien su nous le rappeler (nos 33-35) et comme la théologie nous y aide, avec le magistère de l’Eglise. (nos 36 et 49)
On pourrait croire que la foi est une affaire tellement personnelle qu’elle devient intimiste. Il n’en est rien. Croire au Dieu de Jésus-Christ change aussi notre regard sur le monde et influence nos pratiques dans la société, y compris dans la vie de famille et notamment dans les temps d’épreuves et de souffrances. (ch. quatrième).
Nous avons sûrement besoin de modèles et d’accompagnants pour vivre la difficile aventure de la foi. Alors, nous recommande le pape, « tournons-nous vers Marie, mère de l’Eglise et mère de notre foi » (no 60), et nous serons plus forts pour témoigner de cette foi, avec toute l’Eglise, dans le monde d’aujourd’hui.

                                                                                              Claude Ducarroz

Pape François  La lumière de la foi   Documents d’Eglise  Bayard Editions 2013


samedi 9 novembre 2013

In memoriam 2013

Homélie
In memoriam 2013

On vit une drôle d’époque ! Ou peut-être faudrait-il l’appeler tragique.

Tandis qu’une armée envahit pacifiquement une cathédrale pour y participer à une célébration religieuse en mémoire de ses soldats morts -non pas au combat, mais sans avoir eu à combattre-, voici que l’actualité de notre monde nous offre chaque jour les images insoutenables de batailles cruelles qui massacrent surtout des civils innocents. La triste galerie des horreurs humaines ou plutôt inhumaines.

Et voici que la liturgie de cette messe -celle que l’Eglise catholique prévoit pour le 32ème dimanche du temps ordinaire- en rajoute une couche : dans la torture –c’est la première lecture-, dans la méchanceté –selon l’aveu de saint Paul- et dans sept mariages successifs pour une pauvre veuve dont on dit que, finalement, elle mourut aussi. On ne sera pas très étonné.

Y a-t-il un fil rouge positif entre ces textes qui semblent nous parler des fatalités douloureuses de la mort plutôt que des élans courageux vers la vie ?
Sans tomber dans le piège des rapprochements artificiels, il me semble que l’on peut lire entre les lignes de ces récits d’apparence pessimiste, des éclairs de valeurs et de promesses qui rejoignent et le public et les circonstances qui nous rassemblent maintenant dans cette cathédrale pour la célébration traditionnelle de l’In memoriam.


Les valeurs d’abord.
Dans la première lecture, il y a cette déclaration de bravoure admirable : « Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Aujourd’hui encore, à cause de Jésus et de l’Evangile, des hommes et des femmes de grande foi font l’expérience de tels sacrifices à travers le monde. Sans compter le courage de celles et ceux qui, chez nous, pour ces mêmes motifs, tiennent bon dans leur fidélité chrétienne au cœur d’une société certes  libérale, mais où les pressions de l’ironie, de la publicité antireligieuse et de la déchristianisation rampante exigent autant de vaillance pour continuer à croire et à témoigner pour sa foi.

Et nous n’oublions pas celles et ceux qui, même sans religion, mais poussés par des idéaux humanistes, s’engagent dans des fidélités coûteuses pour maintenir le cap élevé de leur bel idéal humain. Celui qu’avaient sans doute les soldats et les patriotes que nous évoquons avec respect et gratitude aujourd’hui.

Dans la deuxième lecture, l’apôtre Paul demande de prier pour échapper à la méchanceté des gens qui nous veulent du mal. Oui, prier pour eux. Voilà qui ouvre un champ infini d’intercession et de charité pour faire face à l’hostilité de ceux qui ont choisi la violence pour vaincre au lieu du dialogue pour convaincre. Que peuvent faire les petits, les faibles, les pauvres qui sont victimes des violents, des puissants, des injustes de notre temps ? Nous croyons que la prière est aussi une arme, certes bien mystérieuse, mais efficace, à cause de la protection de Dieu promise à ceux qui l’invoquent avec confiance en préférant les fécondités du pardon aux fausses victoires de  la vengeance.

Dans l’évangile, derrière cette étrange histoire de la veuve mariée sept fois, c’est finalement la clef de voûte de tout l’édifice qui nous est présentée. Il n’y a rien dans ce texte qui attaque le mariage, comme si l’idéal, déjà en ce monde, était le célibat sans enfant. Jésus se situe et nous situe dans le perspective du royaume de Dieu, à savoir dans l’au-delà de la résurrection, là où le mariage, de toute évidence, ne servira plus à rien, tant la communion parfaite avec le Dieu d’amour suffira à notre plein bonheur.

Ce que Jésus veut nous dire, c’est que la destinée humaine ne s’arrête pas avec la vie sur cette terre, toujours conclue par la mort. A cause de sa Pâque à lui, une autre espérance est possible, une autre promesse est certaine. Et cette trouée vers la vie éternelle change tout dès ici-bas. Ces paroles –qui conviennent si bien aux soldats dont nous faisons mémoire aujourd’hui- sont particulièrement importantes : « Puisque nous mourons par fidélité, le Roi du  monde nous ressuscitera pour  une vie éternelle. » Et encore : « Mieux vaut mourir par la main des hommes quand on attend la résurrection promise par Dieu. »

C’est cette même foi pascale qui permet à l’apôtre Paul d’écrire aux chrétiens de Thessalonique soumis à des persécutions : « Laissez-vous réconforter par le Christ qui nous a toujours donné courage et joyeuse espérance. »
Car finalement, comme dit Jésus lui-même, « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous vivent par lui. »

Notre célébration évoque nos morts, avec émotion et reconnaissance. Mais nous sommes ici dans un lieu de foi. Nous prions pour et avec nos morts dans l’espérance de la résurrection. Nous voyons le sacrifice de ces soldats et de leurs familles –ne les oublions pas !- dans la lumière pascale. C’est pourquoi notre rassemblement est certes grave mais pas désespéré.
Déjà ici-bas, nous récoltons, comme fruits de leur sacrifice, les cadeaux de notre liberté, de notre prospérité et de notre fraternité toujours plus universelle.

Si nous venons leur dire merci dans cette cathédrale, selon une antique coutume, ce n’est pas pour céder à l’habitude d’une pieuse tradition. C’est parce que nous croyons aussi, avec tous ceux et toutes celles qui luttent, aujourd’hui encore, pour une humanité de justice, de solidarité et de paix, que la destinée humaine dépasse les aléas souvent tragiques de notre pauvre histoire pour accéder un jour aux splendeurs d’une gloire éternelle.

Alors la mémoire, tournée vers le passé, se retourne plutôt vers l’avenir, là où nous sommes attendus, mieux que dans le souvenir : dans le bonheur d’une vie qui sera éternellement cadeau.
 Enfin !


                                   Claude Ducarroz

samedi 2 novembre 2013

Homélie du 31ème dimanche du temps ordinaire

Homélie du 31ème dimanche du temps ordinaire

« Contre. Elles étaient contre. Contre tout. Et surtout contre le plaisir, la joie, la fête. Elles étaient contre la vie. »
Il y a une semaine, dans un restaurant, j’écoutais les souvenirs de jeunesse racontés par une bande de copines qui évoquaient leur temps de passage dans des pensionnats tenus par des religieuses. Je précise que c’était il y a déjà  bien longtemps et qu’il y avait d’heureuses exceptions dans ces jérémiades qui les faisaient encore rire… jaune ! Moi pas !

Car je mesurais les dégâts occasionnés par une telle image de l’Eglise que ces mamans –ou plutôt grand’mères- peuvent générer dans le cœur de leurs enfants et petits-enfants quand elles leur racontent ces histoires devenues drôles avec le temps, mais finalement navrantes quand on les entend pour la première fois, comme c’était mon cas.
Est-ce cela la religion, la religion chrétienne, la bonne odeur de l’Evangile ?

Et avec vous je viens d’entendre, heureusement, une toute autre musique. Oui, ça fait du bien d’ouïr l’auteur du livre de la Sagesse : « Seigneur, tu aimes tout ce qui existe…, tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui… Tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître qui aimes la vie. »

Il nous faut d’abord annoncer ceci : Dieu est notre créateur et même notre Père. Il nous a fait  le cadeau de la vie par amour. Et il ne regrette pas ses dons. Insinuer, par une attitude qui voit le mal partout, que Dieu est l’ennemi de notre bonheur, surtout ici-bas, c’est présenter de Dieu une caricature qui provoque l’incroyance et même l’athéisme.
Au point que Nietzsche a pu dire des prêtres : « Ils ont appelé Dieu ce qui leur faisait mal… Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la croix. »

Mais me direz-vous aussitôt : « Le mal existe. Il suffit de lire les journaux, d’écouter la télé pour savoir jusqu’où l’homme –les hommes, nous- sont capables du meilleur, mais aussi, hélas !, du pire. » Et c’est vrai. Mais contemplons ensuite la réaction de Dieu. C’est encore une affaire d’amour : « Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis… pour qu’ils se détournent du mal et qu’ils puissent croire en toi, Seigneur. »

Parce que Dieu est Amour, il ne peut cesser d’aimer, de nous aimer.  Et c’est encore un effet mystérieux de cet amour qui fait pression sur notre conscience et sur notre cœur pour que nous passions par la conversion, afin de trouver ou de retrouver les chemins du vrai bonheur, en faisant d’autres heureux autour de nous.
C’est dans cet esprit que priait saint Paul pour ses paroissiens de Thessalonique : « … afin  que notre Dieu vous trouve dignes de l’appel qu’il vous a adressé… Ainsi notre Seigneur Jésus aura sa gloire en vous et vous en lui. »

S’il fallait une illustration de cette vérité, on la trouve justement dans l’évangile de ce jour. Zachée n’était pas un homme malheureux, mais il n’était pas heureux non plus. Un peu comme nous, il y avait un creux au fond de son cœur et sa conscience ne le laissait pas en paix. C’est pourquoi, comme il est écrit, « il cherchait à voir qui était Jésus qui passait par là.»


Et tout le reste est une histoire d’amour, celle qui transforme une vie, celle qui rend le bonheur. C’est Jésus qui lève les yeux vers lui et l’invite à descendre de son sycomore, « car il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »
Pas une leçon de morale contre le bonheur mais tout au contraire, puisque ce pécheur « reçut Jésus avec joie. » Et à ceux qui se scandalisèrent qu’il soit allé loger chez un pécheur, Jésus répondit seulement : « Lui aussi est un fils d’Abraham… car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

L’Eglise –que nous sommes, ne l’oublions pas !- doit d’abord montrer qu’elle aime l’homme, tout être humain, quel qu’il soit, parce qu’elle veut imiter son Seigneur qui est venu montrer et démontrer en ce monde l’Amour de Dieu, le Père universel.

Bien sûr, elle ne peut pas ignorer le mal, et notamment le péché, parce que cette Eglise est elle-même composée des pécheurs que nous sommes et parce que ces maux et ces péchés sont les plus graves ennemis de l’humanité, de son présent déjà et de son avenir éternel.

Mais la puissance de l’Esprit du Christ fait ensuite de nous et de tous les hommes et femmes de bonne volonté des apôtres d’une bonne nouvelle et non pas les pourfendeurs désespérants de tous les vices. « Jusque dans leurs discours, je flaire encore le vilain relent des sépulcres. », ajoutait Nietzsche.

Or c’est par une lumière de Pâques que Jésus veut illuminer le monde, par la miséricorde qu’il veut le sauver en le conduisant dans son Royaume, comme chante le psaume de ce jour : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. La bonté du Seigneur est pour tous… Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent. Il redresse tous les accablés…Que tes fidèles te bénissent…Qu’ils parlent de tes exploits. »

Je crois que le pape actuel nous invite à marcher sur ce chemin. Pas pour croire et faire croire que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », mais pour montrer que seul l’amour est digne de foi. Et que, par conséquent, c’est en multipliant le bien que nous parviendrons à faire reculer le mal, par la puissance de l’amour de Dieu en nous, autour de nous et jusqu’au bout du monde.

Une Eglise mobilisée par et pour l’amour : voilà l’idéal que nous devons poursuivre et pour lequel nous prions, conscients que nous sommes de nos fragilités, certes, mais surtout et d’abord heureux de nous savoir aimés par l’Amour même.

Celui qui vient maintenant à notre rencontre dans cette vivante eucharistie, à partir de cette béatitude : « Heureux les invités au repas du Seigneur. »

                                   Claude Ducarroz