dimanche 29 janvier 2012

Pour la fête de la conversion de saint Paul

Homélie
Fête patronale de saint Paul

Voulez-vous connaître l’actualité ? Lisez votre journal préféré. Voulez-vous comprendre l’actualité ? Relisez saint Paul, surtout s’il s’agit de l’actualité de l’Eglise, des Eglises.
Ce matin, au milieu d’une communauté qui est placée sous ses vastes ailes apostoliques, je voudrais retenir trois vérités importantes tirées de sa vie et de ses œuvres.

D’abord que le Christ doit avoir en tout la priorité et la primauté, comme ce grand apôtre l’a compris dès sa fulgurante découverte sur le chemin de Damas, comme il ne cesse de le rappeler tout au long de ses lettres (par ex. Col. 1,18).
C’est valable pour chaque chrétien baptisé dans la mort et la résurrection de Jésus. C’est d’actualité pour chaque Eglise au lendemain de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. C’est donc aussi la feuille de route de chaque communauté locale -par exemple une paroisse- qui désire retrouver plus en profondeur ses raisons d’être et d’agir au-delà des restructurations de surface.
Oui, le Christ d’abord, celui qui est, qui était et qui vient, celui de l’évangile et de l’eucharistie, celui qui nous mène au Père et nous donne l’Esprit, le Vivant et le Présent à nos existences personnelles et communautaires.

Deuxièmement, ainsi que le prouve une fois de plus l’expérience de Paul, le Christ ne nous est jamais donné tout seul. Il vient à nous avec l’Eglise. Touché, bouleversé et même renversé par le Christ ressuscité, Paul a été aussitôt renvoyé à l’Eglise, celle qui le précédait, qu’il voulait persécuter, celle qui l’attendait pour la suite des évènements.
C’est dans l’Eglise de Damas, auprès d’Ananie, qu’il a été guéri de son aveuglement, qu’on lui a imposé les mains, qu’il a été baptisé, qu’il a reçu l’Evangile au point de vouloir ensuite l’annoncer aux païens en sillonnant le monde de Jérusalem jusqu’à Rome.
Le Christ et l’Eglise, c’est un multipack, l’une en complète dépendance de l’autre évidemment –malgré tous ses défauts certes-, mais toujours inséparables.
En cette année où nous allons évoquer les 50 ans du Concile Vatican II, qui avait mis à son programme la redécouverte du mystère de l’Eglise et la réforme de cette vénérable institution, il est bon de s’en souvenir.

Enfin l’apôtre Paul nous aide justement à mieux vivre la vie concrète de l’Eglise et des Eglises. Il fut l’apôtre-surprise, surajouté et par là dérangeant. Il se dit le dernier des apôtres et même l’avorton, mais il n’a jamais cessé de défendre son plein apostolat, même si sa mission était originale et parfois un peu marginale.
La présence active de Paul parmi les apôtres de la première heure a parfois provoqué des interrogations, des tensions, des discussions et même des contestations, y compris dans sa relation avec Pierre.
La réaction évangélique, ce fut la rencontre, le dialogue, la prière à l’Esprit et, par exemple, ce que l’on a appelé le concile de Jérusalem quand il fallut tout remettre sur la table, dans une ambiance de crise, pour maintenir la communion au lieu d’engendrer la division.
Paul, dans sa volonté de demeurer fidèle à sa vocation propre, mais aussi dans sa détermination de garder l’unité essentielle, nous indique, aujourd’hui encore, un itinéraire vraiment œcuménique. C’est celui qui doit réconcilier la diversité légitime et la nécessaire unité dans une Eglises des Eglises, dans une vaste communauté à la fois plurielle et profondément unie.

Que sa prière, que son exemple, que son message nous guident sur ce chemin plus que jamais indispensable au témoignage chrétien dans notre monde.
« Qu’ils soient un comme nous sommes un, priait déjà Jésus, afin que le monde croie! »

Claude Ducarroz

dimanche 22 janvier 2012

Célébration pour l'Unité

Célébration pour l’unité 2012



En plein dans le mille, diraient les tireurs. Retour au centre, diraient les footballeurs. Dans la lecture que vous venez d’entendre, l’apôtre Paul ramène l’Eglise –nos Eglises- à l’essentiel de l’évangile. « Je vous rappelle, frères, l’évangile que je vous ai annoncé », comme si l’Eglise de Corinthe avait tendance à l’oublier. Et c’est au cœur du mystère pascal que Paul nous conduit car, dit-il, « je vais vous faire connaître un mystère », celui de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus, avec toutes ses conséquences pour nous, avant, pendant et après notre mort.



L’imagerie emprunte ses symboles à la littérature apocalyptique, avec les trompettes finales telles que les anges en font un concert, par exemple au tympan du portail de la cathédrale saint Nicolas. Mais annoncer la victoire du Christ sur le péché et sur la mort –en lui d’abord, puis en nous- demeure toujours d’actualité, même si cette bonne nouvelle semble de plus en plus exotique dans une société matérialiste en laquelle prendre son pied avant la mort semble plus important que s’interroger sur ce qui se passera après la mort.



Les chrétiens -et donc les Eglises- savent qu’elles doivent allier dans leur prédication et dans leur vie concrète un double témoignage : prendre au sérieux l’existence sur cette terre visitée par Dieu dans le Christ et annoncer courageusement la venue promise du Royaume de Dieu, quand Dieu sera tout en tous au-delà de ce monde, depuis que ce même Jésus est ressuscité d’entre les morts.

Oui, garder les pieds bien sur terre et tourner déjà nos regards vers le ciel : voilà la prédication et la pratique de nos Eglises, toujours réinvitées à tenir ensemble la pleine solidarité avec notre humanité en marche – nous sommes comme tout le monde et avec tout le monde- et la tension vers le but du pèlerinage qui est la maison pascale où Dieu nous attend avec Jésus, le premier né d’entre les morts.



Paul relie admirablement ces deux moments de l’aventure humaine quand il dit : « Rendons grâces à Dieu qui nous donne la victoire par Jésus-Christ » et « Faites des progrès dans l’œuvre du Seigneur en sachant que votre peine n’est pas vaine. »



Passer peu à peu de ce monde au Père, comme Jésus et avec Jésus, c’est l’itinéraire de chacun de nous, c’est aussi celui de nos Eglises. Et pour cela il leur faut aussi se libérer sans cesse de ce qui n’est que mortel et corruptible en elles pour se laisser revêtir de ce qui est immortel et incorruptible, pour employer les mots de l’apôtre Paul.



Nos divisions séculaires, nos jalousies mesquines, nos concurrences déloyales : voilà ce qui est corruptible en nous et entre nous, ce qui porte encore des ferments de mort. Il est temps que nous nous laissions convertir par Dieu à ce qui est source de vie dans nos Eglises, à savoir ce que notre commune confession de foi nomme l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité.



Avec retard, j’en conviens - mais mieux vaut tard que jamais-, l’Eglise catholique est monté dans le train de œcuménisme avec le concile Vatican II il y a exactement 50 ans. Je crois pouvoir dire, malgré les tentatives contraires de quelques esprits chagrins, qu’elle n’est pas redescendue de ce train-là. J’ose même vous assurer qu’elle n’en redescendra jamais, ainsi que n’ont cessé de l’affirmer les papes successifs, y compris celui d’aujourd’hui. J’ai été frappé par une évolution de vocabulaire chez Benoît XVI à propos du jubilé des 50 ans du concile. S’il n’a pas retenu l’herméneutique de la rupture, il a abandonné l’herméneutique de la continuité pour prôner maintenant l’herméneutique de la réforme.

Un mot à connotation éminemment œcuménique, comme vous l’imaginez bien de la part d’un pape allemand.



Il nous faut donc demander -les uns pour les autres et jamais les uns sans les autres- dans notre intercession pour l’aventure de l’œcuménisme, la grâce que Paul souhaitait à ses paroissiens de Corinthe : « Soyez fermes et inébranlables, mais faites aussi sans cesse des progrès dans le Seigneur ».

Quelle plus belle « œuvre du Seigneur », je vous le demande, que de relever le défi œcuménique aujourd’hui, être un et donc unis « afin que le monde croie ?»

J'ai fait un rêve ...oecuménique

Claude Ducarroz

J’AI FAIT UN REVE…


1. L’Eglise – au sens de corps communautaire de Jésus-Christ ressuscité – est blessée et handicapée par les Eglises – au sens de confessions – encore incapables d’articuler correctement l’unité dans l’essentiel et la diversité source d’enrichissement réciproque.

2. Grâce à des rapprochements multilatéraux et à des convergences en cascades, il s’agit de reconstituer le puzzle ecclésial disloqué par nos divisions historiques. Le but est de parvenir à refléter ensemble l’Eglise selon l’Evangile, à savoir une communauté chrétienne unie et plurielle sur le modèle trinitaire.

3. Toutes les Eglises ont besoin de passer par des démarches de conversion au niveau des doctrines, des institutions et des pratiques. Ces démarches ne peuvent aboutir que dans un climat de prière pénitentielle, d’humilité non humiliante et de réconciliation inter-ecclésiale. C’est l’Esprit de Dieu qui seul peut reconstituer le puzzle évangélique entre nous et avec nous.

4. Dans nos corbeilles respectives, nous avons tous à la fois :
 Des charismes et des dons spécifiques pour lesquels nous rendons grâce
 Des déviations et des infidélités dont nous devrions être prêts à nous laisser défaire, pour notre libération et pour le service de tous
 Des questions comme un service fraternel aux autres Eglises afin qu’elles puissent les aider à devenir plus évangéliques.

5. Et si chaque Eglise, en prière et en pénitence, devant Dieu et devant les autres Eglises, dressait dans la vérité et l’humilité la liste :
 De ses charismes inaliénables qu’elle estime devoir offrir aux autres comme un humble cadeau
 De ses points faibles et de ses péchés pour lesquels elle se déclare prête à la conversion et à la réforme
 De ses interpellations pour les autres afin qu’elles grandissent dans la lucidité et la volonté de conversion ?

6. Trois principes ne devraient jamais être oubliés :
 L’œcuménisme n’est pas un statu quo de type fédératif, ou une pure tolérance libérale, mais un mouvement qui veut rejoindre le projet de Jésus sur son Eglise, à savoir le témoignage cohérent d’une communauté une et unie, mais aussi diverse et plurielle, non sur le modèle humain, mais selon le rêve de Jésus, notre Pasteur
 Les charismes propres des Eglises sont souvent aussi le lieu de leurs infidélités par rapport à l’Evangile qui les empêchent d’être compris et accueillis par les autres ; ce que nous avons de meilleur doit passer par la conversion pour être partageable et enrichissant
 Tant qu’une Eglise estime grave telle question, il faut que toutes les autres la prennent au sérieux, car c’est le signe qu’un enjeu important est situé à cet endroit ; dès lors aucun problème ne peut échapper à priori au dialogue, à la remise en question et donc à la réforme.

A quand un vaste concile universel qui remettrait tout sur la table, comme on étale un puzzle déjà en voie de reconstitution, en ayant soin d’apporter toutes les pièces manquantes, chaque Eglise essayant d’ajuster les siennes aux autres pour que le visage du Christ resplendisse à nouveau dans le monde par le rayonnement de l’Eglise des Eglises ?



Claude Ducarroz

Homélie pour le dimanche de l'unité

Homélie du dimanche de l’unité 2012

Il s’appelait André, comme l’un des premiers apôtres de Jésus dans l’évangile de ce dimanche. Il était pasteur protestant. Je l’avais rencontré lors d’un camp biblique œcuménique. Quand je l’ai revu, quelques années plus tard, nous avons fraternisé autour de la question œcuménique. Tout à coup, André me regarde dans les yeux. Les siens étaient pleins de larmes. Et il me dit : « Vous, les catholiques, vous nous manquez. Mais nous, les protestants, je n’ai pas l’impression qu’on vous manque. » J’ai compris alors que l’œcuménisme, ça commence quand l’autre nous manque.

Sur les bords du lac de Galilée, Jésus vit deux frères, André et Simon. C’étaient des pêcheurs. Il les appela ensemble en leur disant : « Venez derrière moi. Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, ils le suivirent. Et de même avec deux autres frères, Jacques et Jean. Il les appela aussi, et ils partirent derrière Jésus.

Il ne faut pas séparer ceux que Dieu a choisis ensemble. Il ne faut pas opposer ceux que Jésus a convoqués à la même fraternité. Ce qui vaut pour les apôtres individuellement vaut aussi pour les Eglises. La désunion des chrétiens est une grave infidélité à la volonté de Jésus qui a prié pour tous ses disciples en disant au Père, la veille de sa mort : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi ». La séparation des Eglises est un énorme scandale parce qu’elle empêche la réalisation de cette autre prière de Jésus : « Qu’ils soient parfaitement un afin que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »
Dès lors, puisque notre péché a semé la division entre nous au cours de notre tragique histoire, il est essentiel que l’œcuménisme progresse et finalement réussisse parce que c’est la volonté de Dieu et parce que c’est la prière de Jésus.

L’œcuménisme n’est pas un aspect marginal de la vie de nos Eglises, une spécialité pour érudits ou le hobby de quelques passionnés de la chose. L’œcuménisme est une dimension de la vie de toute l’Eglise, que nous sommes. Après le concile Vatican II, qui a fait monter l’Eglise catholique dans le train de l’oecuménisme déjà en marche, les papes successifs, y compris Benoît XVI, ne cessent de répéter cette conviction et de répercuter cet appel. L’unité des chrétiens doit faire l’objet de notre ardente prière et de nos engagements de fraternité là où nous vivons.

Et ça commence par un changement de regard. Comment je vois les autres, les autres chrétiens, les autres Eglises ? Est-ce que je les observe avec bienveillance, prompts à me réjouir de tout ce qu’ils ou elles font de positif « à cause de Jésus et de l’Evangile » ? Il y a sûrement plusieurs manières de rendre témoignage au Christ. Alors rendons grâces pour la richesse plurielle de nos rayonnements chrétiens en ce monde.

Et puis, si nous sommes tous des baptisés disciples de Jésus, certes imparfaits mais également aimés de lui, nous pouvons déjà communier dans tout ce qui nous rassemble et nous unit. Je pense en particulier à la parole de Dieu telle qu’elle est consignée dans la Bible. En septembre 2010, à Fribourg, à travers l’initiative « FestiBible », nous avons montré que la parole biblique pouvait renforcer notre fraternité initiale quand nous la lisons, nous la scrutons, nous la prions ensemble.
Cette année, nos Eglises nous invitent à nous laisser interpeller ensemble par l’évangile de Marc grâce à la proposition « La Bible à la maison ». Avons-nous répondu à cet appel ? Avons-nous saisi cette opportunité ?

Et puis il y a tant à faire ensemble dans notre société encore tellement inhumaine. Oui, nous retrouver ensemble pour nous mettre au service des plus pauvres, des démunis, des exclus, chez nous et ailleurs dans le vaste monde. La misère n’a pas de religion. Elle est tout simplement humaine. Les chrétiens ne peuvent qu’être unis quand il s’agit de la soulager, conformément à cette parole de notre commun Jésus : « Tout ce que vous faites à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. »

Enfin il nous reste tant à œuvrer pour faire connaître l’évangile dans notre humanité qui est devenue une immense Ninive dans laquelle nous sommes immergés par la solidarité humaine. Mais nous y avons aussi le devoir prophétique de dire une autre parole que les publicités, de vivre autrement que ce que nous proposent les adorateurs de l’argent, du pouvoir ou des plaisirs égoïstes. Elle vaut aussi pour nous, les chrétiens de notre temps, cette parole adressée à Jonas : « Lève-toi ! Va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne pour elle. »

Nous regarder en frères et sœurs en voie de réconciliation, et non plus en ennemis ou en concurrents, prier et nous laisser éclairer et toucher ensemble par la Parole de Dieu, donner le témoignage d’un service de charité et de justice auprès des malheureux et des oubliés de notre terre, annoncer l’évangile à celles et ceux qui ne le connaissent pas encore ou l’ont déjà oublié : c’est une belle mission œcuménique. Pour la vivre dans l’Esprit de Jésus nous avons besoin les uns des autres, malgré ou plutôt avec nos diversités.

André, tu m’as dit que je te manquais. Je veux te le dire aujourd’hui en toute sincérité : toi aussi, tu me manques. Alors donnons-nous la main de l’œcuménisme en actes.

Car Jésus nous redit à tous : « Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. ».


Claude Ducarroz

samedi 7 janvier 2012

Homélie de l'Epiphanie

Homélie de l’Epiphanie 2012

Enigmatiques ! Ces mages venus d’Orient demeurent profondément énigmatiques dans le contexte du récit élaboré par l’évangéliste Matthieu. Plutôt que d’ajouter du « merveilleux » à un épisode qui en contient déjà beaucoup, essayons de retenir les caractéristiques de ces personnages mystérieux, parce que je crois qu’elles peuvent indiquer un chemin pour le pèlerinage de l’Eglise – que nous sommes – dans le monde d’aujourd’hui. Il est permis d’estimer, en effet, que ces héros de l’Epiphanie peuvent être de bons compagnons de voyage pour notre Eglise, 50 ans après l’ouverture du Concile Vatican II. C’était en 1962.
Ne sommes-nous pas en route dans notre humanité actuelle pour y révéler ensemble le Christ vivant en chrétiens épiphaniques, autrement dit rayonnants par transparence ?
En simplifient un peu, retenons ceci.

+ Les mages venus d’Orient étaient sensibles aux signes qu’ils scrutaient attentivement.

+ Ils se sont mis en route dans la confiance vers un horizon largement inconnu.

+ Ils se sont interrogés. Mieux encore : ils se sont renseignés auprès d’autres instances pour y voir plus clair dans leur aventure religieuse.

+ La rencontre avec Jésus et sa mère fut une source de joie et de libération, capable de donner envie à d’autres.

+ Leur religion devint adoration, mais aussi générosité puisqu’ils offrirent à l’enfant Jésus leurs plus précieux cadeaux.

+ Enfin, avertis en songe, ils regagnèrent leurs pays par un autre chemin, car la vie bouleverse souvent les plans trop bien ficelés et Dieu peut devenir le Seigneur des surprises.

Tels furent ces hommes issus d’on ne sait trop où, guidés par une étoile déconcertante, qui sont venus s’agenouiller auprès de Jésus-Enfant en lui offrant les hommages des nations païennes, avant de se fondre dans l’anonymat de l’histoire.

Etre sensibles aux signes qui nous viennent de Dieu, mais aussi du contexte dans lequel nous vivons. Jean XXIII a justifié la convocation du Concile Vatican II par son attention aux signes des temps. Que de signes nous adresse encore notre temps – et Dieu lui-même à travers eux !
La révolution informatique et médiatique, l’aspiration à la liberté chez de nouveaux peuples, la revendication de dignité, de nourriture, de soins, de culture parmi les populations encore scandaleusement prisonnières de leurs misères, l’appel aux religions comme facteurs de paix et de fraternité au lieu d’être des catalyseurs de confrontations et de guerres, la quête angoissée de « sens à la vie » chez une jeunesse qui ne se retrouve plus à la maison dans nos églises, etc. …

Autant de signes qui doivent nous mettre en route, nous faire chercher avec d’autres, nous déranger dans le bon sens de ce mot. Ce n’est pas confortable de partir en pèlerinage vers un avenir très incertain. Il est plus facile de nier les problèmes pour n’avoir pas à les affronter. On peut aussi se rabattre sur les vieilles recettes infiniment répétées et faire de nos traditions des enlisements.

En convoquant un Concile, Jean XXIII fit confiance à l’Esprit-Saint, celui dont Jésus dit qu’il souffle où il veut, qu’il peut faire toutes choses nouvelles, qu’il conduit peu à peu vers la plénitude de la vérité quand on se rassemble pour le prier, dans la communion d’une Eglise vraiment universelle, sur le vaste horizon de notre humanité dans les douleurs et les espérances de son propre enfantement, jusqu’à son entrée dans le Royaume de Dieu.

L’Eglise de l’Epiphanie, je la vois comme une barque en forme de crèche de Bethléem, avec Jésus, Marie et Joseph au milieu. Le mât de la croix tient bon dans la tempête, les voiles de l’Evangile sont déployées, le souffle de l’Esprit pascal les gonfle de courage apostolique, et l’étoile du Dieu-Amour continue de briller au firmament de notre commune humanité en voyage vers le port du Royaume de Dieu.

Cette barque, certes encore bien frêle mais pourtant assurée de ne jamais chavirer, doit oser naviguer sur la tumultueuse rivière de l’histoire, et même en haute mer, disait Jésus lui-même. Elle ne doit s’attarder que dans quelques ports pour faire le plein de prières, d’Evangile et de sacrements – ses escales spirituelles – et repartir ensuite dans l’aventure de la solidarité humaine et de l’évangélisation des peuples. Dans l’esprit des mages de l’épiphanie.

Bien sûr, elle devra parfois ramer à contre-courant, car Jésus lui rappelle « qu’il ne doit pas en être ainsi parmi vous » - pas comme les modes ou les mentalités dominantes, notamment face à l’argent-roi, au pouvoir oppressif, au savoir orgueilleux ou aux pratiques débridées de la sexualité pornographique.

N’empêche que c’est là, au milieu de leurs frères et sœurs en pleine humanité, que les chrétiens ont à voguer sur le bateau de Jésus-Christ, loin des refuges paresseux ou des ports de plaisance religieuse.

Eglise d’Epiphanie, de révélation, de rayonnement, de contagion évangélique : avance au large, jette les filets pour la pêche du salut. Fais – refais – confiance à ton divin capitaine, Jésus de Noël et de Pâques.

Claude Ducarroz

mercredi 4 janvier 2012

Homélie du Nouvel An 2012

Homélie du Nouvel-An 2012

Votre crèche est déposée sur une horloge.
C’est très suisse, non ? Mais il n’y a pas d’aiguilles, on ne voit pas les heures ni les minutes. Serait-ce seulement le symbole du temps ?
A moins que ce soit une horloge africaine, selon ce qu’un ami africain m’a dit un jour : « Vous, les Suisses, vous avez les montres et nous, nous avons le temps »
2011…..2012… : une année de plus ou une année de moins ?

Telle est l’ambiguïté du temps, comme tout ce qui passe : un cadeau donné, reçu, utilisé, mais aussi repris, grignoté, dévoré.

Il y a deux réactions face au temps toujours plus court….toujours trop court.

l) S’immerger dans le temps, celui qu’on a, l’aujourd’hui, jusqu’à s’y noyer. Profiter du temps, en user, en abuser : tels sont les gourmands égoïstes du temps. Avoir, jouir au maximum…. Après nous mourrons.
Cf. notre société individualiste et hédoniste….celle qui remplit la publicité :
dévorer le temps jusqu’à ce que le temps nous dévore.

2) Viser l’éternel, oublier le temps, nier notre condition humaine….Telles sont certaines « nouvelles spiritualités » désincarnées….jusqu’au suicide pour vaincre le temps et hâter le repos éternel.

Et puis tout à coup éclatent Noël et Pâques, inséparables,…les 2 faces du même mystère.
Dieu lui-même entre dans le temps, par la mise en humanité du Verbe qui se fait chair.
Il épouse le temps, notre temps
- Le temps de la croissance dans le sein d’une femme. Nous fêtons la maternité de Marie
- Le temps de la naissance, de l’adolescence, de la jeunesse….de l’âge adulte, avec tous leurs problèmes
Dieu n’effleure pas le temps….Il se met pleinement à l’heure humaine….jusque et y compris la mort…..le terme de notre temps, l’heure dernière.

Et c’est là que tout va changer, basculer, provoquer une transfiguration.
Jésus remet la pendule de notre humanité à l’heure de Dieu, à l’horaire de son éternité.
Ce qu’on pouvait seulement désirer, d’un soupir désespéré puisque tout cela est infiniment au-dessus de nous pauvres capacités,
Dieu nous l’offre gratuitement dans la résurrection de Jésus.
Sur l’arbre vieillissant de notre temps, sur la souche de la mort elle-même, Jésus a fait fleurir la vie, a fait mûrir la vie…..éternelle.
Est-ce à dire que le temps ne compte plus, que notre vie terrestre n’a plus d’importance, que nos jours et nos années sont des mirages insignifiants ?
Comme s’il fallait être des tomates hors-sol pour mûrir au soleil de Dieu.

Justement pas.
Jésus n’est pas venu supprimer le temps dans lequel il s’est planté par sa chair jusqu’à la croix. Il est venu le rendre pascal, il l’a transfiguré par l’amour vainqueur, mais en le respectant.
Le temps qui nous est octroyé, quelle que soit sa longueur, n’est pas une malheureuse parenthèse qu’il faudrait effacer au plus vite.
Notre temps, visité, ensemencé, fécondé par le Noël de Dieu – son entrée en notre histoire – est devenu le terrain de sa Pâque en nous , le terreau labouré par le divin semeur d’éternité dans le temps, notre temps. Notre heure et son heure coïncident.

Quand la Parole de Dieu retentit en nous, quand la prière nous soulève, quand nous semons des étoiles d’amour, de pardon, de paix, de beauté au firmament de nos relations, quand l’Evangile pleut sur les déserts de notre histoire, et surtout quand le pain eucharistique est jeté par l’Eglise dans les sillons de notre cœur ouverts par l’Esprit-Saint,
alors l’éternité commence, le temps devient pascal, l’Eternel nous donne la main dès ici-bas. Sans être pressés, nous sommes prêts.
Et 2012 sera une bonne année, encore inconnue et déjà bénie, celle que je nous souhaite à tous.

Claude Ducarroz

Homélie de Noël 2011

Homélie
Noël 2011

Je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle, mais c’est un scoop : Jésus de Nazareth est revenu à Bethléem. Il est même retourné dans sa crèche : c’est Noël ! Quelle aventure !

Il y a un peu plus de 2000 ans, c’était sa naissance. On n’en saurait pas grand-chose si l’évangéliste Luc, en bon historien, n’avait fait l’effort de se renseigner pour nous raconter l’évènement presque comme s’il y était. C’est ce qu’on appelle l’évangile de l’enfance. Mais -n’en déplaise à certains qui voudraient en rester là, un petit Jésus gentil et muet-, ce même Jésus a beaucoup grandi. Il est devenu un adulte assez déconcertant, et parfois même dérangeant. Sa famille elle-même l’a traité de fou et a cherché à l’empêcher de continuer sa mission.
Car il avait une mission : annoncer la bonne nouvelle de l’amour de Dieu aux plus pauvres, guérir de toutes sortes de maladies, libérer les prisonniers de toutes sortes d’enfermements, pardonner aux pécheurs qui voulaient s’en sortir, remettre en question les puissances de l’argent, du pouvoir, du savoir arrogant, et même de la religion quand elle devient un système sectaire au lieu d’être une invitation à l’ouverture à Dieu et aux autres, quels qu’ils soient.

En un mot : ce Jésus est venu révéler le vrai visage de Dieu : il est Amour. Et ce fut une grande surprise dans un monde de brutes ou de bonnes conscience faciles. Pour authentifier son programme, Jésus a payé de sa personne. Il a affronté l’opposition et même la haine. Il a subi la persécution jusqu’à la mort sur une croix. Il a aussi pris un grand risque : confier à des hommes, pêcheurs et surtout pécheurs, de prolonger son œuvre dans ce monde en s’inspirant de leur Maître puisqu’il leur a donné son Esprit. On appelle cela l’Eglise ou le Christ répandu et communiqué par les richesses évangéliques de ses saints et malgré les pauvretés parfois tragiques de ses pécheurs.

Mais là, me direz-vous, il manque une page, et la plus importante. Oui, rien de tout cela ne serait arrivé, on n’en parlerait plus, on ne serait pas là ce soir si cet homme de Nazareth n’était pas, en son mystère personnel, l’envoyé de Dieu comme fils, s’il n’était pas ressuscité le troisième jour en vainqueur définitif de la mort, du mal et du non-sens existentiel.

Où est ce Jésus maintenant ? C’est vrai : il a fait un long voyage dans l’humanité parce que ses disciples ont cru bon de le transporter partout pour le faire connaître, plus encore : triompher. Il a vraiment été servi, sur les plats de l’histoire, à toutes les sauces.
Les puissances cléricales l’ont parfois imposé aux autres par la violence ou l’astuce. Les puissances politiques ont voulu le mettre au service de leurs projets de domination avec l’aide de la religion. On lui a fait des arcs de triomphe en croyant l’honorer, on lui a élevé des monuments extraordinaires en pensant le glorifier. On a cherché à vaincre sous le signe de nos vérités au lieu de convaincre sous le régime de son amour.
Mais il ne s’est pas laissé faire, Jésus de Nazareth, le crucifié ressuscité, le Messie du Dieu-Amour.

Aujourd’hui, il revient à Bethléem puisque c’est Noël.
Nous qui sommes ici ce soir, nous sommes un peu ses bergers, n’est-ce pas ?, si nous avons au cœur leur capacité de reconnaître les signes du ciel, si nous sommes d’accord de bouger en nous-mêmes, si nous avons leur simplicité de vie et leur capacité de joie sereine.

Regardons autour de nous, dans notre société telle qu’elle est, du moins chez nous. Et ne cherchons pas ailleurs celui qui, en habitant pour toujours la gloire de Dieu, veut cependant rester au milieu de nous jusqu’à la fin du monde. Il est là, dans les Bethléem de notre temps plutôt que dans les Jérusalem des paraître clinquants, des avoir matérialistes, des savoirs infaillibles, des victoires gonflées à bloc au hit-parade de toutes les illusions mondaines.

C’est là qu’on le reconnaît, le vrai Jésus de l’Evangile. Il n’a pas changé.
Il peut illuminer toutes les ténèbres d’humanité, car il naît toujours à minuit.
Il vient encore se cacher dans la pauvreté d’une crèche puisqu’il veut palpiter, de son cœur transpercé, au centre intérieur de nos personnes, là, quand nous faisons silence, quand nous écoutons sa parole, quand nous prions.
Il nous donne rendez-vous dans les frères et sœurs les plus humbles, ceux que la société oublie ou néglige parce qu’ils ne sont pas rentables, les bergers marginaux de tous nos bilans économiques et même apostoliques.
Il nous sourit entre une femme et un homme du peuple -des pèlerins et bientôt des réfugiés-, une petite servante nommée Marie et un Joseph modeste artisan, car l’expérience est toujours la même : « Ils découvrirent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire. »

Peut-être n’y avait-il pas même une table dans l’étable de Bethléem. Un luxe aujourd’hui : il y a une belle table dans cette église. La sainte Cène a passé par là, l’Eglise s’est rassemblée ici, c’est nous tous. La table, cette table, c’est un peu la crèche d’aujourd’hui. Et servi pour notre joie, il y a encore plus petit que le nouveau-né : un morceau de pain partagé. C’est lui, c’est Jésus, « ceci est mon corps, prenez, mangez. » Noël et l’eucharistie, c’est tout un. Jésus est emmailloté de pain pour que nous puissions, où que nous soyons, entendre les anges d’aujourd’hui nous répéter l’invitation : « Je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple. Aujourd’hui vous est né un Sauveur. Il est le Messie, le Seigneur. » Et que nous devenions les bergers de la crèche éternelle, celles et ceux qui « glorifient et louent Dieu pour tout ce qu’ils avaient vu et entendu. » Au point que « tout le monde s’étonnait de ce que racontaient les bergers. »

Où que nous allions, Jésus vient avec nous puisqu’il habite en nous, que nous le sachions ou non, que nous le reconnaissions ou non. Car d’une certaine manière, il ne quitte jamais Bethléem, ou il nous y ramène sans cesse. C’est là son lieu de naissance, y compris de re-naissance en nous. C’est là qu’il se plaît, qu’il se sent à la maison, qu’il se trouve bien, à la fois chez nous –chez les plus petits- et chez lui dans la gloire du Père.
Il nous reste à imiter Marie, surtout après ce temps de fête qui risque de nous avoir tellement distrait de l’essentiel par le déluge suffoquant des consommations de pacotille : « Marie retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur. »
Que ne soit pas vide la crèche de notre intériorité puisque Jésus l’habite désormais de toute son humanité, de toute sa divinité.

Bonne fête de Noël à Rossens-sur-Bethléem.