samedi 17 avril 2010

Je vous dérange?

Fleur de vie

Je vous dérange ?

Je suis frappé de voir combien de personnes commencent leur appel au téléphone par cette expression « Est-ce que je vous dérange ? »
Cette petite phrase peut être le signe d’une délicate politesse qui demande pardon a priori pour le dérangement occasionné par l’intrusion du téléphone dans la vie de l’autre. C’est vrai : il peut y avoir des appels qui perturbent malencontreusement.
Mais je soupçonne plutôt cette réaction instinctive de manifester une autre qualité, à moins que ce soit un défaut. Il ne faut pas déranger les gens, il faut rester chacun chez soi, il ne faut pas trop se mêler de la vie de son prochain. Ou, si on le fait, il convient de s’excuser par avance.
C’est avec une mentalité de ce type que l’on peut tomber dans l’individualisme. Plusieurs fois, au cours de visites de familles, j’ai entendu cette réflexion : « On ne se mêle de personne et tout va bien comme ça ».
Oui, mais ça va sans doute moins bien pour la voisine âgée qui peine à faire ses courses, pour la maman qui élève ses enfants toute seule alors qu’elle doit travailler à l’extérieur, pour la famille qui se débat avec le drame de la drogue ou du chômage, pour l’étranger qui se trouve aux prises avec tant d’inconnus dans la jungle de l’administration helvétique. On peut multiplier les exemples.
Savoir équilibrer la discrétion -qui refuse l’intervention invasive- et l’attention -qui s’oppose à l’indifférence égoïste- : c’est tout un art de la charité en actes.
Celle qui ne dérange jamais, mais tend la main toujours.
1541 signes Claude Ducarroz

Paul et Franz

Fleur de vie

Paul et Franz

La petite église (désaffectée) de Flüelen au bout de la pointe sud du lac des Quatre-Cantons renferme une richesse extraordinaire. Y sont exposés de superbes cristaux extraits des entrailles des Alpes. Fabuleux par leur pureté et leurs couleurs, mais aussi exceptionnels par leur taille puisque l’un d’entre eux pèse 350 kilos, le plus grand cristal de roche connu à ce jour. Paul von Känel et Franz von Arx nous expliquent qu’ils ont cherché pendant 14 ans avant de mettre au jour ce véritable trésor de la nature. « Comme un long accouchement », nous dit Paul. Mais, « si nous sommes fiers, nous ne sommes pas prétentieux », ajoute Franz. Il faut le savoir : une telle pièce a probablement 16 millions d’ans d’âge. Et la voici, pour la première fois, transfigurée par la lumière et exposée à l’émerveillement des visiteurs.
Que faut-il admirer le plus ? La beauté de ce monument de splendeur naturelle, certes, mais aussi le travail et la persévérance de ces passionnés de la recherche en montagne, qui espèrent toujours trouver de plus belles merveilles sans jamais perdre le sens de l’humilité devant ce que la nature cache mais aussi offre gratuitement.
Il y a aussi beaucoup d’êtres humains qui ont des trésors intérieurs à partager avec d’autres, mais personne ne va à la découverte de leur mystère. Ou si peu s’arrêtent pour les accueillir et les contempler.
Le cristal de l’amour qui attend la lumière d’une reconnaissance, la perle d’une aptitude qui peine à s’exprimer, la pierre précieuse d’un charisme qui n’est pas reconnu en Eglise…ou ailleurs.
Paul et Franz, au secours !
1610 signes Claude Ducarroz

jeudi 8 avril 2010

Les chanoines: c'est quoi?

Les chanoines ! C’est quoi ?

Le mot désigne un prêtre inscrit sur un « canon », à savoir une liste d’Eglise. Dès le 4ème siècle, certains évêques ont constitué autour d’eux une communauté de prêtres pour exercer le ministère liturgique et pastoral dans leur cathédrale. Saint Augustin, mort en 430, a même établi une règle pour ses chanoines en définissant leurs devoirs, à commencer par celui d’assurer la prière commune dans la cathédrale, matin et soir.

Pour entrer dans les détails, il faut savoir qu’il y plusieurs sortes de chanoines.
Certains sont des chanoines dits « réguliers » parce qu’ils suivent une règle comme des religieux. On connaît ainsi les chanoines de St-Maurice ou du Grand-Saint-Bernard, en Valais.
Au cours de l’histoire, les villes plus importantes ont sollicité la fondation de chapitres de chanoines plus ou moins indépendants du pouvoir épiscopal. Leur lieu de ministère se nomme une « collégiale ». Il y avait un tel chapitre, par exemple à Romont et à Estavayer-le-Lac, là où se trouvent de magnifiques stalles destinées justement aux chanoines. A Fribourg, à la demande des autorités, le pape Jules II a érigé un chapitre « vénérable et exempt » en 1512, chapitre présidé par un prévôt « crossé et mitré », à l’instar d’un évêque.

Les chapitres les plus fréquents sont institués dans les cathédrales. En principe, les chanoines d’une cathédrale forment le conseil rapproché de l’évêque qui doit les consulter dans certaines circonstances prévues par le droit de l’Eglise.
A Fribourg, quand on a ajouté le titre de « Fribourg » au diocèse de Lausanne et Genève, soit en 1924, la collégiale St-Nicolas est devenue cathédrale. Cette promotion officialisait une situation de fait puisque l’évêque de Lausanne, chassé de sa ville en 1536 par le pouvoir bernois, résidait à Fribourg depuis 1631. Mais le chapitre de St-Nicolas obtint de Rome de pouvoir garder son prévôt. Actuellement, il y a 10 chanoines résidants à la cathédrale. Ils assurent l’office matin et soir, sans oublier la messe quotidienne concélébrée. Les plus actifs sont engagés à l’évêché ou dans la pastorale de la ville et du diocèse.

Et à la basilique Notre-Dame ? On vient d’y nommer un chanoine (l’abbé Jacques de Boccard). Le chapitre lié à cette vénérable église est une sorte de succursale du chapitre de St-Jean de Latran à Rome.

Tout cela peut paraître complexe et un peu désuet. Il y dans de telles institutions une part de mémoire venue de l’histoire, mais il y a aussi toutes sortes de services plus humbles qui font partie de notre paysage d’Eglise, surtout à Fribourg.

Claude Ducarroz

Le célibat du prêtre: une longue histoire

Le célibat du prêtre : une longue histoire

Le Nouveau Testament nous offre un double message. D’une part il exalte le mariage comme un « grand mystère » qui imite la relation d’amour du Christ et de l’Eglise (Cf. Eph 5,32). C’est pourquoi l’Eglise l’a inscrit au nombre des sacrements. D’autre part le Christ met en évidence le célibat « à cause du Royaume des cieux », en ajoutant que cette condition de vie est réservée « à ceux pour qui c’est donné » (Cf. Mt 19,12). Quand on connaît la situation des mœurs dans la société païenne, les deux propositions étaient révolutionnaires.
Le regard posé sur ces deux états de vie également saints a peu à peu évolué dans l’Eglise. Saint Paul lui-même, fort de son expérience, recommande le célibat, mais ne déprécie pas le mariage (Cf. I Co 7) puisqu’il demande aux ministres des Eglises de bien savoir gérer leur vie de famille (Cf. I Tm 3,1-13). Des philosophies ambiantes, qui méprisaient la matière et la sexualité, ont orienté l’Eglise vers un jugement toujours plus négatif sur le mariage. Par ailleurs l’influence des moines, engagés librement dans leurs vœux, a accentué cette méfiance envers « l’œuvre de chair ». Alors que dans les premiers siècles chrétiens les prêtres et les évêques pouvaient avoir famille –il y eut même des évêques de père en fils-, on a considéré de plus en plus qu’il y avait une certaine incompatibilité entre l’exercice du ministère sacré et l’activité sexuelle, même dans le mariage.
Encore faut-il ajouter que l’évolution de la pratique a pris une direction différente en Orient et en Occident. Dans les Eglises orientales, les évêques doivent aussi être célibataires. Ils sont, pour ainsi dire, les époux de leur Eglise. Par contre les prêtres peuvent être mariés –et ils le sont souvent – pourvu qu’ils aient convolé avant leur ordination. On l’oublie parmi les catholiques : cette discipline est aussi en vigueur dans les Eglises orientales unies à Rome. Il y a donc dans l’Eglise catholique de nombreux prêtres mariés, en tout honneur.
Dans l’Eglise latine, c’est l’obligation stricte du célibat pour tous les prêtres qui s’est imposée. Formellement, elle fut décidée de manière solennelle et universelle au concile du Latran en 1123. Depuis lors, l’autorité de l’Eglise catholique n’est jamais revenue en arrière, même dans les époques –par exemple à la Renaissance- où cette discipline était fort peu observée. Elle estime qu’il y a une connivence spirituelle et pastorale entre le ministère du prêtre et le célibat pour le Royaume des cieux. On sait que la Réforme protestante a aussitôt réintroduit le célibat librement choisi –et non plus obligatoire- pour les évêques et les pasteurs.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les papes et le concile Vatican II lui-même ont réaffirmé leur attachement au célibat obligatoire pour les prêtres de l’Eglise latine. Mais devant la difficulté de certains prêtres à tenir leurs engagements et surtout face au manque de prêtres pour les communautés, beaucoup actuellement –même parmi les évêques- se posent des questions. Ils se demandent s’il ne faudrait élargir l’accès au ministère en le rendant possible pour des hommes mariés qui auraient fait la preuve d’une vie généreuse et équilibrée dans leur mariage. On les appelle les « viri probati », autrement dit des hommes « éprouvés ». Un peu partout, des synodes diocésains ou régionaux poussent dans ce sens, sans être entendus jusqu’à ce jour.
Incontestablement, le célibat du prêtre recèle de grandes valeurs évangéliques dont bénéficient les communautés chrétiennes. Mais on peut estimer que ce charisme serait encore mieux mis en valeur et mieux vécu s’il était laissé au libre choix des candidats, comme en Orient. Par ailleurs on sait bien que le mariage comporte aussi ses croix, ses échecs, ses drames même. Aucune condition n’est une panacée. C’est plutôt le besoin des communautés en attente de prêtres qui doit nous faire réfléchir et prier. Et peut-être assouplir une discipline respectable, mais certainement pas absolue.
Claude Ducarroz

vendredi 2 avril 2010

Vont-ils recommencer?

Fleur de vie

Vont-ils recommencer ?

Tout le monde parle de la crise. J’en ai parlé aussi…avec un homme d’affaires qui sait de quoi il parle, lui. Il reconnaît que la machine économique s’est emballée, que des « moutons noirs » ont profité d’un libéralisme échevelé pour faire n’importe quoi, pourvu que ça rapporte gros, et si possible tout de suite. Et tant pis pour l’éthique ! Il y avait quelque chose d’une liturgie pénitentielle dans ce dialogue.
Mais la suite ne m’a pas rassuré. Pessimiste, ce financier ajoute : « Vous verrez qu’ils vont recommencer ». Son regard sur l’homme et sa fréquentation du milieu bancaire l’incitent à estimer que la récidive est programmée. « L’être humain est ainsi fait, et les gens oublient vite leurs erreurs », ajoute cet homme désabusé.
Faut-il donc se résigner au mal, faut-il toujours s’attendre au pire ? Ce qui vaut pour la pratique économique vaut pour tous les domaines de la conduite humaine. Nous connaissons notre inclination congénitale à préférer les chemins de traverse de l’égoïsme et du mépris. Mais n’y a-t-il pas aussi en nous une aspiration au bien et même un désir profond du meilleur, pour soi et pour les autres dont nous sommes solidaires ? Dans l’ambivalence de notre cœur, il nous arrive –Dieu merci- de choisir les rudes sentiers de l’amour vrai et du bonheur partagé.
Le chrétien doit rester optimiste. Parce qu’il croit à la présence de l’Esprit au coeur de sa vie et parce qu’il est prêt à s’engager, même si c’est coûteux, pour un monde meilleur. Et il n’est pas le seul.
Je crois à l’internationale de la solidarité et de la fraternité pour la justice et la paix. Pas vous ?
1640 signes Claude Ducarroz

Méditation du Vendredi Saint

Vendredi Saint 2010


Voici !
Dans le récit de la Passion de Jésus que vous venez d’entendre, il y a quatre fois le mot « Voici » pour désigner des personnes.
« Voici l’homme et voici votre roi », c’est signé Pilate sur son trône.
« Voici ton fils et voici ta mère », c’est signé Jésus sur la croix.

Le disciple bien aimé, présent sur place, nous a rapporté cela en écrivant son évangile.
Rien à voir avec un journaliste reporter. Ces notations sont éminemment symboliques.
Elles sont destinées à l’Eglise, et donc à nous. Chacun de nous peut dire en les entendant aujourd’hui : « J’y suis aussi ! Me voici ! »

Voici l’homme !
Voici votre homme. Prenez-le, faites-en ce que vous voulez.
Quel homme ? Jésus de Nazareth, évidemment. Mais dans quel état ? « Alors Jésus sortit, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre ».
Cet homme, oui, mais aussi tout homme.
Sur ce visage est gravée la synthèse de toutes les souffrances humaines, et d’abord celles que nous nous infligeons les uns aux autres par nos violences physiques et morales, mais aussi par nos mépris, par nos haines, par toutes les formes d’exclusion.
Dans ces yeux de silence et d’imploration scintillent tant d’innocences bafouées, tant de questions sans réponses, tant d’appels à la justice et à l’amour, qui hélas ! finissent par se noyer dans le sang de nos indifférences et de nos lâchetés.
Voici l’homme ! Pas celui qui est sorti tout neuf et tout beau des mains créatrices par amour, celui que Dieu avait façonné à son image et ressemblance, mais l’homme tel que nous l’avons fait ou plutôt refait et souvent défait, à l’image du pire qui peut surgir en nous, comme on griffe ou déchire le plus beau des tableaux.



Voici votre roi !
C’était une ironie sans finesse pour désigner ce pauvre hère couronné d’épines, un roseau en guise de sceptre, une cour qui crie : « A mort ! Crucifie-le !».
Et pourtant c’est bel et bien lui, notre roi, le Christ Roi.
Avec obstination, avec entêtement, son règne d’amour continue de creuser son sillon à travers l’histoire si ambiguë, dans les aléas de son Eglise si imparfaite, dans les soubresauts de nos cœurs si rebelles. La royauté du Christ, faite de lavements des pieds, de miséricordes, de baptêmes, d’eucharisties, de pardons et des autres sacrements : elle continue d’irriguer nos vies, nos communautés d’Eglise et jusqu’aux déserts de notre humanité en quête de sens et de tendresse.
Regardons-là, cette royauté, toujours offerte dans l’humilité de tant de signes et toujours rayonnante dans la sainteté de tant de petits gestes. Elle nous apprend sans cesse, d’une manière prophétique, que toute autorité doit être service, que toute puissance doit être générosité, que toute vraie victoire ne peut être que le fruit d’un plus grand amour.




Voici ton fils !
C’est le fils, le fils éternel du Père, qui parle ainsi dans un dernier souffle, la Parole faite chair en voie d’extinction, qui s’adresse à sa mère en l’appelant « Femme ». Et pour quoi faire ? Pour lui confier ses disciples à travers le disciple bien aimé, pour lui remettre le lourd cadeau de l’Eglise, lui qui précisément avait dit un jour à Marie et aux gens de sa famille : « Et qui sont mes frères et sœurs, et ma mère ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »
Désormais, là, au pied de cette croix, les nouveaux frères et sœurs de Jésus sont constitués en famille, comme enfants du même Père qui est aux cieux. Mais -suprême tendresse- nous sommes aussi les chéris de la même mère, la femme Marie, dans le fécond engendrement de la rédemption, juste avant que s’ouvre le cœur du grand frère pour le baptême de l’Eglise dans le sang et l’eau répandus « pour vous et pour la multitude ».
L’Eglise devient cordiale, l’Eglise devient mariale.


Voici ta mère !
Voici donc l’Eglise, celle qui a reçu tous les cadeaux, pas pour elle seule, mais pour toute l’humanité. Comme des trésors mis à disposition de tous, à commencer par les plus pauvres, ceux qui ont le plus besoin d’être aimés maternellement, peut-être justement parce qu’ils ne sont pas toujours aimables.
« Tout est achevé » parce que tout est accompli. Tout est accompli parce que tout est donné. Il a tout remis entre nos mains indignes, à condition qu’elles deviennent simplement mendiantes, avec humilité mais sans humiliation. Que des cadeaux : sa vie par amour, son Esprit pour qu’il y ait du vent divin dans nos voiles d’Eglise, son corps et son sang eucharistiques, et même Marie, une femme, pour qu’il y ait au milieu de nous une mère au cœur universel comme le sien. « A partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. »

Voici !
Deux fois par Pilate, deux fois par Jésus. Dans cet affrontement entre deux pouvoirs, celui de la force et celui de l’amour, ce n’est pas match nul, ce n’est pas deux à deux. Car l’homme –tout homme-, le roi –le Christ Roi-, la femme éplorée au pied de la croix et l’Eglise-disciple qui recueille l’eau et le sang : tout cela, tous ceux-là sont des promis à la résurrection. Juste un peu de patience. La rumeur de Pâques monte déjà à l’horizon, qui va tout faire basculer dans la victoire de la vie par amour. Un seul gagnant, pour nous, avec nous, quatre à zéro : le crucifié ressuscité.

Claude Ducarroz
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