mardi 21 juillet 2015

Bonnes vacances! Quoique...

Bonnes vacances ! Quoique…
Mc 6,30-34

Je suis toujours touché par l’humanité de Jésus qui propose à ses apôtres fatigués -et sans doute l’était-il aussi- de venir à l’écart dans un endroit tranquille et de se reposer un peu. Il n’y a pas de mal à se faire du bien par une pause qui repose. Et ça tombe à point dans la liturgie. Voilà un évangile pour le temps des vacances, après les bilans pastoraux faits de joies et aussi de fatigues accumulées.

Rien de nouveau sous le soleil apostolique. Jésus et son équipe pastorale étaient submergés par les besoins des gens, au point qu’ils ne trouvaient plus le temps de manger. Certains ministres actuels dans l’Eglise vont sans doute se reconnaître un peu en eux !

Encore faut-il situer ces vacances palestiniennes. Elles s’inscrivent entre deux missions pastorales, l’une faite d’enseignements dans les villes et villages autour de Nazareth (Mc 6, 6-13) et celle qui va suivre, à savoir la première multiplication des pains pour une foule en deshérence (Mc 6,35-44).

S’il y a deux attitudes qui ne sont jamais mises en vacances, ce sont les suivantes : la compassion de Jésus à l’égard de ces humains perdus comme un troupeau sans berger et la volonté de ce même Jésus d’associer ses apôtres à sa tâche d’évangélisation et de service. Autant dire que les vacances missionnaires furent plutôt courtes, tant la misère des pauvres frappait d’abord à la porte du cœur de Jésus, puis à la porte de la conscience des apôtres.

La leçon est claire. Il y a toujours urgence pour l’annonce de l’évangile et pour la charité active. Même pendant les vacances. Pas pour suspecter d’égoïsme les moments passés à se reposer, à contempler la nature, à réfléchir ou à prier. Sûrement pas. Mais à condition que notre cœur, notre esprit et même notre corps restent mobilisés pour l’œuvre du Christ et le témoignage de l’Eglise au service des gens.

Sur les chantiers de l’évangélisation en paroles et en actes, il peut y avoir des vacanciers rayonnants et même des retraités efficaces. On peut et même on doit parfois « faire retraite » pour mieux servir ensuite. Mais la retraite comme attitude du berger qui abandonnerait son troupeau, ça, non.
Si du moins nous voulons continuer d’accompagner le berger Jésus de Nazareth sur les routes de notre monde tant qu’il y aura des brebis en quête du bon pasteur.

                                                                       Claude Ducarroz


mardi 7 juillet 2015

Pose..Pause...

Re-posez/pausez vous !


C’est plus qu’un problème d’orthographe ! Est-ce la pose ou la pause ? Et si c’était les deux, à la faveur de l’été ? Mais oui : reposons-nous et re-pausons-nous puisque la pause, selon le dictionnaire, est « un temps de repos interrompant une activité ou un travail. »

« Mon Père travaille toujours, et moi aussi, je travaille » (Jn 5,17), disait Jésus aux Juifs qui le contestaient parce qu’il avait guéri un infirme le jour du sabbat. Comment Dieu pourrait-il cesser d’être à l’ouvrage, lui qui soutient continuellement l’univers –et chacun de nous- dans « la vie, le mouvement et l’être ». (Ac 17,28). Heureusement pour nous, le Créateur assure scrupuleusement le « service après vente » de son œuvre d’amour et de vie, y compris pour les réparations urgentes qui permettent au monde et à l’humanité de tenir encore dans l’existence.
Mais le labeur de Dieu ne l’empêche pas de « chômer » un peu et de promouvoir un juste repos. Tel est le sens du sabbat, entre autres. La bible nous raconte comment Dieu, après avoir créé toutes choses, plutôt satisfait de son œuvre, a décidé de « reprendre haleine » le septième jour en conférant à cette divine pause une dimension de sanctification et de bénédiction (Cf. Gn 2,1-4 ; Ex 31,17). Car il est dit que le ciel et la terre eux-mêmes sont le lieu du repos de Dieu (Cf. Is 66,1). Avec l’ordre, pour ses fidèles, de respecter ce sabbat sacré en se reposant durant ce temps que le prophète Isaïe nomme « délices et vénérable ».  (58,13).

Et pour quoi donc ? Pour que puissent « reprendre souffle le bœuf et l’âne ainsi que le fils de la servante et l’étranger » (Ex 23,12), mais aussi pour prendre le temps de se souvenir des grâces reçues dans le passé proche ou lointain et consacrer ce loisir à la louange du Seigneur, notamment à l’aide des psaumes qui chantent, par exemple  « En Dieu seul, repose-toi, mon âme ». (Ps 62,6). Le repos, c’est bien, mais aussi la culture et le culte.
Dans l’alternance entre la dynamique du travail et la sérénité du « repos complet », les Hébreux ont pris conscience peu à peu d’une double promesse. Le vrai repos, ce sera dans la terre promise où coulent le lait et le miel. Plus profondément, le repos durable est dans la communion avec Dieu par une vie éternelle dans sa maison, selon la promesse rappelée par le prophète Daniel : « Pour toi, va, prends ton repos, et tu te lèveras pour ta part à la fin des jours. » (12,13) « Car le juste, même s’il meurt avant l’âge, trouve le repos ». (Sg 4,7.)

Jésus de Nazareth est venu accomplir et nous offrir toutes ces promesses. Lui « qui n’avait pas où reposer sa tête » (Mt 8,20), il a senti l’épuisement de ses disciples au terme d’une tournée missionnaire harassante. C’est pourquoi il leur a dit : « Venez vous-mêmes à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu. » (Mc 6,31). Admirable humanité de Jésus !
Il a aussi invité les surchargés et les fatigués à venir auprès de lui goûter le repos pour leurs âmes (Cf. Mt 11,28-29). Avec un peu de patience cependant, car le repos définitif et parfait nous attend dans le Royaumes au-delà de la mort, avec la perspective de la Pâque, selon cette béatitude de l’Apocalypse : « Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs fatigues, car leurs œuvres les accompagnent ». (Ap 14,13)

Mais si le but ultime de notre vie consiste à rejoindre Dieu pour nous reposer en lui, nous devons nous adonner ici-bas au labeur de toutes les libérations, à la suite de Jésus qui ne cessa d’œuvrer pour guérir les corps et les esprits, jusqu’à ce qu’il repose sur le bois de la croix quand « inclinant la tête, il remit l’Esprit ». (Jn 19,30). Doux repos, a commenté magnifiquement Jean-Sébastien Bach dans sa Passion selon S. Jean.

Au rythme de leurs travaux et de leurs repos, les chrétiens s’unissent dans la foi et dans l’amour à celui qui les accompagne sur la route de leur vie, tantôt à l’œuvre avec eux sous le souffle courageux de l’Esprit, tantôt à la pause auprès d’eux dans la douce méditation de la parole et la savoureuse communion de l’eucharistie. Le dimanche par exemple, c’est –ça devrait être- le repos bienfaisant, la pause heureuse, selon ce que dit le psaume 11 : « Retourne à ton repos, mon âme, car le Seigneur t’a fait du bien ».

Comment incarner tout cela dans le contexte de la société en laquelle nous sommes immergés, de gré ou de force ? L’efficacité économique, la vitesse des mouvements et des changements, le tintamarre des divertissements et l’avalanche des informations nous stressent au point de nous transformer parfois en robots pilotés de l’extérieur et voués aux fatigues déshumanisantes des activismes quasi perpétuels. Même quand nous croyons nous re-poser/pauser, ne sommes-nous pas envahis par les séquelles des tâches accomplies ou obsédés par celles qui nous attendent et qu’il faut planifier et organiser ? Oui, avouons-le, le repos devient un défi et la pause un combat jamais gagné d’avance. Et pourtant, selon le psaume 127, « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » !

Mais peut-être, à la faveur de l’été avec son offre de vacance normalement incontournable, pourrons-nous trouver un espace de vrai repos, une île bienvenue pour faire la pause, à l’instar des Israélites qui, sous le roi Salomon, appréciaient de vivre en sécurité « chacun sous sa vigne et sous son figuier ». (IR 5,5).
Il y a des vides opportuns, plus encore : nécessaires ! Ne rien faire, n’avoir rien à faire : ce n’est peut-être pas du temps perdu, mais un espace gagné pour nous retrouver nous-mêmes dans toute notre vérité enfin mise à nu. A condition de ne pas se culpabiliser parce qu’il serait indécent de paresser un peu. Et puis certains creux ne vont pas tarder à accueillir quelques visites impromptues. Laissons la vie nous surprendre, y compris l’Esprit qui peut nous titiller de l’intérieur à la faveur de nos siestes, de nos silences et de nos prières.

Nous avons tous fait ces expériences que nous avons de la peine à réitérer, justement parce que le tourbillon du quotidien nous en empêche trop souvent. Contempler longuement un paysage et le goûter à pleine joie, quelle grâce puisque ceux dont il est le berger, Dieu « les parque sur des prés d’herbe fraîche et les mène vers les eaux du repos afin de refaire leur âme ». (Ps 23,2-3). Ecouter une belle musique, lire un livre intéressant et même jouer aux cartes: ça repose. Prendre le temps d’une méditation cool, faire une pause avec sa Bible ou un ouvrage de spiritualité : ce peut être une bénédiction. Participer à une liturgie comme à une pause bienvenue partagée avec d’autres, même inconnus : ne serait-ce pas une fraternelle plongée ecclésiale qui redonne du punch communautaire à notre foi ? S’accorder gratuitement de la durée –à soi-même et à ceux et celles que l’on aime- pour savourer la joie simple d’être ensemble, proches, intimes même : y a-t-il plus grand bonheur quand il est vécu sous le signe de la tendresse ?

Et, pourquoi pas ? repenser à son repos…éternel pour apprivoiser peu à peu ce moment inéluctable où nous passerons dans la paix de Dieu, non pour nous y ennuyer sans fin mais pour jouir de sa présence, avec les divines surprises qu’il saura nous offrir généreusement.
 Alors se réalisera pleinement ce verset du psaume 116 : « Retourne à ton repos, mon âme, car le Seigneur t’a fait du bien. »
Quand nous aurons tout déposé en Dieu, alors viendra le repos éternel. Quelles vacances !

                                                                                  Claude Ducarroz

Article paru dans la revue « Choisir »   juillet-août 2015