samedi 28 janvier 2017

Soyons heureux!

Soyons heureux ! Mais comment ?
Mt 5,1-12a

Le bonheur ! Qui ne le souhaite pas ardemment, pour soi-même et pour ceux et celles qu’il aime ?
Tout comme nous, les foules qui suivaient Jésus sur les chemins de Galilée le désiraient aussi. On peut les comprendre. Selon le reportage de Matthieu (4,23-25), ce peuple était frappé par toutes sortes de maladies et d’infirmités. On avait diagnostiqué des tourmentés, des lunatiques, des démoniaques et des paralysés. Rien que ça !
A la vue de ces foules « harassées et prostrées » (Mt 9,36), Jésus prend du recul en montant dans la montagne. Et là-haut, en présence de ses disciples, il tient un discours en forme de provocation. Il annonce, il promet le bonheur : neuf fois « heureux » ! Quelle audace ! Encore faut-il y aller voir de plus près.
La feuille de route pour le bonheur selon Jésus de Nazareth a de quoi déconcerter. Sans doute reprend-il quelques thèmes déjà connus dans la bible de la première alliance. En poussant plus loin. Ils peuvent être heureux, les pauvres de cœur, les doux, ceux qui pleurent, les affamés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix. Et même ceux qui, dans la communauté chrétienne d’alors, sont insultés et persécutés à cause du nom de Jésus. Mais attention !  il ne faut pas se tromper sur cette promesse, car sa réalisation plénière est annoncée pour le royaume des cieux. Est-ce à dire que le bonheur ainsi promis ne peut advenir que plus tard, dans l’au-delà, au risque de fonctionner ici-bas comme l’opium du peuple malheureux et assez naïf pour y croire ?
Regardons encore plus près. Les hommes heureux par les « recettes » proposées dans ces béatitudes dessinent le portrait du Christ Jésus. Lui le premier, il a été ce pauvre, ce doux, ce miséricordieux, cet artisan de justice et de paix qui trouvera pleine récompense dans le mystère pascal. Lui aussi a été insulté et persécuté dans le passage par la croix que la résurrection a transformée en gloire dans le royaume de son Père.
Ces béatitudes, proclamées au début du ministère de Jésus et peu après l’appel des premiers apôtres (Cf. Mt 4,18-22), sont d’abord une invitation à oser suivre le Christ, jusqu’à l’imitation de ses exemples et de ses engagements. Mettre nos pas dans les siens, au pas à pas de l’évangile dans la vie, en toutes circonstances : voilà le chemin du vrai bonheur au goût de Pâques. Dans le royaume des cieux certes, mais aussi et déjà ici-bas, aux couleurs imparfaites de l’aurore, mais avec la promesse du plein midi de l’Amour.
Ce ne sera jamais le bonheur absolu sur cette terre, mais on peut déjà en savourer un apéritif, en marchant dès maintenant sur le sentier des béatitudes, comme tant de saints et sainte nous en donnent la démonstration.
On peut toujours essayer.

Claude Ducarroz

A paru sur le site www.cath.ch

lundi 23 janvier 2017

Echange de cadeaux

Continuons d’oser l’accueil

Ils sont venus de loin. Des lointains horizons qu’ils ont dû quitter en catastrophe.
En emportant avec eux les cicatrices de souffrances inoubliables, la rude géographie de parcours improbables et quelques espérances si fragiles.

Ils sont arrivés jusqu’ici, chez nous. Ils sont là maintenant, au milieu de nous.

Qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’on va faire ?
Faire quelque chose contre eux ? avec eux ? pour eux ?

« Osons l’accueil » a choisi dès le départ. Rien contre eux puisqu’ils sont des humains, comme nous. Même si nous voulons rester lucides et responsables.

Quelque chose pour eux, sûrement. C’est la solidarité de base, le réflexe de l’accueil, l’hospitalité.
A partir de regards bienveillants, de mains tendues, de cœurs ouverts.

Dans cet esprit, nous avons voulu nous investir nous-mêmes, mais aussi en entraîner d’autres à faire de même. Il y a encore tant d’amour à réveiller dans les sources profondes de l’Helvétie.

Des hommes, des femmes, des familles de chez nous se sont levés, présentés, proposés.
Ils ont osé l’accueil, comme le prouvent les quelques statistiques que nous vous révélons.

Un accueil concret, simple, généreux, souvent « à la maison » ou juste à côté. Et aussi grâce à de multiples petits services, qui ne sont pas rien, dans ces circonstances.

Nous l’avons fait tous ensemble, sans jamais devenir les propriétaires de notre action, mais en collaborant loyalement avec les instances publiques et des associations privées travaillant dans le même esprit.

Et nous avons fait cette expérience. En oeuvrant pour les requérants d’asile, nous avons grandi avec eux. Ils ont contribué à élargir l’espace de nos tentes, les dimensions de nos regards, les capacités de nos cœurs.

Ils nous disent et redisent leur reconnaissance. Nous leur disons aussi merci.
« Osons l’accueil », c’est un échange de cadeaux.

Claude Ducarroz




samedi 21 janvier 2017

Dimanche de l'Unité

Visitation
Dimanche de l’unité
2017

Rien de nouveau sous le soleil ! Même dans l’Eglise.
Corinthe an 56. « Moi, j’appartiens à Pierre ! » Chez nous en 2017. Pierre ? Sûrement un catholique !
Corinthe an 56. « Moi, j’appartiens à Paul ! » Chez nous en 2017. Paul ? C’est un protestant.
Corinthe an 56. « Moi, j’appartiens à Apollos ! » Chez nous en 2017. Apollos ? Tiens, voilà un orthodoxe.
Heureusement, dans l’épître, il y en a encore un qui dit : « Moi, j’appartiens au Christ. »
Avec cette bonne question adressée à tous : « Le Christ est-il donc divisé ? »
On peut même continuer. Est-ce Paul – ou Luther - qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Pierre - ou du pape - que vous avez été baptisés ? Est-ce l’évangile d’Apollos – ou d’un patriarche d’Orient - que vous avez reçu ?
Et le mot de la fin : « Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : qu’il n’y ait pas de divisions entre vous. Soyez bien unis dans un même esprit et une même pensée. »

Baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, nous sommes tous des chrétiens à part entière. Pourquoi avons-nous encore tant de peine à le reconnaître, à nous en réjouir  et à en tirer les conséquences?

L’essentiel nous est commun :
* L’appel à suivre le Christ dans la foi, comme les premiers disciples, Pierre, André, Jacques et Jean au bord de la mer de Galilée. « Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. »
* L’évangile du Royaume, cette bonne nouvelle qui est lumière sur notre route humaine et promesse de vie éternelle.
* L’Esprit Saint qui nous donne la force de témoigner pour l’actualité de Jésus dans un monde difficile, et parfois hostile.

Tout cela – et bien d’autres grâces encore -, nous l’avons reçu en commun. Ne serait-ce pas suffisant pour que nous puissions nous appeler frères et soeurs, et l’être vraiment ?
Bien sûr, comme ça arrive souvent, même dans les meilleures familles, il y eut des conflits entre nous, surtout dans nos passés respectifs.

Pourtant enfants d’un même Père, nous n’avons pas résisté à des querelles d’héritage, à la rage d’avoir raison tout seuls, à la tentation de juger, de rejeter, d’exclure et même  -c’est un immense péché - d’éliminer l’autre, y compris dans des guerres dites « de religion »… Une horrible infidélité quand cette religion est celle du Christ et de son évangile d’amour et de pardon.

L’œcuménisme, c’est cette longue marche de réconciliation entre enfants de la même famille que leurs fautes réciproques ont éloignés et parfois même séparés.

A partir de cette reconnaissance de base – nous sommes de la même famille -, il nous faut maintenant nous rapprocher en puisant ensemble dans les sources communes de notre fraternité : la parole de Dieu, la prière, le besoin de faire une Eglise unie, la joie d’évangéliser ensemble et celle de servir notre humanité au nom de notre unique Seigneur Jésus Christ.

A partir de points de départ différents, nous avons tous un certain chemin à parcourir à la rencontre des autres.

* Dans un effort de purification, il nous faut solder dans le pardon réciproque les méchants jugements, les inimitiés et surtout les violences qui ont laissé des cicatrices dans nos mémoires personnelles et collectives.
* Il nous faut remettre en question, pour aboutir à de nouveaux consensus de base, les points critiques qui opposent encore nos doctrines et nos théologies, en reconnaissant que la Vérité  peut être exprimée de diverses façons parce qu’elle nous porte tous en nous dépassant tous.
* Il nous faut retisser la trame de relations qui dessinent l’unité dans la diversité et la diversité dans la fraternité.
* Nous avons tous des cadeaux évangéliques en réserve pour les autres. Nous en sommes devenus les propriétaires exclusifs et même jaloux. Ces présents attendent encore le jour de la joyeuse mise en commun sur la table de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Encore faut-il qu’ils aient passé par une certaine révision des contenus et se présentent avec des emballages réformés pour être acceptés et même appréciés.

Comme vous le voyez et le pressentez, l’œcuménisme est un chantier encore largement ouvert, mais c’est une tâche magnifique en vue d’une belle construction.  Nous voulons nous y engager tous, et chacun comme il est, en sachant que le Christ lui-même est à l’œuvre en cette mission, lui qui a prié pour qu’elle réussisse : «Père, ceux que tu m’as donnés…, qu’ils soient parfaitement un afin que le monde puisse connaître que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

 Face aux obstacles qui demeurent, parfois devant des reculs qui nous navrent, il ne faut pas désespérer. Au contraire, il faut s’encourager et redoubler d’engagement, sur les ailes de la prière et avec les énergies de l’Esprit.

Cette cause est difficile, mais elle ne peut pas être perdue puisque c’est la cause de l’évangile dans notre monde et dans notre temps. Une cause d’autant plus essentielle et urgente que notre société semble s’éloigner du christianisme. Nous ne pouvons relever  le défi de cet évangile à diffuser que si nous sommes unis sur l’essentiel pour en témoigner à la face du monde.
« Père, dit Jésus avant de mourir, je ne te prie pas seulement pour eux, mais pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi…. Oui, qu’ils soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. Qu’ils soient un en nous afin que le monde croie. »

Amen ! Qu’il en soit vraiment ainsi !

                                                                       Claude Ducarroz


lundi 9 janvier 2017

Les nuits de l'évangile

L’évangile de la nuit

Les nuits des commencements
Dans l’histoire du salut, que de personnes surgissent, que d’évènements surviennent…dans la nuit ! Rien qu’à ausculter les évangiles, la moisson est abondante. Comme au premier commencement (Il y eut un soir avant le matin. Cf. Gn 1,5), les commencements du Sauveur Jésus sont marqués par l’expérience de la nuit. Joseph accueille sa bonne nouvelle « en songe ». La famille migrante de Nazareth cherche un logement pour la nuit de la naissance, et finalement c’est la soupente d’une étable obscure qui sert de berceau pour l’enfant. Dans cette même nuit, des bergers gardant leurs troupeaux découvrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire, pour leur plus grande joie. Quand viendra le tour des mages, c’est encore une étoile dans la nuit qui leur indiquera l’endroit où était l’enfant. Mais celui-ci n’était pas au bout de ses peines. Le sauveur est sauvé par son père Joseph qui prit avec lui l’enfant et sa mère « de nuit » pour se retirer en Egypte. Plus tard, ses parents l’ont cherché tout inquiets durant trois jours et trois nuits avant de le retrouver au temple de Jérusalem.
Ainsi donc, la nuit est la compagne fidèle de ces commencements christiques. Dieu vient au jour dans la nuit, Dieu nous met au jour dans nos nuits, en les rendant lumineuses par sa présence, humble et pauvre, comme un enfant qui vient de naître pour le salut de tout le peuple.

Les nuits de Jésus
Les nuits n’ont pas manqué dans la vie de Jésus, l’envoyé du Père. Pour inaugurer sa mission, il passe quarante  jours et quarante nuits à jeûner dans le désert. Au terme desquels, c’est la parole de Dieu - « lumière dans la nuit » - qui lui permettra de triompher des tentations. Et l’aventure messianique peut commencer, encore par une nuit. Avant de prendre des décisions importantes, Jésus s’en va dans la montagne pour prier, et « il passe toute la nuit à prier Dieu. » (Lc 6,12). Les fruits de cette communion nocturne avec son Père sont aussitôt servis et goûtés : il appelle les douze apôtres, il les emmène dans la plaine pour les associer à son ministère au milieu d’une foule immense. Et là, il guérit les malades et proclame la bonne nouvelle : « Heureux… heureux… ». Comme chrétiens appelés par le Christ, comme baptisés envoyés pour annoncer l’évangile à toute la création, nous sommes tous les enfants de cette nuit de prière, là-haut sur la montagne. Dans cette prière, Jésus nous a engendrés à notre mission pastorale.
La nuit, ce peut être aussi la peur, le danger, le découragement, y compris dans les expériences apostoliques. Tandis que Jésus passe la nuit à prier Dieu à l’écart, ses disciples affrontent une tempête dans une barque battue par les vagues. Vers la fin de la nuit, Jésus les rejoint en marchant sur la mer. On comprend qu’ils l’aient pris pour un fantôme. Quelques brèves paroles suffisent à tout calmer: « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ». Et Jésus, comme à Pierre, continue de nous dire : « Viens ». Dans nos nuits noires, la parole de Jésus nous rejoint encore pour susciter notre confiance. C’est aussi le temps de la prière pour exprimer notre foi. « Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba ».
Encore une autre nuit. Même scenario, ou presque. Cette fois-ci, Jésus est dans la barque avec ses amis. En traversant le lac de nuit, une bourrasque menace de submerger le frêle esquif. Jésus dort sur un coussin. On le réveille. C’est peut-être aussi cela, la prière dans la nuit de nos peurs. Jésus ramène le calme, mais sa question demeure pour nous : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ? »
On aurait tort d’associer à Jésus les seules nuits tumultueuses. Certaines étaient même agréables. A Béthanie, Jésus passait souvent la nuit auprès de ses amis. On sait qu’il y appréciait les repas, qu’il s’y reposa après avoir chassé les vendeurs du temple (Cf. Lc 21,17), qu’il goûtait là le partage et l’amitié. Quant au Mont des Oliviers, après avoir consacré toute une journée à enseigner dans le temple, il y passa la nuit « en plein air », disent certaines traductions. (Cf. Lc 21,37).

Les hommes et les femmes de la nuit
Il n’est pas indifférent que les évangiles aient noté la circonstance de la nuit dans la vie de certaines personnes proches de Jésus.
La prophétesse Anne – qui parla de l’enfant Jésus à tous ceux qui attendaient la libération de Jérusalem – participait « nuit et jour » au culte dans le temple. Nicodème vint trouver Jésus « de nuit » pour mener avec lui un dialogue lumineux sur la re-naissance d’eau et d’Esprit afin d’entrer dans le Royaume de Dieu. (Cf. Jn 3). On retrouvera Nicodème au bord de la nuit du vendredi saint quand il participera à l’ensevelissement de Jésus (Cf. Jn 19,34).
La foi des apôtres a grandi au terme de longues nuits où, comme pêcheurs, ils ont peiné sans rien prendre. Alors, au petit jour, Jésus les invite à repartir en eau profonde et, sur sa parole, à jeter les filets. Une expérience qui les conduisit à ramener les barques à terre, à tout laisser pour le suivre. (Cf. Lc 5,1-11). Il y a des nuits d’échec qui peuvent être le temps propice pour une vocation.
Deux apôtres se sont signalés spécialement par des actions « de nuit », vraiment fort nocturnes. Jésus avait dit à Pierre : « Cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. » (Mc 14,30). C’est bien ce qu’il fit cette nuit-là. Dans la nuit de l’agonie à Gethsémani, les apôtres dorment. Pire encore, l’un d’eux trahit Jésus, contribue à son arrestation et le livre à ses ennemis. Quand Judas sortit pour faire cela, « il faisait nuit », note l’évangéliste Jean (13,30).

Les nuits du mystère pascal
L’heure de Jésus commence par un certain repas d‘adieu. L’apôtre Paul nous rappelle qu’il a inventé l’eucharistie « la nuit qu’il fut livré ». (I Co 11,23). Après l’agonie dans le jardin de Gethsémani et toute cette nuit de va-et-vient entre les autorités de Rome et celles d’Israël, l’heure du Messie est venue sur la croix. Alors, note l’évangéliste Matthieu, « il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures. » (27,45).
Nuit de la mort. Nuit du tombeau. Et bientôt nuit de Pâques.
Le troisième jour, les femmes durent traverser leur nuit pour oser venir au tombeau « alors qu’il fait encore sombre » (Jn 20,1). C’est ce même soir que les disciples rassemblés par la peur éprouvent enfin la joie de retrouver Jésus vivant qui leur donne sa paix et le souffle de l’Esprit pour remettre les péchés.
La résurrection est une victoire sur la nuit, toutes les nuits, y compris les nôtres. C’est aussi au terme d’une nuit d’échec professionnel que le ressuscité retrouve les apôtres-pêcheurs sur le rivage, pour la joyeuse reconnaissance et pour le repas au goût d’eucharistie. (Cf. Jn 21,1-14).
Quant aux disciples d’Emmaüs, ils reconnaissent le Seigneur à la fraction du pain après l’avoir invité incognito dans leur chez eux « au soir tombant, quand le jour touchait à son terme ». C’est dans cette même nuit qu’ils ont retrouvé la communauté de Jérusalem pour partager avec elle la bonne nouvelle de Pâque : « C’est bien vrai. Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon. » (Lc 24,29 et 34).

Le mystère de la nuit
On ne comprendrait rien à toutes ces nuits s’il n’y avait pas en leur cœur une mystérieuse « lumière qui luit dans les ténèbres » (Jn 1,5.) Dans toutes ces expériences nocturnes, quelqu’un trace discrètement un chemin de plus en plus lumineux. « Je suis la lumière du monde », dit Jésus après avoir exercé sa miséricorde à l’égard de la femme adultère. Et il ajouta à l’intention de ses juges impitoyables : « Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres; il aura la lumière qui conduit à la vie ». (Jn 8,12). Il répétera cette affirmation et cette promesse après avoir guéri l’aveugle-né. (Cf. Jn 9,4-5). Il avait même dit auparavant en regardant ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde. » (Mt 5,14).
Jésus nous a vraiment accouchés à la lumière en nous arrachant au pouvoir des ténèbres, en nous plaçant dans le Royaume de son Fils bien-aimé. (Cf. Col 1,13) Oui, il nous a libérés de toutes nos nuits, et surtout de celles de la mort et du péché. Sa parole est lumière sur nos routes mal éclairées. Les sacrements allument des présences divines dans le dédale de nos nuits humaines, à commencer par le baptême qui fait de nous « des fils de la lumière, des fils du jour, car nous n’appartenons plus à la nuit et aux ténèbres. » (I Th 5,5). En nous appelant des ténèbres à son admirable lumière, il a fait de nous un peuple saint (Cf. I P. 2,9-10). Dès lors, il nous faut « rejeter les œuvres des ténèbres et revêtir les armes de la lumière pour nous conduire honnêtement, comme on le fait en plein jour ». (Rm 13,12-13.). Mesurons-nous le bonheur de cette grâce ? « Dieu a dit : « Que la lumière brille au milieu des ténèbres ». C’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ. » (II Co 4,6.)
En attendant le jour béni où, dans la Jérusalem nouvelle, il n’y aura plus de nuit parce que le seul luminaire sera l’Agneau qui nous illuminera tous de sa gloire. (Cf. Ap 21,23-26).

Claude Ducarroz


A paru sur le site de la revue CHOISIR le 9 janvier 2017




samedi 7 janvier 2017

Epiphanie 2017

Epiphanie
2017

Avouons-le franchement : ces mages nous dérangent, car ils ont de quoi nous incommoder. D’abord qui sont-ils ? Spontanément, on n’aime pas l’inconnu et encore moins les inconnus. Il est écrit qu’ils viennent d’Orient, autrement dit d’on ne sait où. Il est certain qu’ils n’étaient pas juifs. Même pas de la bonne religion ! Ils sont présentés comme des mages, ce qui n’est pas fait pour nous rassurer, surtout de nos jours. On fait tant de choses bizarres au nom de la magie. Il n’est pas écrit non plus qu’ils fussent des rois, mais c’est tout comme, puisqu’ils cherchent le roi des juifs et s’adressent au roi Hérode quand ils ont besoin de renseignements. Leurs cadeaux de luxe indiquent bien qu’ils sont d’opulents personnages, ce qui fait quand même un peu tache dans la misérable étable de Bethléem. Ce style « grands bourgeois » n’a dû plaire qu’à moitié à la pauvre famille de réfugiés de Nazareth. Mais heureusement,  ils furent généreux ! De bons riches en somme.

Voilà pour l’écorce des personnes et l’écume de l’évènement. Et si on cherchait un peu plus loin ou plutôt un peu plus profond ?
Que l’évangéliste Matthieu – et lui seul - ait raconté cette visite aux premières communautés chrétiennes, ça signifie quelque chose. Peut-être même pour nous aujourd’hui.

D’abord Jésus est bel et bien présenté comme le sauveur de tous par un salut universel. En accueillant les bergers de Bethléem, Jésus est d’abord montré comme le Messie d’Israël, à commencer par les pauvres et les petits de son peuple. Si les anges leur ont annoncé « une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple », ils ont aussi ajouté : « Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime ». Donc tout le monde, comme nous l’a rappelé aussi l’apôtre Paul.

Et par l’arrivée des ces mages, on est servi.
Symboliquement, ils représentent toute l’humanité. Ils viennent d’Orient, autrement dit d’ailleurs, des autres civilisations et religions, de partout. Ils sont ces lointains, très différents de nous, les habitants des périphéries, comme aime à le dire le pape François.
Au départ, ils ne sont ni juifs ni chrétiens. Ils sont ce qu’on peut appeler des « chercheurs de Dieu ». Et ils se sont donné beaucoup de peine. Des signes reconnus dans le ciel les ont mis en route. La magie, qu’on pourrait comprendre comme leur religion primitive, les a guidés sur ces chemins incertains. Du moins, ils se sont mis ensemble, car on trouve mieux quand on cherche avec d’autres. Ils sont des philosophes curieux, des sages persévérants, des religieux sincères.
C’est pourquoi, au terme de bien des péripéties, ils ont fini par trouver le sauveur du monde, et sûrement pas là où ils pensaient le rencontrer au départ de leur quête spirituelle. Ils cherchaient le roi des juifs, sans doute dans un palais. Ils ont trouvé un petit enfant avec Marie sa mère dans une étable ou plus probablement dans une modeste maison de Bethléem.

Et ces cadeaux ? Parlons-en. Ils sont symboliques de l’hommage des nations au Messie d’Israël, tels que décrits déjà par le prophète Isaïe et dans certains psaumes. Ils se sont prosternés devant lui en lui offrant leurs présents, signe de leur don d’eux-mêmes. Ils sont repartis différents, en empruntant un autre chemin. Ils ont regagné leur pays, donc retrouvé leur vie ordinaire, améliorés sans doute, mais sans être devenus des chrétiens au sens de piliers d’Eglise. Et tout le reste appartient au secret de Dieu.

Nous sommes dans un monde - et nous le serons toujours davantage – qui voit les hommes se mélanger de plus en plus. La circulation des connaissances, la facilité des transports et parfois hélas ! la violence et la misère provoquent des brassages inédits. Des gens venus de loin arrivent aussi chez nous. Les armées, les barrières et les frontières peuvent provisoirement entraver ces migrations humaines. Elles ne parviendront pas à les réprimer au point de les supprimer, du moins dans nos pays  démocratiques et plus riches que beaucoup d’autres. Il nous faut donc trouver une manière humaine, et j’ajoute ici une façon chrétienne, de réagir à ces situations qui deviendront de plus en plus ordinaires.

* Pour l’accueil politique, c’est à l’Etat d’en fixer les règles et conditions, sans déroger aux valeurs qui sont à la base de notre vivre ensemble démocratique, dans la variété des origines et des cultures.
* Pour l’accueil humain, c’est notre responsabilité à tous, précisément celle de manifester de l’humanité à l’égard de celles et ceux qui nous apparaissent d’abord comme très différents de nous, mais qui sont fondamentalement nos semblables, des frères et sœurs dans notre commune humanité. Comment allons-nous le leur montrer, en citoyens civilisés et en personnes fraternelles ? A chacun de répondre en faisant ce qu’il peut, mais tout ce qu’il peut.
* Et nous, les chrétiens, dans cette conjoncture d’épiphanie ? Il nous faut rester ce que nous sommes, donc des hommes et des femmes qui croient au Christ et à son évangile, sans honte, sans remiser nos convictions.
Nous croyons que Dieu aime tous les hommes, nous croyons aussi que le Christ est le sauveur de tous. Pourquoi le nier ? nous souhaitons le leur faire connaître pour offrir cette bonne nouvelle à leur liberté de conscience. Nous respectons les religions des autres, avec leurs valeurs, comme nous avons le droit d’exiger qu’ils respectent la nôtre.

Dans le dialogue interreligieux, loyal et pacifique, nous avons tous à grandir en humanité, sous la guidée - connue ou encore inconnue - de l’Esprit de Dieu qui remplit tout l’univers. Il peut même y avoir entre nous des échanges de cadeaux spirituels, qui valent bien l’or, l’encens et la myrrhe des mages venus d’Orient.

Nous serons d’autant plus de vrais témoins de notre foi que nous saurons en donner une image humaine, accueillante et fraternelle. En un mot : un reflet du visage du Christ.

C’est ainsi que, dans les circonstances où nous sommes - sans les avoir nécessairement choisies -, nous avons toujours la possibilité de prolonger cette fête dans l’esprit qu’elle contient et diffuse : « Tandis que les ténèbres couvrent la terre, voici que les nations marchent vers la lumière du Seigneur. » Et nous avec !

                                                                                                          Claude Ducarroz



mercredi 4 janvier 2017

Jour du Nouvel An

1er janvier 2017
Homélie

2017. Déjà ! Comme le temps passe vite. Toujours plus vite, disent les gens de mon âge, avec un brin d’inquiétude.
En ce premier jour de l’an nouveau, la liturgie de l’Eglise nous rassemble à nouveau devant la crèche.
En Jésus, le Verbe éternel a planté sa tente au milieu de nous. Le maître de l’Histoire habite notre temps. Le Fils de Dieu est devenu le fils de Marie, la petite servante de Nazareth. Il a passé son temps humain à faire le bien, jusqu’à sa mort par amour sur la croix. En entrant dans la gloire du ressuscité, il a ouvert nos vies mortelles sur l’espérance du Royaume de Dieu. Nous sommes des promis au bonheur éternel dans la maison du Père.

Mais en attendant, me direz-vous ? Après tout, nous ne sommes pas pressés ! Entre une survenue imposée et un départ à date inconnue, il y a en effet ces années variables, suivant les personnes et les destins. Et les années passent. Une de plus. Une de moins ? C’est selon.
Au calendrier de l’existence, les calculs se brouillent. Il nous faut vivre, et si possible bien vivre pour ne pas perdre notre temps, surtout celui qui nous reste, dans la troublante incertitude de sa durée.
Et là peut-être, toujours à la crèche et à l’école de Marie, nous avons à recueillir quelques bonnes recettes pour gagner du temps, le temps. Comme Jésus et surtout avec lui :
habiter notre temps,
remplir notre temps,
ouvrir notre temps.

* D’abord habiter résolument notre temps, l’aujourd’hui de Dieu en nous et autour de nous.
Oui aux souvenirs, mais non à la nostalgie qui nous projette – jusqu’à nous y enfermer - dans des passés largement surfaits. Ah ! ce sacré et faux « bon vieux temps » !
Oui à l’espérance qui ouvre à nos désirs un espace d’avenir, mais non aux délires utopiques qui nous dispensent d’agir, en attendant des jours meilleurs, des lendemains qui chantent… et qui ne chantent jamais.
Avec l’Esprit du Seigneur qui nous a mis au monde – en ce monde, ici et maintenant -, portons vaillamment nos solidarités humaines, les heurs, bonheurs et malheurs de notre temps. Voilà qui est digne de l’homme, voilà qui épouse la cause de Dieu en l’humanité, celle de l’après Noël, sans perdre notre temps.

* Et puis remplir notre temps. Au fond du panier de cette belle ménagère qu’est notre vie, il y a sans doute quelques restes des courses passées au marché de nos besoins, pas toujours très constructifs. Des restes pour la miséricorde. Mais il y a encore beaucoup de place pour de meilleures dépenses, à commencer par celles qui nous invitent à nous donner - à nous dépenser nous-mêmes -  avant d’aller grignoter les autres ou chez les autres.
Remplir notre temps par de l’amour - sincère, généreux, désintéressé -, ne serait-ce pas la meilleure façon de ne pas perdre son temps, si l’on a un peu compris la recommandation de Jésus : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » ? Et cette remarque de l’apôtre Paul : « L’amour ne passera jamais ».
Aimer. Nous aimer les uns les autres : que voilà une excellente recette pour remplir l’espace et le temps qui nous restent avec rien moins que de l’éternel.

* Enfin, ouvrir le temps. Ou plutôt le laisser ouvrir par Dieu, l’éternel fraternel en Jésus-Christ. Ouvrir sur l’au-delà du temps, de notre temps. Car depuis Noël et surtout depuis Pâques, notre vie n’est pas une trappe dans laquelle nous aurions l’illusion d’exister, pour se refermer à notre mort sur un immortel néant. Si nous savons bien que nos plus chers désirs ne suffisent pas à ouvrir un ciel de bonheur parfait, nous pouvons accueillir avec reconnaissance les divines  promesses jaillies au matin de Pâques : être toujours avec le ressuscité, là où il est, comme il est, en pleine gloire. Et prendre du temps pour cela. Notre vie dite « religieuse »  - avec ses paroles de lumière, ses sacrements, ses prières, ses silences - n’est pas une perte de temps, comme disent certains, mais une belle manière de gagner du temps dès ici-bas, du temps déjà pris sur l’éternité qui nous attend.

Pour marcher avec confiance sur l’arc-en-ciel multicolore de 2017, que Dieu nous aide à habiter notre temps, à remplir d’amour tout ce temps offert et à ouvrir le temps.
Sous sa sainte bénédiction et avec le sourire de Marie.


                                               Claude Ducarroz

Saut dans l'an neuf

Cath.ch
Allons-y, nous aussi.
Luc 2,16-21

Du côté du ciel, tout a été dit. Les anges ont délivré leur message. Ils sont repartis vers le ciel. (Cf. Luc 2,8-14). Que va-t-il se passer sur la terre ? Un vrai remue-ménage. Réveillés en pleine nuit, les bergers se mettent en route, en toute hâte. Surprise ! On leur avait annoncé la naissance d’un Sauveur et Seigneur dans la ville du roi David. Et voilà qu’ils découvrent un couple de pauvres migrants réduits à placer leur bébé nouveau-né dans une mangeoire pour animaux. C’est peu dire que ça bouscule. Du coup, le déplacement le plus déconcertant se produit dans leur foi. Ces juifs reconnaissent le Messie promis dans cet enfant de la misère, eux qui l’avaient sans doute imaginé dans le palais d’un roi. Et leur étonnement devient contagieux. En retournant à leurs pâturages, ils n’en finissent pas de chanter les louanges de Dieu. On a dû les entendre jusque dans la ville de Bethléem !

Nous sommes tous invités à passer par un ou plusieurs Noël dans nos vies.

Des signes, il y en a qui sont donnés en chacun de nos destins, tantôt dans la clarté du bonheur, tantôt dans la pénombre des épreuves. Des anges imprévus– plus probablement des compagnons d’humanité – nous révèlent sûrement quelque chose de la part de Dieu, au firmament des évènements. Il s’agit alors de nous mettre ou remettre en route, de bouger dans nos habitudes et de chambouler notre confort plus ou moins douillet.

 Au rendez-vous de l’étape, il y a toujours la même découverte, en forme de rencontre. Il y a Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire. En direct dans l’expérience religieuse, que ce soit la prière ou l’eucharistie. Ou indirectement – mais c’est la même humaine et divine compagnie - quand Jésus nous attend dans les pauvres de notre monde, qu’ils soient tout proches ou venus de loin. On est toujours convoqué à la crèche. Pas dans les palaces des grands de ce monde, mais dans les soupentes des pauvres de notre société.

Là plus qu’ailleurs, il y a à entendre et à voir. A entendre le chant de l’évangile du salut pour tous. A voir la gloire de Dieu sur le visage des petits de la terre, à commencer par les enfants.

Et l’on peut toujours, comme Marie et avec Marie, retenir tous ces évènements et les méditer dans notre cœur. Autrement dit prier avec la vie, louer avec nos rencontres, réfléchir avec les surprises, présenter toute l’humanité fraternelle à la bénédiction de Dieu.

Dans cet esprit, qui sait ?, 2017 peut devenir un peu meilleur que 2016. Chacun de nous, avec la grâce de Dieu, peut contribuer à exaucer les vœux des anges : « Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime. »


A paru sur le site   cath.ch                                       Claude Ducarroz