samedi 26 mai 2012

Homélie de Pentecôte

Homélie de la Pentecôte 2012

Il est retourné chez son père, il échappe à nos regards, on ne l’entend plus : que reste-t-il de Jésus de Nazareth ?
La question n’est pas seulement posée par des esprits non religieux, par des philosophes agnostiques ou par des militants de l’athéisme.
Jésus lui-même a suscité ce questionnement. D’une part il nous dit qu’il vaut mieux pour nous qu’il s’en aille (Jn 16,7) et d’autre part qu’il ne nous laisse pas orphelins. (Jn 14,18).
La réponse n’est pas théorique, mais personnelle. C’est quelqu’un : le Saint Esprit. Avec un énorme travail : « Quand viendra le Défenseur que je vous enverrai d’auprès du Père, il rendra témoignage en ma faveur…, il vous guidera vers la vérité tout entière…, il vous fera connaître ce qui va venir…, il me glorifiera. » Vaste programme !

Il faut donc le dire et le redire : sans l’envoi et sans l’accueil du Saint Esprit, Jésus serait devenu certes un grand personnage de l’histoire humaine, comme il y en a bien d’autres, mais pas le créateur d’une religion qui rassemble encore aujourd’hui des milliards d’êtres humains dans la foi, l’espérance et l’amour. Le Saint Esprit, si c’est permis d’être un peu trivial, c’est le service après-vente du mystère pascal, c’est l’actualité toujours neuve du Christ ressuscité, c’est le souffle qui donne vie à l’évangile, c’est le vent qui gonfle encore les voiles de la barque-Eglise.

Peut-être allez-vous me dire : mais il y a la parole biblique, il y a les sacrements, il y a surtout l’eucharistie.
Eh ! bien justement.
Jésus n’a rien écrit. Il n’a pas laissé une œuvre de bibliothèque comme, par exemple, les grands philosophes grecs. Si nous pouvons cependant retrouver son message, en paroles et en actes, grâce à ses premiers témoins, c’est que l’Esprit Saint vibre dans ces pages apostoliques. C’est lui qui a inspiré les écrivains sacrés, comme c’est encore lui qui ré-écrit ces Ecritures saintes dans nos cœurs par la foi. Jésus lui-même a dit : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie » (Jn 6,63). Au point que l’apôtre Paul pouvait écrire aux Corinthiens : « Vous êtes vraiment une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur vos cœurs. » (II Co 3,3).

Quant aux sacrements, parlons-en ! Aucun d’entre eux n’est célébré sans qu’il y ait une invocation de l’Esprit. Chacun sait que nous sommes baptisés « dans l’eau et l’Esprit Saint. » En donnant aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés au soir de Pâques, Jésus a d’abord soufflé sur eux en disant : « Recevez le Saint Esprit. » (Jn 20,22).
Si vous écoutez bien la prière eucharistique au cœur de chaque messe, vous remarquerez que le Saint Esprit est chaque fois invoqué sur le pain et le vin et sur toute l’assemblée afin que se réalise pour nous la présence de Jésus ressuscité. D’ailleurs tous les ministères dans l’Eglise, qu’ils soient ordonnés ou non, sont des œuvres de l’Esprit, ce que l’apôtre Paul rappelait aux chrétiens de Corinthe : Il y a diversité de ministères, mais c’est le seul et même Esprit qui les produit, distribuant ses dons à chacun en particulier en vue du bien commun.
L’Eglise, avec les pauvres pécheurs que nous sommes, ne tiendrait pas un instant dans le monde sans cette Pentecôte permanente qui la suscite, l’anime, la purifie, la relance en mission, comme ce fut particulièrement visible il y a 50 ans avec le bon pape Jean XXIII et le concile Vatican II.

Enfin le Saint Esprit déborde heureusement les frontières de l’Eglise et du christianisme. Jésus nous avait avertis : « Le vent souffle où il veut… Tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jn 3,8).
Quand nous prions, c’est lui qui prie en nous. Quand nous faisons le bien, c’est lui qui agit en nous, car voici ce que produit l’Esprit –et cela en tout homme de bonne volonté- : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi », comme vient de le rappeler l’apôtre Paul, qui ajoute : « Puisque l’Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l’Esprit. » (Gal 5,25).

Frères et sœurs, si nous sommes les enfants de la Pâque de Jésus, nous sommes aussi les héritiers de la Pentecôte de l’Esprit. Jésus et l’Esprit, ce sont les deux mains du Père par lesquelles il nous tient, nous guide, nous rassure, nous ramène, nous indique sans cesse l’issue de notre pèlerinage. Que serions-nous, que ferions-nous sans l’Esprit du Père et du Fils ? C’est pourquoi notre vie est appelée à devenir de plus en plus spirituelle.

La vie spirituelle, ce n’est pas tourner le blanc des yeux en regardant le ciel dans une extase. C’est prendre conscience que nous sommes habités par l’Esprit, notre hôte intérieur. C’est le rejoindre dans la prière silencieuse ou liturgique, c’est l’écouter dans la méditation de la parole de Dieu, c’est se laisser conduire par ses inspirations discrètes, c’est capter avec gratitude le courage que nous donnent ses énergies dans un monde où il s’agit de témoigner vaillamment pour la beauté et la vérité de l’Evangile.
Il y a des grands spirituels –je veux dire des « possédés » par le Saint Esprit- partout, dans tous les milieux, dans toutes les vocations, dans toutes les activités. Personne n’a le monopole de l’Esprit, personne ne peut le revendiquer pour lui tout seul –même pas l’Eglise-, personne ne peut le confisquer. Le prophète Joël le disait déjà, et saint Pierre le rappela le jour même de Pentecôte : « Je répandrai mon Esprit sur toute créature… vos fils et vos filles deviendront prophètes… vos jeunes gens auront des visions…Même sur les serviteurs et les servantes, je répandrai mon Esprit en ces jours-là. » (Ac 2,17-18).

Attention ! La Pentecôte est une fête redoutable. Vous pouvez repartir prophètes, visionnaires, apôtres. En un mot : chrétiens !

Claude Ducarroz

jeudi 17 mai 2012

Homélie de l'Ascension

Homélie de l’Ascension 2012

Une maison … un chemin. Pas de maison sans chemin qui y conduit. Pas de chemin qui ne conduise à une maison, ou alors au sommet d’une montagne. A moins que la maison se trouve précisément au sommet de la montagne.

L’Ascension du Christ nous montre la maison. Elle est située très haut, « dans le ciel », car c’est la maison du Père céleste. Et nous connaissons le chemin qui y mène : c’est le Christ, « chemin, vérité et vie ». Un chemin d’autant plus sûr qu’il est lui-même arrivé à la maison, là-haut, comme un chef de cordée parvenu le premier au sommet, qui nous attend et nous attire à la fois.

Nous vivons dans une civilisation qui ne sait plus où se trouve sa maison, le but ultime de la vie. C’est pourquoi si souvent, nous nous trompons de chemin, nous errons dans le brouillard plutôt que de marcher dans la lumière. Nous courrons dans tous les sens sans connaître notre vraie destinée. Comment ne pas risquer alors, à coup de n’importe quoi dans l’existence, de finir droit dans le mur de l’absurde, du désespoir, de l’autodestruction ?

La fête de l’Ascension du Seigneur peut apparaître comme une célébration fumeuse, une errance dans les nuages. N’est-il pas dit que Jésus disparut à leurs yeux « dans une nuée » ?
En réalité, ce que le Seigneur ressuscité veut nous dire et nous démontrer, c’est le port où nous sommes attendus au terme de notre pèlerinage, le terminus de notre voyage en ce monde.
Réjouissons-nous : ce n’est pas le néant, ce n’est pas un vide sans fin, ce n’est pas une solitude interminable.
C’est justement une maison, celle où Dieu, notre créateur, veut rassembler tous ses enfants, celle où le Christ notre frère a préparé une place pour toute sa nombreuse famille, celle où d’innombrables frères et sœurs aînés s’apprêtent à nous accueillir pour la fête éternelle. Savoir cela, ou plutôt y croire : voilà qui change le sens de notre vie, voilà qui transfigure l’épreuve de la mort, voilà qui situe toute notre existence sous le signe de la meilleure espérance. Nous allons vers notre maison, nous rentrerons à la maison.

Encore faut-il suivre un chemin qui y conduise vraiment. C’est pourquoi, après avoir indiqué le ciel comme notre séjour ultime avec lui, parvenu dans la gloire en chair et en os, Jésus envoie des messagers qui nous ramènent en ce monde, le terrain de notre marche vers le Royaume. « Galiléens, pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? » Se savoir destiné au ciel -ou plutôt au Royaume de Dieu- ne nous dispense pas d’avoir les pieds sur terre. Réciproquement, vivre sur cette terre ne nous dispense pas de nous comporter en citoyens des cieux, notre patrie définitive. Telle est la condition paradoxale du chrétien, à la fois pleinement terrestre et heureusement céleste.

Jusqu’à nouvel avis, n’est-ce pas ?, vous et moi, nous sommes encore ici-bas, comme on dit vulgairement. Nous devons nous tenir prêts pour le grand voyage, mais il n’y a rien qui presse. Etre prêts mais pas pressés : il y a de la sagesse dans cette attitude.

D’autant plus que nous sommes bien accompagnés durant cette attente en forme d’espérance. En nous quittant pour le ciel, Jésus nous a laissé un compagnon de route: l’Esprit Saint. C’est lui qui, du fond de notre être où il habite, nous fait signe par des inspirations et des consolations, par des lumières intérieures et de valeureux courages. Il s’exprime dans la méditation de la Parole de Dieu, il remplit nos prières, il murmure dans nos silences. Et, de là il nous charge d’une belle mission, celle que Jésus nous a confiée avant de partir : « Vous serez mes témoins…jusqu’aux extrémités de la terre. » De quoi ne pas s’ennuyer en attendant notre ascension. Pas question de tricoter en bâillant dans la salle d’attente de ce monde jusqu’à ce qu’arrive le train de l’éternité.

Et puis nous ne sommes pas lâchés tout seuls dans la jungle de notre histoire et de nos histoires. Il y a l’Eglise, la communauté des croyants. Car l’évangile de Jésus, uni au souffle de l’Esprit, provoque la construction d’un corps, comme le rappelait l’apôtre Paul aux Ephésiens. Oui, nous formons un corps social, consacré par le baptême, nourri par l’eucharistie, irrigué par les dons de l’Esprit.
Et là encore, ce n’est pas la sieste qu’il nous faut inscrire à notre programme de voyageurs pour l’éternité. Bien au contraire. Les chrétiens – tous les chrétiens- sont des mobilisés et pas des retraités. Quel que soit notre âge, personne ne peut se considérer à l’AVS de l’évangile, comme si nous pouvions nous endormir sur les lauriers de notre sainteté. L’Eglise n’organise pas des croisières aux Caraïbes pour amateurs de farniente spirituel. C’est toujours le moment de la mission, pas de la démission, de l’embauche, pas du chômage.

Il y a certes des ministères ordonnés : les évêques, les prêtres, les diacres, et vous savez combien les prêtres manquent gravement aujourd’hui. Mais il y a aussi des ministères reconnus et institués, parmi les laïcs hommes et femmes, dans la catéchèse, la liturgie, le rayonnement missionnaire et les engagements de charité. Et puis il y a surtout le témoignage des chrétiens en pleine pâte humaine, ces hommes et ces femmes qui vivent tout simplement de l’évangile là où ils travaillent, prennent des responsabilités, en famille ou dans les réseaux sociaux aux innombrables facettes. La politique, l’économie, l’écologie, les solidarités, la culture sont aussi ces terrains humains où, comme dit Jésus, il y a de quoi chasser les esprits mauvais, parler un langage nouveau, imposer les mains aux malades, faire en sorte que tous, et d’abord les pauvres et les souffrants de notre société, s’en trouvent mieux.

Sur la route du ciel, durant la traversée de notre vie ici-bas, une merveilleuse promesse nous est faite, qui doit nous dynamiser : « Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient. »
Forts de cette assurance, nous ne pouvons que nous souhaiter mutuellement : bon voyage !

Claude Ducarroz

mercredi 9 mai 2012

Homélie "rose d'argent" pour Mgr Mennini

Homélie
Rose d’argent pour Mgr Antonio Mennini

Avant d’entrer dans notre cathédrale, sous le porche sculpté, vous avez peut-être levé les yeux vers le Christ en majesté, assis sur son trône surmonté d’un baldaquin. Sa tête est auréolée de rayons dorés, mais il a conservé la couronne d’épines. Pour faire mémoire de sa passion tandis qu’il jouit de sa gloire. Mais aussi pour nous redire que la vie de l’Eglise, représentée à ses pieds par Marie et Jean-Baptiste en prière, est rythmée par le mystère pascal, avec les deux faces inséparables de sa destinée en ce monde, dans l’espérance de prendre place un jour, « près de moi sur mon trône », dit précisément le Jésus de l’Apocalypse.

Cher Monseigneur Mennini, par l’octroi de la Rose d’argent, vous recevez en quelque sorte quelques rayons de gloire à ajouter sur votre mitre épiscopale, et surtout à inscrire dans votre cœur de pasteur. Ils sont comme les pétales de rose de notre reconnaissance pour l’œuvre remarquable que vous avez déployée au service de la cause œcuménique, que ce soit jadis en Turquie, en Bulgarie et surtout en Russie, ou aujourd’hui encore dans le Royaume Uni. Mais vous le savez comme nous : les roses, même en argent, ont aussi des épines, à l’instar de la couronne du Christ qui nous accueille à l’entrée de cette cathédrale.

Travailler pour la pleine réconciliation des chrétiens et des Eglises -la recomposition de l’unité, comme le disait le concile Vatican II- commence par la souffrance de nous savoir encore trop désunis, malgré les heureux progrès des divers rapprochements auxquels vous avez contribué. Le pèlerinage vers « l’unité parfaite », pour reprendre les mots même de Jésus dans sa prière sacerdotale, doit passer par la douleur de constater que l’autre –les autres- nous manquent encore.
Oui, il y a encore trop de fausses notes dans le concert symphonique de la communion voulue par le Christ à l’image de l’harmonie trinitaire qui réconcilie sans cesse, dans l’abîme adorable de ses profondeurs, la diversité des personnes et l’unité de leur nature.
Mais heureusement, le chemin du dialogue œcuménique tous azimuts, est aussi parsemé de roses épanouies, quand des évêques dialoguent fraternellement, quand des théologiens -que ce soit dans nos universités et instituts ou au Groupe des Dombes- balisent les humbles sentiers des rapprochements doctrinaux, au point d’aboutir finalement, par exemple, à l’accord sur la justification par la foi entre l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale.

Mais nous ressentons le piquant des épines quand des dialogues ralentissent ou s’enlisent, voire s’interrompent, sur la route qui devrait nous rassembler dans l’unique maison de famille, là où il fait bon vivre ensemble, tous au chaud dans le cœur de Dieu.

Alors notre prière redouble, faite d’espérance et de peines, de roses et d’épines, quand avec le psaume 122 nous chantons, 50 ans après le début du concile Vatican II qui voulut tellement réconcilier les chrétiens dans l’unité : « Quelle joie quand on m’a dit : nous irons à la maison du Seigneur… oui, vers la Jérusalem de l’Eglise une et unie…, ville vers laquelle montent les tribus du Seigneur… ville où tout ensemble ne fait qu’un. »

Nous avons appris, y compris à cause de nos infidélités, mais aussi par la joie de nous retrouver frères et sœurs toujours plus unis, qu’il nous faut être davantage à l’écoute de celui qui frappe toujours plus fort à nos portes encore trop fermées, qu’il nous faut enfin entendre ce que l’Esprit dit aux Eglises, à nos Eglises. Dans sa patience et dans son impatience, le Sauveur nous montre aussi la table où il veut nous voir partager tous ensemble son repas avec lui.
Voilà ce qu’il vient de nous redire. C’est ce que le Seigneur veut, c’est pour cela qu’il a prié à la veille de sa mort (« Que tous soient un en nous afin que le monde croie ! » Jn 17,21). C’est pour cette cause sacrée et bénie qu’il a donné sa vie sur la croix, oui, « pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » Jn 11,52. C’est toujours pour réaliser ce rêve divin que le Seigneur ressuscité a envoyé son Esprit sur son Eglise à la fois apostolique, fraternelle et mariale, lorsque les apôtres se trouvaient réunis au Cénacle, « tous d’un même cœur, assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie, mère de Jésus, et avec ses frères. » Ac 1,14.

Et là, nous nous retrouvons devant le portail de notre cathédrale. Quand Jésus nous montre sa gloire, mais aussi sa couronne d’épines et les marques de ses plaies, il y a à ses pieds, à genoux en prière, Marie, figure et mère de l’Eglise, et aussi Jean-Baptiste le précurseur. Dans notre laborieux voyage vers l’unité, par de multiples conversions et dans une communion ecclésiale en voie de développement, il y a tant de priants avec Marie et tant de précurseurs comme Jean-Baptiste. Des priants de toutes les Eglises et des précurseurs dans toutes les confessions, des priants de persévérance obstinée et des précurseurs aux audaces prophétiques.

Ce soir, en disant merci à l’un d’entre eux, nous voulons rendre grâces pour tous les autres, dans le passé et aujourd’hui encore, afin que se réalise enfin, par la Parole méditée, dans l’amour contagieux et jusqu’à l’eucharistie partagée, cette brûlante prière de Jésus lui-même : « Qu’ils soient parfaitement un… pour que le monde sache que je les ai aimés comme tu m’as aimé. » Jn 17,23. Claude Ducarroz

samedi 5 mai 2012

Homélie du 5ème dimanche de Pâques

Homélie du 5ème dimanche de Pâques

Les pasteurs et les cueilleurs. C’est ainsi que les historiens des civilisations décrivent les deux catégories de travailleurs aux origines de l’humanité. On retrouve d’ailleurs ces deux groupes humains dans les figures ancestrales de Caïn et Abel au livre de la Genèse. Abel était berger, Caïn cultivateur.

Dimanche dernier, Jésus s’est présenté à nous comme le bon pasteur, le vrai berger. Aujourd’hui, il fait dans la culture, et plus précisément celle de la vigne. Et c’est toujours, dans un cas comme dans l’autre, pour souligner la nécessité, mais aussi la beauté de la communion intime avec lui, car « en dehors de moi », dit-il, « vous ne pouvez rien faire. »

Dans la comparaison de la vigne, il y a pour nous à la fois de l’humilité et de la grandeur.

De l’humilité d’abord, car nous ne sommes pas la vigne, mais seulement les sarments. La vigne, c’est lui, le Christ, enraciné depuis toujours dans le terreau trinitaire par l’amour du Père qui le fait exister éternellement, en pleine communion avec le Saint Esprit.
Ce Christ, ensuite, a pris racine dans le terreau humain, le nôtre, en passant par le sein d’une femme, la vierge Marie, premier terroir de chair et de sang pour l’incarnation du fils de Dieu. De l’Annonciation à Pâques, il a grandi d’abord en elle, puis au milieu de nous, comme une vigne généreuse de vie et d’amour. Après avoir passé en faisant le bien, en priorité aux pauvres, aux malades, aux exclus et aux pécheurs, il a livré totalement le vin de sa tendresse en répandant son sang sur la croix. Telle est la vendange que le Père a récoltée pour nous en donner les fruits de salut et de vie éternelle.

Mais le divin vigneron a aussi imaginé une greffe sur la vigne de son fils et notre frère Jésus. A partir de Pâques et de Pentecôte, nous sommes bel et bien greffés sur lui ou plutôt en lui : « Je suis la vigne, et vous les sarments ». Etre les sarments de cette vigne-là, c’est notre plus grande dignité, notre plus belle destinée. Mais aussi notre plus formidable responsabilité.

La dignité, c’est celle d’être appelés comme Jésus « fils et filles de Dieu », et de l’être vraiment, ainsi que nous le rappelait saint Jean dimanche dernier.
La destinée, c’est de porter des fruits de gloire éternelle si nous sommes en communion vitale avec la vigne qu’est Jésus.
La responsabilité, c’est d’engager pleinement notre liberté dans ce « demeurer avec » qui dépend de nos choix, car, nous répète Jésus, « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruits. »

Dans cette aventure vinicole avec le Christ, il y a quelque chose de magnifique, mais aussi un certain défi. Il a un accent pathétique, cet appel réitéré : « Demeurez en moi comme moi en vous », dit le Seigneur. Parce qu’il s’agit d’amour et non pas de violence, de liberté et non pas de contrainte, le risque existe toujours : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est comme un sarment qu’on a jeté dehors et qui se dessèche. »

La vie humaine ne relève pas de l’automatisme ou de la fatalité. Elle est un cadeau offert à notre liberté, avec une promesse certes, celle de donner beaucoup de fruits, mais aussi avec l’envers de la liberté, si l’on préfère sécher tout seul sur le chemin plutôt que d’expérimenter la dépendance existentielle avec Dieu. La gloire du Père, c’est bel et bien que nous donnions beaucoup de fruits. Encore faut-il accepter d’être ses disciples, ce qui est une affaire de foi et d’amour.

Comment les pauvres sarments que nous sommes peuvent-ils rester en communion avec la vigne de Dieu ? La réponse est toujours dans cet évangile : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous… ». La parole de Dieu, méditée, priée, savourée est le cordon ombilical de notre communion avec Jésus, et par lui avec son Père et notre Père.
Et puis il y a évidemment l’eucharistie, quand le fruit de la vigne devient communion au sang du Seigneur et le vin de la fête ecclésiale. Quelle plus merveilleuse intimité que ce mystère qui provoque une sorte de transfusion de sang entre le Christ et nous ? Alors plus que jamais, lui demeure en nous et nous en lui, pour un échange d’amour dont personne ne peut nous enlever la joie.
Enfin, il y a tout simplement les gestes de l’amour humain, au jour le jour, au ras des évènements de nos vies ordinaires. L’apôtre Jean ne cessait de le rappeler aux premiers chrétiens : « Mes enfants, nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité ». N’allons pas chercher loin pour expérimenter la saveur de la vigne de Jésus en nous : il suffit d’aimer, de nous aimer les uns les autres. Car celui qui met en pratique le commandement d’amour « demeure en Dieu et Dieu en lui ».
Toujours la logique de la vigne et des sarments, inséparables. C’est tout simplement une question de vie ou de mort. Choisis la vie, nous murmure l’Esprit au fond de notre cœur.

Nous avons écouté la Parole de Dieu, nous allons bientôt communier, nous sommes rassemblés en communauté de frères et sœurs chrétiens. La vigne de Jésus, la vigne qu’est Jésus continue donc de nous féconder de sa sève divine pour que nous donnions ensuite des fruits de tendresse dans notre existence de chaque jour. A la santé du Dieu d’amour.

Claude Ducarroz