dimanche 30 novembre 2014

Vive les veilleuses

Honneur aux veilleuses !

Expérience d’hôpital. Le mot « veilleuse » désigne deux réalités typiques en ce lieu. D’abord la petite lampe bleue qui scintille discrètement durant la nuit. Elle n’empêche pas le sommeil, mais permet de garder les principaux repères en cas de problème. Et puis il y a surtout une personne : l’infirmière de garde qui passe auprès du malade à intervalles réguliers et se tient prête à intervenir au moindre appel.

En ce premier dimanche de l’Avent, l’évangile nous invite à veiller, à devenir des chrétiens « veilleurs ». Ce n’est peut-être pas un hasard : ce même jour commence l’année vouée à la vie consacrée dans notre Eglise. Des veilleurs, des veilleuses : une belle définition pour caractériser la mission des religieux et religieuses.

C’est d’abord l’occasion de dire merci à celles et ceux qui nous ont fait tant de bien au nom de cette vocation particulière. Qui n’a pas croisé sur son chemin de vie, au moins une fois ou l’autre, ces hommes et surtout ces femmes qu’on appelle des religieux, des moines, des Frères, des Sœurs, etc… ?  Ils nous ont aidés à grandir en humanité et en christianité. Avec quelques exceptions évidemment, car nul n’est parfait.

Aujourd’hui, du moins chez nous, ces figures d’évangile sont devenues rares. Elles vivent dans des communautés vieillissantes. La mission de veiller se concentre dans la prière et le courage de l’humble service jusqu’au bout, sans beaucoup de perspectives de renouvellement. Mais nous croyons, avec eux et avec elles, que le Seigneur n’abandonne pas son Eglise, y compris dans le charisme de « la veille évangélique » au cœur du monde.  De nouvelles communautés naissent, des vocations religieuses surgissent sous d’autres modalités.

Et puis la mission des veilleurs n’est-elle pas confiée à tous les chrétiens ? Etre attentifs à la parole de Dieu et aux inspirations de l’Esprit, c’est l’ardent devoir  de tous les baptisés, surtout durant le temps de l’Avent. Avec ou sans des vœux reconnus par l’Eglise, ne sommes-nous pas tous appelés à vivre dans  une certaine obéissance, dans l’esprit de pauvreté, dans une chasteté adaptée à chaque état de vie, selon l’invitation universelle des Béatitudes ?
Même si nous apprécions l’exemple de celles et ceux qui donnent un si beau témoignage de don de soi, y compris par la vie communautaire qui encadre et soutient leur pratique prophétique des conseils évangéliques.

Mes Frères, mes Sœurs : merci !

                                   Claude Ducarroz


 A paru sur le site  cath.ch de vendredi 28 novembre

dimanche 23 novembre 2014

Fête du Christ Roi

Fête du Christ-Roi



Pas de chance ! Au cours de sa longue histoire –depuis 1291-, la Suisse n’a jamais eu de roi. Il y a comme une allergie toute helvétique à ce type de gouvernement. Nous avons beaucoup de défauts, mais nous ne sommes pas monarchistes.
Avec une nuance cependant : les Suisses –et singulièrement les Fribourgeois- furent nombreux à s’engager dans le service militaire des royaumes environnants où certains gagnèrent quelques quartiers de noblesse et beaucoup d’argent. D’où ce proverbe bien connu en France : « Pas d’argent, pas de Suisse ! »
Le saviez-vous ? Dans le premier vitrail à gauche dans le chœur de notre cathédrale, on rend hommage au service mercenaire à l’étranger exercé par de glorieux Fribourgeois.

Et voici que la fête liturgique de ce jour nous présente un roi : le Christ-Roi. Autant dire un roi pas tout à fait comme les autres. C’est le mot Christ qui fait justement la différence. Nous pouvons donc, tout en demeurant des Suisses démocrates et républicains, nous placer sans crainte sous la bannière de ce roi-là.
Un roi quand même puisque l’évangile de cette messe l’appelle ainsi et le présente comme tel. Souvenez-vous : « le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire… Toutes les nations seront rassemblées devant lui… »
Mais là s’arrête la comparaison avec les monarques de ce monde. Pour le reste, je vous conseille de contempler une fois le portail d’entrée de notre cathédrale, car justement il illustre cette page d’évangile.

Le Christ y est présenté comme un roi, assis sur un trône surmonté d’un baldaquin à la bordure dorée. Derrière sa tête, le rayonnement du soleil pour signifier sa couronne de gloire.
Et maintenant s’expose la différence : sur ses mains et ses pieds, on voit encore la trace des plaies ouvertes par les clous. Et regardez bien, c’est un peu étonnant mais combien significatif : jusque dans son royaume, au dessus de l’arc-en-ciel, il a gardé sur sa tête la couronne d’épines.

Tout est dit sur le règne de ce roi.
C’est un règne d’amour qui donne et se donne, et non pas l’irruption d’une puissance qui domine et contraint. Jamais il ne fut autant roi que sur la croix, parce qu’il mettait en pratique jusqu’à l’extrême sa propre parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Avec l’autre face de cette gloire par amour : la résurrection, le crucifié glorifié par Dieu dans son Royaume éternel comme fruit de son sacrifice.

Mais attention ! Ce n’est pas un fruit qu’il dégusterait en divin égoïste, lui tout seul, là-haut sur son trône. Non ! Il est en bonne et nombreuse compagnie. C’est une victoire royale qu’il partage avec nous, en vainqueur final du mal et de la mort.
Et la preuve a été donnée déjà sur la croix, de sorte que personne ne puisse dire « ce n’est pas pour moi, je suis trop moche, trop mauvais, trop indigne ». Au crucifié à ses côtés qui lui disait simplement ceci : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume », Jésus répondit tout aussi brièvement : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Or c’était un bandit.
Ainsi se réalisait cette prière de Jésus: « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire. »

Nous sommes les sujets de ce roi-là, nous sommes les citoyens de ce royaume-là, nous sommes les promis à cette gloire-là. « Quand tout sera achevé, dit saint Paul, le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père. … Et Dieu sera tout en tous. »
Oui, un jour, nous entendrons le Christ-Roi nous dire : « Venez les bénis de mon Père. Recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. ».

Encore faut-il prendre le chemin qui y conduit pour frapper, le moment venu, à la bonne porte. Ca ne peut être qu’un chemin d’amour, ça ne peut être qu’une porte de miséricorde.

Un indice ne trompe pas. Il est donné par le roi lui-même : « J’avais faim, j’avais soif, j’étais prisonnier, j’étais étranger, j’étais malade, j’étais nu…et vous m’avez aimé en étant solidaire, compatissant, généreux. « Car tout ce que vous faites à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. »

Autrement dit, le roi de gloire est déjà parmi nous. Pas besoin de le traquer dans les nuages. Il nous donne rendez-vous dès maintenant, car il se cache sous les traits de tous ceux qui souffrent, espèrent une libération, ou simplement ont besoin d’un verre d’eau, dit Jésus, pour ne pas décourager ceux qui n’auraient que ce petit peu à donner, mais de bon cœur.

Oui, le royaume des cieux commence sur cette terre partout où des hommes, quels qu’ils soient, inventent des gestes d’amour, de pardon, de compassion, d’entraide, de service gratuit.
Et dans notre société si labourée par les violences, les injustices et les misères de toutes sortes, ce ne sont pas les occasions qui manquent, n’est-ce pas ?
N’allons pas chercher bien loin. Chacun de nous, avec ce qu’il a et surtout ce qu’il est, peut faire un pas en avant sur le chemin royal qui mène au paradis en donnant la main du cœur à quelqu’un d’autre qui peine, qui tombe ou n’arrive pas à se relever tout seul.
Pour le bonheur de celui qui reçoit, mais aussi pour la joie de celui qui donne. Car, disait encore Jésus en parlant d’un apéritif royal partagé dès maintenant: « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. »
Oui, c’est la main des pauvres qui nous offre les cadeaux de Dieu.

                                               Claude Ducarroz




samedi 15 novembre 2014

Vive le capitalisme !

Mt 25,14-30

Je les vois déjà saliver, les capitalistes obsédés par les bénéfices sur investissement. Car voici enfin une parabole fort encourageante. Mieux : qui justifie et même glorifie l’habileté financière à des taux dépassant toute concurrence…fiscale ou bancaire. Imaginez la mine réjouie des actionnaires de cet évangile : on a doublé les sommes mises en jeu.

Sauf que les comptes seront bouclés dans le Royaume de Dieu, autrement dit avec la seule monnaie de l’amour. Car Jésus ne parlait pas des rendements à exhiber devant un conseil d’administration ici-bas, mais de la moisson espérée dans le ciel lors de son retour en gloire à la fin des temps, même si les semailles sont accomplies en ce monde et la croissance l’affaire de toute notre vie.
La Parole ensemencée est un pur cadeau du divin paysan. Mais c’est aussi de l’accueil du terrain que dépendent la germination du grain et la générosité de l’épi. Que ce soit sous la forme des talents ou sous la figure de l’argent, Jésus fait appel à notre responsabilité dans l’aventure de la maturation selon l’évangile. Il ne suffit pas de laisser dormir ce qu’il nous a donné en termes de talents, charismes ou capacités. La jachère, ce n’est pas son truc.
Car toutes ses semences cherchent un terreau fertile, exigent un développement durable, pointent vers des fruits. Et ce processus vital, tout en étant profondément dépendant de la sève de l’Esprit en nous, postule notre collaboration libre et ardente. Nous ne sommes pas des choses inertes dans la main de Dieu. Nous sommes les partenaires actifs de ses desseins d’éternité. Donc le contraire de ces serviteurs mauvais et paresseux que fustige Jésus dans la parabole des talents.

Encore faut-il ne pas se tromper sur la marchandise. Ce que souhaite l’évangile, ce ne sont ni les dividendes de l’avoir, ni les exploits du pouvoir, encore moins les esbroufes du paraître. Parce que l’Esprit de l’évangile ne sème que de l’amour -puisque Dieu est Amour-, c’est uniquement à l’aune de l’amour que se mesurera la valeur de la récolte dans le royaume de Dieu.
Dès lors, chacun de nous, y compris les plus faibles et les plus  pauvres aux yeux des capitalistes de ce monde, peut devenir un bon gérant de fortune en vue du retour du Christ. Qui n’a pas du temps à consacrer, de la tendresse à donner, des aptitudes à offrir, afin que grandisse dès maintenant sur cette terre ce qui s’épanouira un jour pleinement dans le ciel ?

Vive le capitalisme évangélique !

                                                                       Claude Ducarroz


samedi 8 novembre 2014

Messe à la mémoire de nos soldats

Homélie
In memoriam 2014

Alors, la guerre, comment ça va ?
Merci pour elle, elle va très bien.
Et vous ? Comment allez-vous ?

Ce petit dialogue, presque banal, pourrait s’appliquer à la situation internationale, telle que les medias nous la rapportent et nous la montrent. Ainsi vont les guerres, avec quelques spécialités typiques de notre temps. Ici et là, la religion refait alliance avec la violence, comme s’il fallait sacraliser les horreurs pour les rendre non seulement excusables mais acceptables.
Les chrétiens -mais d’autres aussi- sont devenus des cibles faciles pour certains « combattants de Dieu ». Sur les routes de l’inhumanité, en ce moment-même, marchent, tombent et meurent des milliers d’innocents pris au piège de la haine, du fanatisme, de l’intolérance et de l’exclusion la plus radicale.

Et pendant ce temps-là, ici, dans notre cathédrale, au cours d’une belle messe, nous évoquons pieusement la mémoire de soldats qui, s’ils étaient prêts à se sacrifier pour leur patrie, sont morts non pas dans les combats, mais simplement dans l’accomplissement de leur devoir citoyen, comme on dit, « sous les drapeaux ». Honneur à eux !
Dans notre célébration grave mais pacifique, une fois de plus, sonne et résonne l’heure des martyrs, celles et ceux qui paient de leur vie leur attachement à la dignité des personnes, à la liberté de conscience et au droit d’exprimer et de vivre sa foi.

Le saviez-vous ? Il y a dans notre belle cathédrale un vitrail réservé aux martyrs. Celui-là, près de la chaire, sur votre gauche. Ne manquez pas de le contempler une fois dans le silence d’une méditation.
A gauche, il y a deux hommes, parmi lesquels d’ailleurs un soldat, saint Maurice qui, tout en pratiquant son métier, fit objection de conscience quand on le força à choisir entre son Dieu et l’empereur. Il en mourut au fil de l’épée, avec ses compagnons.
Mais il y aussi deux femmes -à droite- reconnues comme patronnes de Fribourg : Catherine d’Alexandrie et Barbe, que certains situent à Antioche, deux martyres provenant de cet Orient qui fournit encore le plus gros contingent des martyrs contemporains.

Les martyrs pourraient être beaux quand on les place sur des vitraux réalisés par des artistes de génie, comme l’était le polonais Joseph Mehoffer, lui-même d’ailleurs victime des conséquences de notre dernière guerre à Cracovie en 1946. Mais au bas du vitrail, le peintre n’a rien voulu cacher des horreurs qui sont le prix de la vaillance et de la fidélité, tant féminines que masculines. Regardez : chaque personnage est représenté nu, dans toute la cruauté de son destin, y compris les femmes, sans pudeur, quand il s’agit de donner sa vie comme le Christ, nu sur la croix du sacrifice.

Mais je vous prie d’observer encore de plus près les brutales scènes du martyre en acte. Dans chaque représentation, l’artiste a inséré, près de l’horreur triomphante, un discret visage de femme. Oui, toujours une femme, y compris du côté des hommes, un peu comme Marie au pied de la croix du Christ, où il y avait plus de femmes que d’apôtres, quand Jésus achevait d’offrir sa vie pour le salut du monde, sous la violence de ses bourreaux à la fois politiques, militaires et religieux.

Voyez ces visages de femmes, qui sont si discrètes et pourtant nous disent l’essentiel, pour tout racheter, pour tout sauver. A droite, une femme prie. Puis une autre pleure. La troisième embrasse et la quatrième relève dans un admirable geste de soutien.
Tout est dit quand il n’y a plus que le silence. Mais qu’est-ce qui est dit quand tout semble accompli, comme au calvaire ?

Sûrement la mission de la femme et des femmes dans un monde de bruts, si souvent masculins, pour ne pas dire « une affaire de mecs »: la prière, la compassion, l’amour et le tendre relèvement. L’espérance vient encore si souvent des femmes et de leurs enfants, y compris de nos jours.

Mais il faut aller plus loin, je crois. Ne serait-ce pas finalement la parabole incitative et invitatoire de la mission de l’Eglise dans notre société, telle qu’elle est ? Autrement dit notre tâche à tous, y compris aux soldats, avant, pendant et surtout après la bataille quand celle-ci est peut-être inévitable.
* Ne jamais cesser de prier.
* Continuer de compatir en écoutant son cœur et pas seulement ses armes.
* Aimer, y compris celui qui ne nous aime pas, car il faudra bien un jour ressusciter ensemble grâce au pardon échangé.
* Et finalement multiplier les gestes de soutien, de solidarité et de guérison.

La croix rouge n’est-elle pas le symbole inversé de la croix suisse ? Il y a un appel permanent pour nous, pour notre pays, pour ses autorités et tous ses habitants, dans cette symétrie tellement significative, qui flotte encore aux vents de toutes les tempêtes du monde.

C’est pour ces valeurs-là -je veux dire celles qui sont illustrées sur ce vitrail- que nos soldats sont morts. Nous qui avons la grâce de vivre dans un pays en paix, même s’il n’est pas parfait, comment voyons-nous notre mission citoyenne, comment vivons-nous notre engagement de chrétiens, dans le monde tel qu’il est, fascinant et cruel à la fois ?

Avec cette parole de saint Paul encore plus précieuse qu’un vitrail parce qu’elle est illuminée de l’intérieur par l’Esprit de Dieu : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »
Vous. Nous. Tous les humains.

Amen !

                                               Claude Ducarroz