samedi 30 janvier 2010

Par la fenêtre

Fleur de vie

Deux regards

Depuis cet après-midi, je comprends mieux qu’il y a deux façons différentes de regarder la vie.
Jour sombre. Soudain des rayons de soleil viennent m’éblouir à travers la fenêtre de mon bureau. Qu’est-ce que je remarque spontanément ? Le triste état des vitres qui ont un urgent besoin d’être nettoyées. Ce beau soleil, en effet, met en évidence la poussière déposée sur les carreaux. Il faut absolument que j’anticipe sur les lavages de printemps !
Et puis je réfléchis. Il serait dommage que ces escarbilles accumulées m’empêchent d’apprécier …le soleil. Qu’est-ce qui est le plus important ? Quelques malheureuses saletés sur les vitres, ou le doux chatoiement du soleil qui vient me dire bonjour à travers ces fenêtres imparfaites ? Ne vaut-il pas mieux profiter du cadeau-surprise de cette lumière bienvenue, plutôt que de me fixer rageusement sur la pollution héritée de la rue ? Les fenêtres peuvent attendre. Mais le soleil d’hiver brille et réchauffe si brièvement. Donc…
Ainsi des évènements de la vie. Il y aura toujours des occasions de gémir ou de rouspéter, à cause de soi-même, et plus encore à cause des autres évidemment. Mais n’y a-t-il pas aussi des opportunités de rendre grâces pour les petits plaisirs ou les grands bonheurs que l’existence nous offre, le plus souvent gratuitement, même si c’est furtivement ? Finalement, qu’est-ce que je regarde, qu’est-ce que je retiens ? La vitre empoussiérée de tant d’imperfections, ou les signes d’amour ensoleillé que Dieu me donne au gré des circonstances et des rencontres ?
A chacun de choisir son angle de vue sur la vie.
1609 signes Claude Ducarroz

Homélie pour l'Unité des chrétiens

Homélie
Dimanche de l’unité des chrétiens

Ca tient du miracle! C’est pourquoi il faut y tenir fermement. Et j’y tiens. Durant des siècles, la Bible a séparé, divisé et opposé catholiques et protestants. Jusqu’à se faire la guerre.

“La Bible, rien que la Bible, c’est pourquoi nous avons raison contre vous”, clamaient les protestants.

“Attention à la Bible, ça peut être un livre dangereux, à ne pas mettre entre toutes les mains, et surtout pas celles des laïcs ”, ont réagi les catholiques obsédés par les dérives des interprétations contradictoires ou fantaisistes.

Aujourd’hui – merveille - la Bible nous réunit, nous rassemble, peu à peu nous réconcilie. Elle est notre trésor commun qui nous révèle tous les autres et nous y conduit

Les textes de ce dimanche illustrent parfaitement - et surtout encouragent – ces progrès oecuméniques dont nous sommes les témoins heureux, dont nous devons être les acteurs toujours plus enthousiastes.

Les juifs exilés à Babylone ont pu rentrer en Israël grâce à l’édit de Cyrus en 538 av. J-Christ. La cohabitation avec les juifs restés sur place à Jérusalem n’est pas facile. On a de la peine à se comprendre, à s’accepter, à vivre ensemble. Il faut donc refaire l’unité d’un peuple guetté par des réflexes d’exclusions.

Comment faire ?

Néhémie le gouverneur et Esdras le prêtre ont trouvé la parade : rassembler les uns et les autres autour de la Parole biblique dans une belle et émouvante liturgie, une fête de la Bible.
Et là, tout y est.

On lit la Parole, mais on la traduit aussi pour que chacun comprenne dans sa langue. On en donne le sens pour l’expliquer juste. Et surtout pour lui permettre de devenir féconde dans la vie des personnes et la vie du peuple tout entier, appelé à relever de nouveaux défis. Et le tout dans la joie, avec un festin des retrouvailles, bien arrosé.

C’est un peu cette même expérience que le jeune Jésus fait dans la synagogue de son village, à Nazareth. Appelé à ouvrir le livre et à proclamer la Parole, il interprète l’oracle libérateur du prophète Isaïe, et il ose même dire :
« Cette parole de l’Ecriture, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Oui, l’actualité de cette parole, avec des conséquences religieuses – il est le consacré par l’onction de l’Esprit – Saint – mais aussi des répercussions sociales et politiques – libérer les prisonniers et les opprimés, en même temps qu’annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres et aux malades de toutes sortes.

La mission du Christ-Messie est devenue la mission de l’Eglise aujourd’hui, notre mission. C’est pour cela – comme le rappelait l’apôtre Paul aux Corinthiens – qu’il y a dans l’Eglise toutes sortes de vocations et de services, comme il y a dans un même corps plusieurs membres, tous utiles, et complémentaires les uns des autres. Dans notre Eglise, on a beaucoup insisté sur les apôtres et leurs successeurs. Mais il ne faudrait pas oublier les prophètes, ceux et celles –car il y a beaucoup de femmes- qui nous réveillent, nous dérangent, nous agacent peut-être parce qu’ils nous bousculent dans nos habitudes et traditions. Ils nous invitent à ne pas tricher avec l’Evangile au cœur de notre société et jusque dans nos communautés d’Eglise.

Les apôtres de l’œcuménisme font partie de ces prophètes nécessaires parce que stimulants. Comme au retour de l’exil en Israël, comme Jésus dans son fief de Nazareth, ils nous proposent instamment, chrétiens de confessions différentes, de nous rassembler dans la prière autour de la Parole de Dieu et de l’étudier ensemble, et de nous retrouver plus forts et plus unis pour la mettre en pratique dans nos Eglises et dans notre société, comme un levain dans la pâte humaine. C’est le sens, entre autres, du prochain Festi Bible œcuménique qui animera Fribourg au prochain Jeûne Fédéral. Vous êtes d’ores et déjà invités. Qu’on puisse dire ce jour-là, mais aussi tous les autres jours :
« Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».

Et qu’en voyant tous les chrétiens en pèlerinage de réconciliation, tous puissent déjà proclamer « Voyez comme ils s’aiment ! »

Claude Ducarroz

vendredi 22 janvier 2010

Le 5ème enfant

Fleur de vie

Le 5ème enfant

Marie est une grand-maman optimiste. Et pourtant les épreuves ne lui ont pas manqué. Veuve avec quatre enfants en bas âge, elle a dû faire face à de lourdes responsabilités. Actuellement, ce sont plutôt ses petits-enfants qui lui causent des soucis. Elle voudrait tellement qu’ils réussissent dans la vie sans tomber dans les écueils de la facilité qui mène droit dans le mur des désillusions et de l’échec. Mais cette femme ne se plaint pas. Elle a gardé un beau sourire sur son visage buriné par les ans. Sa foi, toute ruisselante de prière, la maintient dans l’espérance.
Tout à coup, elle me parle d’un cinquième enfant, ce qui m’intrigue quelque peu. Elle m’explique. « Il y a plusieurs années, j’ai subi une greffe des poumons, la seule issue possible pour survivre à une grave maladie. Je sais seulement que c’est un jeune homme qui m’a donné cet organe vital. Alors, en moi, je le considère comme mon cinquième enfant. »
Une maman, ça donne la vie. Nous le savons tous, nous qui éprouvons tant de reconnaissance pour nos mères. Mais, en l’occurrence, c’est plutôt un jeune qui a rendu la vie à une femme qui aurait pu être sa mère. Il y avait un geste maternel dans son sacrifice anonyme.
Chacun de nous peut être donneur de vie, car il y a tant de manières d’aimer en partageant. Pas nécessairement dans les moments tragiques de l’existence, mais aussi dans le goutte à goutte de la vie quotidienne. En donnant, tout simplement. En se donnant.
J’en connais un du côté de Nazareth qui nous a montré la route. Et sa mère s’appelait aussi Marie…
1572 signes Claude Ducarroz

Kinshasa

Fleur de vie

Kinshasa

Il y a des rencontres dont on ne revient pas indemne.
Je viens d’écouter le récit d’une dame qui a vécu plusieurs années à Kinshasa, au Congo. J’en suis encore tout bouleversé.
Elle s’est mise au service des enfants de la rue. Tantôt sous le poids de la misère, tantôt parce qu’on les considère comme des sorciers malfaisants, ces enfants hantent les banlieues, sans toit et surtout sans amour. Ils sont plusieurs dizaines de milliers à survivre dans la déchéance ou dans la violence. A leur tour, dans ces conditions inhumaines, ils ont des enfants qui ne connaîtront jamais autre chose que les mêmes rues de l’extrême pauvreté matérielle et morale. Cette dame m’a avoué, avec douleur et un peu de honte : « J’ai dû parfois faire un effort pour reconnaître en ces enfants des êtres humains ».
Les moyens de communication modernes et les facilités de transport font que nous ne pouvons nous cacher derrière l’ignorance de tels drames. Nous savons. Le pire serait que nous nous habituions à de telles inhumanités pour préserver notre confort. Ou que nous nous réfugiions dans un sentiment d’impuissance qui pourrait nous acheter une bonne conscience à bon marché.
Quand je vois ce que cette dame a fait et fait encore pour ces enfants, même si ça semble une goutte dans la mer, je crois que nous pouvons tous apporter notre contribution –si modeste qu’elle soit- à la grande croisade contre la misère, en particulier celle qui frappe les enfants innocents.
Allumer, ne serait-ce qu’une petite étoile dans le ciel de la solidarité, c’est déjà infiniment mieux que de maudire la nuit.
1598 signes Claude Ducarroz

Reçois ce que tu donnes

Fleur de vie

Reçois ce que tu donnes

Cette famille a des goûts simples, mais on y apprécie les belles choses. Quoi de mieux sur la table de Noël qu’un beau bouquet de fleurs pour ajouter de la fraîcheur aux décorations traditionnelles un peu fanées? Monsieur allait procéder à l’achat quand Madame entendit à la radio un appel qui les a touchés tous les deux. L’ineffable Jean-Marc Richard suggérait de faire un don extraordinaire qui permettrait à des enfants pauvres de mieux vivre leur Noël. Alors pourquoi ne pas renoncer aux fleurs pour verser l’équivalent -et même un peu plus- à l’action de Noël proposée ? Ce fut un sacrifice, mais ce couple généreux n’a pas hésité longtemps à franchir le pas de cette émouvante solidarité. Pour des enfants, à Noël : il n’y a pas à tergiverser !
La table de Noël est dressée, avec goût, mais sans les fleurs. On sonne à la porte. C’est un couple d’amis qui vient leur souhaiter un joyeux Noël, avec un cadeau inattendu mais qui tombe à pic : un beau bouquet de fleurs, aussitôt placé sur la table. La place laissée vide par la générosité des uns est aussitôt remplie par la générosité des autres. Ils ont compris : on reçoit toujours ce que l’on donne, d’une manière ou d’une autre, surtout si l’on donne gratuitement, sans chercher à recevoir en retour.
Un certain Jésus de Nazareth a dit un jour : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». C’est même la seule sentence de lui qui ne se trouve pas dans les évangiles. Allez la chercher dans le livre des Actes des Apôtres au chapitre 20, verset 35. Qu’en pensez-vous ?
1566 signes Claude Ducarroz

Le Noël de Noélie

Fleur de vie

Le Noël de Noélie

Bernadette a une habitude hélas ! trop peu répandue, surtout dans la très sérieuse Helvétie. Quand elle prend place à l’église pour la messe, elle s’adresse d’abord à son voisin ou sa voisine pour le/la saluer gentiment et faire un brin connaissance. Elle ne conçoit pas prier à côté de quelqu’un en laissant ce frère ou cette sœur dans un anonymat qui frise l’indifférence. C’est contraire à sa religion ! Comme il arrive assez souvent, les protagonistes de ce bref dialogue se retrouvent à la sortie pour prolonger la conversation. N’est-ce pas aussi comme cela qu’on fait communauté, surtout après avoir communié au même Seigneur qui nous y encourage à longueur d’évangiles ?
C’est bien tombé, ce jour-là. La voisine d’église est une immigrée qui se trouve seule au monde dans cette grande ville. Noël approche. Bernadette pousse la bienfaisante indiscrétion jusqu’à lui demander où elle passera cette fête. Vous devinez : toute seule chez elle. Ni une ni deux, Bernadette l’invite à venir à la maison partager la veillée de Noël en famille. Car la communauté, ce n’est pas seulement se dire bonjour à l’église. C’est aussi fraterniser après la messe, dans la vie ordinaire.
Imaginez la joie de cette femme fraîchement débarquée en Suisse, qui craignait d’avoir à ruminer sa solitude un soir de Noël. Et pour couronner le tout, elle avoua à ses hôtes : « Je m’appelle Noélie parce que je suis née un jour de Noël ! »
On peut vivre Noël tous les jours. Ou au moins tous les dimanches. Il suffit de faire attention à celle ou celui qui prie à côté de soi à l’église.
1595 signes Claude Ducarroz

lundi 18 janvier 2010

Les tribulations d'un sacrement

Finies, les absolutions collectives !
Les tribulations d’un sacrement

Pauvre confession ! On l’avait rebaptisée « sacrement de la réconciliation ». Voici qu’elle redevient très « pénitentielle ». En effet, par un décret du 1er janvier 2009, les évêques suisses suppriment l’autorisation de donner l’absolution collective puisque seul le danger imminent de mort pourrait encore la justifier chez nous. Autant dire : jamais ! (1)

Que s’est-il passé ?
La manière de comprendre et de célébrer ce sacrement a beaucoup évolué au cours des siècles. Aucun sacrement n’a subi autant de variations, y compris dans l’impact concret qu’il eut dans la conscience, la piété et l’existence des chrétiens. (2) Jusqu’à l’époque du concile Vatican II où, selon un théologien, « le lieu (le confessionnal), la durée (quelques minutes), le style (chuchotant) en faisaient le degré zéro de ce que doit être une célébration liturgique ».(3) Sauf respect pour la grâce du pardon, évidemment !
Si les chrétiens –même les plus fervents- ont peu à peu délaissé ce sacrement, ce n’est pas d’abord parce qu’ils n’en voyaient plus la nécessité. C’est parce qu’il avait trop souvent péché lui-même par des pratiques inquisitoriales et angoissantes, dont peuvent témoigner encore de nombreux pénitents. Il y eut –et il y a encore- dans notre Eglise trop de « cabossés de la confession ». Car des hypertrophies malsaines focalisaient davantage l’attention sur le péché -en tous ses états- que sur la bonne nouvelle du pardon, sur l’individu isolé que sur la communauté, sur le Dieu vengeur que sur le Père des miséricordes. Il fallait donc que ce sacrement passe lui-même par une sérieuse cure de conversion.

Et puis vint le concile Vatican II
C’est ce que le concile Vatican II a initié quand il dit que « la célébration commune, avec participation active des fidèles, (…) doit l’emporter sur la célébration individuelle et quasi privée », en précisant que « ça vaut aussi pour l’administration des sacrements.» (Constitution sur la liturgie no 27).
Concernant le sacrement de pénitence, il a fallu attendre 1973 - puis 1978 pour la version en français (4)- avant de voir les premiers effets de la réforme annoncée. Et ils furent d’importance.
Le rituel promeut une célébration renouvelée qui comporte un accueil réciproque fraternel, une écoute de la Parole de Dieu, une confession de la miséricorde autant que du péché, le rite biblique de l’imposition des mains et un envoi dans le monde comme témoin de la réconciliation, etc…
C’est une toute autre ambiance, qui s’exprima jusque dans le mobilier. Des lieux d’accueil sympathiques remplacèrent les confessionnaux obscurs, poussiéreux et grillagés… une invention de 1565 seulement ! Bien sûr, les attitudes intérieures demeurent semblables parce qu’elles sont héritées de l’Evangile, à savoir la confiance en l’amour de Dieu, la reconnaissance et le regret de son péché, la volonté de conversion et de réparation. N’empêche que le pardon libérateur l’emporte désormais sur les efforts pénitentiels, comme la miséricorde de Dieu est heureusement plus forte que nos misères humaines.
Mais la nouveauté la plus visible surgit ailleurs. Le rituel, en effet, élargit les formes possibles du sacrement, en consacrant les célébrations communautaires avec confession et absolution individuelles, et surtout en autorisant des célébrations avec confession et absolution collectives. Une sorte de révolution, encore que ce terme ne soit pas adéquat pour qui connaît les nombreux virages déjà accomplis dans sa longue histoire par ce sacrement décidemment très élastique en ses rites.
L’absolution collective –qu’il vaudrait mieux appeler communautaire- est possible « lorsque, vu le nombre de pénitents, il n’y a pas suffisamment de confesseurs à leur disposition pour entendre comme il le faut la confession de chacun dans des limites de temps convenable, en sorte que les pénitents seraient contraints de demeurer privés -sans faute de leur part- de la grâce sacramentelle ou de la sainte communion. » (Rituel en français no 45). Il appartint aux évêques de décider quand il est permis de donner cette absolution sacramentelle collective. Ce que les évêques suisses ont fait par un décret de 1974. Mais, précisent les évêques, « il faut rappeler chaque fois l’obligation pour les pénitents ayant conscience de fautes graves de les accuser à un prêtre avant une autre absolution collective. » Non pas que de tels péchés ne soient pas pardonnés au moment de l’absolution collective, mais parce que de telles situations exigent l’appoint de conseils compétents pour favoriser le discernement et encourager l’authentique conversion du pécheur.
La diffusion de l’absolution collective dans plusieurs diocèses suisses a changé les habitudes des catholiques. Certains sont revenus à ce sacrement qu’ils avaient délaissé à cause des critiques (légitimes) que l’on sait. Mais le fait de le recevoir désormais uniquement sous sa forme communautaire a provoqué une désaffection dommageable de sa forme personnelle. N’allait-on pas vers des confessions trop faciles, vers un pardon au rabais ?
Il faut cependant le reconnaître : tant les fidèles que les pasteurs tirent de cette liturgie pénitentielle un bilan très positif. De telles célébrations sont devenues des moments forts de l’année liturgique, pour les personnes comme pour les communautés, notamment avant Noël et avant Pâques. L’impact de la Parole de Dieu, le renouveau de l’examen de conscience, l’image d’un peuple nombreux rassemblé pour accueillir le signe du pardon : tout cela, lorsque la liturgie est bien préparée et bien animée, constitue une expérience d’évangile profonde et féconde. C’est pourquoi les « pratiquants » de ces cérémonies restent très attachés à cette forme de réconciliation sacramentelle. Il faut les écouter.

Retour en arrière ?
Qu’en pensa-t-on à Rome ? Pas beaucoup de bien, il faut le remarquer, et les évêques suisses sont bien placés pour le savoir. De la part des dicastères du Vatican et de la part du pape lui-même, ont paru en rafale des mises en garde, des précisions en forme de restrictions, des pressions pour que cessent de telles anomalies jugées contraires à l’esprit –sinon à la lettre- des documents officiels. La liste de ces coups de frein est très longue.(5) Le Code de droit canon (1983) et le Catéchisme de l’Eglise catholique (1992) ont donné le coup de grâces à ces liturgies, tandis que les évêques suisses traînaient les pieds pour obtempérer aux ordres de Rome qui leur enjoignait de mettre fin à ces déplorables « spécialités suisses ». C’est ce que nos évêques ont fait par le décret du 1er janvier 2009, un écrit typiquement juridique puisqu’on y renvoie au droit canon et à d’autres documents romains à 12 reprises sans jamais citer une seule fois l’évangile explicitement. Avec un argument jugé imparable : l’aveu personnel verbal et l’absolution individuelle sont constitutifs de ce sacrement, même si, paradoxalement, les absolutions collectives reçues jusqu’à ce jour sont, malgré tout, considérées comme valides.
Soyons positifs. Nos évêques rappellent opportunément qu’il y a bien des manières d’obtenir le pardon divin, lequel demeure un cadeau gratuit. Il suffit de penser, en méditant les textes bibliques, au baptême d’abord –évidemment-, puis au partage entre frères, à l’engagement apostolique, à la prière sincère, à l’offrande de ses souffrances, à la participation à l’eucharistie « en rémission des péchés », etc… Nos évêques encouragent toujours les célébrations communautaires, mais avec absolution individuelle, ces cérémonies hybrides qui ne permettent pas toujours une vraie rencontre personnelle quand les fidèles doivent passer auprès d’un prêtre (pressé) pour recevoir une (rapide) absolution. Ils nous rappellent ensuite que les péchés dits « véniels » n’exigent pas une absolution sacramentelle. Mais encore faut-il savoir distinguer les diverses « sortes de péchés », un sujet que le Catéchisme de l’Eglise catholique tente d’expliquer en ….11 numéros (1854-1864). Ces célébrations non-sacramentelles, suffisantes pour le pardon des « petits péchés », peuvent être présidées par des laïcs (hommes et femmes), qui choisiront une « absolution déprécative » (« Que le Seigneur vous pardonne… »), ce qui fut la formule de l’absolution sacramentelle en Occident jusqu’au 13ème siècle et demeure telle dans les Eglises d’Orient. Bonjour les confusions !

Pour un vrai renouveau
Théologiquement, il faut redire que l’Eglise, dans le registre des sacrements, doit être fidèle à leurs contenus mystériques hérités de l’évangile, tels qu’ils se sont ritualisés dans les premières communautés chrétiennes. Mais quant aux formes, rites et conditions, l’Eglise a parfaitement le droit de trouver à chaque époque les meilleures expressions possibles, compte tenu des circonstances de temps et de lieux. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait, pratiquement pour tous les sacrements, au cours de son histoire fort complexe. Les différences, parfois très grandes et toujours significatives, entre l’Orient et l’Occident sont là pour en témoigner.
Dès lors recourir aux exemples du Nouveau Testament, en passant par les Pères de l’Eglise jusqu’à tous les développements ultérieurs, pour revenir en arrière en imposant à tout prix l’aveu personnel et le pardon individuel, c’est un peu court. Comme si ces témoignages étaient clairs et univoques alors qu’ils sont variés et contrastés.
Dans l’Evangile lui-même, toutes les formes de pardon sont repérables dans les rencontres de Jésus avec les pécheurs, depuis ceux qui ne dirent rien (par exemple le paralytique en Mc 2 et la femme adultère en Jn 8) jusqu’aux pardonnés « collectivement » par le Christ sur la croix en Lc 23,34. Tous avaient besoin du salut et il était offert à tous : là est l’essentiel. N’est-ce pas pour manifester cela qu’on trouve des serviteurs du pardon dans l’évangile (Cf. Jn 20,23) et des ministères de la réconciliation chez saint Paul (Cf. II Co 5,18-19), mais dans le cadre de communautés tout entières réconciliatrices (Cf. Mt 18 et Jc 5,16) ? Peut-on déjà en déduire une pratique sacramentelle précise et codifiée ?
Une théologie purement archéologique ne résout pas les questions d’aujourd’hui. Il faut avoir le courage de refonder ce sacrement sur les bases les plus solides de l’évangile, à savoir les rencontres du Seigneur avec les pécheurs et les exclus, mais en tenant compte des évolutions sociales et ecclésiales, par exemple le manque de prêtres et la prise de conscience de la responsabilité communautaire. C’est ce que le concile Vatican II a essayé de faire.
Sans doute chaque réforme, en insistant sur tel ou tel aspect, risque de laisser un peu dans l’ombre d’autres dimensions. Il appartient à nos pasteurs de les rappeler pour qu’elles ne soient pas oubliées. Nous sommes encore nombreux à avoir subi les graves dérives des pratiques pénitentielles anciennes. On peut faire mieux aujourd’hui, et on doit le faire.(6) C’est un beau chantier pour une Eglise enracinée dans l’Evangile, mais tournée vers l’avenir.
Il faut souhaiter qu’une nouvelle réflexion sur le fond, au-delà des interdits, suscite une certaine créativité liturgique afin que la pluralité des formes, heureusement permises après le concile, ne soit pas abandonnée. Car il est bon que les chrétiens, suivant les conditions dans lesquelles ils se trouvent, puissent avoir un certain choix dans l’approche liturgique d’un pardon qui, quelles que soient les formes qu’il endosse, restera toujours une merveilleuse grâce de libération et de paix dont nous avons tous besoin sur le chemin difficile de nos existences imparfaites.
Claude Ducarroz

1) Les documents de la Conférence des évêques suisses sont disponibles sur www.sbk-ces-cvs.ch
2) Pour en savoir davantage : Philippe Rouillard – Histoire de la pénitence des origines à nos jours - Cerf 1996
3) Cf. Louis-Marie Chauvet - Le Sacrement du Pardon entre hier et demain - Desclée 1993 p.74
4) On ne peut que recommander la lecture des orientations doctrinales et pastorales de ce nouveau rituel – Chalet-Tardy 1978 pp. 9-27
5) Cf. Bernard Rey – Pour des célébrations pénitentielles dans l’esprit de Vatican II - Cerf 1995 Le chapitre IX : Le Saint-Siège et les célébrations communautaires
6) L’abbé François-Xavier Amerdt a émis quelques bonnes suggestions dans un article en annexe du décret des évêques suisses du 1er janvier 2009.

Et pourtant l'Eglise bouge

Et pourtant l’Eglise bouge…

Les initiatives restauratrices de Benoît XVI ont plongé l’Eglise catholique dans une tempête que le pape a nommée « grand tapage ». Paradoxalement, cet ouragan a des effets secondaires plutôt positifs. On observe certains sursauts qui ressortissent des conséquences lointaines du concile Vatican II.

Avec une sincérité louable (1), Benoît XVI a estimé qu’il était de son devoir pontifical –faiseur de ponts- de permettre à la mouvance d’Ecône de rejoindre bientôt le gros du troupeau catholique. Et puis patatras ! La levée de l’excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefèbvre en 1988, après la réhabilitation de la messe de saint Pie V, a soulevé des vagues qui n’ont pas fini de faire tanguer la barque de Pierre. Pour corser le tout, l’un des évêques en question, Mgr Williamson, a exprimé des propos négationnistes qui ont troublé le message papal, « incident fâcheux et imprévisible », dit Benoît XVI. Il a mis en péril les relations avec le judaïsme et mis à mal le processus de réconciliation à peine amorcé. Comme une gaffe n’arrive jamais seule, voici que l’archevêque de Recife excommunie une enfant de 9 ans et sa famille parce qu’on a eu recours à l’avortement dans des circonstances particulièrement dramatiques. Tout cela avec l’approbation du cardinal Re, celui qui prépare au Vatican les nominations des évêques. Après quoi, les propos de Benoît XVI lui-même dans l’avion qui l’emmenait en Afrique (le préservatif accentuerait la propagation du sida au lieu de l’empêcher) a encore jeté de l’huile sur le feu. En un mot : dans l’Eglise catholique aussi, il règne une ambiance de crise dont on se serait bien passé, car les temps qui courent sont déjà suffisamment éprouvants sans qu’on en remette une couche du côté du Vatican.

Un chapelet de réactions
Il ne faut pas céder à la sinistrose. A côté de dégâts collatéraux fort dommageables –par exemple la multiplication des « sorties d’Eglise » en Suisse et ailleurs-, il faut reconnaître que plusieurs réactions expriment des tressauts de vitalité et de fidélité qui peuvent compenser la déprime ambiante par une certaine espérance aux couleurs de Vatican II.
C’est le peuple de Dieu à la base qui a réagi le premier. Avec une vigueur étonnante, les « simples fidèles » ont pris parti résolument pour les acquis du concile. On ne doit pas brader la liberté religieuse, l’œcuménisme, le renouveau liturgique, le dialogue interreligieux, etc.. La crise a fait la preuve –bienvenue- que l’esprit du concile était entré profondément dans la chair de l’Eglise comme peuple de Dieu, et pas seulement chez les fidèles les plus pratiquants. C’est un bon signe.
Et puis ce peuple s’est levé, il s’est rassemblé, il s’est exprimé. C’est le sens de certaines manifestations publiques, tout à fait inédites dans l’aire culturelle catholique. Comment ne pas voir dans ces réveils l’un des fruits du concile qui encourage les fidèles « à s’ouvrir à leurs pasteurs de leurs besoins et de leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ. » ? Plus encore, « ils ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise. » (Constitution sur l’Eglise no 37). Le slogan du rassemblement de Lucerne le 8 mars 2009 signifiait bien cela : auftreten statt austreten. (se présenter au lieu de s’en aller).
Nous n’étions pas au bout de nos étonnements. Des évêques eux-mêmes se sont permis de poser des questions au Saint-Siège, formule ecclésiastique pour dire « le pape ». (2). Derrière ces remarques courtoises, on sentait l’énervement des évêques contre un exercice solitaire du service de Pierre qui, en la circonstance, a manqué au devoir de cette collégialité qui devrait être un réflexe naturel après le concile Vatican II. Que des évêques directement impliqués ne soient même pas informés –a fortiori pas consultés- avant une décision aux conséquences délicates et prévisibles : voilà qui manifeste un disfonctionnement grave que certains prélats ont eu la bravoure de dénoncer. Passer des approbations automatiques, quand elles ne sont pas obséquieuses, à des critiques certes feutrées mais fermes, voilà qui redonne du jeu dans les relations entre le centre et la périphérie du pouvoir en notre Eglise. Il était temps. On peut en dire autant d’évêques à évêques, quand les collègues de Mgr Sobrinho ne se sont pas contentés de lui envoyer quelques notes discrètes, mais ont eu le courage de prendre position publiquement pour lui rappeler que les exigences de l’esprit évangélique devaient l’emporter sur la lettre du droit canon.(3)
Paul et Pierre ont aussi vécu de tels affrontements bienfaisants, dans le contexte évangélique de la correction fraternelle, pour aboutir à un dialogue de type conciliaire qui porta des fruits d’unité dans la diversité assumée. (Cf. Ac 15 et Gal 2).

Le pape aussi
Le pape lui-même a reconnu dans une lettre adressée à tous les évêques qu’il y avait eu « des erreurs » d’appréciation et de réaction au Vatican. Ce n’est pas tous les jours qu’un pape s’explique sans triomphalisme. Que ne l’eût-il fait avant l’évènement ! Dans sa missive, on devine un homme blessé, attristé d’avoir été traité « avec haine sans crainte ni réserve ». Le pape déplore que, à l’heure de l’internet, l’information ait été insuffisante. Malheureusement, les mêmes déficiences ont ressurgi à propos de l’affaire du « préservatif » et de l’avortement dit « thérapeutique » lors du voyage en Afrique. De nouveau, des explications ultérieures –une fois le mal accompli- ont embrouillé l’opinion publique plutôt que l’éclairer. (4) De plus, le pape reconnaît implicitement que ses plus proches collaborateurs n’ont pas été « à la hauteur ». Quand on connaît ce que peut receler la nébuleuse d’Ecône comme idéologie d’extrême droite, on est stupéfait que les services du Vatican n’aient pas décelé à temps les opinions antisémites de Mgr Williamson. Et ôter publiquement le dossier d’Ecône au cardinal Hoyos n’est pas seulement une mesure de bon sens. C’est un aveu d’incapacité. Vivement une réforme en profondeur de la curie romaine !

Une double évaluation
Il y a deux manières d’évaluer ces évènements. Du point de vue du jugement des médias et de l’opinion publique sur l’Eglise catholique, ils sont évidemment regrettables, et même très néfastes. Au lieu de considérer l’Eglise en son témoignage central, à savoir proclamer et vivre l’actualité de l’Evangile du Christ dans le monde d’aujourd’hui, on la montre s’embourber dans des querelles finalement périphériques.(5)
Certains, dans les cercles catholiques, souffrent de voir éclater des remises en question du ministère papal (6), des divergences entre les évêques, des protestations dans le peuple chrétien. L’image d’une Eglise catholique bien unie autour de son pasteur suprême, comme une armée disciplinée et rangée en bataille, en prend un sérieux coup. Mais on peut estimer la situation autrement. (7)
On doit savoir désormais, jusqu’en haut lieu, que le peuple de Dieu, dans sa grande majorité, n’acceptera pas le sacrifice de Vatican II sur l’autel d’une hypothétique réconciliation avec une frange de résistants qui continuent de proclamer que « l’Eglise devra effacer ce concile, l’oublier, en faire table rase ». (Mgr Tissier de Mallerais).
Dans l’exercice pratique de la collégialité épiscopale, telle que le concile Vatican II l’a précisée et promue, n’est-il pas normal qu’il y ait des échanges un peu vifs entre les évêques dispersés à travers le monde et le pape qui règne au Vatican au milieu d’une curie pas nécessairement compétente en tout ? On peut y voir là un signe de santé, tant il est vrai que, trop souvent, nos évêques semblent plus prompts à nous transmettre les injonctions de Rome qu’à faire connaître à Rome les besoins et appels légitimes de leur peuple.(8) On aime à ressasser les bienfaits de la collégialité affective entre le successeur de Pierre et les autres évêques. A quand une collégialité effective ?
Enfin, lorsque le peuple prend la parole et exprime ses souhaits enracinés dans le témoignage de vie des fidèles qui mettent en pratique –tant bien que mal- l’évangile du Christ au milieu d’une société complexe et parfois hostile, ne mérite-t-il pas d’être écouté, entendu, respecté lui aussi ? (9)
Bien sûr que notre Eglise n’est pas une démocratie au sens mathématique du mot, comme si la majorité populaire faisait la vérité, au point de la rendre variable. Mais il n’empêche que le dialogue sincère entre nos autorités et les autres membres du corps du Christ –je n’oublie pas les théologiens- est une condition indispensable pour la vitalité de ce corps. S’il tire sa force de sa communion avec sa tête, le Christ, il doit aussi bénéficier de la souplesse des articulations et jointures qui garantissent la croissance de la construction dans l’unité de la charité et la riche diversité des charismes et ministères.(Cf. Ep 4,13-16)
En ce sens, ce qui vient d’arriver, au-delà des moments pénibles et même douloureux, peut aussi être apprécié comme une invitation à l’espérance. Dans l’esprit de Vatican II, notre Eglise donne des signes de réveils, parfois bruyants, mais finalement bienvenus.
Pourvu que l’on n’éteigne pas l’Esprit, pourvu que l’on ne méprise pas les prophètes. (Cf. I Th 5,19). Pourvu que tous écoutent « ce que l’Esprit dit aux Eglises. » (Ap 3,22)
Claude Ducarroz

1) Il s’en explique avec des accents assez touchants dans sa lettre du 10 mars 2009 aux évêques de l’Eglise catholique.
2) Il suffit de citer les évêques allemands qui ont aussitôt demandé « une prompte explication » au Saint-Siège en espérant « chez les responsables de la Curie des améliorations rapides dans le domaine de la prise de décision et de la communication avec les conférences épiscopales. »
3) « Dans cette tragédie, vous avez ajouté de la douleur à la douleur et vous avez provoqué de la souffrance et du scandale chez beaucoup de personnes à travers le monde », a écrit Mgr Daucourt, évêque de Nanterre. Et Mgr Deniau, évêque de Nevers, d’ajouter : « J’attends des hommes d’Eglise, mes frères, qu’ils n’utilisent pas le nom de Dieu pour condamner des personnes ou les enfermer dans la culpabilité ».
4) Mgr Di Falco, évêque de Gap, a été plus clair quand il a déclaré : « Si l’on ne parvient pas à vivre l’idéal de la fidélité, on ne doit être ni criminel ni suicidaire. On doit utiliser le préservatif. »
5) Peut-être le pape a-t-il compris cela quand il écrit qu’« il y a certainement des choses plus importantes et plus urgentes », en affirmant que « le vrai problème est que Dieu disparaît de l’horizon des hommes et que tandis que s’éteint la lumière provenant de Dieu, l’humanité manque d’orientation, et les effets destructeurs s’en manifestent toujours plus en son sein. »
6) Jean-Paul II a eu l’humilité de reconnaître que son ministère avait besoin de conversion « pour réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres ». (Ut unum sint, nos 4 et 95).
7) C’est ce qu’ont fait des évêques « optimistes ». Le cardinal Schoenborn, de Vienne : « Les crises qui n’ont certes rien de confortable ni de serein, peuvent être porteuses de chances; en dernière analyse, elles sont salutaires, même si on ne le voit pas quand on y est immergé. » Et Mgr Dagens, de Angoulême: « La crise actuelle a réveillé ce « sens de la foi » qui, en deçà des mots, consiste à « sentir » avec l’Eglise militante.(…) Je crois qu’il serait grave que la crise actuelle constitue un alibi pour durcir la tradition catholique en pratiquant une interprétation critique de Vatican II. (…) Nous attendons des signes de Rome pour être confirmés dans notre mission (servir la rencontre des hommes avec Dieu) qui est notre raison de vivre et d’espérer pour l’Eglise. »
8) Par exemple ceux qui s’expriment depuis longtemps dans les synodes, forums et autres AD2000 qui ont émaillé la vie de nos diocèses au cours de ces dernières années.
9) « Qu’avec un amour paternel, les pasteurs accordent attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs, qu’ils respectent et reconnaissent la juste liberté qui appartient à tous dans la cité terrestre. » (Constitution sur l’Eglise no 37)

12.227 signes

Immaculée Conception 2009

Immaculée Conception 2009

C’est à la fois très simple et très compliqué. Et dans ce cas-là, généralement, on préfère ne rien dire. Et pourtant, une fois de plus, je dois prononcer une homélie pour la fête de l’Immaculée Conception de Marie.

« Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu et qu’elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. »

C’est ainsi que le pape Pie IX, le 8 décembre 1854, sans avoir convoqué un concile, a proclamé le dogme de l’Immaculée Conception de Marie.
J’espère que vous avez tous tout compris et que vous êtes d’accord.
Mais peut-être qu’on peut dire ces choses plus simplement, comme l’affirment les chrétiens d’Orient.

Marie est la toute sainte, depuis toujours, parce que Jésus s’est préparée une mère digne de lui. Mais il faut aussitôt ajouter : pas en en faisant une automate du oui programmé d’avance, comme si la sainteté ôtait ou diminuait notre liberté. Bien au contraire, c’est le manque de sainteté, c’est le péché qui enchaîne ou altère notre liberté. C’est pourquoi, dans le récit de l’Annonciation, on voit très bien comment Dieu sollicite avec délicatesse et respect la liberté de Marie de Nazareth.
Un messager la salue comme « Comblée de grâce », mais cette dignité plonge Marie dans l’étonnement et suscite en elle bien des questions, d’ailleurs très réalistes :
« Comment cela va-t-il se faire puisque je suis vierge ? » Elle a droit ensuite à des explications qui, tout en l’introduisant dans un profond mystère, l’éclaire à l’aide d’allusions à la révélation biblique qu’elle connaît bien: « Le fils du Très-Haut, le trône de David, la maison de Jacob, la puissance de l’Esprit qui couvre de son ombre» : tout cela évoque en elle des images et des promesses dont elle a certainement entendu parler. Dieu instruit une femme intelligente, toute petite servante qu’elle est. Et de plus il lui donne un signe supplémentaire, très concret dans la vie d’une femme : la grossesse de sa cousine Elisabeth, malgré sa vieillesse.

Quand Dieu désire sauver le monde en envoyant son Fils dans notre chair, il propose à une femme de collaborer comme une partenaire dans une libre alliance. Il ne contraint pas. L’annonciation est une invitation, non une imposition. C’est pourquoi Marie peut finalement adhérer en disant très simplement et surtout librement, mais en toute vérité : « Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »

Et commence pour elle une route de sainteté pleine de surprises et même d’épreuves, de la crèche à la croix, en passant par la fugue de Jésus à Jérusalem quand elle ne comprit pas ce qui leur arrivait, à Joseph et à elle-même. La sainteté est toujours une aventure de foi avant de devenir une éclosion de joie.

Le pape Pie IX a parlé de l’immaculée conception de Marie comme d’une faveur singulière. Il s’agit, en effet, d’un privilège unique. Aucun de nous n’a reçu cette grâce dès son origine, que je sache. Encore que la lecture de l’épître aux Ephésiens doive sinon nous consoler du moins nous encourager.
L’apôtre s’adresse à des gens comme nous, ces quelques chrétiens perdus dans une grande ville païenne, creuset de toutes les religions et aussi repère de tous les vices. Et il leur fait une révélation stupéfiante, qui vaut aussi pour nous :
* dans son amour infini, Dieu nous a comblés de sa bénédiction spirituelle dans le Christ ;
* nous avons été choisis dès avant la création du monde pour être saints dans l’amour sous son regard ;
* il nous a destinés à devenir ses filles et ses fils à l’image de Jésus, et tout cela pour que soit chantée la merveille de ce don gratuit qu’il nous a fait dans le Bien-Aimé ;
* et nous voilà son peuple, sa famille, à la louange de sa gloire.
Rien que ça !

Quand l’apôtre écrit cela aux Ephésiens, il ne pense pas à Marie, mais à nous. Peut-être avons-nous de la peine à y croire parce que nous nous trouvons imparfaits et même, comme on dit, de pauvres pécheurs. Mais ces dons de Dieu restent valables, nous sommes intégrés dans son projet d’amour, nous participons -imparfaitement certes mais réellement- au mystère que Marie a accueilli intégralement et vécu parfaitement. Il n’y a pas des chrétiens de première classe et les autres, loin derrière. Il n’y a qu’un seul dessein de salut qui passe par le Christ, et nous en faisons partie. En avons-nous conscience ?

Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
* que nous sommes d’abord aimés d’un amour éternel, avant même d’exister en ce monde;
* que nous sommes accompagnés du même amour qui sans cesse frappe à la porte de notre liberté, sans jamais se décourager, car il n’est jamais trop tard pour Dieu …et pour nous;
* que nous sommes destinés à miser sur l’amour dans tout ce que nous faisons, du moment que nous sommes les enfants de la tendresse de Dieu qui a pétri notre être avec le sang de son cœur ;
* que tôt ou tard, nous déboucherons dans l’océan de l’amour divin qui nous attire et nous attend, à moins que nous ayons préféré être malheureux tout seuls plutôt que d’être réjouis et épanouis par le soleil de la divine miséricorde.

Finalement la vie humaine est un pèlerinage de l’amour à l’amour, avec les détours des péchés mais aussi les retours des pardons reçus.

Voilà ce que Marie immaculée nous rappelle en ce jour, elle la toute sainte, mais tellement mère à l’égard de ses enfants en ascension plus ou moins pénible sur la route qui conduit au Royaume de son fils où nous la retrouverons.
Marie, toi la première en chemin, mais sur le même chemin que nous, donne-nous la main. Amen.

Epiphanie 2010

Epiphanie 2010

L’épiphanie ou la fête des rois. Les rois ? Quels rois ?

Vous l’avez entendu. Il n’y a que deux rois dans l’évangile de ce jour, et ce ne sont pas ceux qu’on pense. Le premier est cité plusieurs fois : il s’agit de Hérode, le cruel roi de Judée, pas très recommandable. Et l’autre, appelé « le roi des juifs qui vient de naître », est un bébé né dans une crèche, qui finira sur une croix, tout le contraire de ce qu’on imagine comme royauté, lui qui dira un jour, devant Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ! » Il reste les trois autres personnages, ceux qu’on appelle souvent « les rois », qui ont donné son surnom à cette fête. Or justement, ils ne sont pas des rois. Rien ne dit en effet qu’ils le sont dans l’évangile de cette fête. On les appelle des « mages venus d’Orient », et c’est tout autre chose.

Alors comment les définir ? Plutôt que de leur demander leur carte d’identité –on n’est pas des policiers suisses-, retenons surtout leur attitude profonde, car c’est elle qui a encore quelque chose à nous dire, à nous Eglise et chrétiens d’aujourd’hui.

Des mages ! On pourrait traduire des observateurs attentifs et des contemplateurs passionnés des signes. Ce fut une étoile, puis ce signe bien vivant qui s’appelait l’enfant Jésus puisque l’étoile les a finalement conduits vers lui : « En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ».
De nos jours, notre Eglise a plus que jamais besoin de prophètes qui scrutent les signes des temps. Car Dieu continue de nous faire signe, à travers la parole biblique, mais aussi par les évènements qui marquent et souvent agitent nos communautés humaines et religieuses. Dans ce qui se passe sous nos yeux, dans ce qui arrive aussi dans chacune de nos vies personnelles, Dieu nous dit quelque chose. Encore faut-il s’arrêter dans le silence pour le lire, encore faut-il se mettre ensemble pour l’interpréter juste, encore faut-il prier l’Esprit pour tirer les conséquences de ces messages qui risquent bien de nous bousculer.
Des exemples, pris parmi d’autres ? Notre Eglise qui diminue en nombre de pratiquants, des prêtres qui font de plus en plus défaut, mais aussi des laïcs qui prennent davantage leurs responsabilités. Et dans la société ? Une nouvelle éthique en économie, la montée de l’écologie, le devoir de partager avec les peuples de la faim, etc.. Des signes par milliers, comme dit un cantique connu.

Et encore. Ces mages étaient surtout des chercheurs de Dieu. Pas seulement dans la solitude, mais dans la fraternité puisqu’ils étaient au moins trois ensemble, si l’on compte à partir de leurs trois cadeaux. Ils n’étaient pas juifs. Ils ont certes rencontré brièvement le Christ devant lequel ils se sont prosternés. Mais rapidement, ils ont regagné leur pays par un autre chemin. Oui, des chercheurs, car ils se sont mis en route pour un long voyage, ils ne se sont pas laissé décourager par la disparition de l’étoile, ils se sont renseignés soigneusement, ils ont persévéré jusqu’au bout.
Il y a encore -heureusement- beaucoup de chercheurs de Dieu dans notre monde. Tous les chrétiens devraient en être, car on ne trouve Dieu que pour le chercher encore davantage, lui qui ne cesse de nous chercher le premier pour nous sauver. Ils sont parmi nous, les chercheurs de Dieu, y compris parmi les païens de notre temps, ce qu’étaient ces mages venus d’Orient. Je pense aux « religieux » de toutes les religions, aux ex-chrétiens de bonne volonté qui sont de plus en plus nombreux parmi nous, et même aux athées qui laissent monter dans leur cœur la voix de leur conscience, ce sanctuaire secret dans lequel seul Dieu pénètre et parle mystérieusement au cœur et à l’intelligence de tout homme. Je crois qu’il peut y avoir –qu’il doit y avoir- une grande fraternité des chercheurs de Dieu aujourd’hui, si nous acceptons de respecter les autres dans leurs différences, de dialoguer avec eux en toute sincérité. Oui, si nous cherchons ensemble le chemin de la véritable humanisation qui, nous le savons même si eux ne le savent pas, conduit toujours au Christ, l’homme nouveau tel que Dieu le rêve et le propose, depuis le premier Noël et surtout depuis le matin de Pâques. Tout homme est mon frère ou ma sœur. Il suffit de le ou la rencontrer… fraternellement !

Enfin ces mages étaient des généreux. Plus simplement, on dirait qu’ils avaient bon cœur, eux qui ont offert ce qu’ils avaient de plus précieux, en l’occurrence l’or, l’encens et la myrrhe. Ce qu’ils firent d’ailleurs avec joie, car comme le dira Jésus plus tard, « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ».
A lire notre société d’une manière superficielle, on pourrait croire que nous sommes conduits par des arrivistes et guidés par des égoïstes, les rois de notre monde dominé par l’argent à tout prix, les plaisirs sur les cadavres des autres, le pouvoir obtenu ou conservé par la violence des armes ou des asservissements médiatiques. En réalité, il y a aussi dans notre humanité, souvent anonymes ou du moins discrets, beaucoup de gens généreux, beaucoup de solidarités sociales, beaucoup de lutteurs pacifiques pour un monde plus humain parce que plus juste et plus fraternel. Rien ne nous empêche –au contraire tout nous invite- à rejoindre celles et ceux, chrétiens ou non, qui s’engagent au service des plus démunis, des exclus, des petits ou des méprisés de cette terre. Et pour quoi faire sinon leur offrir, ne serait-ce qu’un peu, l’or de notre esprit de partage, l’encens de notre respect, la myrrhe de notre compassion ? Si nous le faisons humblement mais réellement, déjà le monde sera un peu meilleur, un peu plus digne du royaume qui a commencé par la venue de Jésus au milieu de nous, l’Emmanuel, Dieu-avec-nous.

Notre monde n’a pas besoin de nouveaux rois qui se prennent pour des dieux, nos Eglises n’ont pas besoin de seigneurs qui veulent régenter notre foi mais plutôt de bons pasteurs qui désirent contribuer à notre joie, selon la belle définition de l’apôtre Paul (Cf. II Co 1,24).

Et les mages d’Orient seront de nouveau parmi nous, pour nous conduire au Christ en partageant leur allégresse.

Claude Ducarroz

Homélie de Noël 2009

Noël 2009

Personne ! personne !
J’étais alors curé à Notre-Dame de Lausanne. Avec un groupe de paroissiens, je visitais la synagogue de cette ville, exactement à la rue Just-Olivier. A la fin de la rencontre, je me suis permis de poser cette question au rabbin qui nous avait bien accueillis : « Pour vous, qui est Jésus de Nazareth ? » Sans hésiter, et avec beaucoup de sincérité, il m’a répondu : « Personne ! » Pour lui, le Jésus de Noël et le Christ de Pâques, c’était « personne ». Je le sais : tous les juifs ne diraient pas la même chose, et ne voyez dans cette citation aucune incitation à l’antisémitisme. Surtout pas !

Finalement, cette question n’est-elle pas aussi adressée à nous ce soir, une question que Jésus lui-même a posée plusieurs fois à ses disciples. Et ses disciples, aujourd’hui ici, c’est nous. Puisque vous êtes là à ces heures fort tardives, alors que vous auriez pu prolonger le réveillon à la maison ou dans un bon restaurant, ou même passer la nuit dans une discothèque, je suppose que vous ne répondriez pas « personne » à cette question. Et pourtant la question demeure…et la réponse n’est pas si simple.
Au risque de vous étonner, si l’on en reste strictement à Noël, je crois même qu’il n’y a pas de réponse juste.

Bien sûr, pour Marie et sans doute aussi pour Joseph, ils en savaient un peu plus que les autres puisqu’ils avaient été avertis par un ange. Ils étaient au parfum de Dieu, encore que seule la foi en la parole de Dieu ait pu leur faire deviner –plutôt que comprendre- ce qui se passait et qui naissait cette nuit-là.
Les bergers aussi, selon le récit de Luc, ont reçu une certaine révélation : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur. Il est le Messie, le Seigneur. »
Mais quelle surprise, pour les uns et les autres. Ils ne s’y attendaient sûrement pas.

« Il sera grand et on l’appellera fils du Très-Haut », avait promis l’ange à Marie. Et le voilà au plus bas, tout petit dans une mangeoire pour animaux. « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, et son règne n’aura pas de fin ». Tu parles : il naît dans une grotte pour vagabonds puisqu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

Comment croire à un Dieu qui fait tout le contraire de ce qu’on attend de lui ? Comment faire confiance à des messagers qui avaient promis monts et merveilles – un fils de Dieu, Emmanuel, Dieu avec- nous », et qui nous envoient contempler la venue au monde d’un bébé de nomades forcés, plus proches de mendiants clodos que des princes du sang ? Ils ont beau chanter là-haut « Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » : qui peut les croire vraiment à ce moment-là ? Il y a sûrement quelque pieuse exagération quand saint Luc dit que « les bergers firent connaître ce qui avait été dit de cet enfant et que tous ceux qui les entendirent furent émerveillés de ce qu’ils racontaient. » Combien étaient-ils ?

Vous l’avez compris. Le récit de la nativité du Christ par l’évangéliste Luc n’est certes pas une légende, mais il n’est pas non plus un reportage audiovisuel. Il est une relecture de l’évènement à partir de l’expérience de Pâques sur la base d’un récit, probablement de Marie elle-même. Ce qui est dit ici de Jésus de Nazareth le qualifie après sa résurrection. Il y a dans les expressions de Noël une anticipation du culte rendu au Christ par les croyants revenus de Pâques, quand le crucifié apparût vraiment comme le Seigneur, le Fils de Dieu, le Messie, le Sauveur du monde.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à retenir d’autre de Bethléem qu’une naissance au hasard d’un voyage misérable, avec un concert angélique et des bergers accourus en hâte pour trouver finalement « Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une crèche » ? Sûrement pas. Il y a de l’éternel dans l’évènement de Noël.
Dieu continue de venir à nous dans l’humilité du Fils à Betléem, quand il nous donne rendez-vous dans la fragilité des pauvres puisque « tout ce que vous faites à ces plus petits qui sont mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous le faites. »
Il vient à nous, et même en nous, dans la petitesse d’un morceau de pain partagé lors de l’eucharistie : « Ceci est mon corps, prenez, mangez… » Celui qui était emmailloté de langes est aussi emmailloté de pain, c’est le même, c’est lui.
Il est au milieu de nous quand nous sommes réunis en son nom, à cause lui, nous les bergers d’aujourd’hui accourus pour écouter sa parole et faire communauté dans la simplicité d’une Eglise toujours davantage « petit troupeau ».
Il nous touche encore par les consolations intérieures de son Esprit quand nous portons notre croix avec courage et espérance, car le bois de la crèche et le bois de la croix sont du même arbre, celui de l’amour qui donne sa vie pour les autres, jusqu’au bout.

Dans toutes ces expériences chrétiennes, que ce soit par la parole, les sacrements, la vie de l’Eglise, le témoignage de justice, de solidarité et de paix au cœur d’un village ou au cœur du
monde, c’est toujours le Ressuscité qui agit, qui est là, mystérieusement, car il n’y en a pas d’autres depuis le matin de Pâques. Mais il vient à nous, il est au milieu de nous sous la forme de Noël, dans une proximité d’humilité, de silence, de pauvreté. Il est là comme l’enfant de la crèche, parmi les marginaux et les exclus, souvent ignoré ou exclu lui-même, y compris parmi les orgies de consommations et de divertissements qui ont maintenant squatté commercialement le vrai Noël.

Oui, le ressuscité en costume de Noël, tel est le Jésus de notre actualité, le Seigneur qui cache encore sa gloire pour ne pas nous éblouir, lui qui préfère nous entourer d’une douce clarté dans toutes nos nuits. Assis à la droite du Père, il vient s’asseoir à nos côtés, presque comme un anonyme, parce qu’il veut fraterniser au lieu de contraindre ou de dominer. Il est le roi du monde, mais son royaume n’est pas de ce monde, c’est pourquoi il nous invite à devenir les serviteurs les uns des autres, comme il l’a montré la veille de sa mort en lavant les pieds de ses amis.
Oui, il n’y a qu’un Jésus, pas le petit Jésus, mais l’humble Seigneur de gloire, qui met toute sa puissance au service de son amour et trouve sa joie au milieu des pauvres et des petits.
Toute la vie chrétienne descend de Pâques comme la rivière jaillit de sa source vive, mais l’eau a le goût de Noël. Tout est habité par le crucifié ressuscité et tout est habillé par l’enfant de la crèche. Nous sommes à la fois à Jérusalem et à Bethléem.

En Espagne, à Pâques on dit : felices Pascuas de resurreccion, mais à Noël on dit : felices Pascuas de Navidad. Oui, heureuses Pâques de la Nativité.
C’est Noël, donc joyeuses Pâques. Amen
Claude Ducarroz

samedi 16 janvier 2010

Année sacerdotale

Incantations, dénis, défis

Est-ce le début d’une tradition ? L’Eglise catholique cède à la mode des « années » thématiques. Après la commémoration des apparitions de Marie à Lourdes (2007-2008), après « l’année saint Paul » (2008-2009), voici « l’année sacerdotale » (2009-2010) promulguée par le pape Benoît XVI à l’occasion des 150 ans de la mort de saint Jean-Marie Vianney, patron de tous les curés du monde, en passe de devenir le patron de tous les prêtres.

Le but de cette commémoration est indiqué par le pape dans sa « lettre d’indiction » (16 juin 2009) : « Promouvoir un engagement de renouveau intérieur de tous les prêtres afin de rendre plus incisif et plus vigoureux leur témoignage évangélique dans le monde ». Il ajoute une prière à la Vierge Sainte afin qu’elle « suscite dans l’âme de chaque prêtre un renouveau généreux des idéaux de donation totale au Christ et à l’Eglise ».
En mettant en exergue la figure et le ministère du Curé d’Ars (1786-1859), le pape a rappelé des formules marquées par une spiritualité qui sent son temps, à savoir un certain cléricalisme sacramentel. Il suffit de citer, par exemple, ces mots dont Benoît XVI reconnaît qu’ils peuvent sembler excessifs, tout en les qualifiant de « points de référence significatifs » : « Après Dieu, le prêtre, c’est tout ! … Sans le prêtre, la mort et la passion du Christ ne serviraient à rien… Si nous n’avions pas le sacrement de l’ordre, nous n’aurions pas Notre-Seigneur…Le prêtre a la clef des trésors célestes, c’est lui qui ouvre la porte… »
Derrière ces pieuses exagérations, il y a évidemment toute une théologie du sacerdoce dont les théologiens, à la suite du concile Vatican II, remettent en question les ambiguïtés cachées sous ces formules édifiantes.

Quel sacerdoce ?
Le sacerdoce, c’est d’abord, en plénitude, celui du Christ-Prêtre, tel que le définit l’épître aux Hébreux pour démontrer que la filière sacerdotale de la première alliance s’épanouit –et en même temps s’évanouit- dans l’oblation du Christ sur la croix. Il est celui qui offre et celui qui est offert « une fois pour toutes ». Par ailleurs le peuple sacerdotal, en même temps que royal et prophétique, c’est l’ensemble des baptisés qui offrent leur vie en communion avec le sacrifice du Christ, ainsi que le soulignent à la fois Pierre (Cf. IP 2,5 et 9) et Paul (Cf. Rm 12,1-2). En rigueur de termes, on ne peut parler d’un sacerdoce ministériel, une expression attribuée aux presbytres seulement à la fin du 4ème siècle par un glissement de vocabulaire calqué sur les « sacerdotes « de l’Ancien Testament. (1) Benoît XVI utilise pourtant l’expression « sacrement du sacerdoce » en pensant à l’ordination presbytérale. Les théologiens actuels estiment plutôt qu’il y a une dimension « sacerdotale » dans le ministère pastoral des presbytres ou épiscopes, ces collaborateurs des apôtres placés à la tête des premières communautés. Ils exercent un certain « sacerdoce fonctionnel » lorsqu’ils président les sacrements –et surtout l’eucharistie- en devenant de simples instruments humains qui permettent au Christ d’agir pleinement par les énergies de l’Esprit. (2). On peut s’appuyer pour cela sur l’affirmation de Paul qui se définit comme « un officiant (liturge) de Jésus-Christ auprès des païens, consacré au ministère de l’Evangile de Dieu, afin que ces païens deviennent une offrande agréable à Dieu, sanctifiée par l’Esprit Saint » (Rm 15,16). Même après le concile Vatican II –qui ne cite le « sacerdoce ministériel » qu’une seule fois (Cf. Lumen gentium no 10)-, la « sacerdotalisation » des prêtres demeure dominante dans la conscience et la spiritualité de nombreux prêtres, dont Benoît XVI, d’autant plus que la préface consécratoire pour l’ordination des prêtres fait plusieurs allusions aux grands prêtres et lévites de l’Ancienne Alliance « qui annoncent les sacrements à venir. »

Ce n’est pas la vision théologique du saint Curé d’Ars qui va recentrer bibliquement la figure et la mission du prêtre aujourd’hui, lui qui disait : « Dieu obéit au prêtre. Il dit deux mots et Notre Seigneur descend du ciel à sa voix et se renferme dans une petite hostie. » Est-ce à dire que l’année sacerdotale va nous enfermer, nous aussi, dans un sacerdoce immuable jusque dans ses traductions les plus datées ?

Rappels et appels
Benoît XVI a le souci de rappeler la reconnaissance que l’Eglise tient à exprimer aux vaillants prêtres en exercice. Il est plein de compassion pour ceux qui traversent des situations de souffrance, qui sont peut-être « bafoués dans leur dignité ou empêchés d’accomplir leur mission, parfois même persécutés jusqu’au témoignage suprême du sang ». Il mentionne aussi l’infidélité de certains ministres qui provoquent « scandale et refus ». Positivement, il encourage deux fois les prêtres à inventer des espaces de collaboration qui s’ouvrent toujours davantage aux laïcs, selon un rappel opportun de Vatican II (Cf. Ministère et vie des prêtres no 9). Les prêtres « ne doivent jamais se résigner à voir les confessionnaux désertés », ils doivent « remettre le sacrement de Pénitence au centre de leurs préoccupations pastorales … comme une exigence intime de la Présence eucharistique ». De belles interrogations sur la fréquentation de la Parole de Dieu -« qui doit façonner réellement notre vie et informer notre pensée »- voisinent avec l’insistance sur une chasteté « nécessaire à celui qui doit habituellement toucher l’eucharistie ». Un appel est lancé, qui vise à accentuer la communion des prêtres avec leur évêque et entre eux. Dans ce contexte, il accueille comme un nouveau printemps la grâce des Mouvements ecclésiaux et nouvelles Communautés que l’Esprit suscite de nos jours dans l’Eglise.

Que dit l’Esprit aux Eglises ?
De toute évidence, Benoît XVI s’inscrit dans « un renouveau sacerdotal » de type traditionnel, adossé à l’exemple de sainteté fourni par le Curé d’Ars. Y a-t-il une « re-visitation » des données bibliques sur les ministères ? Y a-t-il prise en compte de la situation réelle -et critique- des prêtres d’aujourd’hui, du moins dans l’hémisphère Nord de notre Eglise ? Y a-t-il une analyse qui ressemblerait à une considération lucide des « signes des temps » dans la question des ministères et charismes ? Y a-t-il une écoute du peuple de Dieu, tel qu’il s’exprime depuis longtemps sur l’avenir du ministère presbytéral dans les synodes et autres assemblées ecclésiales ?
Il faut répondre non. Ou alors les solutions sont à chercher dans les « recettes » traditionnelles –une expression du Curé d’Ars - qui ont certes toujours leur pertinence et leur valeur, à savoir la prière, la messe quotidienne et la confession fréquente, la sainteté de vie de type monastique, les mortifications, le zèle apostolique et surtout l’amitié personnelle avec Jésus, comme un « amoureux ». Mais tout cela ne devrait pas nous empêcher, en Eglise, de voir les réalités en face et de tracer des chemins nouveaux pour actualiser un service évangélique toujours aussi utile et même nécessaire. Il nous faut passer des rappels incantatoires trop commodes à des réflexions plus audacieuses qui exorcisent les dénis et nous donnent le courage d’imaginer des formes peut-être inédites. En un mot : entendre ensemble ce que l’Esprit dit aux Eglises (Cf. Ap 2,29).

De nouvelles figures du prêtre ?
La raréfaction drastique et dramatique du nombre des prêtres, le vieillissement accéléré du corps presbytéral entraînent des conséquences douloureuses pour nos communautés chrétiennes, et d’abord pour leurs serviteurs prêtres qui sont encore en fonction, souvent jusqu’aux limites –inhumaines- de leurs forces. (3) L’assèchement spirituel, un déficit de formation permanente, un épuisement humain marquent beaucoup de prêtres restants. La requalification ministérielle et la collaboration des laïcs -bienvenues et généralement appréciées- ne peuvent pas compenser le manque de ministres ordonnés quand ceux-ci héritent de territoires immenses et de paroisses ou unités pastorales toujours plus nombreuses. Quel temps reste-t-il pour l’évangélisation de ceux qui sont au loin, alors que le premier service du prêtre, selon le concile Vatican II, consiste en « l’annonce de l’évangile de Dieu à tous les hommes » (Cf. Décret sur le ministère et la vie des prêtres no 4) ? Devant la précarité et même la misère -quantitatives et parfois aussi qualitatives- du ministère presbytéral chez nous, nous ne pouvons rester indifférents. Il ne suffit pas de répéter des appels angoissés à imiter le Curé d’Ars, si respectable et impressionnante que soit sa sainte personne. Il faut redéfinir l’identité et le « cahier des charges » du prêtre dans le contexte de notre société sécularisée. Comment traduire concrètement aujourd’hui les trois missions du prêtre : évangéliser, célébrer, animer la communion ? Il faut inventer de nouveaux chemins d’accès au ministère presbytéral. Il faut reconsidérer l’obligation universelle du célibat, qui d’ailleurs n’est absolue que dans l’Eglise latine et seulement depuis le 12ème siècle, (4) ce qui prouve que cette discipline peut être remise en question. On le fera avec prudence évidemment, autrement dit sans affecter le contenu essentiel et original du ministère des prêtres qui seront toujours présents et présidents pour rappeler, réellement et symboliquement, la priorité et la gratuité de la grâce christique dans l’être et l’action des chrétiens. (5) Peut-être faut-il se poser la question de la réinsertion de certains prêtres dispensés de l’obligation du célibat, qui seraient prêts à se remettre généreusement au service de communautés qui les accueilleraient volontiers. Peut-être faut-il lever le tabou de l’éventuelle ordination des femmes, ce qui aurait aussi l’avantage de détendre le dialogue avec les Eglises protestantes sur ce point. (6)
Bref, tout en gardant fidèlement le cœur biblique et sacramentel du service des prêtres comme collaborateurs des évêques au bénéfice évangélique des communautés chrétiennes « sacerdotales », il faut reconsidérer le modèle hérité du Moyen Age et confirmé au temps de la Contre-Réforme. Actuellement, il est parvenu en bout de course si l’on prend au sérieux la grave crise que nous traversons. Je veux parler justement du modèle sacerdotal « à l’ancienne » qui doit faire place à une figure de proximité, moins sacrale et plus pastorale, ce qui implique une articulation retrouvée avec les autres ministères et charismes, par exemple ceux du diaconat permanent et ceux des laïcs et religieux engagés en Eglise.

Le catéchisme romain issu de concile de Trente (en 1566) enseigne que « les prêtres sont appelés à juste titre non seulement anges mais même dieux parce qu’ils représentent auprès de nous la puissance et la majesté du Dieu immortel ».
Il est temps de revenir sur terre pour mieux servir aujourd’hui le Royaume de Dieu annoncé par le Christ de l’Evangile.

Claude Ducarroz

1) Malheureusement la langue française n’a qu’un seul mot –prêtre- pour exprimer deux réalités fort différentes : les « presbyteroi » (anciens) des premières communautés chrétiennes, calqués sur l’organisation de la synagogue, et les « hiereus » (sacrificateurs) qui renvoient à leur mise à part sacrée pour présider aux liturgies sanglantes du temple.
2) Cf. par exemple Hervé Legrand dans le Dictionnaire critique de théologie PUF p. 1027, qui note cependant que « le sacerdoce n’est jamais donné par le Nouveau Testament comme fondement d’un ministère ».
3) En France, il y avait 41.000 prêtres en 1965. Ils sont actuellement 22.000. Chaque année, une petite centaine de prêtres diocésains sont ordonnés. Il y en avait 10 fois plus en 1970. Au diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (700.000 catholiques), il y a actuellement 4 séminaristes, 86 prêtres ont moins de 50 ans et 203 plus de 60 ans.
4) Exactement depuis le concile Latran II (1139) qui, en son canon 7, rend invalide le mariage des prêtres.
5) C’est ce que veut mettre en évidence le concile Vatican II (Lumen gentium no 10) quand il dit qu’il y a « une différence essentielle et non seulement de degré » entre le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique.
6) Ces « recommandations » ont déjà été respectueusement formulées par les synodes 1972 aux numéros 106 à 112 et 412 et 413, ainsi que par l’assemblée diocésaine AD2000, document 7/III et IV.

Oecuménisme aujourd'hui

Panorama

Dans mes contacts en pastorale, je constate qu’il y a, au risque de schématiser, quatre attitudes fondamentales face à l’œcuménisme.

1. L’œcuménisme, ça n’existe pas, ou plutôt ça ne devrait pas exister. Dans toutes les Eglises, il y a des courants « intégristes » qui refusent l’œcuménisme. Car, à leurs yeux, le mouvement œcuménique est une infidélité, voire une trahison. Toute la vérité appartient à une seule Eglise –la nôtre évidemment- et les autres n’ont qu’à la rejoindre pour être pleinement dans la volonté de Dieu sur son peuple. Ces gens-là sont des ennemis de l’œcuménisme, et ils le font savoir.

2. Une deuxième catégorie pourrait se placer sous le slogan : l’œcuménisme oui, mais on n’y arrivera jamais. Ce sont les déçus, voire les découragés de l’œcuménisme. Ils sont démobilisés. Après y avoir cru, ils en sont bien revenus, devant les lenteurs ou même les reculs de la dynamique œcuménique. Plus ou moins résignés, ils n’attendent plus rien sur ce point. Avec évidemment quelque accusation visant les autres. C’est la faute à l’impérialisme catholique, au conservatisme orthodoxe ou à l’anarchie protestante. Conclusion : restons là où nous sommes sans chercher à nous rapprocher. Essayé, pas pu !

3. Une troisième catégorie rassemble les oecuménistes optimistes et même satisfaits. Ils estiment que l’œcuménisme a fait bien des progrès, que les Eglises se respectent dans leurs diversités et collaborent dans la société. Que demander de plus ? Ce plus petit dénominateur commun leur suffit. Restons-en là. Vouloir davantage risque de remettre question un acquis suffisant. Vive l’âge post-oecuménique !

4. Enfin il y a celles et ceux qui, tout en bénissant le ciel pour le chemin de rapprochement parcouru, estiment qu’il y a encore du grain à moudre avant de réaliser vraiment l’unité telle que le Christ la veut, à savoir à l’image de l’unité trinitaire dans une diversité assumée et reconnue. Ceux-là se mettent à la tâche, tantôt dans le champ biblique et théologique, tantôt dans les relations intercommunautaires à la base, tantôt dans le témoignage commun au cœur du monde. Ils se disent en somme : L’œcuménisme est un vaste et beau chantier. Il y a encore du boulot, et on y travaille !



Le Groupe des Dombes

De tout évidence, le Groupe des Dombes se situe dans cette dernière catégorie. Depuis sa fondation en 1937 par l’abbé Paul Couturier, les théologiens protestants et catholiques de ce gremium non officiel s’attellent à déblayer le terrain doctrinal pour parvenir, si possible, à des déclarations communes sur des sujets brûlants. Ils le font dans un climat de prière favorisée par le cadre monastique dans lequel ils travaillent. Patiemment et parfois laborieusement, ils essaient de trouver le plus vaste accord de base qui permette d’enlever des obstacles et même de construire des ponts sur la route de l’unité à retrouver. Ils ont conscience qu’il ne s’agit là que d’une dimension du vaste programme œcuménique. Mais ils sont persuadés que ce chemin passe aussi par des réconciliations doctrinales, sans préjuger des autres volets du labeur de communion qui inclut la prière, la charité, le service du prochain et même des accords officiels entre autorités reconnues de nos Eglises.

Par une déclaration intitulée « Pour la conversion des Eglises » (1991), le Groupe des Dombes s’est donné une feuille de route qu’il estime fructueuse pour aborder tous les sujets de controverse provoquant encore des divergences séparatrices entre les Eglises. Le maître mot est un concept biblique, que le Groupe veut appliquer au contexte œcuménique : la conversion, avec sa dimension chrétienne fondamentale, selon l’évangile (Cf. Mc1,15), mais aussi avec sa dimension ecclésiale, qui touche toutes nos Eglises, et même une dimension confessionnelle dans la mesure où nos Eglises se sont figées en confessions antagonistes.

On peut le faire comprendre ainsi :

Toutes les Eglises ont besoin de passer par des démarches de conversion au niveau des doctrines, des institutions, des traditions et des pratiques.
Ces démarches ne peuvent aboutir que dans un climat de prière pénitentielle, d’humilité non humiliante et de réconciliation inter-ecclésiale. C’est l’Esprit-Saint qui seul peut reconstituer le puzzle évangélique entre nous, sous le regard de notre Dieu.
Nous avons tous à donner et à recevoir
Dans nos corbeilles respectives, nous avons tous à la fois :
 Des charismes et des dons spécifiques pour lesquels nous rendons grâce
 Des déviations et des infidélités dont nous devons être prêts à nous laisser défaire, pour notre libération et pour le service de tous
 Des questions comme un service fraternel aux autres Eglises afin qu’elles puissent les aider à devenir plus évangéliques.

Concrètement

Et si chaque Eglise, devant Dieu et devant les autres Eglises, dressait dans la vérité et l’humilité la liste :
 De ses charismes inaliénables qu’elle estime devoir offrir aux autres comme un humble cadeau
 De ses points faibles et de ses péchés pour lesquels elle se déclare prête à la conversion et à la réforme
 De ses interpellations pour les autres afin qu’elles grandissent dans la lucidité et la volonté de conversion ?

J’ajoute trois principes qui ne doivent jamais être oubliés :

 L’œcuménisme n’est pas un statu quo de type fédératif, ou une pure tolérance libérale, mais un mouvement qui veut rejoindre le projet de Jésus sur son Eglise, à savoir le témoignage cohérent d’une communauté une et unie, mais aussi diverse et plurielle, non sur le modèle humain, mais selon le rêve de Jésus, notre commun Pasteur.

 Les charismes propres des Eglises sont souvent aussi le lieu de leurs infidélités par rapport à l’Evangile, qui les empêchent d’être compris et accueillis par les autres ; même ce que nous avons de meilleur doit passer par la conversion pour être partageable et enrichissant pour tous.


 Tant qu’une Eglise estime grave telle question, il faut que toutes les autres la prennent au sérieux, car c’est le signe qu’un enjeu important est situé à cet endroit ; dès lors aucun problème ne peut échapper à priori au dialogue, à la remise en question et donc à la réforme.


Epreuves et preuves réussies

De tels principes, je le crois, ont inspiré avec fruit deux thèmes abordés par le Groupe des Dombes, et ce fut avec un succès reconnu. Des thèmes théologiques pas faciles.

Le premier apparaît dans le livre « Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints ». (1999) Cette étude culmine dans cette déclaration étonnante et surtout réconfortante : « Compte tenu des propositions de conversion qui clôturent notre parcours, nous ne considérons plus comme séparatrices les divergences relevées. (…) Notre travail a montré que rien en Marie ne permet de faire d’elle le symbole de ce qui nous sépare. »

Le deuxième terrain d’investigation tourne autour de l’autorité dans l’Eglise. Il s’exprime dans l’ouvrage « Un seul maître »– l’autorité doctrinale dans l’Eglise » (2005), qui fournit un grand pas en avant dans ce domaine délicat, si l’on articule correctement les dimensions communautaires, collégiales et personnelles de l’autorité en Eglise.

Il faut certes aller encore plus loin. Je le vois dans la proposition suivante : A quand un vaste concile universel qui remettrait tout sur la table, comme on étale un puzzle déjà en voie de reconstitution, en ayant soin d’apporter toutes les pièces manquantes, chaque Eglise essayant d’ajuster les siennes aux autres pour que le visage du Christ resplendisse à nouveau dans le monde par le rayonnement de l’Eglise des Eglises ?

Prions pour que Dieu nous donne la grâce de passer de ce rêve à la réalité.

Noël 2009 Claude Ducarroz