Noël 2009
Personne ! personne !
J’étais alors curé à Notre-Dame de Lausanne. Avec un groupe de paroissiens, je visitais la synagogue de cette ville, exactement à la rue Just-Olivier. A la fin de la rencontre, je me suis permis de poser cette question au rabbin qui nous avait bien accueillis : « Pour vous, qui est Jésus de Nazareth ? » Sans hésiter, et avec beaucoup de sincérité, il m’a répondu : « Personne ! » Pour lui, le Jésus de Noël et le Christ de Pâques, c’était « personne ». Je le sais : tous les juifs ne diraient pas la même chose, et ne voyez dans cette citation aucune incitation à l’antisémitisme. Surtout pas !
Finalement, cette question n’est-elle pas aussi adressée à nous ce soir, une question que Jésus lui-même a posée plusieurs fois à ses disciples. Et ses disciples, aujourd’hui ici, c’est nous. Puisque vous êtes là à ces heures fort tardives, alors que vous auriez pu prolonger le réveillon à la maison ou dans un bon restaurant, ou même passer la nuit dans une discothèque, je suppose que vous ne répondriez pas « personne » à cette question. Et pourtant la question demeure…et la réponse n’est pas si simple.
Au risque de vous étonner, si l’on en reste strictement à Noël, je crois même qu’il n’y a pas de réponse juste.
Bien sûr, pour Marie et sans doute aussi pour Joseph, ils en savaient un peu plus que les autres puisqu’ils avaient été avertis par un ange. Ils étaient au parfum de Dieu, encore que seule la foi en la parole de Dieu ait pu leur faire deviner –plutôt que comprendre- ce qui se passait et qui naissait cette nuit-là.
Les bergers aussi, selon le récit de Luc, ont reçu une certaine révélation : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur. Il est le Messie, le Seigneur. »
Mais quelle surprise, pour les uns et les autres. Ils ne s’y attendaient sûrement pas.
« Il sera grand et on l’appellera fils du Très-Haut », avait promis l’ange à Marie. Et le voilà au plus bas, tout petit dans une mangeoire pour animaux. « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, et son règne n’aura pas de fin ». Tu parles : il naît dans une grotte pour vagabonds puisqu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Comment croire à un Dieu qui fait tout le contraire de ce qu’on attend de lui ? Comment faire confiance à des messagers qui avaient promis monts et merveilles – un fils de Dieu, Emmanuel, Dieu avec- nous », et qui nous envoient contempler la venue au monde d’un bébé de nomades forcés, plus proches de mendiants clodos que des princes du sang ? Ils ont beau chanter là-haut « Gloire à Dieu dans le ciel, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » : qui peut les croire vraiment à ce moment-là ? Il y a sûrement quelque pieuse exagération quand saint Luc dit que « les bergers firent connaître ce qui avait été dit de cet enfant et que tous ceux qui les entendirent furent émerveillés de ce qu’ils racontaient. » Combien étaient-ils ?
Vous l’avez compris. Le récit de la nativité du Christ par l’évangéliste Luc n’est certes pas une légende, mais il n’est pas non plus un reportage audiovisuel. Il est une relecture de l’évènement à partir de l’expérience de Pâques sur la base d’un récit, probablement de Marie elle-même. Ce qui est dit ici de Jésus de Nazareth le qualifie après sa résurrection. Il y a dans les expressions de Noël une anticipation du culte rendu au Christ par les croyants revenus de Pâques, quand le crucifié apparût vraiment comme le Seigneur, le Fils de Dieu, le Messie, le Sauveur du monde.
Est-ce à dire qu’il n’y a rien à retenir d’autre de Bethléem qu’une naissance au hasard d’un voyage misérable, avec un concert angélique et des bergers accourus en hâte pour trouver finalement « Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une crèche » ? Sûrement pas. Il y a de l’éternel dans l’évènement de Noël.
Dieu continue de venir à nous dans l’humilité du Fils à Betléem, quand il nous donne rendez-vous dans la fragilité des pauvres puisque « tout ce que vous faites à ces plus petits qui sont mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous le faites. »
Il vient à nous, et même en nous, dans la petitesse d’un morceau de pain partagé lors de l’eucharistie : « Ceci est mon corps, prenez, mangez… » Celui qui était emmailloté de langes est aussi emmailloté de pain, c’est le même, c’est lui.
Il est au milieu de nous quand nous sommes réunis en son nom, à cause lui, nous les bergers d’aujourd’hui accourus pour écouter sa parole et faire communauté dans la simplicité d’une Eglise toujours davantage « petit troupeau ».
Il nous touche encore par les consolations intérieures de son Esprit quand nous portons notre croix avec courage et espérance, car le bois de la crèche et le bois de la croix sont du même arbre, celui de l’amour qui donne sa vie pour les autres, jusqu’au bout.
Dans toutes ces expériences chrétiennes, que ce soit par la parole, les sacrements, la vie de l’Eglise, le témoignage de justice, de solidarité et de paix au cœur d’un village ou au cœur du
monde, c’est toujours le Ressuscité qui agit, qui est là, mystérieusement, car il n’y en a pas d’autres depuis le matin de Pâques. Mais il vient à nous, il est au milieu de nous sous la forme de Noël, dans une proximité d’humilité, de silence, de pauvreté. Il est là comme l’enfant de la crèche, parmi les marginaux et les exclus, souvent ignoré ou exclu lui-même, y compris parmi les orgies de consommations et de divertissements qui ont maintenant squatté commercialement le vrai Noël.
Oui, le ressuscité en costume de Noël, tel est le Jésus de notre actualité, le Seigneur qui cache encore sa gloire pour ne pas nous éblouir, lui qui préfère nous entourer d’une douce clarté dans toutes nos nuits. Assis à la droite du Père, il vient s’asseoir à nos côtés, presque comme un anonyme, parce qu’il veut fraterniser au lieu de contraindre ou de dominer. Il est le roi du monde, mais son royaume n’est pas de ce monde, c’est pourquoi il nous invite à devenir les serviteurs les uns des autres, comme il l’a montré la veille de sa mort en lavant les pieds de ses amis.
Oui, il n’y a qu’un Jésus, pas le petit Jésus, mais l’humble Seigneur de gloire, qui met toute sa puissance au service de son amour et trouve sa joie au milieu des pauvres et des petits.
Toute la vie chrétienne descend de Pâques comme la rivière jaillit de sa source vive, mais l’eau a le goût de Noël. Tout est habité par le crucifié ressuscité et tout est habillé par l’enfant de la crèche. Nous sommes à la fois à Jérusalem et à Bethléem.
En Espagne, à Pâques on dit : felices Pascuas de resurreccion, mais à Noël on dit : felices Pascuas de Navidad. Oui, heureuses Pâques de la Nativité.
C’est Noël, donc joyeuses Pâques. Amen
Claude Ducarroz
lundi 18 janvier 2010
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