Epiphanie 2010
L’épiphanie ou la fête des rois. Les rois ? Quels rois ?
Vous l’avez entendu. Il n’y a que deux rois dans l’évangile de ce jour, et ce ne sont pas ceux qu’on pense. Le premier est cité plusieurs fois : il s’agit de Hérode, le cruel roi de Judée, pas très recommandable. Et l’autre, appelé « le roi des juifs qui vient de naître », est un bébé né dans une crèche, qui finira sur une croix, tout le contraire de ce qu’on imagine comme royauté, lui qui dira un jour, devant Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde ! » Il reste les trois autres personnages, ceux qu’on appelle souvent « les rois », qui ont donné son surnom à cette fête. Or justement, ils ne sont pas des rois. Rien ne dit en effet qu’ils le sont dans l’évangile de cette fête. On les appelle des « mages venus d’Orient », et c’est tout autre chose.
Alors comment les définir ? Plutôt que de leur demander leur carte d’identité –on n’est pas des policiers suisses-, retenons surtout leur attitude profonde, car c’est elle qui a encore quelque chose à nous dire, à nous Eglise et chrétiens d’aujourd’hui.
Des mages ! On pourrait traduire des observateurs attentifs et des contemplateurs passionnés des signes. Ce fut une étoile, puis ce signe bien vivant qui s’appelait l’enfant Jésus puisque l’étoile les a finalement conduits vers lui : « En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ».
De nos jours, notre Eglise a plus que jamais besoin de prophètes qui scrutent les signes des temps. Car Dieu continue de nous faire signe, à travers la parole biblique, mais aussi par les évènements qui marquent et souvent agitent nos communautés humaines et religieuses. Dans ce qui se passe sous nos yeux, dans ce qui arrive aussi dans chacune de nos vies personnelles, Dieu nous dit quelque chose. Encore faut-il s’arrêter dans le silence pour le lire, encore faut-il se mettre ensemble pour l’interpréter juste, encore faut-il prier l’Esprit pour tirer les conséquences de ces messages qui risquent bien de nous bousculer.
Des exemples, pris parmi d’autres ? Notre Eglise qui diminue en nombre de pratiquants, des prêtres qui font de plus en plus défaut, mais aussi des laïcs qui prennent davantage leurs responsabilités. Et dans la société ? Une nouvelle éthique en économie, la montée de l’écologie, le devoir de partager avec les peuples de la faim, etc.. Des signes par milliers, comme dit un cantique connu.
Et encore. Ces mages étaient surtout des chercheurs de Dieu. Pas seulement dans la solitude, mais dans la fraternité puisqu’ils étaient au moins trois ensemble, si l’on compte à partir de leurs trois cadeaux. Ils n’étaient pas juifs. Ils ont certes rencontré brièvement le Christ devant lequel ils se sont prosternés. Mais rapidement, ils ont regagné leur pays par un autre chemin. Oui, des chercheurs, car ils se sont mis en route pour un long voyage, ils ne se sont pas laissé décourager par la disparition de l’étoile, ils se sont renseignés soigneusement, ils ont persévéré jusqu’au bout.
Il y a encore -heureusement- beaucoup de chercheurs de Dieu dans notre monde. Tous les chrétiens devraient en être, car on ne trouve Dieu que pour le chercher encore davantage, lui qui ne cesse de nous chercher le premier pour nous sauver. Ils sont parmi nous, les chercheurs de Dieu, y compris parmi les païens de notre temps, ce qu’étaient ces mages venus d’Orient. Je pense aux « religieux » de toutes les religions, aux ex-chrétiens de bonne volonté qui sont de plus en plus nombreux parmi nous, et même aux athées qui laissent monter dans leur cœur la voix de leur conscience, ce sanctuaire secret dans lequel seul Dieu pénètre et parle mystérieusement au cœur et à l’intelligence de tout homme. Je crois qu’il peut y avoir –qu’il doit y avoir- une grande fraternité des chercheurs de Dieu aujourd’hui, si nous acceptons de respecter les autres dans leurs différences, de dialoguer avec eux en toute sincérité. Oui, si nous cherchons ensemble le chemin de la véritable humanisation qui, nous le savons même si eux ne le savent pas, conduit toujours au Christ, l’homme nouveau tel que Dieu le rêve et le propose, depuis le premier Noël et surtout depuis le matin de Pâques. Tout homme est mon frère ou ma sœur. Il suffit de le ou la rencontrer… fraternellement !
Enfin ces mages étaient des généreux. Plus simplement, on dirait qu’ils avaient bon cœur, eux qui ont offert ce qu’ils avaient de plus précieux, en l’occurrence l’or, l’encens et la myrrhe. Ce qu’ils firent d’ailleurs avec joie, car comme le dira Jésus plus tard, « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ».
A lire notre société d’une manière superficielle, on pourrait croire que nous sommes conduits par des arrivistes et guidés par des égoïstes, les rois de notre monde dominé par l’argent à tout prix, les plaisirs sur les cadavres des autres, le pouvoir obtenu ou conservé par la violence des armes ou des asservissements médiatiques. En réalité, il y a aussi dans notre humanité, souvent anonymes ou du moins discrets, beaucoup de gens généreux, beaucoup de solidarités sociales, beaucoup de lutteurs pacifiques pour un monde plus humain parce que plus juste et plus fraternel. Rien ne nous empêche –au contraire tout nous invite- à rejoindre celles et ceux, chrétiens ou non, qui s’engagent au service des plus démunis, des exclus, des petits ou des méprisés de cette terre. Et pour quoi faire sinon leur offrir, ne serait-ce qu’un peu, l’or de notre esprit de partage, l’encens de notre respect, la myrrhe de notre compassion ? Si nous le faisons humblement mais réellement, déjà le monde sera un peu meilleur, un peu plus digne du royaume qui a commencé par la venue de Jésus au milieu de nous, l’Emmanuel, Dieu-avec-nous.
Notre monde n’a pas besoin de nouveaux rois qui se prennent pour des dieux, nos Eglises n’ont pas besoin de seigneurs qui veulent régenter notre foi mais plutôt de bons pasteurs qui désirent contribuer à notre joie, selon la belle définition de l’apôtre Paul (Cf. II Co 1,24).
Et les mages d’Orient seront de nouveau parmi nous, pour nous conduire au Christ en partageant leur allégresse.
Claude Ducarroz
lundi 18 janvier 2010
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