lundi 18 janvier 2010

Et pourtant l'Eglise bouge

Et pourtant l’Eglise bouge…

Les initiatives restauratrices de Benoît XVI ont plongé l’Eglise catholique dans une tempête que le pape a nommée « grand tapage ». Paradoxalement, cet ouragan a des effets secondaires plutôt positifs. On observe certains sursauts qui ressortissent des conséquences lointaines du concile Vatican II.

Avec une sincérité louable (1), Benoît XVI a estimé qu’il était de son devoir pontifical –faiseur de ponts- de permettre à la mouvance d’Ecône de rejoindre bientôt le gros du troupeau catholique. Et puis patatras ! La levée de l’excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefèbvre en 1988, après la réhabilitation de la messe de saint Pie V, a soulevé des vagues qui n’ont pas fini de faire tanguer la barque de Pierre. Pour corser le tout, l’un des évêques en question, Mgr Williamson, a exprimé des propos négationnistes qui ont troublé le message papal, « incident fâcheux et imprévisible », dit Benoît XVI. Il a mis en péril les relations avec le judaïsme et mis à mal le processus de réconciliation à peine amorcé. Comme une gaffe n’arrive jamais seule, voici que l’archevêque de Recife excommunie une enfant de 9 ans et sa famille parce qu’on a eu recours à l’avortement dans des circonstances particulièrement dramatiques. Tout cela avec l’approbation du cardinal Re, celui qui prépare au Vatican les nominations des évêques. Après quoi, les propos de Benoît XVI lui-même dans l’avion qui l’emmenait en Afrique (le préservatif accentuerait la propagation du sida au lieu de l’empêcher) a encore jeté de l’huile sur le feu. En un mot : dans l’Eglise catholique aussi, il règne une ambiance de crise dont on se serait bien passé, car les temps qui courent sont déjà suffisamment éprouvants sans qu’on en remette une couche du côté du Vatican.

Un chapelet de réactions
Il ne faut pas céder à la sinistrose. A côté de dégâts collatéraux fort dommageables –par exemple la multiplication des « sorties d’Eglise » en Suisse et ailleurs-, il faut reconnaître que plusieurs réactions expriment des tressauts de vitalité et de fidélité qui peuvent compenser la déprime ambiante par une certaine espérance aux couleurs de Vatican II.
C’est le peuple de Dieu à la base qui a réagi le premier. Avec une vigueur étonnante, les « simples fidèles » ont pris parti résolument pour les acquis du concile. On ne doit pas brader la liberté religieuse, l’œcuménisme, le renouveau liturgique, le dialogue interreligieux, etc.. La crise a fait la preuve –bienvenue- que l’esprit du concile était entré profondément dans la chair de l’Eglise comme peuple de Dieu, et pas seulement chez les fidèles les plus pratiquants. C’est un bon signe.
Et puis ce peuple s’est levé, il s’est rassemblé, il s’est exprimé. C’est le sens de certaines manifestations publiques, tout à fait inédites dans l’aire culturelle catholique. Comment ne pas voir dans ces réveils l’un des fruits du concile qui encourage les fidèles « à s’ouvrir à leurs pasteurs de leurs besoins et de leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ. » ? Plus encore, « ils ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise. » (Constitution sur l’Eglise no 37). Le slogan du rassemblement de Lucerne le 8 mars 2009 signifiait bien cela : auftreten statt austreten. (se présenter au lieu de s’en aller).
Nous n’étions pas au bout de nos étonnements. Des évêques eux-mêmes se sont permis de poser des questions au Saint-Siège, formule ecclésiastique pour dire « le pape ». (2). Derrière ces remarques courtoises, on sentait l’énervement des évêques contre un exercice solitaire du service de Pierre qui, en la circonstance, a manqué au devoir de cette collégialité qui devrait être un réflexe naturel après le concile Vatican II. Que des évêques directement impliqués ne soient même pas informés –a fortiori pas consultés- avant une décision aux conséquences délicates et prévisibles : voilà qui manifeste un disfonctionnement grave que certains prélats ont eu la bravoure de dénoncer. Passer des approbations automatiques, quand elles ne sont pas obséquieuses, à des critiques certes feutrées mais fermes, voilà qui redonne du jeu dans les relations entre le centre et la périphérie du pouvoir en notre Eglise. Il était temps. On peut en dire autant d’évêques à évêques, quand les collègues de Mgr Sobrinho ne se sont pas contentés de lui envoyer quelques notes discrètes, mais ont eu le courage de prendre position publiquement pour lui rappeler que les exigences de l’esprit évangélique devaient l’emporter sur la lettre du droit canon.(3)
Paul et Pierre ont aussi vécu de tels affrontements bienfaisants, dans le contexte évangélique de la correction fraternelle, pour aboutir à un dialogue de type conciliaire qui porta des fruits d’unité dans la diversité assumée. (Cf. Ac 15 et Gal 2).

Le pape aussi
Le pape lui-même a reconnu dans une lettre adressée à tous les évêques qu’il y avait eu « des erreurs » d’appréciation et de réaction au Vatican. Ce n’est pas tous les jours qu’un pape s’explique sans triomphalisme. Que ne l’eût-il fait avant l’évènement ! Dans sa missive, on devine un homme blessé, attristé d’avoir été traité « avec haine sans crainte ni réserve ». Le pape déplore que, à l’heure de l’internet, l’information ait été insuffisante. Malheureusement, les mêmes déficiences ont ressurgi à propos de l’affaire du « préservatif » et de l’avortement dit « thérapeutique » lors du voyage en Afrique. De nouveau, des explications ultérieures –une fois le mal accompli- ont embrouillé l’opinion publique plutôt que l’éclairer. (4) De plus, le pape reconnaît implicitement que ses plus proches collaborateurs n’ont pas été « à la hauteur ». Quand on connaît ce que peut receler la nébuleuse d’Ecône comme idéologie d’extrême droite, on est stupéfait que les services du Vatican n’aient pas décelé à temps les opinions antisémites de Mgr Williamson. Et ôter publiquement le dossier d’Ecône au cardinal Hoyos n’est pas seulement une mesure de bon sens. C’est un aveu d’incapacité. Vivement une réforme en profondeur de la curie romaine !

Une double évaluation
Il y a deux manières d’évaluer ces évènements. Du point de vue du jugement des médias et de l’opinion publique sur l’Eglise catholique, ils sont évidemment regrettables, et même très néfastes. Au lieu de considérer l’Eglise en son témoignage central, à savoir proclamer et vivre l’actualité de l’Evangile du Christ dans le monde d’aujourd’hui, on la montre s’embourber dans des querelles finalement périphériques.(5)
Certains, dans les cercles catholiques, souffrent de voir éclater des remises en question du ministère papal (6), des divergences entre les évêques, des protestations dans le peuple chrétien. L’image d’une Eglise catholique bien unie autour de son pasteur suprême, comme une armée disciplinée et rangée en bataille, en prend un sérieux coup. Mais on peut estimer la situation autrement. (7)
On doit savoir désormais, jusqu’en haut lieu, que le peuple de Dieu, dans sa grande majorité, n’acceptera pas le sacrifice de Vatican II sur l’autel d’une hypothétique réconciliation avec une frange de résistants qui continuent de proclamer que « l’Eglise devra effacer ce concile, l’oublier, en faire table rase ». (Mgr Tissier de Mallerais).
Dans l’exercice pratique de la collégialité épiscopale, telle que le concile Vatican II l’a précisée et promue, n’est-il pas normal qu’il y ait des échanges un peu vifs entre les évêques dispersés à travers le monde et le pape qui règne au Vatican au milieu d’une curie pas nécessairement compétente en tout ? On peut y voir là un signe de santé, tant il est vrai que, trop souvent, nos évêques semblent plus prompts à nous transmettre les injonctions de Rome qu’à faire connaître à Rome les besoins et appels légitimes de leur peuple.(8) On aime à ressasser les bienfaits de la collégialité affective entre le successeur de Pierre et les autres évêques. A quand une collégialité effective ?
Enfin, lorsque le peuple prend la parole et exprime ses souhaits enracinés dans le témoignage de vie des fidèles qui mettent en pratique –tant bien que mal- l’évangile du Christ au milieu d’une société complexe et parfois hostile, ne mérite-t-il pas d’être écouté, entendu, respecté lui aussi ? (9)
Bien sûr que notre Eglise n’est pas une démocratie au sens mathématique du mot, comme si la majorité populaire faisait la vérité, au point de la rendre variable. Mais il n’empêche que le dialogue sincère entre nos autorités et les autres membres du corps du Christ –je n’oublie pas les théologiens- est une condition indispensable pour la vitalité de ce corps. S’il tire sa force de sa communion avec sa tête, le Christ, il doit aussi bénéficier de la souplesse des articulations et jointures qui garantissent la croissance de la construction dans l’unité de la charité et la riche diversité des charismes et ministères.(Cf. Ep 4,13-16)
En ce sens, ce qui vient d’arriver, au-delà des moments pénibles et même douloureux, peut aussi être apprécié comme une invitation à l’espérance. Dans l’esprit de Vatican II, notre Eglise donne des signes de réveils, parfois bruyants, mais finalement bienvenus.
Pourvu que l’on n’éteigne pas l’Esprit, pourvu que l’on ne méprise pas les prophètes. (Cf. I Th 5,19). Pourvu que tous écoutent « ce que l’Esprit dit aux Eglises. » (Ap 3,22)
Claude Ducarroz

1) Il s’en explique avec des accents assez touchants dans sa lettre du 10 mars 2009 aux évêques de l’Eglise catholique.
2) Il suffit de citer les évêques allemands qui ont aussitôt demandé « une prompte explication » au Saint-Siège en espérant « chez les responsables de la Curie des améliorations rapides dans le domaine de la prise de décision et de la communication avec les conférences épiscopales. »
3) « Dans cette tragédie, vous avez ajouté de la douleur à la douleur et vous avez provoqué de la souffrance et du scandale chez beaucoup de personnes à travers le monde », a écrit Mgr Daucourt, évêque de Nanterre. Et Mgr Deniau, évêque de Nevers, d’ajouter : « J’attends des hommes d’Eglise, mes frères, qu’ils n’utilisent pas le nom de Dieu pour condamner des personnes ou les enfermer dans la culpabilité ».
4) Mgr Di Falco, évêque de Gap, a été plus clair quand il a déclaré : « Si l’on ne parvient pas à vivre l’idéal de la fidélité, on ne doit être ni criminel ni suicidaire. On doit utiliser le préservatif. »
5) Peut-être le pape a-t-il compris cela quand il écrit qu’« il y a certainement des choses plus importantes et plus urgentes », en affirmant que « le vrai problème est que Dieu disparaît de l’horizon des hommes et que tandis que s’éteint la lumière provenant de Dieu, l’humanité manque d’orientation, et les effets destructeurs s’en manifestent toujours plus en son sein. »
6) Jean-Paul II a eu l’humilité de reconnaître que son ministère avait besoin de conversion « pour réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres ». (Ut unum sint, nos 4 et 95).
7) C’est ce qu’ont fait des évêques « optimistes ». Le cardinal Schoenborn, de Vienne : « Les crises qui n’ont certes rien de confortable ni de serein, peuvent être porteuses de chances; en dernière analyse, elles sont salutaires, même si on ne le voit pas quand on y est immergé. » Et Mgr Dagens, de Angoulême: « La crise actuelle a réveillé ce « sens de la foi » qui, en deçà des mots, consiste à « sentir » avec l’Eglise militante.(…) Je crois qu’il serait grave que la crise actuelle constitue un alibi pour durcir la tradition catholique en pratiquant une interprétation critique de Vatican II. (…) Nous attendons des signes de Rome pour être confirmés dans notre mission (servir la rencontre des hommes avec Dieu) qui est notre raison de vivre et d’espérer pour l’Eglise. »
8) Par exemple ceux qui s’expriment depuis longtemps dans les synodes, forums et autres AD2000 qui ont émaillé la vie de nos diocèses au cours de ces dernières années.
9) « Qu’avec un amour paternel, les pasteurs accordent attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs, qu’ils respectent et reconnaissent la juste liberté qui appartient à tous dans la cité terrestre. » (Constitution sur l’Eglise no 37)

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