Homélie
50
ans d’ordination de Bernard Jordan
Trois. Il faut trois amours pour faire un
prêtre. Plus d’autres choses aussi, pour faire un bon prêtre. Comme vous le
devinez, toute allusion à un prêtre présent ici ne serait qu’involontaire et
fortuite. Car je me réfère au prêtre Thomas dont parle l’évangile de ce
dimanche.
* Pour
faire un prêtre, il faut d’abord un amour humain, celui d’un père et d’une
mère, unis par la tendresse et le respect. J’en vois une allusion discrète mais
claire : ce Thomas est toujours surnommé Didyme. C’était un jumeau,
circonstance on ne peut plus familiale, entre la surprise et le bonheur.
Par d’autres contingences et incidences, nous
sommes tous d’abord des êtres humains, pétris de surprises et de bonheurs
partagés, pour lesquels il nous faut rendre grâces, dans le miroir de nos
parents et de nos familles d’origine. Pour le prêtre aussi, d’abord un humain
parmi d’autres. Premier amour : la vie !
* Il faut ensuite devenir un chrétien. Certains
ont reçu la grâce –de plus en plus rare de nos jours- de l’être presque sans
avoir à le devenir, tant le cadeau de la foi au Christ était déjà déposé dans
leur berceau.
Thomas n’était pas de ceux-là, semble-t-il.
Appelé par Jésus de Nazareth parmi la fratrie des autres apôtres, il n’a jamais
cessé de se poser bien des questions. Était-il moins croyant ou plus
intelligent que les autres ? Il réfléchissait beaucoup. C’est lui qui dit
un jour au Seigneur en public : « Nous ne savons même pas où tu vas,
comment pourrions-nous savoir le chemin ? » (Jn 14,5).
Mais il
est allé plus loin, jusqu’au risque de l’incroyance. Ses collègues ont beau lui
dire : « Nous avons vu le Seigneur ». Lui en conclut :
« Non, je ne croirai pas. ».
Mais Thomas est aussi celui qui ira le plus
loin –ou plutôt le plus profond- une fois passée l’épreuve du doute :
« Mon Seigneur et mon Dieu ». Un dur à cuire qui suscite ce
commentaire de Jésus, sous la forme d’une béatitude : « Heureux ceux
qui croient sans avoir vu ! »
Il me semble que ça nous concerne tous ici, prêtres
ou pas, et même les religieuses. Plus que jamais de nos jours, au sein d’une
Eglise qui saigne encore au pied de la croix de Jésus, la foi est une victoire
de haute lutte, au goût fragile de Pâque.
Seul Jésus peut nous donner ce cadeau-là en
nous le disant à plusieurs reprises : « La paix soit avec
vous ! »
Deuxième amour : la communion au
Christ ! !
* Et puis le troisième. Pour ces apôtres –et
finalement aussi pour Thomas, avec quelque retard-, c’est l’envoi, autrement
dit la vocation, ici au ministère du pardon des péchés, mais peut-être avec une
allusion eucharistique : toucher les plaies du corps de Jésus crucifié et
ressuscité.
Une vocation nécessairement très personnelle,
mais aussi profondément communautaire, dans la rude fraternité des Douze.
Mais attention ! Ces mêmes qui, pour le
moment, se trouvent enfermés dans une
maison aux portes verrouillées -ils
avaient peur- seront bientôt propulsés sur la place publique par l’Esprit d’un
appel devenu un puissant envoi.
Sans crainte, vers les gens, pour les gens, à
commencer par les plus souffrants et les plus nécessiteux.
Décidément, on n’est pas prêtre pour goger là
où ça sent bientôt le moisis, mais pour courir la belle aventure de l’apostolat
en pleine pâte humaine, pas comme des pachas de l’évangile, mais comme
d’humbles serviteurs de leurs frères et sœurs, humains d’abord, et tant mieux
s’ils deviennent aussi chrétiens avec nous. Le troisième amour : le
ministère !
Trois amours, en donnant la main à Thomas
Didyme, à Thomas le croyant laborieux mais réussi, à Thomas l’apôtre dans son
service d’évangélisation par la parole, les sacrements et bien d’autres
ministères. Toujours pour les autres, toujours avec les autres, mais comme
Jésus.
Et si c’était finalement un seul amour.
Dieu est Amour, et ça suffit. Mais un amour
trinitaire évidemment, celui qu’on trouve ou retrouve dans la merveilleuse
dignité de tous les baptisés, tous à égalité de grâce, de miséricorde et de
témoignage « à cause de Jésus et de l’évangile ».
Dieu-Amour-Trinité : notre trésor commun,
ouvert par le Christ au matin de Pâques, offert à toute l’humanité.
Et nous les prêtres –pas les seuls évidemment,
et pas nécessairement les meilleurs-, nous voici serviteurs de ce cadeau-là.
Pour notre bonheur et aussi pour votre bonheur
à vous, du moins nous l’espérons. Dans la source trinitaire et dans les fruits
de la Pâque.
* L’amour humain, de chair, de cœur et
d’âme : Dieu le Père créateur.
* L’amour chrétien, par les promesses universelles
de l’évangile du Christ sauveur.
* L’amour par le ministère dans l’Esprit
puisque Jésus souffla sur ses apôtres en leur disant : « Comme le
Père m’a envoyé…je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint. »
Trois amours qui n’en font qu’un, tout en
conservant la richesse des trois.
Bernard, il y a 50 années que ça dure pour toi.
En te félicitant et en te remerciant, nous t’en souhaitons encore de
nombreuses.
Pour ta joie et la nôtre.
Et surtout
pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Claude Ducarroz