samedi 19 avril 2014

Pâques 2014

Pâques 2014

« J’ai tout pour être heureux. Mais je n’arrive pas à être heureux ! »

Cet heureux-malheureux, c’est un ami que j’ai rencontré il y a deux semaines.
Une belle carrière professionnelle, une épouse magnifique à tous points de vue, quatre enfants qui vont bien, et maintenant des petits-enfants : il pourrait –il devrait- être heureux. Il ne l’est pas. Et c’est même tout à son honneur : il est extrêmement sensible à ce qui se passe autour de lui, et jusque dans le vaste monde. « Je vois et j’entends tant de violences, de guerres, d’injustices, me dit-il,  que ça m’empêche d’apprécier mon bonheur personnel. Je suis malheureux du malheur des autres. »
Je le sais, et cet ami me l’a confirmé dans la discussion : il n’est pas croyant. D’ailleurs il m’a dit : « Qu’est-ce qu’il fait ton bon Dieu dans tout cela ? »

Je n’ai pas de réponse facile, toute faite, à de telles questions, que je me pose aussi comme homme et même comme chrétien.
Et pourtant je n’ai pu m’empêcher de le lui dire : je ne vois qu’une lumière au bout du tunnel. Ce pourrait être la réponse à la question : la résurrection du Christ.

Sur la croix de Jésus de Nazareth, apparemment, qui a gagné ? La mort d’abord : « Et inclinant la tête, il expira. » Et puis aussi tout ce qui a conduit à cette mort : les mensonges, les moqueries, les lâchetés, et finalement l’injustice de la sentence, la cruauté des mauvais traitements, le poids de la croix, et jusqu’au coup de lance final, même après la mort, pour bien achever l’ouvrage.

Les femmes qui viennent au tombeau au lever du jour en sont encore là. Certaines ont regardé de loin, d’autres ont pleuré au bord du chemin, les plus proches étaient au pied de la croix. Que leur restait-il finalement ?  Des souvenirs, des larmes, une compassion triste. Et des parfums pour le mort, selon la tradition funèbre de leur culture.

Et puis soudain tout bascule, de l’autre côté, du côté du Dieu de la vie, du côté de l’amour vainqueur : « Il n’est pas ici », là où gisent les feuilles mortes de la mémoire. « Il est ressuscité », là où commence un printemps de nouvelle et invincible espérance. « Car ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus. Sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. »

Voilà le cadeau de Dieu à l’homme Jésus, « le premier né d’entre les morts. »
On pourrait en rester là, à la limite se réjouir pour lui parce qu’on n’est pas jaloux. C’est intéressant et même médiatiquement croustillant: un humain est sorti vivant de son tombeau. Pourquoi pas ? Tant mieux pour lui.

Mais nous ? Personne, croyant ou non, devant sa propre mort et la mort de celles et ceux qu’il aime, et devant le spectacle souvent lamentable de notre monde labouré par les forces du mal et de la mort, personne ne peut éviter cette question cruciale: qu’en est-il de nous si, comme certains le disent, Jésus de Nazareth est bel et bien ressuscité ?

Une phrase résume tout : « le premier né d’entre les morts » est aussi « l’aîné d’une multitude de frères et sœurs »…que nous sommes.  Ce Jésus, qui est mort comme nous et pour nous, nous entraîne dans le souffle puissant de sa résurrection, comme un tsunami de vie plus forte que toutes les morts, comme une tornade d’amour plus intense que tout mal et tout péché.

Ce matin-là, notre tragique histoire a changé de sens malgré les apparences : le temps remonte la pente descendante de l’inhumain, la vie acquiert une dimension d’éternité, l’amour devient la seule feuille de route du vrai bonheur.
Tel est le cadeau de Pâques, de la part de Dieu, coulant du côté ouvert du Christ, sous le souffle de l’Esprit Saint.

Dans le baptême, et aussi dans chaque eucharistie, nous accueillons à nouveau ce divin cadeau. Il est là en personne, lui qui nous a dit à travers l’apôtre Paul : « Baptisés en Jésus-Christ… nous vivrons une résurrection qui ressemblera à la sienne… puisque nous sommes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ. »
Et c’est ce même Jésus que nous recevons dans l’eucharistie, « en rappelant sa mort, en célébrant sa résurrection, en attendant son retour dans la gloire. »

Voilà où nous sommes aujourd’hui, voilà où nous en sommes à cause de Pâques.
Il nous reste à vivre dans cette lumière, avec cette espérance au cœur, gratuite, merveilleuse, invincible.
Et qu’est-ce que ça signifie ?

Compter fermement sur la promesse issue du tombeau vide de Pâques : notre vie mortelle est donc vouée à la résurrection. Par ailleurs, notre existence ici-bas doit refléter, en nous et autour de nous, le choix de Dieu pour la vie, l’amour, la réconciliation, la paix, finalement la vraie fraternité pascale, à savoir universelle, pour tout homme et tout l’homme.

Et puis il nous faut partager le cadeau avec les autres. On ne va pas savourer la grâce de Pâques comme des égoïstes, tous seuls dans notre coin. Vous avez entendu : avant même que les femmes aient rencontré Jésus ressuscité, l’ange leur dit : « Allez dire à ses disciples : Il est ressuscité d’entre les morts. » Et en direct, peu après, Jésus leur dit la même chose : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères… qu’ils me verront. »

Un enfant de la Pâque, ce que nous sommes, c’est un homme qui se sait sauvé, c’est un chrétien qui espère la vie éternelle, c’est un être humain à l’amour sans barrière et sans frontière, c’est un baptisé qui donne envie aux autres de croire, d’aimer, d’espérer avec Jésus ressuscité, vraiment ressuscité.


Claude Ducarroz 

vendredi 18 avril 2014

Vendredi Saint 2014

Vendredi Saint 2014


Le Christ est en croix. Pour y mourir ou plutôt pour y donner sa vie.
Et si nous étions aussi là, près de lui, autour de lui, puisqu’il meurt pour la multitude ?
Car là où il y a Jésus, surtout dans l’acte du salut universel par amour, n’y a-t-il pas toute l’humanité à sauver ? N’y a-t-il pas toute l’Eglise, ce germe de l’humanité nouvelle ?
En voyant Jésus, Pilate ne l’a-t-il pas annoncé sans le savoir : « Voici l’homme ! » ? Tout homme. Tout l’homme.
Et quand l’évangéliste note qu’au pied de la croix de Jésus se tenaient sa mère et le disciple qu’il aimait, avec quelques femmes, n’était-ce pas déjà l’Eglise en son commencement ?
Et nous, où sommes-nous ?

Peut-être simplement avec la foule, avec les gens qui vont et viennent, à moitié curieux, un peu désolés, avec quelques questions de reste, une fois consultés les médias friands de sensationnel plus ou moins sanguinolent.
« Voici votre roi !», avait dit et fait écrire Pilate. Mais la foule avait répondu : « Crucifie-le !». Décidemment, on ne sait plus que penser, on ne sait plus qui croire.  Surtout quand on regarde de loin, avec certains qui rient, d’autres qui ricanent. Et dans les coulisses de l’histoire,  les autorités bien en place -politiques, militaires et même religieuses-, unies pour une fois afin de mieux éliminer tout concurrent possible.
Finalement, un fait divers pour les médias ! Combien aujourd’hui, chez nous, ont lu le journal plutôt qu’ouvrir l’évangile du Vendredi Saint ?

Et puis heureusement, il y a des femmes, les plus courageuses, parce qu’elles suivent jusqu’au bout en écoutant la voix de leur cœur, les chrétiennes de toutes les pitiés et piétés sincères. Certaines pleurent, anonymes, à quelque distance encore, les filles de Jérusalem. D’autres sont carrément au pied du gibet, mêlant leur compassion à la passion de Jésus. Que ferions-nous sans les femmes de foi et de tendresse dans l’Eglise d’aujourd’hui ?

Quatre hommes sauvent notre face, à nous les hommes. Enfin !
* Symon de Cyrène, requis mais généreux, l’icône de tous les hommes de bon cœur qui donnent temps, compétences et engagement dans les causes humanitaires, au secours de tous les crucifiés dans notre monde. Souvent sans même savoir qu’ils portent la croix du Fils de Dieu en soulageant la souffrance des damnés de notre terre, celles et ceux qui tombent sous les coups de la violence, de l’injustice et de l’exclusion engendrées par d’autres humains. Ils sont là puisque « tout ce que vous faites à ces plus petits qui sont mes frères, dit Jésus, c’est à moi que vous le faites. »

* Et puis il y a ce centurion, un soldat païen, ni juif ni chrétien, un étranger 100%, qui finit par dire, le premier de tous, la plus profonde vérité sur ce condamné à mort, la foi de l’Eglise, la nôtre : « Vraiment celui-ci était le fils de Dieu. »  Un porte parole inattendu, surprenant, mais si utile, le premier évangélisateur, le premier prédicateur, le premier catéchiste.

* Enfin  Joseph d’Arimathie et Nicodème,  les hommes de l’ensevelissement. Pas très glorieux, le premier était seulement disciple en secret. Et l’autre n’acceptait de rencontrer Jésus que de nuit. Mais au moment décisif, leur solidarité prépare finalement la résurrection, comme on le montre dans la chapelle du Saint-Sépulcre de notre cathédrale. Il n’est jamais trop tard pour soigner le corps de Jésus. Ils croyaient être les employés de la mort. Ils vont devenir les collaborateurs de la résurrection.

Où sommes-nous ? Osons-nous nous rapprocher encore de la croix ?
Là, tout près, sur l’une des deux autres croix ?

* Le larron du non ou celui du oui, au dernier moment ? Une vérité demeure, que rien ni personne ne peut nier : il ne faut jamais désespérer de la bonté de Dieu en Jésus Christ.
Quelle leçon pour nous, quand nous nous mettons à juger les autres ou à désespérer de nous-mêmes. Le premier canonisé, si l’on peut dire, était un criminel : « Aujourd’hui –quelle promptitude !, tu seras avec moi -quelle compagnie !, dans le paradis -quel séjour !
Cette humanité du pardon, cette Eglise de la miséricorde, là, sous la pluie d’eau et de sang coulant du côté ouvert de Jésus : les sacrements du baptême qui donne la vie et de l’eucharistie qui nourrit la vie. Dès ici-bas et pour l’éternité.

Enfin n’oublions pas l’Eglise la plus intense, Marie et Jean, là, embrassant la croix. Pas en très bonne compagnie, comme il se doit pour une communauté d’amour selon l’évangile. La Marie-Madeleine ne faisait-elle pas un peu tache parmi tant de sainteté ? Mais elle était là, avec les autres, elle qui sera bientôt la première témoin de la résurrection, chargée de l’annoncer aux apôtres sceptiques. Cette pardonnée de beaucoup de péchés, elle s’appuie sur l’Immaculée, Marie de Nazareth, la mère du crucifié. Car dans l’Eglise, la sainteté de pureté et la sainteté de pardon doivent toujours se donner la main. Sous la guidée de l’apôtre, celui que Jésus aimait.
Telle est l’Eglise au sommet. Elle est mariale et apostolique –car le disciple prit Marie chez lui- ; elle est sainte et en voie de sainteté ; elle est féminine et masculine; elle est la maison de l’amour de Dieu, avec des bras ouverts à l’infini, comme ceux de Jésus en croix, au moment où il dit : « Tout est accompli ».

Et alors, c’est déjà Pentecôte : « Inclinant la tête, il remit l’Esprit. »


                                               Claude Ducarroz

jeudi 17 avril 2014

Jeudi Saint 2014

Jeudi Saint 2014

On cherche des heureux ! Oui, il nous manque des heureux. Et pourtant il y aurait deux belles occasions de l’être. Elles nous sont rappelées justement ce soir.

D’abord « Heureux les invités au repas du Seigneur ». A chaque eucharistie, depuis ce soir du premier jeudi saint, cet appel retentit sans cesse, en écho à ce verset de l’Apocalypse (19,9) : « Heureux les invités au festin de noces de l’Agneau ! »

Car c’est cela l’eucharistie : l’Agneau pascal, la veille de sa mort, a institué un repas de fête partagée dans lequel, en anticipant son sacrifice sur la croix, il se donne déjà lui-même pour le salut du monde. Avec cette recommandation qui vient solliciter notre liberté puisqu’il s’agit d’un cadeau offert gratuitement et non pas imposé comme un commandement pesant: « Refaites cela en mémoire de moi. »

Les 15 et 16 juin dernier, une enquête de fréquentation des messes dans le décanat de Fribourg a montré qu’environ 10% des catholiques ont répondu présents à cette invitation eucharistique ce week-end-là, avec une nette majorité de femmes et fort peu de jeunes. Tous les autres, avec de bonnes ou mauvaises raisons, ont renoncé au « bonheur eucharistique » ce dimanche-là. C’est bien dommage pour eux.

Mais ceux et surtout celles qui ont répondu oui à l’invitation du Seigneur étaient-ils vraiment heureux ? Ont-ils manifesté ce bonheur durant la célébration ? En rentrant chez eux, ont-ils donné envie à d’autres de vivre une telle joie en Eglise ?

Ce sont des questions que nous devons nous poser de temps en temps, pas pour briser notre élan eucharistique vers ce « grand mystère de la foi », mais pour reprendre conscience qu’un tel rendez-vous donné par le Seigneur lui-même, dans la communion à son corps livré et à son sang versé pour nous et pour la multitude, doit être source d’une joie toujours plus contagieuse.

Au soir du jeudi saint, le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur a certes un caractère de gravité, mais il doit être surtout une fontaine d’allégresse intérieure qui nous pousse, plus que jamais, à l’action de grâces, autrement dit, selon le sens exact du mot, à devenir à notre tour « eucharistiques ».

Et puis comme un cadeau n’arrive jamais seul, voici un deuxième bonheur rappelé dans l’évangile de ce soir sous la forme biblique d’une béatitude : « Heureux serez-vous si vous le faites », presque la même formule que pour la sainte Cène. De quoi s’agit-il ? Du lavement des pieds.

Oui, Jésus a aussi associé une déclaration et une promesse de bonheur à ce geste très simple, très humble, symbole en acte concret de toutes les postures de vraie charité, notamment à l’égard de celles et ceux qui ont le plus besoin d’être aimés et servis, même s’ils ne sont pas toujours aimables.

Car ce n’est pas assez d’aimer ceux qui nous aiment, il faut aussi aimer les autres, jusqu’au pardon. Et ce n’est pas assez d’aimer par devoir triste, il faut se donner de bon cœur, avec la joie de servir. Comme Jésus a montré l’un et l’autre, jusque sur la croix.

Ce soir, dans le rite du lavement des pieds, nous voulons accueillir et recueillir tous les engagements de solidarité, de compassion, de service généreux, en un mot d’amour, qui soulèvent notre humanité vers Dieu au dessus de l’océan des haines, guerres, exclusions et autres violences.
Heureusement, dans toutes les religions et même parmi les gens qui n’en ont aucune, il y a encore des hommes et des femmes capables d’attention, de tendresse, d’amitié. Par la grâce de Dieu.

Deux fois heureux ! Deux bonheurs qui ne demandent qu’une chose : faire alliance, et puisqu’il s’agit de noces : se marier. L’eucharistie conduit au service des frères et sœurs en humanité, à tous les lavements des pieds, plus que jamais nécessaires dans un monde encore si inhumain, parfois jusqu’à la cruauté.

Et comme on voudrait que les artisans de paix, de solidarité et de justice puissent découvrir la joie de venir rencontrer dans l’eucharistie le premier Serviteur de l’être humain, celui qui a tellement aimé le monde qu’il a donné sa vie pour nous, pour eux, pour tous.

Tous les chrétiens dits « pratiquants » sont les apôtres des deux bonheurs promis par le Christ dans l’évangile de ce jeudi saint. Parmi eux, il y a les évêques, prêtres et diacres, consacrés au ministère de la parole, des sacrements, de la communion dans l’amour. Eux les premiers, ils doivent –ils devraient- être des serviteurs heureux, même si, par les temps qui courent, ce n’est pas toujours facile.

Aidez-nous à être heureux dans notre mission, vous qui avez compris comme nous et avec nous –et parfois un peu à cause de nous- combien le Seigneur est bon pour tous, dans son eucharistie et dans sa diaconie, ces deux mains que le Seigneur nous tend pour nous serrer sur son cœur qui embrasse amoureusement  toute l’humanité.

                                   Claude Ducarroz


samedi 12 avril 2014

Méditation des Rameaux

Dimanche des Rameaux

Une petite phrase de quatre mots. Puis un grand cri. Et enfin le silence.

La phrase d’abord : Eli, Eli, lama sabactani. Un verset du psaume 22. Même pas des paroles personnelles : la citation d’un psaume, la prière d’un autre. Avec ce terrible « pourquoi », et le sentiment de l’abandon. Par Dieu lui-même.

Il y a quelque chose d’étonnant, voire de déconcertant, dans ces quelques mots relatés par l’évangéliste Matthieu. Dans la bouche de Jésus, le Fils de Dieu, on se serait peut-être attendu à des paroles plus vaillantes, plus édifiantes, plus confiantes. Eh ! bien non ! Il est là sur la croix, humain, très humain. Car sa divinité n’éteint pas son humanité. Elle l’exalte ; elle l’exaspère même. Il nous ressemble tellement ! Il souffre, comme un homme, et même davantage.

C’est déjà extraordinaire dans ce contexte : il s’adresse encore à Dieu. Il prie avec ces psaumes qui peuvent servir à tout, y compris aux questions les plus graves : pourquoi ?

Tout en le disant avec ce préambule qui change tout : Eli, Eli, mon Dieu, mon Dieu. Deux fois cette interpellation, comme l’enfant qui se tourne vers son père, parce qu’il ne comprend pas. Mais c’est encore et toujours à lui qu’il s’adresse. A qui voulez-vous que ce soit d’autre ? Il ne reste que lui, dans un élan fait à la fois de douleur désespérée et finalement d’abandon presque enfantin.

Car on a le droit de tout dire à Dieu, nous aussi, dans nos solitudes ici, dans nos deuils incompréhensibles, dans nos maladies imprévues, dans les cruautés de la guerre, de la faim, de la violence et du rejet.

Oui, le lui dire, même nos questions sans réponses, qui griffent l’intelligence et broient le cœur. Mais le dire à lui, à Dieu : Eli, Eli, mon Dieu, mon Dieu. Le dire en notre nom et au nom de tant d’autres qui n’y croient plus, qui ne savent plus que dire, qui ne prient plus. Comme on ose le répéter chaque fois au cœur de la messe en appelant le sang du crucifié, « versé pour nous et pour la multitude ».

Et puis un grand cri, de là haut, sur la croix. Le Verbe fait chair aurait encore tant à dire, mais il ne trouve plus les mots. La Parole est privée de parole. Il lui reste seulement ce qui contient tout, sans plus rien dire : le cri. Il avait encore prié. Maintenant il crie, avec un reliquat de voix sans signification autre que le cri lui-même.
Ce que seul Dieu, finalement, peut entendre et comprendre, comme un secret du Fils qui se jette sur le cœur de son  Père pour s’y déposer tout entier, dans une mort qui ressemble à un accouchement.

Dieu de Jésus Christ : écoute, entends, comprends les cris qui montent de notre terre labourée par les armes qui tuent, les égoïsmes qui affament, les pouvoirs qui oppriment, les orgueils qui excluent ou méprisent. On crie, Seigneur. On prie, mon Dieu, Eli, Eli.


Ouf ! Enfin le dernier souffle, et ce silence immense comme l’océan. C’est fini, ou plutôt tout commence et recommence. Quand le Sauveur expire, c’est infiniment plus que lâcher son dernier souffle. C’est le souffler sur le monde, sur nous.
C’est l’offrir comme un ultime cadeau. Jésus s’efface parce qu’il se donne entièrement. Dans ce souffle-là est caché quelqu’un, celui qu’on nomme aussi le souffle, l’Esprit Saint. Il y a de la Pâque dans cette mort, il y a de la Pentecôte dans cette expiration.

Jésus expire pour nous permettre enfin de respirer la vie éternelle, l’amour plus fort que tout ce qui le contredit. Une joie secrète soupire au creux de ces larmes, un parfum de divine tendresse transfigure les dernières gouttes de sang.

Et toujours ce silence qui enrobe tout de son mystère, comme dans le sein maternel de Dieu qui va bientôt donner naissance à la résurrection, celle de Jésus et la nôtre.

Et nous sommes tous là, au pied de la croix, d’une façon ou d’une autre. Avec toute l’humanité dans les douleurs de son enfantement.

Prions ! Crions ! Faisons silence !
« Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus. Nous célébrons ta résurrection. Nous attendons ta venue dans la gloire. »


                                                           Claude Ducarroz

lundi 7 avril 2014

Homélie du 4ème dimanche de Carême

Homélie du 4ème dimanche de Carême 2014

Ténèbres... lumière... ténèbres.
Et après, quoi ?
Notre vie est rythmée par ces expériences de base. Et ça nous mène où ?
Telle est la question, finalement.

Nous commençons dans les ténèbres, au creux de notre maman, dans le secret
bien gardé de son amour, près de son coeur silencieux.
Et, un jour -c'est le cas de le dire-, nous venons au jour, nous entrons
dans la lumière: notre naissance, suivie de peu par nos yeux qui s'ouvrent
sur le monde, émerveillés, à la découverte.

Durant toute notre vie, c'est ensuite une alternance, et, parfois un
combat, entre la lumière et les ténèbres.
Physiquement : l'obscurité , la nuit, le sommeil ;
                          puis l'éveil , le jour, la lumière.
Mais il y a  aussi en nous- et même au fond de chacun de nous- cette lutte
secrète- morale, affective, spirituelle-, entre les joies des heures
lumineuses et les larmes des temps nocturnes. Qui n'a pas passé, suivant
les événements, des ténèbres à la lumière et, parfois aussi de la lumière
aux ténèbres... au dedans, à l'intérieur ?

Avec l'âge- j'en fais moi-même l'expérience-, on a l'impression que les
ténèbres gagnent peu à peu sur la lumière.
Il faut des lunettes, on voit moins bien, et de moins en moins bien,
parfois jusqu'à la cécité, la solitude. Sans compter, évidemment, ce qu'on
appelle pudiquement, le sommeil de la mort, quand tout semble éteint, de
ce qui restait de vie. On nous ferme les yeux.

L’évangile de ce jour s'inscrit dans ce contexte, dans cette bataille en
nous, autour de nous, entre la lumière et les ténèbres.
Jésus guérit un aveugle-né, et tout est bouleversé dans sa perception de la
vie et même dans ses relations humaines. Il y avait d'abord en lui une
double nuit: il était aveugle depuis toujours et on l'estimait coupable.

Jésus lève d'abord la deuxième cécité: il n'est pas coupable. Une liberté
recouvrée, une dignité rendue. Tu es toi !
Et puis ensuite il y a la guérison physique: quand il revient de la
piscine, l'aveugle voyait. Car Dieu qui nous a mis au jour souhaite pour
nous des yeux ouverts sur les beautés de la création, sur les bonheurs des
relations d'amour.

Et là, dans cet évangile, c'est comme un deuxième combat. Tous
concourent à le renvoyer dans sa nuit: les pharisiens lui mettent les
bâtons dans les roues, ses propres parents n'osent pas témoigner pour sa
nouvelle clarté. Il est seul !
Le pauvre ! Il doit insister, convaincre, presque  lutter pour accréditer
le miracle lumineux dont il fut l'objet, le retour à la vue.

Et puis, peu à peu, il sent monter en lui comme une autre guérison, plus
intérieure, plus profonde encore. Plus spirituelle !
Il ne le sait pas encore: celui qui lui a ouvert les yeux, c'est celui qui
peut dire en toute vérité:
                                   " Je suis la lumière du monde."
Encore faut-il parcourir ce chemin d'illumination face à lui, ce qu'on appelle la foi.
Il franchit des étapes, il voit de plus en plus clair:
un prophète d'abord,  puis le Messie d'Israël, enfin le Fils de l'homme.
Et surtout ce beau geste, au plein midi de sa nouvelle foi:
                       " Je crois, Seigneur et il se prosterne devant lui"  L'adoration !

La foi, c'est ce qui fait de la Parole de Dieu une lampe pour nos pas, une
lumière sur notre route.
" Crois-tu au Fils de l'homme?
-  Et qui est-il, Seigneur ?
-  Tu le vois, c'est lui qui te parle."

Mais, me direz-vous, la foi ne résout pas tout. Croire, c'est encore
marcher dans une certaine obscurité! Ce n'est pas  évident. La lampe de la
foi peut aussi vaciller,  surtout dans les épreuves qui nous touchent et,
parfois nous laissent dans la nuit...une longue nuit. On ne sait plus où on en est.

C'est là qu'il nous faut accueillir une dernière promesse, cette fois pour
une illumination éternelle, au delà de la mort: la lumière de Pâques. Nous
le chanterons dans la nuit pascale pour la vivre vraiment après notre mort,
quand nous aurons fermé les yeux sur ce monde qui passe :
             " Réveille-toi, ô toi qui dors! Relève-toi d'entre les morts. Et le Christ t'illuminera » !

Dans la gloire de Dieu, à la suite de Jésus ressuscité, nous serons pour toujours debout dans la lumière de la vie et de l'amour.   Amen.


                                   Claude Ducarroz