jeudi 30 juin 2011

Pour un oecuménisme ouvert

Fleur de vie
Portes fermées
Anduze, dans le Gard. C'est le haut lieu du protestantisme des Cévennes, qui garde la mémoire des persécutions subies lors de la révocation de l’Edit de Nantes (1685). Il y a là, me dit-on, le plus grand temple de France. C’est pourquoi j’ai tenu à y aller pour me recueillir et prier. Pour l’unité des chrétiens, évidemment. Las! Le temple est fermé. Je me propose alors de faire halte dans l’église catholique, bâtie sur l’emplacement d’un temple détruit après 1685. Las! L'église aussi est fermée. Pas de chance pour la piété œcuménique!
La réconciliation des chrétiens est un devoir ardent qui doit mobiliser tous les chrétiens dans le souffle de l’Esprit d’unité. Il faut pour cela que nos cœurs et nos lieux confessionnels s’ouvrent les uns aux autres pour accueillir mutuellement les frères et sœurs encore trop séparés. Il faut aussi que nos Eglises et nos églises se tournent ensemble vers l’humanité entière en laissant grandes ouvertes les portes d’accès à l’Evangile commun et à la solidarité universelle. Si le merveilleux projet oecuménique suppose un rapprochement en profondeur entre les chrétiens et les Eglises, il implique aussi que nous soyons de plus en plus unis face aux défis à relever dans notre société. Finalement, c’est toujours une question d’amour. Et l’amour tend la main, ouvre les bras, accueille fraternellement pour dialoguer dans le respect.
Comme devraient le signifier nos églises de pierre si elles veulent traduire concrètement la mission des Eglises des cœurs et de la foi.
Pas seulement à Anduze, évidemment.

Exergue: L'amour tend la main, accueille fraternellement pour dialoguer dans le respect.

lundi 27 juin 2011

Saint Jean-Baptiste 2011

Saint Jean-Baptiste 2011

Je suis toujours étonné –et souvent émerveillé- de voir tout ce que les parents trouvent –et parfois inventent- pour annoncer la naissance de leur enfant. Et aujourd’hui, avec les nouveaux moyens informatiques, les faire-part sont souvent d’une originalité décoiffante.

La fête de ce jour, dans l’Eglise et surtout dans cette paroisse, c’est le faire-part de naissance d’un homme original, étonnant et souvent même décoiffant. Il suffit de penser qu’il se promenait vêtu de peau de bête. Et par ailleurs, dans ce quartier réputé pour ses restaurants gastronomiques, je vous recommande le « menu Jean-Baptiste » : des sauterelles et du miel sauvage. Bon appétit !
Plus sérieusement, nous fêtons la naissance de Jean-Baptiste, le précurseur de Jésus Christ, notre Seigneur. On pourrait évidemment dresser la liste de tous les évènements merveilleux -et même miraculeux- qui émaillent la venue de cet enfant-surprise.
La longue stérilité de sa mère, l’apparition de l’ange Gabriel à Zacharie, la conception en marge des lois ordinaires de la nature, l’enfant qui tressaillait dans le sein de sa mère quand Marie vint visiter Elisabeth, enfin la guérison du père à la naissance de son enfant : autant de traits qui nous paraissent étranges et qui, en réalité, rappellent d’autres naissances extraordinaires racontées de façon similaire dans l’Ancien Testament.

Je fais appel aux mamans et papas parmi vous : tout enfant n’est-il pas finalement un être merveilleux, un miracle de l’amour et de la nature, un cadeau du ciel, un fils ou une fille unique qui suscite l’émerveillement de ses parents et de ses proches ?
« Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis », chante le psaume 139.
En vérité, le mystère le plus fabuleux qui bat au cœur d’un enfant et brille dans ses yeux au point de susciter des larmes d’émotion dans les nôtres, c’est son avenir. Tous ceux qui voyaient le petit Jean, fils tardif d’Elisabeth et de Zacharie, étaient frappés et disaient : « Que sera donc cet enfant ? ».

Quel père, quelle mère ne s’est pas posé cette question au bord du berceau de son enfant, en le voyant sourire aux anges quand il dort dans la paix, plus encore quand c’est dans les bras de sa maman ? Pour Jean-Baptiste la réponse tient en une petite phrase : « La main du Seigneur était avec lui ». Tout est dit là, dans cette protection de Dieu, quoi qu’il arrive, et dans l’abandon qu’elle suscite entre les bras du Père, tendrement, joyeusement aussi. Avec toutes les surprises à venir.

Quel étrange destin que celui de ce petit Jean, devenu le Baptiste au bord du Jourdain ! Une vie entièrement conditionnée par la vie d’un autre, toute polarisée par celle de Jésus de Nazareth. Précurseur, témoin de la lumière, ami de l’époux, plus qu’un prophète, le plus grand parmi les enfants de la femme : ce sont les expressions de Jésus à son égard. Très positives, très élogieuses.
Mais dans le sens inverse, quand Jean évoque sa relation à Jésus, c’est tout le contraire. Il se met entièrement à l’ombre du Messie. Il ne veut pas qu’on le prenne pour un autre, il n’est pas digne de défaire la courroie des sandales de Jésus. Il faut qu’il diminue pour que Jésus grandisse. Il est comme l’astre de la nuit qui s’efface quand le soleil se lève à l’horizon. Et il ajoute même que là est toute sa joie, autrement dit dans son humilité. Une diminution qui ira jusqu’à la disparition, par la remise de ses disciples entre les mains de Jésus et finalement par le martyre en fidélité à sa mission de précurseur, rien de plus.
Aujourd’hui, nous rappelons et même nous ranimons le faire-part de naissance de cette paroisse dédiée à saint Jean-Baptiste. Je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir associé à votre fête. J’ose dire qu’elle me touche très personnellement puisque je viens d’une paroisse aussi dédiée à saint Jean-Baptiste, dans le réseau des sanctuaires et commanderies confiés aux chevaliers de saint Jean de Jérusalem fondés en 1113, devenus les chevaliers de Malte depuis 1530.
Toute ma vie religieuse s’est déroulée dans une église sœur de la vôtre, depuis mon baptême jusqu’à ma première messe. Je suis heureux et même un peu ému de pouvoir fêter avec vous votre glorieux anniversaire, les 500 ans de la fondation de votre paroisse, juste une année avant la fondation du chapitre de St-Nicolas, qui, lui, célébrera ses 500 ans l’an prochain.

Vous et moi, nous sommes donc, quelque part, les enfants évangéliques de Jean-Baptiste. Pour nous comme pour lui au jour de sa naissance, l’avenir compte encore plus que notre passé, si rempli qu’il fût d’évènements importants, notamment aux origines de cette paroisse, grâce au chevalier Pierre d’Englisberg dont votre présidente de paroisse rappelle le rôle décisif dans le mensuel Paroisses vivantes de juillet-août.

Notre avenir. Quel avenir, autrement dit quelle mission pour une paroisse comme la vôtre, et donc pour chacun de nous, car il n’y a pas de paroisse en dehors de ses paroissiens ?
C’est à la fois simple et exigeant : être des Jean-Baptiste dans l’Eglise et pour le monde d’aujourd’hui. Oui, plus que jamais, on cherche des Jean-Baptiste pour notre temps. Comme pour lui et avec lui, nous sommes notre mission.

Des baptistes, car tout part des énergies reçues lors de notre baptême. Autrement dit des chrétiens qui mettent leur vie au service du Royaume en étant des hommes et des femmes d’Evangile, là où ils vivent.
Oui, des chrétiens qui, comme on le signale souvent dans les images et statues évoquant Jean-Baptiste, montrent le Christ, désignent l’Agneau de Dieu, par leur façon de vivre au cœur du monde.
Ne cherchons pas des excuses ! Personne ne peut dire qu’il est trop pauvre, trop ignorant, trop âgé, trop timide -et même pas trop pécheur- pour être un Jean-Baptiste d’aujourd’hui.
Chaque jour, je m’émerveille des hauts faits du Seigneur dans l’humble humanité de disciples cachés dans les recoins d’un évangile mis en pratique. Rien n’est plus beau –et surtout plus nécessaire- que ces saintetés sans nom –mais pas sans visage- qui transpirent les Béatitudes. Ceux-là et -souvent celles-là- nous donnent envie, comme Jean-Baptiste, de suivre Jésus, de le faire connaître, de construire une Eglise renouvelée par l’Esprit-Saint, de favoriser une humanité qui respire un peu plus la fraternité, la justice, la paix.
« L’enfant grandit et se fortifiait », est-il dit dans l’Evangile de Jean-Baptiste, votre saint patron.
A l’occasion de votre bel anniversaire, chère paroisse de saint Jean, ce sont aussi les vœux que nous formulons devant Dieu pour vous : grandir en vous fortifiant.
Amen !

Claude Ducarroz, prévôt

mercredi 22 juin 2011

Paul ou Clément ?

Fleur de vie

Paul ou Clément ?

Pas de visite à Rome sans un pèlerinage dans les grandes basiliques. J’ai accompli consciencieusement ce pieux devoir. Une observation m’a sauté aux yeux, sur la base d’une comparaison entre les façades de St-Pierre au Vatican et de St-Jean au Latran.
Au Vatican, le pape Paul V, en 1612, a fait inscrire pompeusement son nom au centre de la façade qui domine la merveilleuse place St-Pierre, en ajoutant même son nom de famille, à savoir Borghèse. Rien pour Jésus-Christ. Par contre, sur la façade de la basilique St-Jean de Latran, le pape Clément XII, en 1735, a inscrit au milieu le nom du Christ Sauveur.
Vous me direz que c’est un détail non significatif. Vraiment ? Après le concile Vatican II, on attend surtout des papes qu’ils guident l’Eglise catholique vers une plus grande communion avec le Christ et son Evangile selon le vœu de l’humble et saint pape Jean XXIII. Le pape n’est-il pas le « serviteur des serviteurs » de Dieu ? A l’ère œcuménique, Jean-Paul II a senti cela. Dans une encyclique sur l’unité des chrétiens (1995), il a reconnu que la papauté devait passer par une profonde conversion pour que ce ministère puisse « réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres ». C’est une tâche immense, ajoute Jean-Paul II, que le pape ne peut mener à bien tout seul. C’est pourquoi il fit appel aux autres Eglises et chrétiens pour relever ce défi si important pour l’avenir de la chrétienté.
Tellement loin des pontifes obsédés par leur propre gloire au point de croire qu’ils devaient graver leurs noms dans la pierre…pour l’éternité !
1602 signes Claude Ducarroz

dimanche 19 juin 2011

Trinité et bataille de Morat

Homélie
Morat 2011

Vae victis ! Malheur aux vaincus !
Cette réflexion de l’historien romain Tite-Live pourrait donner le ton de cette célébration puisqu’il s’agit de commémorer une victoire militaire qui, nous disent les historiens, a fait peu de blessés parce qu’il y eut beaucoup de morts.

On pourrait trouver quelque chose de cet esprit dans le vitrail consacré à la victoire de Morat -le deuxième dessiné et mis en place par Mehoffer en 1897 déjà- qui montre l’archange saint Michel présentant la victoire aux confédérés, lesquels l’offrent ensuite à Notre-Dame des Victoires, non sans jeter à terre les drapeaux des vaincus. Comme vous le voyez : une ambiance patriotique mêlée de reconnaissance, de fierté et d’un certain mépris. Vae victis ! malheur aux vaincus !

Je me permets d’ajouter : Vae victoribus ! Car on sait comment la victoire de Morat non seulement a suscité ensuite parmi les confédérés glorieusement vainqueurs quelques graves problèmes dans le partage du butin, mais aussi généré des conflits tels qu’ils se trouvèrent au bord de la guerre civile, prêts à en découdre entre eux. Il a fallu l’intercession et l’intervention de frère Nicolas de Flue, l’ermite du Ranft, pour conjurer les démons issus d’une victoire mal assumée. C’est ce que rappelle le vitrail consacré à notre saint patron, vitrail posé à la fin de la première guerre mondiale, avec ce commentaire typique du deuxième Nicolas de notre histoire et de notre cathédrale : « La paix est en Dieu, car Dieu est la paix ». Et Fribourg est entré comme canton à part entière dans la Confédération suisse.

En fidélité à saint Nicolas de Flue, qui sut transformer une victoire problématique en une initiative de rapprochement et d’ouverture, nous ne devons pas faire de cette commémoration une hymne à la guerre, mais un hommage à la paix. Depuis 1848, la Suisse est en paix, malgré toutes les erreurs et les horreurs qui ont sévi à ses frontières. Quel inestimable cadeau ! L’Europe elle-même a enfin pu exorciser ses terribles démons nationalistes et impérialistes en promouvant et en réalisant un continent de paix. Merci à tous les Nicolas de Flue de cette noble épopée de pacification, de réconciliation et de collaboration. Dans le miracle européen, tous sont finalement victorieux, y compris les vaincus de jadis, car la véritable paix ne saurait exclure personne. Elle est le triomphe d’une fraternité universelle.

L’Eglise catholique célèbre aujourd’hui le mystère de la sainte Trinité, et toute cette liturgie lui est consacrée. Rien à voir avec la messe commémorative de la victoire de Morat, me direz-vous !

Détrompez-vous ! Nicolas de Flue, qui assura le meilleur « service après-vente » de notre dangereuse victoire, était un ardent adorateur du mystère trinitaire. Il a passé 20 ans de sa vie, dans le jeûne et le silence, à contempler le Dieu-Amour dans l’ineffable communion des trois personnes divines, toujours intimement unies dans leur merveilleuse diversité. Nous n’avons pas un Dieu solitaire, ni célibataire, mais un Dieu solidaire et symphonique. On comprend pourquoi Nicolas de Flue s’est laissé imbiber de cette présence enveloppante, non seulement pour parler de Lui comme étant la paix, mais pour s’inspirer de Lui quand il fallut l’établir et la rétablir.


La Trinité, c’est la parfaite réconciliation dans l’Amour de l’unité et de l’altérité, c’est l’union dans la différence, et l’éternelle réconciliation des trois personnes dans l’harmonie de la même nature. Il s’en suit une fécondité totale, et d’abord le partage d’une joie inaltérable entre les protagonistes divins, tous infiniment heureux de tout recevoir et de tout donner, de se recevoir et de se donner, en complète égalité de dignité et absolue transparence de gloire.

Celui qui croit à ce Dieu-là, comme l’apôtre laïc du Ranft, ne peut que rechercher la paix, même quand on est soldat, et Nicolas de Flue le fut. Puisque tous les humains, quelles que soient leur nationalité, leur origine ou leur culture, sont créés à l’image de ce Dieu-là, comment ne pas tout faire pour abolir barrières et frontières, tout en respectant les différences de personnalité au titre honorable de la variété humaine ? Comment ne pas s’appliquer à transformer tout ce qui pourrait nous séparer ou nous exclure, en occasion de nous enrichir dans la mise en commun de nos diversités ? Tels sont le dialogue et le partage, seuls capables de faire enfin de notre histoire le banquet d’une humanité multicolore, tellement plus vivante, tellement plus belle, tellement plus exaltante.
Alors –et alors seulement- on peut dire que les morts de nos batailles, qu’elles soient perdues ou gagnées, ne se seront pas sacrifiés pour rien.

Ce qui vaut pour la société civile, en particulier dans une configuration politique et culturelle aussi bigarrée que celle qui constitue la Suisse, vaut a fortiori pour les relations entre chrétiens et entre croyants.

Nous avons même eu nos guerres de religion, et déjà peu après la victoire de Morat. Aujourd’hui, c’est l’heure de l’œcuménisme, notamment dans notre canton, symbolisé par la présence à cette messe des autorités de Morat. Nous sentir non seulement proches, mais même frères et sœurs dans le même Seigneur, c’est un cadeau sans prix pour lequel nous devons aussi rendre grâces. Que voilà une belle victoire de l’Esprit de l’Evangile sur tout ce qui nous a jadis opposés et même séparés.

Un nouveau défi se lève à l’horizon par le brassage inévitable des populations. Il nous faut aussi réussir la cohabitation pacifique –et même mieux si entente- avec de nouvelles religions, par exemple l’islam, à partir de nos valeurs communes, celles qui fondent un vivre-ensemble pacifique dans un état démocratique pluraliste.
Il y a encore de la place pour des Nicolas de Flue du troisième millénaire, afin que non seulement nous parvenions à vivre sereinement tous ensemble dans notre si beau pays, mais que nous soyons les apôtres de cette coexistence fraternelle dans ce monde globalisé où nous avons aussi une mission à remplir, sans orgueil certes, mais sans mauvaise peur non plus.
Aujourd’hui plus que jamais retentit à nos oreilles cette invitation de l’apôtre Paul, proclamée tout à l’heure : « Encouragez-vous ! Soyez d’accord entre vous ! Vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous ! »
Une grâce, mais aussi une promesse et donc une mission. La nôtre.
Oui, comme a dit Jésus, « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. »
Ni vainqueurs ni vaincus. Mais « shalom » pour tous !

Claude Ducarroz

jeudi 16 juin 2011

Un curé protestant

Fleur de vie

Un curé protestant

Dans un village fribourgeois. Le nouveau curé vient d’arriver. Les commentaires vont bon train. D’autant plus que l’ecclésiastique est un vaudois pure souche. A la sortie de la messe, une paroissienne a ce commentaire décoiffant : « Notre nouveau curé m’a l’air bien sympathique. Mais c’est dommage qu’il soit protestant ! » Pour cette ouaille un peu sommaire, un vaudois ne peut être que protestant, même s’il est prêtre de l’Eglise catholique.
Au-delà de la boutade, ne sommes-nous pas tous guettés par des préjugés qui plongent leurs racines dans les héritages de histoire et surtout dans l’étroitesse de nos esprits ?
N’avez-vous jamais entendu dire –et qui peut affirmer qu’il ne l’a jamais au moins pensé ?-que tous les réfugiés sont des profiteurs, tous les Roms des voleurs, tous les Albanais des trafiquants, tous les Africains des paresseux, tous les musulmans des intolérants ? On pourrait allonger la liste, sans aller chercher des exemples au-delà de nos frontières. Que ne dit-on pas les uns des autres entre cantons, entre confessions, entre catégories sociales ? C’est ainsi que ces généralisations abusives engendrent des méfiances, voire des exclusions.
Les véritables humanistes ne peuvent que lutter contre tous les jugements globaux parce que chaque personne a droit à des regards de bienveillance et à des appréciations objectives. L’enjeu est grave : la possibilité de vivre ensemble dans la paix en ce monde.
Rassurez-vous, Madame. Votre curé est bel et bien catholique, mais avec l’esprit œcuménique.
Tiens ! Il me semble que j’ai écrit un « mais » de trop !
1609 signes Claude Ducarroz

samedi 11 juin 2011

Pentecôte 2011

Homélie
Pentecôte 2011
10 ans + Jacquy

Du vent et du feu. Mélangez le tout. C’est un incendie. Il y a beaucoup trop de pompiers en ce monde. Il nous faut des incendiaires. Des incendiaires de l’Esprit-Saint, des pyromanes de l’Evangile, des boute-feu de Jésus-Christ.
Calfeutrés dans leur Cénacle, paralysés par la peur, les apôtres étaient plutôt éteints, même s’il est dit que, « d’un même coeur, ils étaient en prière avec quelques femmes dont Marie, mère de Jésus, et avec ses frères. »
C’est dans ce contexte, priant mais frileux, que l’Esprit-Saint les a surpris, dans le bruit, le vent et le feu. C’est le grand chambardement de la Pentecôte. Car toute la maison fut remplie d’un puissant tintamarre et ils furent tous remplis de l’Esprit-Saint. Pour les apôtres, tout a basculé ce jour-là, comme tout avait basculé pour Jésus de Nazareth un certain matin de Pâques. Ils ne se sont jamais guéris de cette révolution spirituelle.
Mais ne l’oublions pas : nous sommes, nous aussi, les enfants du grand tsunami de la Pentecôte. Oui, nous sommes re-nés d’en-haut, nés de l’eau et de l’Esprit, à l’instar des apôtres, nous qui avons été baptisés, comme dit Jésus, « dans l’Esprit-Saint et dans le feu. Ce feu dont il désirait tant l’irruption : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, disait-il, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! »

L’incendie de Pentecôte a d’abord bouleversé l’existence des apôtres, les premiers exposés aux radiations de l’Esprit. Ils reçoivent des dons qui leur permettent de se faire comprendre par des auditeurs très différents, chacun pouvant s’exprimer dans sa propre langue tout en étant compris des autres. C’est l’exact contraire de l’épisode de la tour de Babel, quand la confusion des langues a jeté la discorde parmi les hommes par impossibilité de la communication.
* Ils sortent de leur chapelle en forme de refuge douillet pour débouler sur la place publique, en pleine foule, au grand vent du monde, exposés qu’ils sont désormais aux risques et au dangers de la confrontations avec n’importe qui, y compris les indifférents et les hostiles de service.
* Pierre en tête, ils osent annoncer l’évangile de Jésus-Christ, autrement dit les mystère d’un crucifié ressuscité, comme le fera plus tard un certain Paul de Tarse, investi, lui aussi, par le même Esprit sur le chemin de Damas. Jusqu’à Athènes et finalement à Rome, il ne cessera de proclamer, comme il l’écrit à la petite communauté chrétienne de Corinthe : « Nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour tous ceux qui sont appelés, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. »

Ceux et celles qui sont appelés, à savoir les enfants de la première Pentecôte, c’est l’Eglise, autrement dit ceux « qui ont été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps ». * * Ce furent les premiers croyants, ceux qui eurent le cœur transpercé par le premier discours de Pierre à la foule sur une place de Jérusalem et qui se firent baptiser au nom de Jésus pour le pardon de leurs péchés, non sans recevoir, eux aussi, une bonne ration d’Esprit-Saint.
* Ce furent ensuite, tout au long des siècles, l’immense cohorte de celles et ceux, les saintes et les saints, connus et inconnus, et la plupart glorieusement anonymes, qui, au milieu de toutes les tempêtes de l’histoire, n’ont jamais cessé de respirer avec le souffle de l’Esprit et d’illuminer le monde avec la flamme de l’Evangile.
Bien sûr, l’Eglise de tous les temps est faite de pécheurs. Il eut aussi, dans sa marche historique, des boiteux, des paralysés, des infidèles et même des scandaleux et des contre-témoins. Mais jamais, à aucun moment de son pèlerinage en ce monde, il n’a manqué à l’Eglise des enfants de Pentecôte qui sont partis au large de la sainteté en déployant les voiles de leur humanité pour les ouvrir et les offrir au souffle de l’Esprit.
C’est pourquoi cette Eglise, composée de toutes les variétés humaines, a traversé les siècles, conformément à la promesse du Christ qui dit à ses apôtres avant de souffler l’Esprit sur eux : « Allez donc… Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »

Cette Eglise, aujourd’hui, c’est nous, les fils et les filles de la Pâque et de la Pentecôte en ce début du troisième millénaire.
* Nous sommes d’abord des héritiers reconnaissants pour celles et ceux qui nous ont précédés et qui, sans être parfaits, nous ont légué un si précieux trésor : l’évangile de Jésus, la foi chrétienne, une religion d’amour, de justice et de paix.
* Nous devons être ensuite des pratiquants conséquants. Si l’héritage reçu gratuitement nous aide vraiment à vivre comme des hommes et des femmes debout parce que créés à l’image de Dieu, nous ne pouvons que donner le témoignage d’une vie de piété dans l’Eglise et de fraternité dans la société, malgré nos faiblesses.
* Enfin nous devons tout faire pour que ce trésor soit offert à celles et ceux qui viennent après nous –à commencer par nos enfants et petits-enfants- afin que l’évangile sauveur continue de les éclairer sur leur route, de les réchauffer dans leur cœur, de les consoler dans leurs épreuves et de les conduire dans la vie éternelle. En respectant leur conscience, évidemment, mais aussi en leur donnant envie de goûter au savoureux banquet de la foi, de l’espérance et de l’amour, qui sont les fruits toujours actuels de l’Esprit-Saint.

Parmi nos compagnons de route, à qui nous devons tant, il y eut celles et ceux qui nous précèdent dans la maison de Dieu. Alors que tant de pompiers essayent d’éteindre les feux bienheureux de l’évangile et de la religion dans notre société, ils furent auprès de nous des incendiaires bienfaisants, par leur existence même à nos côtés, par le rayonnement de leur foi, par la chaleur de leur amour et de leur amitié, par leur compagnonnage délicieux et joyeux.
Sans oublier beaucoup d’autres bien sûr, aujourd’hui, après les 10 ans d’une absence qui demeure douloureuse pour ceux qui l’ont connu et aimé, je veux simplement évoquer avec reconnaissance mon cher frère Jacquy. Pour faire mémoire de lui en lui disant merci. Et aussi en remerciant les parents qui nous l’avaient donné en cadeau tardif et d’autant plus merveilleux. Et finalement en rendant grâces au Dieu des vivants et des morts qui a ressuscité Jésus et nous ouvre l’espérance d’un revoir dans le royaume, notre unique consolation.
Encouragés par la mystérieuse présence de nos défunts dans la communion des saints, et toujours exposés au grand vent de l’Esprit de Pentecôte, bien nourris par la Parole et le Pain de la messe, continuons de voguer ensemble sur le bateau de l’Eglise, à la rencontre du Seigneur qui est, qui était et qui vient.

Claude Ducarroz

vendredi 10 juin 2011

Portraits romains

Fleur de vie

Portraits romains

A Rome, quelques jours après la béatification de Jean-Paul II. Partout des portraits du nouveau bienheureux, présenté dans des attitudes très humaines, avec quelques phrases sympathiques. Je remarque aussitôt d’autres portraits, souvent affichés à proximité des panneaux en hommage à Jean-Paul II. Les Eglises protestantes de Rome ont mis en évidence des photos de personnes souffrant actuellement d’exclusion. Ainsi des réfugiés, des Roms, des marginaux de toutes sortes, avec quelques slogans très interrogateurs pour la conscience des passants.
Y a-t-il eu, dans l’initiative des protestants de Rome, une volonté « affichée » de concurrencer la vague publicitaire autour de la figure du pape ? Je n’en ai aucune preuve. Et puis finalement ce face à face entre Jean-Paul II et les plus pauvres de notre société me semple une très bonne chose. Jean-Paul II n’a-t-il pas sans cesse appelé les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté à leur devoir sacré de solidarité et de respect ? Au moment où une certaine gloire papale s’affiche un peu partout, n’est-il pas opportun de rappeler que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », comme l’écrivait l’évêque saint Irénée au 2ème siècle déjà ? Oui, l’homme debout dans sa dignité respectée, quel qu’il soit, à commencer par les plus petits et les plus pauvres, ceux qui sont souvent les méprisés de notre société avant de devenir les oubliés de l’histoire.
Le désormais « bienheureux Jean-Paul II » souriant à un requérant d’asile libyen débarquant à Lampedusa : je trouve ça très évangélique.
1575 signes Claude Ducarroz

mercredi 1 juin 2011

Homélie pour l'Ascension

Ascension 2011

« Je ne sais pas comment ça va se passer, mais je sais où je vais ! »
Sur son fauteuil roulant, la petite dame qui me dit cela - elle s’appelle Marie-Claire- vient de fêter ses 92 ans. Dans ses yeux malicieux, je devine une légère angoisse, aussitôt compensée par la fermeté de sa foi. Même quand on est largement nonagénaire, la mort recèle encore sa charge d’anxiété, ne serait-ce que parce que personne ne peut faire appel à son expérience personnelle pour exorciser cette peur.
Reste toujours l’autre question : et après ? Y a-t-il quelque chose ? Peut-être quelqu’un ? Finalement, où mène ma vie, celle qui va inexorablement s’achever ici-bas ? Comment interpréter tous ces désirs d’éternité qui soulèvent toute destinée humaine, quand des éclairs de vrai bonheur issu d’un grand amour zèbrent mon existence à la manière d’un mystérieux et délicieux orage intérieur ?
La réponse à cette question universelle est impossible à trouver uniquement en soi-même. Si elle existe, il nous faut la recevoir comme un cadeau, à l’instar de cette vie –la mienne, la vôtre- qui nous fut donnée dans une totale gratuité, sans même que nous ayons été consultés.

Mais aujourd’hui, j’ai une bonne nouvelle, pour moi et pour vous, et d’abord pour Marie-Claire. Le Dieu, Père de toute gloire, a ressuscité Jésus d’entre les morts. Aujourd’hui, il est monté au ciel, il est assis à la droite de Dieu, non sans nous avoir adressé une promesse qui change tout, et la vie et surtout la mort : « Je vais vous préparer une place… Là où je suis, vous serez aussi avec moi ! »
L’ascension n’est pas seulement le point d’orgue de l’existence personnelle de Jésus de Nazareth, une sorte d’exploit unique au championnat du monde de l’éternité, admirable mais inimitable. Non. C’est comme « premier-né d’une multitude de frères et sœurs » –nous tous- que Jésus est entré corps et âme dans la gloire du Père. Notre premier de cordée est parvenu au sommet, mais il attire et tire à lui, dans le même bonheur éternel, celles et ceux qui veulent bien le suivre. Oui, tous ceux qui croient que son amour crucifié et ressuscité peut nous amener, nous aussi, jusque dans cette mystérieuse maison de Dieu, là où il y a d’innombrables demeures, et donc de bonnes places pour beaucoup de monde, puisque nous serons logés dans le cœur même de l’Amour majuscule.

Je le sais : beaucoup estiment que c’est trop beau pour être vrai. Il ne faut pas s’en étonner. On peut même le comprendre. Parmi les apôtres qui avaient entendu Jésus leur promettre la vie éternelle, qui l’avaient vu ressuscité, comme il est rappelé dans l’évangile de ce jour, «certains eurent des doutes », si ça peut rassurer celles et ceux qui hochent la tête ou se posent encore de nombreuses questions.
Nous sommes ainsi faits qu’il nous arrive de préférer des petites lumières à notre portée, quelques lumignons allumés par nous dans la nuit, plutôt que d’accueillir le soleil qui nous est offert gratuitement. Et pourtant tout en nous, finalement, aspire à l’éblouissante rencontre pascale qui seule peut combler notre soif infinie de bonheur et d’amour.
Oui, nous sommes faits pour l’océan, mais nous courons après des ruisselets. Dans le mystère de l’ascension, Jésus nous ouvre le passage vers l’océan de la vie de Dieu. Et il nous invite à voguer avec lui vers le large de l’amour infini du Père pour tous ses enfants…que nous sommes.
Oui, mais en attendant, quoi ? Bonne question, n’est-ce pas ? Ou alors la religion redevient, comme disait Karl Marx, « le soupir de la créature accablée et finalement l’opium du peuple ».

Dans le récit de l’ascension au livre des Actes des apôtres, deux hommes vêtus de blanc sont venus inviter les disciples, qui gardaient leurs yeux fixés vers le ciel, à revenir sur cette terre, en attendant le rendez-vous de l’éternité : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel » ?
Dieu sait si les évangiles, et par conséquent le Christ, ne cessent de nous rappeler que la perspective du Royaume des cieux -notre ultime destinée- ne doit jamais nous détourner de notre incontournable vocation sur cette terre. Les promis à l’éternité doivent chanter toute la gamme des missions d’amour qu’exige notre présence ici-bas, à travers tant de solidarités humaines, notamment à l’égard des petits, des exclus, des pauvres et des souffrants de toutes sortes.
Et aussi bien sûr, en collaborant à la construction de l’Eglise, ce corps dont le Christ glorieux est la tête, dans la variété des ministères et services. Car cette Eglise doit à la fois annoncer et faire comprendre les dimensions de l’espérance ouverte par
l’ascension de Jésus – « la gloire sans prix de notre héritage »- et inciter sans cesse les chrétiens à mettre en pratique, ici et maintenant, le commandement de l’amour fraternel universel.

Deux expériences récentes, auprès de mourants qui croyaient à la vie éternelle, m’ont rappelé que le Seigneur de gloire veut enraciner notre merveilleuse espérance dans le terreau de cette vie. Je disais au revoir à un ami qui s’en allait et ses dernières paroles, péniblement arrachées à sa faiblesse, se sont résumées en un seul mot : « Vis ! » Et la semaine passée, une dame très âgée, devant sa famille rassemblée pour l’adieu –l’à Dieu- a exprimé son ultime testament par ces mots étincelants : « Je vous aime ! Aimez-vous ! »
Vivre et aimer, vivre en aimant : c’est le chemin qui mène à notre ascension parce que c’est le chemin emprunté par le premier des ressuscités, celui qui nous guide, nous accompagne et nous attend.
Amen



Claude Ducarroz

Claude Ducarroz

Le tatoué

Fleur de vie

Le tatoué

Le retour des beaux jours réchauffe les corps et réjouit les cœurs. Avec quelques effets collatéraux, par exemple le dévoilement de certaines anatomies. Ce dépouillement m’a permis d’accéder l’autre jour à la connaissance d’une sagesse imprimée sur l’avant-bras d’un jeune homme particulièrement en verve. Il avait tatoué cette phrase sur sa peau hospitalière à une certaine philosophie : « Chaque heure nous blesse. » J’avoue avoir souri. Et puis j’ai réfléchi.
Le temps qui s’impose à nous, dans le déroulé implacable de ses heures, ne nous laisse jamais intacts. Nous croyons maîtriser le cours de nos vies, dans la joyeuse prétention de mener notre existence au gré de notre volonté. En fait, ne sommes-nous pas vulnérables aux évènements qui constituent la trame inexorable de nos journées ? Que devenons-nous dans le tourbillon des semaines et des mois qui nous sont offerts en même temps qu’ils nous sont comptés ? « O temps, suspends ton vol », écrivait Lamartine en songeant aux heures passées au bord de son lac. Car à peine les avons-nous réveillées dans notre mémoire, ces heures heureuses ou malheureuses nous ont déjà emportés dans la nostalgie du souvenir ou la blessure des regrets. Quelques unes, dans l’humble joie d’un merci.
Et voici que le prophète Paul vient écrire autre chose sur le parchemin de notre destinée, en lettres de feu, comme un message d’espérance imprimé dans notre cœur : « L’amour ne passera jamais. » Aimer, c’est marquer nos heures à l’encre indélébile de l’éternité, c’est graver du divin sur la peau de notre temps, c’est déjà vivre en promis de la Pâque.
1618 signes Claude Ducarroz