mardi 18 février 2020

Pour + Paul Jubin

+ Paul Jubin


Paul et Béatrice. Ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre.  Pouvaient-ils mourir l’un sans l’autre ? Oui, mais pas longtemps. Béatrice a quitté Paul le 29 novembre dernier. Et ce dimanche, Paul a appelé : Béa. Mamie. Elle était là.
 Paul nous a aussi quittés. C’est à la fois notre tristesse – un grand vide parmi nous-  et notre consolation – ils étaient inséparables, ils se sont retrouvés, ils sont réunis par Dieu et en Dieu-.

Quand j’ai annoncé la mort de Paul à quelqu’un qui le connaissait bien, il m’a dit : Voilà quelqu’un qui n’est pas rentré les mains vides. Plein les mains, plein l’esprit, plein le cœur : la vie, sa longue vie.
Quelle vie ! Paul fut un grand vivant, et jusqu’au bout, au milieu de nous. Trois jours avant sa mort, il jouait encore aux cartes, dans sa soif de relations humaines, malgré son chagrin. Pas seulement pour troubler sa nouvelle solitude, mais pour faire du bien aux autres.
Il aimait la vie, il rendait les autres plus vivants, notamment en leur disant merci. Je l’ai vérifié moi-même : il était très reconnaissant, de vivre, de vivre avec et pour les autres, à commencer par sa famille évidemment (Marie, Dimitris, Lea et Yannis, merci de lui avoir bien rendu jusqu’à la fin ce qu’il vous avait donné si affectueusement avec Béatrice.)
 Et aussi avec des amis très fidèles, qui mesurèrent la grâce d’avoir connu et rencontré sur leur chemin un tel personnage, un tel humain, un tel chrétien.

Il s’appelait Paul, ce n’était pas un hasard. Comme Paul de Tarse, jusqu’à Rome mais en passant par Jérusalem, Paul Jubin fut le disciple du Christ en mettant ses pas dans ceux du grand apôtre. On peut relire son pèlerinage en ce monde en donnant la main à son saint patron missionnaire.

Tarse, pour Paul Jubin, à savoir ses racines, c’était son Jura natal. Il a aimé cette terre, cette patrie qui gonfla son cœur d’affections fidèles, d’engagements libérateurs, de poésies qui marient si bien la beauté et la bonté. Certes il ne se sentait nulle part en exil, parce que son  humanité était capable d’accueils larges et de fraternités sans frontières. Mais il est resté jurassien, avec sa Béatrice Fleury dans le jardin des Franches Montagnes. Avec le Doubs qui rencontrerait la Sarine pour un beau mariage de culture et de foi.

Comme celui de Tarse, Paul Jubin est aussi monté à Jérusalem, le lieu de la communion avec le frère Jésus, le Seigneur. On ne comprendrait pas le secret du Paul –comme on dit à Saignelégier- si l’on ne s’attardait pas avec lui à Jérusalen et environs, la patrie de sa foi profonde, le lieu  d’une Eglise toute remuée par les énergies de Pentecôte.
Le mystère pascal, cette passion de donner de la vie, de donner sa vie par amour, les voilà qui ont tellement vibré dans le sang humain de Paul, avec la présence, importante mais humble, de sa bien-aimés au doux nom de béatitude.
L’évangile, comme le disait la première lecture, pas en paroles ni par des discours, mais en actes et en vérité. Et en prière aussi. Oui, cette bonne nouvelle qui apaise le cœur, mais surtout fait passer, non pas de la vie à la mort, comme on le voit si souvent dans l’actualité du monde, mais de la mort à la vie.
 Je le pressentais quand Paul fermait ses beaux yeux pour les ouvrir déjà ailleurs, devant le grand vivant de la gloire.  Car là où je suis, promet Jésus, là aussi sera mon serviteur. Dans la Jérusalem céleste. Alors du ciel vint une voix qui disait : Je le glorifierai encore. C’et fait.

Il faut encore parler, à l’instar de l’apôtre à Rome, du Paul  Jubin des grands espaces et des larges horizons, celui qui non seulement a marché sur des longues routes, mais qui a entrainé avec lui de nombreux voyageurs en quête d’une nouvelle humanité à l’image de l’homme nouveau, le pascal de toujours.
 Les racines de Paul Jubin ne l’ont jamais empêché d’avoir des ailes magnifiquement déployées sous le vent de l’Esprit missionnaire. L’ile de la Réunion, puis l’animation de Frères sans frontières et finalement l’Action de Carême : tout fut pour lui invitation aux voyages, pas pour le tourisme de la consommation, mais dans l’élan de la révolution évangélique, donc profondément humaine parce que divinement inspirée.
Tant de personnes parmi nous pourraient dire actuellement ce qu’elles doivent à Paul Jubin, appuyé sur la complicité de Béatrice, dans leur cheminement de solidarité concrète vers les frères et sœurs, au loin ou ici, tous embrassés d’un même regard d’ample fraternité.

Il n’y a pas de plus grande reconnaissance pour ce frère ainé, ni plus de fidélité à sa mémoire, que de continuer maintenant le combat humain et chrétien, dans notre contexte actuel, celui que Paul suivit jusqu’au bout avec beaucoup de curiosité et de sympathie, chez nous et jusqu’au bout du monde. Oui, la lutte, non violente mais résolue, pour exiger la justice, promouvoir la liberté, accueillir les migrants, aider les souffrants et nécessiteux, sauvegarder la nature, transformer la société et aussi construire une Eglise œcuménique et inclusive. C’était Paul. Ce doit être nous tous maintenant.

Tels sont les grains de vie, les semences d’Evangile que Paul a déposés dans nos mains et dans notre cœur avant de partir, pour que nous les répandions partout où nous sommes, afin que, comme dit Jésus, le semeur se réjouisse en même temps que le moissonneur.


                        Claude Ducarroz

mardi 11 février 2020

Reste la beauté

…et il reste la beauté !

            L’hiver, c’est froid, c’est humide, c’est gris, c’est long. Surtout quand il manque la neige qui devrait ajouter un brin de poésie sur ces paysages mornes et dénudés. Vivement le printemps ! Mais il ne s’agit pas de déprimer en attendant. Merci pour le conseil, car j’allais l’oublier : il reste toujours la beauté, celle qui est « hors saison », autrement dit : de toutes les saisons.

            Dans la nature d’abord. Sous le soleil -même quand il est un peu pâlot- campagnes, lacs et montagnes chantent encore le charme discret de la vie. Des écharpes de nuages peuvent essayer de camoufler nos glaciers, des trouées de lumière ne les rendent que plus sublimes. Et dans le jardin de la voisine, des légumes d’hiver montent la garde comme des soldats de l’espérance invincible. Il y a encore des réserves de féérie dans notre univers glacé.
            Et puis vient la culture, quand les sons de la musique, les couleurs des peintures et les subtilités des nourritures terrestres collaborent à l’enrichissement de l’esprit et à l’enchantement de l’âme. Un concert, et tout est réparé. Une exposition, et tout est transfiguré. Une lecture, et tout est compensé. Il y a de la pâque dans les yeux, dans les oreilles, dans le cœur. On survit ou on revit à un autre niveau. Merci, les artistes !
            Il y a surtout les relations humaines. Dans la bonté, il y a toujours aussi de la beauté. Ce papa dans le train qui berce son enfant, cette caissière de magasin qui répète à chacun avec le sourire un bonjour non commercial, ce couple d’aînés qui se donnent la main comme au premier jour, ces jeunes qui défilent pour le climat en criant des slogans chauds : qu’y a-t-il de plus beau que des humains liés et reliés par l’amour ou l’amitié de petite monnaie ?

            Et dans l’Eglise, me direz-vous ? C’est un peu l’hiver de la nuit et du brouillard si l’on en croit certains médias friands de gros titres noirs. Il faut le reconnaître : notre Eglise ne respire pas la beauté dans les images qu’elle donne actuellement d’elle-même, ou celles qu’on se plaît à lui renvoyer. Mais là aussi, il faut creuser plus profond, peut-être en fermant les yeux.
            Qui dira la beauté du chrétien qui prie dans le silence d’une église habitée par le Christ-Eucharistie ? Qui comprendra le geste de celui ou celle qui va visiter des personnes âgées au nom de sa foi humaine et chrétienne ? Qui saura jamais ce qui veille et vibre au cœur de nos liturgies, que ce soit dans la splendeur des rituels solennels ou dans la simplicité des recueillements discrets ? Qui verra le scintillement des yeux penchés sur la page biblique quand la Parole se révèle dans la divine surprise d’un verset qui redit l’Amour incarné ? Qui mesurera l’émotion du croyant soudain bouleversé lorsque retentit le Requiem de Mozart ou resplendit l’Annonciation de Giotto ?
            Ainsi s’avance l’Eglise en boitant, celle des hommes et des femmes de foi, d’espérance et d’amour, qui re-boivent sans cesse aux sources de l’Esprit et ruminent à nouveau l’Evangile de l’humble beauté christique.

            Puisque tout est Grâce, tout peut aussi devenir Beauté.

                                                                                  Claude Ducarroz
A paru sur le site  cath.ch