jeudi 24 mars 2016

Pour Pâques

Laisse-toi « pâquer »
Jean 20,1-9.
Partout la mort. C’est du moins l’impression que l’on ressent quand on consulte les médias. Il y a les morts dites « naturelles », mais surtout il y a la mort infligée si cruellement par les haines, les violences, les injustices des hommes. Et puis je sens bien que je suis moi-même mortel. Comme vous d’ailleurs.

C’est un peu dans cette ambiance que défilent quelques personnes au petit matin dans le tombeau d’un certain Jésus de Nazareth deux jours après sa crucifixion. Les femmes cherchent à accompagner le mort un peu au-delà de sa mort, comme pour atténuer la tragédie, à coups de souvenirs, de larmes et d’onguents sur le cadavre. Quant aux deux apôtres Pierre et Jean, dans un premier temps, ils ne remarquent que des reliques « mortelles » : des linges, le suaire.

Qui pouvait imaginer qu’il y eut une vie encore possible après cette mort horrible ?
Et pourtant c’est arrivé. Dans cette atmosphère de deuil, dans ce champ de ruines, voici qu’a surgi l’impensable, l’incroyable : la résurrection de Jésus. Il y a donc une vie possible après la mort. Il y a donc à l’œuvre en ce monde une force plus puissante que tout ce qui peut conduire à la mort, au néant, au rien. Une chose est maintenant certaine parce qu’elle a été éprouvée et vérifiée : quelqu’un qui était mort –mort et enterré- est bel et bien revenu à la vie. Une vie meilleure puisqu’elle a débouché sur la vie éternelle dans la gloire.

Et ça change tout. Pour Jésus d’abord, c’est évident. Mais pas seulement. Aussi pour nous. Pour toi.

En effet, heureusement pour nous, le ressuscité n’est pas du genre égoïste, qui jouirait de son privilège tout seul dans son coin divin. Il est le premier d’une longue cordée, dont nous sommes tous. Ce qu’il a vécu en sa personne, il nous offre de l’expérimenter nous aussi, à savoir une vie bienheureuse au-delà de la mort sous la forme de la résurrection. Promesse garantie par ce qui s’est passé un certain matin de printemps près de Jérusalem. Promesse qui, certes, demeure bien mystérieuse, tant la mort partout nous semble encore inéluctable et victorieuse. On comprend que les premiers témoins aient eu de la peine à y croire. Comme beaucoup parmi nous.

C’est vrai : la résurrection est un cadeau qui dépasse notre entendement. Mais pourquoi serait-il un leurre si c’est Dieu qui nous l’offre, lui le Vivant, lui la Source de toute vie ? C’est quand Dieu est trop beau qu’il est vrai, c’est quand il est trop bon qu’il nous faut l’accueillir en pleine confiance.

Et nous laisser « pâquer » par le ressuscité Jésus, dit le Christ.

                                                                                                          Claude Ducarroz

A paru sur le site  www.cath.ch

mercredi 23 mars 2016

Pour le Jeudi Saint

Jeudi  Saint 2016

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
Autrement dit : on n’a pas encore tout donné tant qu’on ne s’est pas donné soi-même.

Il l’a dit, il l’a promis.
Il le fera, entièrement et définitivement, demain sur la croix, à cœur ouvert, jusqu’à la dernière goutte.

Il le fait déjà ce soir, la veille de sa mort. En apéritif mystique de demain. Et surtout pour après-demain, pour l’Eglise, pour nous.

L’eucharistie, c’est lui, tout lui, donné, partagé, mangé. « Prenez, mangez et buvez » : c’est moi pour vous, jusqu’au corps livré, jusqu’au sang versé. Tout pour vous et pour la multitude.

L’ambiance est austère –ce n’est pas une veillée comme les autres, car se profile déjà l’ombre de la croix. Les paroles sont graves, c’est un discours d’adieu, plein d’émotion. Et les gestes sont démesurés : «… il les aima jusqu’au bout ». Le divin jusqu’au-boutisme de l’amour ! En paroles et surtout en actes.

Il aurait pu en rester là, dans une sorte de dernière soirée –à la fois pathétique et mystique-avec ses petits copains d’évangile, dans l’intimité de la chambre haute. Eh ! bien non. La cérémonie est piégée par cette petite phrase : « Faites, refaites cela en mémoire de moi. »

La scène liturgique semble un point d’orgue, avant un silence définitif. La sainte cène prend le relais : c’est le commencement de l’eucharistie, pour la suite des temps. Et pour nous ce soir. Car l’humanité entière –la multitude- était comme cachée sous la table, et maintenant elle est invitée à cette même table, elle prend place : « Prenez et mangez-en tous. »
Pour le même corps livré, pour le même sang versé. Pour lui en nous. Pour la communion.

Mais attention. On pourrait en rester là, dans le réchauffement d’une liturgie, si profonde qu’elle soit puisqu’elle nous donne Jésus vivant, si belle qu’elle soit puisque la piété et les cultures l’ont habillée de multiples splendeurs, comme ce soir.
Car un corps  -celui de Jésus auquel on dit Amen quand on nous le présente- peut en cacher deux autres que nous risquons d’oublier. Deux autres, pas exactement : deux variantes du même corps d’origine, toujours celui de Jésus.

D’abord le corps du Christ qu’est son Eglise. Il n’y a pas d’eucharistie vraiment christique dans l’individualisme religieux, dans l’égoïsme pieux. Il faut une communauté croyante, et si possible fervente, pour accueillir le cadeau du corps et du sang de Jésus, et déjà pour le célébrer dans la riche variété des signes et des rites.

Au service de cette communauté, il y a des ministères  - dont celui du prêtre évidemment-,  tous prolongements des fonctions des apôtres à des titres divers. Mais attention : pas pour nous inscrire lâchement au chômage catholique, mais pour nous aider, chacun de nous, à être un membre vivant et si possible actif de ce grand corps social qu’est l’Eglise.
Oui, faire corps avec Jésus tous ensemble, pour recevoir le corps de Jésus, parce que, si l’eucharistie fait l’Eglise, c’est aussi en Eglise que l’on fait l’eucharistie.

Et deuxième attention. Était-ce avant ou après la première sainte cène : peu importe. « Refaites cela en mémoire de moi » : Jésus l’a aussi dit pour le lavement des pieds.

Même si nous le refaisons ce soir dans cette église de manière toute symbolique, ce geste et cet ordre de Jésus nous propulsent hors des églises, dans la société, dans la vie quotidienne, vers un troisième corps à servir comme il l’a fait, lui, ce soir-là.

Le Maître et le Seigneur, en se traînant devant ses disciples pour leur laver les pieds, nous entraîne tous sur les chemins des services mutuels –« vous devez vous laver les pieds les uns aux autres », dit Jésus. Laver, c’est physique, mais ça peut devenir mystique.

Un peu comme dans la mystique eucharistique, encore un corps à corps par amour. Avec une valeur ajoutée si nous le faisons en priorité au bénéfice des pauvres, des exclus, des souffrants de ce monde puisqu’il nous a indiqué cette autre forme de communion avec lui : « Chaque fois que vous le faites à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. »  Il y a de l’eucharistie dans toute vraie charité.

Enfin retenons un mot qui s’applique à tous ces corps quand on y communie, un petit mot en forme de béatitude, un bonheur en somme : heureux !
* Dans l’eucharistie : « Heureux les invités au repas du Seigneur. »
* Et pour l’Eglise, à la suite de Marie, femme eucharistique : « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique. »
* Et pour le service, la parole de ce soir après le lavement des pieds : « Sachant cela, heureux serez vous si vous le faites. »

Oui, des eucharisties joyeuses, une Eglise heureuse, malgré tout. Et nous : des chrétiens bienheureux de servir une bonne nouvelle, pour nous et pour le monde.



Claude Ducarroz

vendredi 18 mars 2016

Pour la Saint Joseph

Pour la Saint Joseph

Il n’était pas un magicien, mais il a tout transfiguré. Parce qu’il était -on pourrait dire « avant l’heure »- un homme pascal !

* Il avait ses rêves d’homme amoureux, puisqu’il avait une jeune et belle fiancée nommée Marie. Et il découvre dans un silence pesant que sa fiancée est enceinte avant qu’ils aient habité ensemble.
* Il avait ses espérances de futur papa. Mais il sait maintenant que cet enfant sera avec lui, mais pas de lui. Car « l’enfant engendré en elle vient de l’Esprit Saint ».
* Il voulait fonder une famille ordinaire. Et voici que tout devient extraordinaire, puisqu’il est seulement « l’époux de Marie de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ. »
* Il était un honnête homme –un juste-, et un croyant sincère, mais de là à obéir à un ange qui lui dit en songe de prendre Marie chez lui –malgré tout-, et même en donnant à son enfant à elle le nom de Jésus !

Reconnaissons-le : c’était beaucoup demander à un homme qui avait bien des raisons d’être bouleversé, de ne pas tout comprendre.

* Et ce n’était pas fini. Ils étaient bien à Nazareth. Et voilà qu’il leur faut aller à Bethléem pour la naissance de cet enfant, dans une étable et sur la paille. Quelle terrible surprise !
* Ils auraient bien prolongé un peu leur séjour après l’accouchement, mais voilà qu’un despote cruel les oblige à fuir en Egypte de nuit pour se mettre à l’abri de ses fureurs.

* Même dans la pratique ordinaire de leur religion, ils doivent affronter quelques déconvenues, d’autant  plus pénibles qu’elles vinrent de Jésus lui-même au temple de Jérusalem, ainsi que Marie en fit le reproche: « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi, tout angoissés, nous te cherchions. »

C’est quoi le problème, me direz-vous, qui bouleversa à ce point la modeste famille de Joseph, le charpentier de Nazareth ? Leur problème, incontestablement, était bien plus qu’un problème : c’était leur enfant, c’était Jésus. Leur enfant puisque tout le monde, là-bas, l’appelait « le fils de Joseph, le fils du charpentier ». Et le fils de Marie, évidemment.

Mais voilà, comme cela leur avait été dit et comme ils le savaient ou plutôt le croyaient par la foi : Jésus, c’est le « Seigneur sauve ». Il est engendré en Marie par l’Esprit Saint, il sera appelé Emmanuel –Dieu -avec -nous-, Fils de Dieu, comme Marie en avait reçu la confidence, avant de la transmettre à Joseph sur l’oreiller.

Oui, ils en ont fait l’expérience rapidement : quand il y a Jésus qui est là, même tout petit, même encore dans le sein de sa mère, ça change beaucoup de choses dans la vie.
Il met en route pour faire d’une simple visite toute une visitation; il provoque une louange merveilleuse, mais qui finit en chant révolutionnaire (« les puissants renversés de leurs trônes, les humbles élevés, les orgueilleux dispersés, les affamés rassasiés, mais les riches renvoyés les mains vides », etc…)

Car ça aussi, c’est Jésus, quand on l’accueille, aujourd’hui comme hier. Comme Marie et  comme Joseph.


Que de messages pour ce couple, y compris pour Joseph. Et surtout que de passages –que de pâques- à faire quand on lit, pour lui comme pour Marie : « Joseph fit comme l’ange le lui avait prescrit ». La version masculine de la célèbre phrase de Marie : « Qu’il me soit fait selon ta parole. »

Des messages aux passages : tel est l’itinéraire de ce Joseph, un chemin au goût de Pâques. Mais peut-on dire cela quand il est clair que Joseph n’était plus de ce monde lors de la croix de Jésus, lors de sa résurrection ?

Oui, à cause de deux phrases héritées de l’apôtre Jean, que Joseph a parfaitement  mises en pratique. Des phrases pascales justement, puisqu’il s’agit de « passer de la mort à la vie ».
Et comment donc ?

En croyant que Jésus est le Fils de Dieu et en manifestant de l’amour pour le prochain.
* Croire au Christ vivant, le fils de Dieu : Joseph l’a vécu, y compris dans les obscurités d’une foi secouée par beaucoup d’imprévus, mais toujours dans cette communion essentielle avec ce Jésus qui lui disait affectueusement « papa » tout en lui rappelant parfois qu’il se devait « aux affaires de son Père », l’autre. Une foi très sollicitée, mais vécue dans la tendresse.
* Et persévérer dans un amour qui rayonne de vie, l’amour conjugal avec Marie, l’amour paternel avec Jésus et toute la parenté, l’amour diffusé dans son milieu par le métier et le voisinage, tout simplement.

Pour Joseph, sans le savoir encore théoriquement ni théologiquement, c’était ça déjà, vivre en enfant de la Pâque, en promis à la résurrection.

Quelle belle leçon pour nous ! Mieux : quelle magnifique feuille de route !
Car, à l’instar de Joseph, c’est bien à ce type de mystère pascal que nous sommes appelés à communier ici bas, autrement dit dans la foi et dans l’amour, en attendant les joies de la vie éternelle.
Parce qu’il y a déjà de l’éternel en germe dans le cœur de tout croyant sincère, même dans le brouillard des idées ou l’ankylose des mots.
Et il y a encore de l’éternel qui pointe déjà quand un cœur humain bat au rythme d’un amour généreux et désintéressé, surtout lorsqu’il va jusqu’au don de soi, jusqu’au par-don.

Nous qui sommes en route vers les célébrations pascales, que la prière de saint Joseph, avec celle de Marie évidemment, nous conduise des aléas cette vie -mélangée de joies et de croix- jusque dans la gloire de la parfaite Pâque, dans le royaume de la résurrection.


19 mars 2016                                                                                             Claude Ducarroz

dimanche 13 mars 2016

5ème dimanche deCarême

Homélie
5ème dimanche de Carême


Il y a comme un malaise dans l’atmosphère. Tout le monde parle d’un certain procès qui –c’est sans doute notre souhait à tous- doit rendre justice, et plutôt sévèrement, compte tenu de l’extrême gravité des crimes commis.

Et voici que l’évangile de ce dimanche -qui prend aussi la forme d’un procès puisqu’il met en scène des accusateurs, une accusée et un juge- se termine ainsi : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va en paix et ne pèche plus. » Un peu facile, trop facile, diraient les juges ou procureurs, s’il y en avait parmi nous.
Pas de besoin de faire un dessin, n’est-ce pas ?, pour manifester la différence fondamentale entre ces deux procès.
Incontestablement, cette femme surprise en flagrant délit d’adultère, a fauté. Elle est coupable, donc une délinquante aux yeux de la loi, une pécheresse aux yeux de la religion.

Mais il y a plusieurs choses bizarres dans ce procès :
* Cette femme est seule devant le peuple. Tiens, où est l’homme avec lequel elle a péché ?
* Et puis les principaux accusateurs –les notables scribes et pharisiens- ne sont pas des oies blanches puisque Jésus les fera tous fuir quand il proposera aux éventuels innocents parmi eux de lui jeter la première pierre.
* Enfin le juge Jésus de Nazareth n’a jamais dit que cette femme n’avait rien fait de mal puisque, tout en refusant de la condamner à la lapidation selon la loi, il lui dit : »Va en paix et ne pèche plus. » La morale est donc sauve.

En réalité, la clef pour comprendre le sens de cet épisode se trouve ailleurs, dans le doigt de Jésus qui écrivait sur la terre, tandis que ces notables cherchaient surtout à mettre à l’épreuve Jésus pour pouvoir mieux l’accuser, lui.
Qu’écrivait-il, Jésus ? Probablement les péchés de ceux qui voulaient condamner cette pauvre femme en oubliant leurs propres fautes.

Au delà des anecdotes, que faut-il retenir pour nous ?
Nos vies, telles qu’elles sont, sont inscrites dans le cœur de Dieu. Tout ce qu’elles contiennent est stocké là, le bien comme le mal. Il ne sert à rien de le cacher, encore moins de le nier.  En résumé, nous sommes tous des êtres mélangés, ce qu’on peut appeler « de pauvres pécheurs », comme nous le reconnaissons humblement à chaque messe.

Mais j’ai bien dit que le stockage se fait dans un cœur, dans le cœur de Dieu. Là, même nos misères sont comme à l’abri, et c’est la miséricorde qui fait le reste. Comme ce nom l’indique : des misères dans un cœur, un cœur ouvert sur nos misères. Et parce que Dieu est amour –rien que amour-, cet amour divin est infiniment plus fort que nos misères humaines.

Il y a une rencontre électrique -et peut-être même un choc atomique- entre la tendresse de Dieu et nos péchés. Alors s’opère un phénomène de combustion par amour. On peut aussi appeler cela le pardon. « Moi non plus, je ne te condamne pas », dit Jésus à la femme adultère. En ajoutant l’ouverture d’un nouveau chemin, l’incitation à une vie meilleure, plus belle, plus heureuse : « Va, et désormais, ne pèche plus. »

Cette femme a compris cela à travers des signes émis par Jésus : son regard d’amour, son écriture sur le sable, ses paroles de libération et sans doute un geste physique, car en se redressant lui-même, il l’a relevée pour une vie nouvelle, avec une saveur de résurrection. Il a pascalisé cette femme, il  l’a remise debout, dans toute sa dignité recouvrée.

Sur la croix, l’icône de cette même miséricorde a fait sa grande démonstration, dans une étonnante mise en scène.  Avant de mourir, Jésus a beaucoup pardonné, dans l’ouverture signifiée par ses bras étendus sur la vaste humanité : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Et pour montrer que chaque personne, dans sa situation propre, pouvait être rejointe par cette absolution générale, c’est au bandit pendu à ses côtés qu’il déclara : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis. » Le premier compagnon de Jésus dans son Royaume était un bandit de grand chemin !

Dès lors pouvaient se révéler les sacrements de la miséricorde pour la suite des temps, pour l’Eglise et donc pour nous.
  • De son côté ouvert –son cœur transpercé par la lance du soldat- coulèrent du sang et de l’eau. L’eau du baptême pour la re-création de l’homme sauvé, le sang de l’eucharistie pour la rémission des péchés.
  • Avec un peu de patience. Le soir de Pâques vient le troisième sacrement : « Il souffla son Esprit sur les apôtres en leur disant : Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. »

Sur la croix, la porte de l’amour s’est grande ouverte pour les pécheurs que nous sommes, encore faut-il que nous reconnaissions notre besoin d’être sauvés, évidemment. Car Dieu offre sa miséricorde comme un cadeau, il ne l’impose pas. Encore faut-il que nous soyons prêts à l’entendre et à la mettre en pratique, cette déclaration libératrice : « Va en paix, et ne pèche plus ».

Et comment donc ? En accueillant humblement les diverses formes de miséricorde que l’Eglise nous présente toujours gratuitement, au nom de Jésus.
Et aussi en manifestant généreusement notre capacité de pardonner à notre tour, selon la logique rappelée par Jésus lui-même dans la prière du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ton offensés. »  En ajoutant même une joie, selon cette merveilleuse promesse : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ».

Heureux ! C’est tout le bonheur que Jésus nous souhaite, et le pape François avec lui, en cette année de la miséricorde.
A expérimenter sans modération. Amen !

Claude Ducarroz



samedi 5 mars 2016

En mémoire de +Maurice Demierre

Homélie
+ Maurice Demierre

Déjà 30 ans ! Pour certains, c’est loin, très loin. Mais pour d’autres, pour nous, c’est si proche encore, si présent.

Des souvenirs certes, mais tellement accrochés à notre mémoire, tellement imprimés dans nos cœurs. Inoubliable Maurice, n’est-ce pas ?

 Je pense d’abord à sa famille et à ses amis de Bulle et de la Gruyère, là où il a passé son enfance et sa jeunesse, dans une religion chrétienne débordante de militance humaine.
 Je songe ensuite à celles et ceux qui l’ont rencontré plus tard –c’est mon cas- lorsqu’il cherchait sa voie entre les premiers engagements chez nous et déjà les appels du large, entre les courages de l’objection de conscience et les premiers pas dans l’agriculture, et surtout ses rêves d’un monde meilleur auquel il voulait contribuer très humblement, mais efficacement, auprès des plus pauvres, en Amérique centrale.

Il y a comme un écho de son rêve paysan dans la première lecture de cette messe. Dieu enlève à son peuple le déshonneur de l’Egypte en lui permettant, enfin, le lendemain de la Pâque, de manger les produits de sa nouvelle terre, « des pains sans levain et des épis grillés. »

Et puis les souvenirs de là-bas, bien sûr, dont Chantal est la première témoin parmi nous. Mais sans oublier celles et ceux avec qui nous sommes en si profonde communion en ce moment, les vivants et les morts de Somotillo, avec leurs rires et leurs larmes, avec leurs chants et leurs prières, avec leurs croix pascales encore tachées de sang. Le sang de notre Maurice, mêlé pour toujours au sang de tant d’autres martyrs, pour la cause des pauvres, pour la cause de Dieu.
Comme à la messe : « le sang de l’alliance nouvelle et éternelle. »

A ce propos, je voudrais associer à nous ce soir deux figures d’actualité qui nous touchent de près : le père Fernando Cardenal, jésuite nicaraguayen, décédé le 20 février dernier, après toute une vie dédiée à la libération intégrale des plus pauvres, précisément dans le pays où Maurice a œuvré, là où il est mort, pour la même cause.
Et puis Berta Caceres, vaillante militante écologique et activiste politique au service des communautés indigènes, assassinée elle aussi en rentrant chez elle dans la ville de La Esperanza au Honduras. C’était mardi dernier 3 mars.

Mais maintenant, il nous faut passer de la simple mémoire au mémorial, de l’évocation à l’application, et donc à l’implication, la nôtre, ici et maintenant. Comme on le fait à la messe, à propos de la mort et de la résurrection du Christ : « Faites, refaites ceci en mémoire de moi. »
En mémoire de Maurice.

Qu’est-ce à dire ? Il fallait que le nom de Maurice soit gravé pour toujours sur sa tombe. Il faudrait que ce nom soit imprimé un jour sur une place ou dans une rue de cette ville. Mais, plus important encore : son visage souriant n’est-il pas buriné dans nos cœurs ? Nous croyons que sa personne et sa vie sont inscrites dans le cœur du Dieu vivant.

Donc nous pouvons, nous devons, quelque part, le ranimer en nous, le faire revivre autour de nous, le « pascaliser » en recueillant les lumineuses leçons de sa vie, en retenant, si possible, les impressionnantes instructions de sa mort.

Maurice, pour aujourd’hui comme pour hier, ce sont des valeurs immortelles à cultiver, des exemples indélébiles à imiter. Ce sont des convictions toujours fécondes à mettre en pratique, évidemment dans le contexte où nous sommes. Et lesquelles, si j’ose en rappeler l’une ou l’autre, qui ont un goût d’évangile, autrement dit la saveur de précieux services pour toute humanité, pour toute l’humanité ?

* Ne jamais séparer la charité de la justice, mais les réconcilier, car il ne faut pas que l’amour soit le paravent doucereux des inégalités qui blessent et des oppressions qui tuent.
* Agir concrètement, simplement, chacun avec ce qu’il est et ce qu’il peut, et ne pas se camoufler derrière des slogans pompeux et des paroles creuses. Dans l’évangile, devant les grands prêtres et les anciens du peuple, Jésus loue le fils qui est allé effectivement travailler à sa vigne, et non pas celui qui promettait d’y aller… sans y aller jamais.
 * Croire en un Dieu qui croit en l’homme parce qu’il le veut debout, libre, solidaire, au moins un peu heureux ici-bas-  une créature nouvelle dans un monde renouvelé- en attendant les joies du Royaume de Dieu.

 Il faut oser le dire : si un tel programme fait partie de la mission incontournable de l’Eglise universelle, ça passe aussi par une politique humaniste, une économie de justice, une écologie responsable, une culture vraiment populaire, une fraternité sans barrière et sans frontière.

Lorsqu’il y a tant à faire, tout à faire même, il nous faut commencer par les plus petits, les plus pauvres, les plus nécessiteux. Pas seulement pour eux, mais avec eux, au prix de la vie, s’il le faut, car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Un certain prophète Jésus de Nazareth l’a dit et fait. Et Maurice aussi l’a fait, humblement, comme lui, avec lui, en « ambassadeur du Christ », dirait saint Paul. C’est pourquoi il demeure vivant au milieu de nous et avec nous.

J’ajoute encore une chose, avec la conscience qu’il y a là un saut vertigineux qu’il n’est pas évident à accomplir : je crois que Maurice est encore vivant dans le monde de la pâque, aux cotés du crucifié ressuscité.

Je le confesse avec humilité et respect pour celles et ceux qui ne peuvent pas aller jusque là : je crois à la communion des saints dans ce Royaume où Dieu met au chaud dans son cœur, en attendant la rencontre finale, celles et ceux qui, comme Jésus - le sachant ou non- mettent plus de joie à donner qu’à recevoir. Et parfois à donner leur vie, au goutte à goutte de la fraternité. Comme une offrande liturgique, la messe sur le monde.

Il s’appelait Maurice Demierre. Il était de chez nous, bien de chez nous. Il fut ensuite du Nicaragua, de Somotillo.
 Il est maintenant de partout parce qu’il est en Dieu pour l’éternité.

Claude Ducarroz