Messe de 30ème
Pour + Suzanne
Je le sais ! Beaucoup parmi vous –la
plupart sans doute-, vous êtes là pour Suzanne, à cause de Suzanne. Dès lors la
question se pose : où est Suzanne dans cette liturgie ?
C’est elle qui, mystérieusement, nous rassemble
encore, à commencer par sa chère famille et ses nombreux amis. Avec émotion et
avec reconnaissance, nous la recevons dans nos bras, nous la recueillons en
plein cœur, une fois de plus, comme un cadeau qu’elle fut, dans nos vies et
pour notre bonheur. Car Suzanne nous a été donnée par la vie, mais il faut oser
le dire aussi : par Dieu, le maître de la vie.
Un cadeau, c’est un présent. Et quand c’est
Dieu qui le donne, justement, il ne le reprend jamais. Ce cadeau reste présent,
il est offert pour toujours. Il y a de l’ineffaçable, de l’inoubliable dans la
présence de Suzanne, dans son rayonnement dynamique, dans sa générosité
infatigable, dans ses accueils souriants, dans ses yeux, dans sa voix, dans son
cœur si aimant.
Dire cela, c’est à la fois prolonger une
communion de tendresse et raviver une souffrance par son absence sensible qui
nous bouleverse encore. Tous ces sentiments humains, dans les larmes retenues
ou exprimées, sont la signature laissée par le passage de Suzanne parmi nous,
au milieu de nous, par l’encre de son amour. Nous continuerons de lire son
livre, trop vite refermé, le parchemin de sa douce et joyeuse compagnie.
Oui, Suzanne reste
dans la mémoire vive de nos souvenirs bénis.
Et pourtant il faut aller plus profond encore.
Nous sommes dans une église. Nous sommes aussi venus à la messe, pour la messe,
celle du dimanche. Tout aussi mystérieusement, un autre est présent, un autre
nous fait signe : l’actualité d’un vivant au-delà de la mort, de sa mort.
Déjà notre rassemblement nous rappelle quelque
chose, puisque, comme il l’a dit, « Là où deux ou trois sont réunis en mon
nom, je suis au milieu d’eux ». Pour quoi faire ? Ecouter une parole
qui aide à vivre debout et qui permet de mourir dans une certaine espérance. Et
plus encore : pour communier au cadeau de sa présence réelle, quoique
discrète, sous la forme familière et familiale d’un repas partagé. Mais avec
cette promesse : « Celui qui mange de ce pain-là, vivra
éternellement ». Nous sommes les enfants de sa Pâque, nous sommes les
convives de son éternité.
Alors ces deux mystères se rejoignent, se
donnent la main et se marient, le sombre mystère de notre mort qui peut nous
faire peur, et de nos morts qui nous font pleurer, et celui, plein d’une divine
clarté, qui nous fait croire à cette déclaration d’amour : « Là où je
suis, dit Jésus, vous serez aussi avec moi, dans cette maison paternelle où il
y a de la place pour beaucoup de monde ». Aussi pour Suzanne, pour
Bernard, pour Jacquy et tant d’autres, et tous les autres. Un avenir de ressuscité.
Faire ce passage du mystère de la mort au
mystère de la vie éternelle, j’en conviens, n’est ni facile, ni évident. Je
comprends que tous ne puissent aisément s’accrocher à une espérance aussi
surhumaine, notamment quand une mort vient de faire saigner nos plus chères
affections. Oui, quand ce qui domine
dans le cœur est la tristesse d’un grand vide, et dans l’esprit tellement de
questions sans réponses irréfutables.
Qu’au moins ce soir, dans la mémoire qui nous réunit,
marchant en pèlerins dans le merveilleux
sillage de notre bien-aimée Suzanne, puisque, dit-on, « l’amour est plus
fort que la mort », donnons sa chance pour elle à la Pâque de Jésus, selon
la parole de l’apôtre : « J’en ai la certitude : ni la mort ni
la vie, rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le
Christ Jésus notre Seigneur. »
Ou, plus simplement peut-être, accueillons ce
poème de Bernard, un autre bien-aimé :
Je t’écris cette lettre comme on souffre
un adieu
Et le jour va renaître au matin de tes yeux
Je t’écris cette larme comme on pleure à
l’écart
Et le jour en alarme je serai quelque part
Je t’écris cette lettre comme on offre
un adieu
Et le jour va renaître au matin de tes yeux
Je t’écris cette aurore comme on part au
printemps
Et le jour vient d’éclore au soleil qui
t’attend
Claude Ducarroz