samedi 27 janvier 2018

Encore pour + Suzanne

Messe de 30ème
Pour + Suzanne

Je le sais ! Beaucoup parmi vous –la plupart sans doute-, vous êtes là pour Suzanne, à cause de Suzanne. Dès lors la question se pose : où est Suzanne dans cette liturgie ?

C’est elle qui, mystérieusement, nous rassemble encore, à commencer par sa chère famille et ses nombreux amis. Avec émotion et avec reconnaissance, nous la recevons dans nos bras, nous la recueillons en plein cœur, une fois de plus, comme un cadeau qu’elle fut, dans nos vies et pour notre bonheur. Car Suzanne nous a été donnée par la vie, mais il faut oser le dire aussi : par Dieu, le maître de la vie.

Un cadeau, c’est un présent. Et quand c’est Dieu qui le donne, justement, il ne le reprend jamais. Ce cadeau reste présent, il est offert pour toujours. Il y a de l’ineffaçable, de l’inoubliable dans la présence de Suzanne, dans son rayonnement dynamique, dans sa générosité infatigable, dans ses accueils souriants, dans ses yeux, dans sa voix, dans son cœur si aimant.

Dire cela, c’est à la fois prolonger une communion de tendresse et raviver une souffrance par son absence sensible qui nous bouleverse encore. Tous ces sentiments humains, dans les larmes retenues ou exprimées, sont la signature laissée par le passage de Suzanne parmi nous, au milieu de nous, par l’encre de son amour. Nous continuerons de lire son livre, trop vite refermé, le parchemin de sa douce et joyeuse compagnie.

Oui, Suzanne reste dans la mémoire vive de nos souvenirs bénis.

Et pourtant il faut aller plus profond encore. Nous sommes dans une église. Nous sommes aussi venus à la messe, pour la messe, celle du dimanche. Tout aussi mystérieusement, un autre est présent, un autre nous fait signe : l’actualité d’un vivant au-delà de la mort, de sa mort.
Déjà notre rassemblement nous rappelle quelque chose, puisque, comme il l’a dit, « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Pour quoi faire ? Ecouter une parole qui aide à vivre debout et qui permet de mourir dans une certaine espérance. Et plus encore : pour communier au cadeau de sa présence réelle, quoique discrète, sous la forme familière et familiale d’un repas partagé. Mais avec cette promesse : « Celui qui mange de ce pain-là, vivra éternellement ». Nous sommes les enfants de sa Pâque, nous sommes les convives de son éternité.

Alors ces deux mystères se rejoignent, se donnent la main et se marient, le sombre mystère de notre mort qui peut nous faire peur, et de nos morts qui nous font pleurer, et celui, plein d’une divine clarté, qui nous fait croire à cette déclaration d’amour : « Là où je suis, dit Jésus, vous serez aussi avec moi, dans cette maison paternelle où il y a de la place pour beaucoup de monde ». Aussi pour Suzanne, pour Bernard, pour Jacquy et tant d’autres, et tous les autres. Un avenir de ressuscité.

Faire ce passage du mystère de la mort au mystère de la vie éternelle, j’en conviens, n’est ni facile, ni évident. Je comprends que tous ne puissent aisément s’accrocher à une espérance aussi surhumaine, notamment quand une mort vient de faire saigner nos plus chères affections. Oui,  quand ce qui domine dans le cœur est la tristesse d’un grand vide, et dans l’esprit tellement de questions sans réponses irréfutables.

Qu’au moins ce soir, dans la mémoire qui nous réunit, marchant  en pèlerins dans le merveilleux sillage de notre bien-aimée Suzanne, puisque, dit-on, « l’amour est plus fort que la mort », donnons sa chance pour elle à la Pâque de Jésus, selon la parole de l’apôtre : « J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. »

Ou, plus simplement peut-être, accueillons ce poème de Bernard, un autre bien-aimé :

Je t’écris cette lettre comme on souffre un adieu
Et le jour va renaître au matin de tes yeux
Je t’écris cette larme comme on pleure à l’écart
Et le jour en alarme je serai quelque part

Je t’écris cette lettre comme on offre un adieu
Et le jour va renaître au matin de tes yeux
Je t’écris cette aurore comme on part au printemps
Et le jour vient d’éclore au soleil qui t’attend

Claude Ducarroz


mardi 23 janvier 2018

Je suis énervé

Ils m’énervent…

Oui, ils m’énervent, tous ces Suisses –mes chers compatriotes !- qui prennent prétexte de ses imperfections pour dauber sur l’Union européenne. Parce qu’elle traverse quelques difficultés, ils font tout pour empêcher un quelconque rapprochement de la Suisse avec la Communauté de nos voisins et nous promettent les pires malheurs dans l’hypothèse –fort improbable d’ailleurs- où nous aurions quelque velléité de faire partie du club.

Évidemment, on peut ausculter cette Union avec la petite lorgnette des intérêts purement économiques. Les Suisses foncent sur leur calculette et estiment « de leur intérêt » de rester en dehors, tout en slalomant pour tirer quelques avantages d’une tiède fréquentation…de loin.  C’est oublier que, malgré sa marche parfois fort boiteuse, l’Union européenne est d’abord une communauté historique de destin, au service de la paix dans notre continent. Cette paix qui nous a fait si souvent défaut dans les horreurs et terreurs des guerres, cette paix sans laquelle notre civilisation de liberté et de prospérité ne pourrait même pas exister.

On ne peut juger sereinement de l’Union européenne si l’on commence à la dénigrer à la faveur d’une méchante amnésie. Mes ancêtres ont tous subi les conséquences des guerres européennes, certes à la manière suisse, autrement dit beaucoup moins cruellement que nos voisins. N’empêche : mon arrière-grand-père a traversé la guerre de 70, mon grand-père celle de 14 et mon père celle de 39. Et moi, je suis né au début de la dernière guerre, avec toutes les atrocités qui suivirent. Quand je visite Auschwitz, je ne peux oublier que ceux-là et moi, nous sommes contemporains. Triste bilan : une guerre par génération !

Depuis lors, notre continent est devenu une vaste zone de paix durable. Ceux qui ont voulu repasser le sinistre plat des conflits armés –par exemple dans les Balkans- ont dû rentrer dans leurs casernes. Maintenant, toutes ces nations cherchent à entrer dans l’Union européenne. Elles ont compris qu’il y avait là à la fois la garantie de la paix et le gage de la prospérité.

Par je ne sais quelle grâce, et certainement aussi par les lourds sacrifices des autres peuples autour de nous, les Suisses ont échappé au pire depuis plusieurs siècles. La moindre des reconnaissances serait qu’ils se souviennent de ce qu’ils doivent aussi à leurs voisins, en plus de leurs propres engagements évidemment.

Toute construction politique demeure fragile. Ceux qui ont imaginé la nouvelle Europe en prophètes -parmi lesquels de nombreux chrétiens- , ceux qui l’animent encore en valeureux pionniers, méritent mieux que les moues parfois sarcastiques de certains Suisses.

Certes, personne ne nous oblige de « faire partie » du club. Mais du moins cette belle utopie de paix et de fraternité –malgré toutes ses imperfections- postule de notre part au minimum une estime reconnaissante, au mieux une collaboration sincère, fût-elle latérale.
Depuis plus de 70 ans, nous vivons en paix sur notre Europe, fière à juste titre de sa civilisation multicolore, ancrée dans le respect des droits humains et dans l’idéal d’une liberté couplée à la solidarité.

De grâce –car c’en est une-, soutenons les apôtres d’une solide Union européenne pour assurer un avenir encore meilleur à notre chère Europe, notre commune patrie.

Claude Ducarroz

A lire sur le site www.cath.ch



samedi 20 janvier 2018

Homélie 3ème dim. ordinaire

Homélie
3ème dimanche ordinaire

Non, ce n’était pas à Jérusalem, mais dans un petit village de Galilée.
Non, ce n’était pas au temple, mais au bord du lac.
Non, ce n’était pas le sabbat, mais un jour ordinaire.
Non, ce n’était pas pendant la prière ou la liturgie, mais en plein travail professionnel.
Oui, c’est dans ces circonstances que Jésus de Nazareth a appelé ses premiers disciples pour en faire ses apôtres, eux qui n’étaient pas des notables religieux ou politiques, mais de simples pêcheurs.
Ainsi fit Jésus le Christ quand il voulut lancer l’Eglise et sauver le monde.

Et ça continue. Mais vous, croyez-vous que ça continue ainsi, autrement dit que vous aussi, qui que vous soyez, vous êtes appelés par le même Jésus, le vivant actuel, le ressuscité ?

Quand j’étais enfant, autour de moi, j’entendais des gens qui disaient : « Est-ce qu’il a la vocation ? » Et avec l’arrivée de la soutane : « Oh ! J’impression qu’il a la vocation. » 
La vocation, c’était se sentir appelé à devenir prêtre ou religieux. Comme vous le voyez, j’avais la vocation, même sans la soutane.

L’évangile de ce dimanche nous ramène à des évidences qui n’en sont pas toujours.
Nous sommes d’abord –tous- appelés à la vie, la vie humaine qui fait de chacun de nous des aimés de Dieu, des créés à son image, selon ce beau psaume : « Qu’est donc le fils d’Adam ? A peine le fis-tu moindre qu’un dieu ; tu le couronnes de gloire et de beauté » Ps 8

Et puis l’appel à la foi dans le baptême. Ce jour-là, mystérieusement, Jésus nous a dit, comme à Simon et André, au bord de la mer de Galilée : « Viens à ma suite. » C’est une invitation à suivre quelqu’un, à entrer en amitié avec lui pour le connaître toujours mieux et l’accompagner – ou plutôt nous laisser accompagner par lui - tout au long de notre vie, et jusque dans la mort, et même après la mort. Car là où il est, comme ressuscité, là aussi nous serons avec lui pour toujours. C’est ça la vocation principale, universelle, éternelle.

Celui qui nous a appelés à expérimenter un compagnonage dans la foi et l’amour,  ne cesse de nous appeler au cours de notre histoire et dans nos histoires, grandes ou petites. Des appels discrets, mais aussi des rendez-vous plus solennels. C’est un bel appel que le mariage, ou le célibat. Donner la vie, quel appel plus merveilleux qui nous fait participer à la générosité de Dieu dans l’amour ?

Est-ce que nous songeons qu’il nous appelle aussi dans la profession ? Simon et André ont entendu l’appel du Christ quand « ils jetaient les filets dans la mer. » Quant à Jacques et Jean, « ils étaient dans la barque et réparaient les filets. » Il y a tant de circonstances dans la vie qui sont en réalité des signes d’appel de la part de Jésus, y compris des épreuves peut-être, qui nous font grandir dans la foi ou trouver de nouveaux chemins pour suivre le Christ.


Quelle que soit la forme de l’appel, il y a des constantes à discerner. Il s’agit toujours de suivre celui qui nous donne la main quoi qu’il arrive et quoi qu’il nous arrive. Il s’agit aussi d’être assez souple dans sa main pour accepter des changements, pas nécessairement agréables ou commodes. Les pêcheurs de Galilée, laissant leurs filets et même leur père, partirent à la suite de Jésus. Car il voulait en faire des « pêcheurs d’hommes ».

La société humaine est pleine d’appels. Les chrétiens – mais aussi les autres évidemment - ne peuvent pas se désintéresser du sort des frères et sœurs humains, à commencer par ceux qui peinent, souffrent, cherchent souvent dans la nuit.
Les chrétiens devraient – doivent- être les premiers quand il s’agit de conduire la politique, l’économie, l’écologie, la culture sur les chemins d’un renouveau humaniste tellement nécessaire de nos jours.

Et puis il y a l’Eglise. Il a fallu du temps -et notamment les appels du concile Vatican II- pour que nous comprenions que l’Eglise, c’est le peuple de Dieu, donc nous tous, à égalité de dignité dans la variété des responsabilités. Il faut le reconnaître, de nos jours encore, les femmes ont compris cela davantage que les hommes. Que ferions-nous, que serions-nous en Eglise sans l’apport des dévouements et même des ministères féminins ?

Nous sommes en pleine semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La cause appelée « œcuménisme » semble s’essouffler dans nos communautés. Les progrès accomplis –pour lesquels nous rendons grâce- ne doivent pas nous empêcher de constater qu’il y a encore beaucoup à faire pour que se réalise la prière de Jésus avant de mourir : « Comme toi Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

Sur ce chantier œcuménique, nous sommes tous embauchés par l’Esprit-Saint. Qui ne voit, dans le contexte de la perte de la foi et de l’effacement de notre religion, combien il est essentiel que les chrétiens –tous les chrétiens- soient ensemble pour relever le défi spirituel d’une société qui veut nous marginaliser et peut-être nous faire taire ?

A quoi le Seigneur m’appelle-t-il actuellement ? Est-ce que je prends le temps d’écouter pour les entendre, ces appels qu’il susurre à ma conscience ? Et si je trouvais un nouveau sens à ma vie et une nouvelle joie à expérimenter, dans la réalisation de nouveaux engagements –si petits soient-ils- dans la société ou dans l’Eglise ?

En méditant l’évangile de ce dimanche, c’est cette belle grâce que nous pouvons nous souhaiter les uns aux autres.


Claude Ducarroz

dimanche 14 janvier 2018

Homélie 2ème dim. ordinaire

Homélie
2ème dimanche du temps ordinaire

Une valse à trois temps ! Voulez-vous danser avec l’évangile de ce dimanche ?

Quand on examine de plus près le rythme des verbes qui donnent le ton des rencontres dans l’évangile de ce jour, on est frappé de repérer trois notes récurrentes : voir, entendre, suivre. Tel est le tempo de la musique biblique proposée à notre méditation.
Avec cependant une introduction et une conclusion, comme il se doit pour toute composition qui se respecte.
L’introduction, c’est la présence discrète de Jésus au milieu de la foule, parmi les gens. Il allait et venait, sans rien dire encore, mais il était là.
La présence au monde du Christ anonyme, c’est la base de tout, depuis sa venue à Noël parmi les plus pauvres, depuis sa promesse postpascale : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ». Certains reconnaissent cette présence à des signes laissés par lui pour éveiller et consolider notre foi. La plupart l’ignore, mais ça ne l’empêche pas d’être là, mystérieusement proche, compagnon de route de notre humanité.

Et maintenant entrons dans la danse à trois temps : voir, entendre, suivre.
Dans cet évangile, le premier pas est lancé par Jean-Baptiste. Il pose son regard sur Jésus, il dit une parole que ses disciples vont entendre - « Voici l’agneau de Dieu »- et ils suivent Jésus.

N’y a-t-il jamais eu sur nos sentiers humains des Jean-Baptiste qui nous ont montré le visage de Jésus, qui nous ont annoncé sa présence, qui nous ont invités à le suivre ? Soyons reconnaissants pour ces frères et sœurs, nos accoucheurs à la foi.
Et puis, pourquoi ne serions-nous, nous aussi, des petits Jean-Baptiste qui révèlent le Christ autour d’eux, par nos paroles et par nos actes ?

Pour le deuxième mouvement du concert évangélique, Jésus lui-même entre en action. Il regarde ceux qui le suivent et il leur adresse cette parole : « Que cherchez-vous ? » C’est la première parole de Jésus dans l’évangile de Jean. Le Verbe éternel fait chair au milieu de nous, pour sa première intervention orale, se contente d’une question, même pas une affirmation. Oui, une question qui nous concerne au ras de la vie : « Que cherchez-vous » ? Avec cette invitation pleine de douceur et de respect : « Venez et voyez ». L’invitation à faire l’expérience d’un partage fraternel.

Et voilà la suite, le « suivre » Jésus : « Ils allèrent, ils virent, ils restèrent auprès de lui ce jour-là ». Tout est dans ce « demeurer avec lui », même si c’est seulement pour un jour, une expérience qui va changer toute leur vie. On ne demeure pas en communion avec Jésus le Christ sans être transformé par une telle fréquentation, par exemple eucharistique.
Il fallait s’y attendre : cette valse d’évangile va en entraîner d’autres dans la danse, toujours avec les mêmes trois temps.

André, l’un des premiers suiveurs de Jésus, devient le Jean-Baptiste de son frère Simon. Il amène ce frère vers Jésus, et c’est la même séquence qui se reproduit exactement : Jésus pose son regard sur Simon, il l’appelle par son nom, tout en lui en donnant un nouveau qui définira sa mission, la nouvelle façon de le suivre dorénavant. Il sera Pierre, la pierre sur laquelle il bâtira son Eglise.

Trois mouvements dans cette valse des contacts avec Jésus. Un point commun : directement ou indirectement, la musique de la bonne nouvelle conduit toujours, finalement, à la rencontre personnelle avec Jésus, pour le voir lui, l’entendre lui, le suivre lui, et demeurer le plus longtemps possible avec lui.
Demeurer, c’est l’ultime conséquence de cette aventure, non pas une rencontre à éclipses, mais la fidélité d’une communion, certes à partir d’une recherche continuelle en ce monde, mais en vue d’une joie perpétuelle dans l’autre.

Sur le chemin de notre existence mouvementée, avec les bonheurs qui peuvent nous réjouir, mais aussi les malheurs qui peuvent nous faire saigner, il y a heureusement quelques haltes près de la source qui éclaire et qui nourrit. C’est la communion eucharistique. Quand Jésus en parlera plus tard, il emploiera les mêmes mots et confirmera la même promesse. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Et je le ressusciterai au dernier jour. »
A l’autre bout du pèlerinage, finalement, c’est toujours la même invitation : « Venez et vous verrez ».
Nous irons à sa rencontre et nous verrons sa gloire.
Mais en attendant, il nous invite à annoncer cette espérance autour de nous, comme des Jean Baptiste pour aujourd’hui, comme des témoins de l’évangile en acte. Oui, comme des danseurs qui entraînent les autres dans la valse de  cette bonne nouvelle, la musique de Pâques sur le monde.

Claude Ducarroz



vendredi 5 janvier 2018

Pour Germaine Pfister-Ménétrey

Pour Germaine Pépé Pfister-Ménétrey
6 janvier 2018


Dieu est vrai. C’est surtout pour les intelligents, parmi lesquels certains intellectuels.
Dieu est bon. C’est surtout pour les amoureux de toutes sortes, y compris en amitié.
Dieu est beau. C’est d’abord pour les artistes de toutes formes, couleurs et musiques.
Le                  1945, il a créé et mis au monde Germaine Pfister-Ménétrey, non sans l’aide précieuse de ses parents évidemment.

A entendre les enfants de Germaine, - à savoir Marie, Catherine et Vincent, intarissables quand ils parlent de leur mère -, je suis certain que Dieu a d’abord mélangé tout cela –intelligence, amour et beauté- pour rêver et réaliser notre chère Pépé.  

D’autres, mieux que moi, vous démontreront -s’il en était besoin, avec quelques détails et preuves à l’appui- la riche personnalité de celle qui vient de nous quitter. Une femme pschitt, qui a rayonné dans tous les sens, en laissant une trace profonde dans nos mémoires vives, en suscitant notre admiration, jusqu’à la reconnaissance sincère que nous sommes venus, nombreux, lui exprimer en ce moment.

Bien sûr, en pensant à Pépé, on songe d’abord à la diffusion de la beauté par la musique et le chant, en remarquable fidélité avec les charismes hérités de sa famille d’origine, au point que la passion pour cette forme d’art continue d’inspirer les engagements d’autres personnes autour d’elle. 

Chez Pépé, la compétence donna la main au désir de partager ces moments de bonheur magique avec d’autres, à commencer par les enfants. Car le chant nous enchante davantage et la musique est plus envoûtante quand les artistes qui les servent sont des êtres généreux pour les faire découvrir et aimer en les offrant en « pratique de beauté ». Pépé était de celles-là.

Mais pas que cela. Avec ses nombreuses qualités humaines -non sans quelques bons défauts liés à sa forte personnalité-, Germaine a surtout beaucoup donné d’amour. Oui, cet amour dont l’apôtre Jean nous a rappelé dans la première lecture qu’il vient de Dieu et qu’il nous permet de vraiment connaître Dieu.
Ne l’oublions jamais : c’est son amour qui nous a fait naître à la vie, puisqu’il a mis en nous cet admirable ADN : aimer et être aimé, la seule recette du bonheur, surtout si l’on donne priorité à l’amour donné plus qu’à l’amour reçu. Comme Jésus.

J’ai conscience qu’il faudrait en dire davantage à propos de Germaine. Evoquer ses épreuves : le veuvage, puis la maladie qui ne l’ont pas empêchée de continuer à donner.
Parler de son affection pour ses trois enfants et ses 7 petits-enfants, jusqu’au bout, par exemple dans les célébrations du dernier Noël en famille et en forêt, si émouvantes parce que soulevées par son ultime courage pour vous rassembler et vous faire rire et chanter selon nos meilleures traditions.

Et puis voici l’évangile de la mort du Christ en croix. Il a été choisi par la famille. Elle m’a dit pourquoi.  Une petite phrase relie le Seigneur et notre sainte – laïque et critique - Germaine : « Tout  est accompli ». En quel sens ?

Pour Pépé, ça signifie sans doute qu’elle est allée au bout de ses potentialités d’intelligence, d’amour et de beauté, notamment par la musique et le chant  chaleureusement partagés. On peut partir en paix quand on estime avoir tout donné, tout le possible, avec la conscience du devoir accompli.

Il y a une immense liberté dans le fait d’avoir pu accomplir tout le prévu, dans les limites de la faiblesse humaine évidemment.
Es ist vollbracht, chante l’alto dans la passion selon St-Jean de Bach. Ruht wohl, répond le grand chœur.

 Mais surtout ne concluons pas que tout est fini, qu’il n’y a plus rien à attendre ni à vivre. « Seigneur, éveille-moi de la mort en toute joie ». Ainsi s’achève, sur cette ouverture, la sublime méditation de Bach, sur un au-delà offert par le Jésus de Pâques.

 Comment imaginer que tant d’amour vécu par Pépé dans toutes ses relations, que tant de beauté  illustrée par la musique et le chant finissent dans les poubelles de l’histoire ?
 Ce sont des graines d’éternité semées sur son passage. Ce sont des étoiles allumées au firmament de Dieu. Ou des anges qui chantent sous sa direction énergique comme des marnousets du ciel.

Oui, tout est accompli, comme on le goûte dans le point d’orgue  de la Johannes-Passion : « Ich will dich preisen ewiglich. Je veux te louer éternellement. »
C’est un point d’orgue sans fin dans le concert des bienheureux. C’est la partition de la foi qui se marie avec l’écho infini de la beauté de Dieu.
Car la vie est belle : une des dernières paroles de Pépé. Quand cette vie s’endort sur notre terre, pourquoi ne s’épanouirait-elle pas en Dieu ?
Parce que la vie, c’est Lui.


Claude Ducarroz


jeudi 4 janvier 2018

Pour ma soeur + Suzanne

Pour + Suzanne
A partir de I Jn 3, 14,16 et 20  et Jn 14,1-6.

Ultreia !
Au loin ! Toujours plus loin !

Ce cri court, d’étape en étape, tout au long du chemin qui mène à Compostelle. Il invite à reprendre la route d’aujourd’hui après la fatigue d’hier. Il donne le courage d’aller jusqu’au bout du pèlerinage, celui de saint Jacques, et surtout celui de la vie.

Regardez cette photo. Malgré ses épreuves –et notamment un grave accident qui l’empêcha un jour de continuer-, Suzanne est là, plus loin que Compostelle, au bout de la terre, au bord de l’océan. Christian est tout proche. Suzanne nous sourit, un soulier à la main, comme si elle nous disait au revoir, avant d’embarquer pour le dernier voyage, celui qui mène au royaume de Dieu.

Et c’est sur ce rocher que nous sommes rassemblés maintenant. Baignés de larmes, remplis de si beaux souvenirs, habités par la reconnaissance, peu à peu gagnés par une difficile espérance, celle qui ne peut venir que d’ailleurs, de plus haut, de plus loin encore. Ultreia !

Suzanne ! Dans la famille, c’était d’abord l’unique. Unique fille parmi quatre garçons, notre unique sœur, d’autant plus précieuse, d’autant plus chérie. Une des dernières choses qu’elle a dite à l’infirmière : « mes frères, c’est très important pour moi. »  Que dire alors d’elle…pour nous, d’autant plus que deux d’entre nous, nous ont déjà quittés, trop tôt au regard de notre cœur… et du sien ?

Et puis elle est devenue l’unique pour Christian, qui nous l’a ravie très jeune. Nous avons vite compris que ce fut une bénédiction, car ils ont donné le témoignage d’un couple très uni, par l’amour qui partage tout - joies et peines-, qui construit sur des valeurs solides. Plus qu’une maison, oui, un foyer, là où il fait clair et chaud, pour les enfants d’abord, et les petits-enfants, sans compter les nombreux amis, toujours si bien accueillis…. Ou accueillants, comme les Sœurs du couvent des Dominicaines.

Autant de raisons de redire merci à celle que nous pleurons, y compris pour sa vie professionnelle, au service des malades et des solitaires.

La vie humaine est ainsi faite. Plus il y a d’amour vécu en profondeur, plus il y a de douleur lors de l’inéluctable séparation. Nous sommes aussi là aujourd’hui, avec le chagrin de nos familles, avec la peine des nombreux amis de Suzanne. Dans notre cœur et dans notre esprit, il y a ce combat : d’une part, il y a la joie de vivre et le désir de vivre encore –fleurs cueillies dans le sourire de Suzanne -, et d’autre part il y a ce couperet de la mort qui vient déchirer les bons moments du passé et semble fermer la porte d’un avenir qui puisse encore offrir quelque bonheur partagé. La mer de cette photo semble là pour tout noyer dans les flots de nos larmes.

Et puis quelqu’un s’est approché de nous, discrètement, simplement, comme à Bethléem, ou quand il marchait sur les eaux en répétant : N’ayez pas peur !  Il est venu de l’au-delà, mais pour être au milieu de nous, et tout partager, les joies et les croix. Et même la mort.

Pas pour l’éliminer en ce monde, mais pour la traverser d’un souffle de vie plus puissant que tout. L’océan qui noie devient alors la mer qui s’offre pour un nouveau voyage, parce qu’il y a un nouveau capitaine sur la frêle embarcation de notre pauvre histoire.
La mort, si douloureuse qu’elle soit, y compris pour celles et ceux qui restent, est transfigurée en invitation au pèlerinage avec le ressuscité. Car désormais, c’est lui qui mène la barque, et il la conduit vers une autre maison, la sienne, là où il y a de la place pour beaucoup de monde, là où Suzanne est désormais arrivée, dans la paix. Elle qui a tant servi les autres, pour nos petits et nos grands bonheurs de chaque jour, elle est maintenant servie par le roi-serviteur qu’est le Jésus de Pâques.

Je le sais. Tout cela ne supprime pas notre souffrance ni n’éteint toutes nos questions devant la douloureuse absence de l’être aimé.
Mais, suspendus à la lumière vacillante de notre foi, accrochés aux promesses de l’évangile, il nous reste cette petite espérance, ultreia par-dessus l’océan. Oui, l’espérance de nous retrouver un jour au port de la vie éternelle, dans la maison de l’amour enfin vainqueur.
Et en attendant, si nous avons le droit de beaucoup pleurer, nous avons aussi le devoir de nous soutenir les uns les autres dans cette épreuve. Comme nous le faisons maintenant, comme nous le ferons encore plus tard, en souvenir de Suzanne, en fidélité à l’exemple de son esprit de service et de partage, en amour de la vie qui continue.

Regardez-la. Sur la barque de son nouveau pèlerinage, elle semble s’éloigner pour toujours. Mais comme sur le rocher de « finis terrae », elle continue de nous regarder, de nous sourire, de nous dire, de loin quand nos yeux la cherchent ici-bas, mais de si près quand nous la retrouvons dans l’intimité de notre cœur : ça vaut toujours la peine de croire, d’espérer et surtout d’aimer.

C’était Suzanne. C’est encore Suzanne. Ce sera toujours notre Suzanne bien aimée.



Claude Ducarroz

mardi 2 janvier 2018

C'était Noël !

Homélie
NOEL 2017

« Alors, comment voulez-vous l’appeler, ce petit … ou cette petite ? »
Avant le règne de l’écographie, la sage-femme posait cette question à la naissance, au Noël de chaque enfant.

Et pour le petit de Marie et Joseph, l’enfant de la crèche à Bethléem, c’est quel nom ? L’évangile de cette nuit fait office de livret de famille. Mais attention ! Ce bébé n’étant pas tout à fait comme les autres, il a plusieurs noms. Pour mieux le connaître, ou plutôt pour mieux saisir sa mystérieuse identité, il faut explorer la liste de ses prénoms. Que de découvertes importantes, y compris pour notre vie à nous, et même pour notre mort.
Regardons-le d’abord très humainement, comme Marie et Joseph l’ont vu les premiers, comme les bergers l’ont aperçu en arrivant dans l’étable. « C’est votre premier enfant ? »
Et voici deux réponses. Une sur la terre : « C’est mon fils premier-né », dit Marie approuvée par Joseph évidemment.
Et une réponse dans le ciel, celle de Dieu lui-même qui déclare ainsi sa divine paternité : « Celui-ci est mon fils bien-aimé. Ecoutez-le ».
L’emmailloté est le fils éternel de Dieu et en même temps le fils d’une petite servante de Nazareth, une sorte de requérante d’asile, qui n’a même pas trouvé place dans une petite auberge sans étoile pour mettre au monde son petit.
Et ça donne envie, n’est-ce pas ? de mieux connaître ce petit enfant, après son premier soupir à la vie, après son premier cri au monde. Il devait bien y avoir une grande curiosité dans l’air. C’est qui, celui-là ? L’ambiance de cette nuit ne manquait pas d’interroger.
Dans le ciel, dit l’évangile, la gloire du Seigneur avec une grande lumière. C’est déconcertant. Chez les bergers – on peut les comprendre - une grande crainte. Ils ne s’attendaient pas à trouver tout ça dans une étable. Et une promesse qui commence à se  manifester au ciel et sur la terre : une grande joie pour tout le peuple. Ca fait beaucoup à la fois. On ne sait pas trop à quelle émotion se vouer : gloire, crainte, joie ?
Selon l’évangile, le secret a été dévoilé aussitôt : « Il vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Mais il faudra beaucoup de méditation en silence pour explorer une telle révélation, y compris pour sa mère Marie « qui retenait tous ces évènements et les méditait dans son cœur. » Il faudra au moins trois années, et le secours du Saint-Esprit, pour que ses plus proches compagnons devinent qui était cet étrange  prophète itinérant en Israël. Et surtout, il faudra qu’il sauve le monde par amour sur la croix,  il faudra qu’il fasse la démonstration de sa seigneurie – devenir le Seigneur dans son mystère pascal -  pour que les annonces anticipées des anges s’imposent à leur foi émerveillée.
A la nôtre aussi. Car il faudra des siècles, y compris jusqu’à nous ce soir, pour que des croyants, tout au long de l’histoire et à travers le monde entier, confessent la vérité et la beauté de cette révélation : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. » Oui, que soit vraie et vérifiée l’annonce du prophète Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ».
Et mieux encore : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. Et nous avons vu sa gloire, celle qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. »
Mais attention à bien tenir ensemble toute cette grâce et toute cette vérité. A savoir : on ne parlerait plus de Noël s’il n’y avait pas eu la mort et surtout la résurrection de Jésus, le Christ. Peut-être que d’autres bébés sont nés, cette nuit-là, à Bethléem, comme Jésus. Mais il faut ajouter aussitôt : il n’y aurait pas eu de mystère pascal si ce Jésus n’était pas né comme il né, cette nuit-là, de la femme Marie, près de Joseph, avec le chant des anges et la joie des bergers.
Nous sommes les enfants de la Pâque de Jésus, et notre baptême nous confère cette hérédité et nous la rappelle. Nous sommes aussi les enfants de Noël. Comment accueillir et manifester cette double filiation ? En endossant en profondeur tous les noms de l’enfant de Noël, tel que l’évangile nous en fait la mémoire.

* Aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout, le reconnaître dans tous les petits de la terre, et je dirais même les plus petits, autrement dit les enfants.  Jésus n’a-t-il pas commencé tout simplement, tout humainement, comme l’un d’eux ?
* Le servir dans tous ceux et toutes celles qui, chez nous et jusqu’au bout du monde, sont réduits à la pauvreté de leur étable, à la déshérence vagabonde, à l’exclusion sociale, à la souffrance innocente, à l’injustice et à la violence.
* Mais aussi, avec tous les croyants qui se disent chrétiens - même s’ils sont encore trop souvent divisés -, porter courageusement ce nom « chrétien », avec humilité certes, mais aussi avec courage et clarté. Car nous ne sommes pas les propriétaires exclusifs de Jésus, mais ses bergers de ce jour, eux qui  n’ont pas craint, avec les anges, de « faire connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant ». Sans tout comprendre tout de suite, sans tout connaître, par pur émerveillement.
Car il faut que sa venue puisse être perçue et accueillie comme « une grande joie pour tout le peuple », autrement dit toute l’humanité.
* Et finalement, maintenant, parce que, où que nous soyons, nous sommes toujours un peu à Noël, il nous faut le reconnaître, l’adorer et surtout le recevoir dans l’humble signe de l’eucharistie par laquelle, emmailloté de pain, il veut se blottir dans notre crèche, malgré la paille et les courants d’air, pour habiter non seulement au milieu de nous, mais en nous.
Lui Jésus, le nouveau-né, le fils, le Sauveur, le Christ, le Seigneur.

Claude Ducarroz