jeudi 4 janvier 2018

Pour ma soeur + Suzanne

Pour + Suzanne
A partir de I Jn 3, 14,16 et 20  et Jn 14,1-6.

Ultreia !
Au loin ! Toujours plus loin !

Ce cri court, d’étape en étape, tout au long du chemin qui mène à Compostelle. Il invite à reprendre la route d’aujourd’hui après la fatigue d’hier. Il donne le courage d’aller jusqu’au bout du pèlerinage, celui de saint Jacques, et surtout celui de la vie.

Regardez cette photo. Malgré ses épreuves –et notamment un grave accident qui l’empêcha un jour de continuer-, Suzanne est là, plus loin que Compostelle, au bout de la terre, au bord de l’océan. Christian est tout proche. Suzanne nous sourit, un soulier à la main, comme si elle nous disait au revoir, avant d’embarquer pour le dernier voyage, celui qui mène au royaume de Dieu.

Et c’est sur ce rocher que nous sommes rassemblés maintenant. Baignés de larmes, remplis de si beaux souvenirs, habités par la reconnaissance, peu à peu gagnés par une difficile espérance, celle qui ne peut venir que d’ailleurs, de plus haut, de plus loin encore. Ultreia !

Suzanne ! Dans la famille, c’était d’abord l’unique. Unique fille parmi quatre garçons, notre unique sœur, d’autant plus précieuse, d’autant plus chérie. Une des dernières choses qu’elle a dite à l’infirmière : « mes frères, c’est très important pour moi. »  Que dire alors d’elle…pour nous, d’autant plus que deux d’entre nous, nous ont déjà quittés, trop tôt au regard de notre cœur… et du sien ?

Et puis elle est devenue l’unique pour Christian, qui nous l’a ravie très jeune. Nous avons vite compris que ce fut une bénédiction, car ils ont donné le témoignage d’un couple très uni, par l’amour qui partage tout - joies et peines-, qui construit sur des valeurs solides. Plus qu’une maison, oui, un foyer, là où il fait clair et chaud, pour les enfants d’abord, et les petits-enfants, sans compter les nombreux amis, toujours si bien accueillis…. Ou accueillants, comme les Sœurs du couvent des Dominicaines.

Autant de raisons de redire merci à celle que nous pleurons, y compris pour sa vie professionnelle, au service des malades et des solitaires.

La vie humaine est ainsi faite. Plus il y a d’amour vécu en profondeur, plus il y a de douleur lors de l’inéluctable séparation. Nous sommes aussi là aujourd’hui, avec le chagrin de nos familles, avec la peine des nombreux amis de Suzanne. Dans notre cœur et dans notre esprit, il y a ce combat : d’une part, il y a la joie de vivre et le désir de vivre encore –fleurs cueillies dans le sourire de Suzanne -, et d’autre part il y a ce couperet de la mort qui vient déchirer les bons moments du passé et semble fermer la porte d’un avenir qui puisse encore offrir quelque bonheur partagé. La mer de cette photo semble là pour tout noyer dans les flots de nos larmes.

Et puis quelqu’un s’est approché de nous, discrètement, simplement, comme à Bethléem, ou quand il marchait sur les eaux en répétant : N’ayez pas peur !  Il est venu de l’au-delà, mais pour être au milieu de nous, et tout partager, les joies et les croix. Et même la mort.

Pas pour l’éliminer en ce monde, mais pour la traverser d’un souffle de vie plus puissant que tout. L’océan qui noie devient alors la mer qui s’offre pour un nouveau voyage, parce qu’il y a un nouveau capitaine sur la frêle embarcation de notre pauvre histoire.
La mort, si douloureuse qu’elle soit, y compris pour celles et ceux qui restent, est transfigurée en invitation au pèlerinage avec le ressuscité. Car désormais, c’est lui qui mène la barque, et il la conduit vers une autre maison, la sienne, là où il y a de la place pour beaucoup de monde, là où Suzanne est désormais arrivée, dans la paix. Elle qui a tant servi les autres, pour nos petits et nos grands bonheurs de chaque jour, elle est maintenant servie par le roi-serviteur qu’est le Jésus de Pâques.

Je le sais. Tout cela ne supprime pas notre souffrance ni n’éteint toutes nos questions devant la douloureuse absence de l’être aimé.
Mais, suspendus à la lumière vacillante de notre foi, accrochés aux promesses de l’évangile, il nous reste cette petite espérance, ultreia par-dessus l’océan. Oui, l’espérance de nous retrouver un jour au port de la vie éternelle, dans la maison de l’amour enfin vainqueur.
Et en attendant, si nous avons le droit de beaucoup pleurer, nous avons aussi le devoir de nous soutenir les uns les autres dans cette épreuve. Comme nous le faisons maintenant, comme nous le ferons encore plus tard, en souvenir de Suzanne, en fidélité à l’exemple de son esprit de service et de partage, en amour de la vie qui continue.

Regardez-la. Sur la barque de son nouveau pèlerinage, elle semble s’éloigner pour toujours. Mais comme sur le rocher de « finis terrae », elle continue de nous regarder, de nous sourire, de nous dire, de loin quand nos yeux la cherchent ici-bas, mais de si près quand nous la retrouvons dans l’intimité de notre cœur : ça vaut toujours la peine de croire, d’espérer et surtout d’aimer.

C’était Suzanne. C’est encore Suzanne. Ce sera toujours notre Suzanne bien aimée.



Claude Ducarroz

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