dimanche 29 avril 2012

Homélie pour des Céciliennes (Bussy FR)

Homélie pour les Céciliennes à Bussy 2012

« Ma Broye, ô pays charmant ! Plaine blonde, si féconde… » Nous chantions cela à l’école quand j’étais enfant. Et on le répétait avec M. le Régent en vue des maientzes du 1er mai. Mais l’hiver, la plaine de ce pays toujours charmant n’était plus blonde. Parfois –c’était avant le réchauffement climatique-, cette plaine devenait blanche sous les effets du givre ou de la neige. Mais elle restait féconde. Je me souviens : des troupeaux de moutons parcouraient nos champs engourdis à la recherche d’une herbe rare que les montagnes des Alpes, sous les rigueurs de l’hiver, ne parvenaient plus à fournir. Il y avait le berger, avec sa grande houppelande qui lui permettait de dormir à la belle étoile, et puis le chien qui circulait sans cesse pour garder les brebis craintives dans le droit chemin.

C’est un tel berger –il s’appelle Luigi- que mon ami Marcel Imsand a immortalisé dans cette photo pleine de tendresse, qu’il m’a offerte avant que je quitte la basilique Notre-Dame de Lausanne, où il était un excellent paroissien.

Vous l’avez entendu dans l’évangile de ce jour : aujourd’hui, c’est le dimanche du bon pasteur. Tout y est : le bon berger qui connait ses brebis, les conduit et se donne à fond pour elles, et les brebis évidemment, parfois menacées de dispersion, mais finalement attentives à la voix de leur pasteur parce qu’elles sentent qu’il les aime et veut en toutes circonstances leur meilleur bien. Comme Luigi !

Nous connaissons notre pasteur, celui qui a donné sa vie pour ses brebis, celui qui ne les abandonne jamais, et surtout pas quand survient le loup : le Christ Jésus, notre divin pasteur.

Que n’a-t-il pas fait pour ses brebis, donc pour nous ? Le mystère pascal, que nous venons de célébrer avec votre collaboration dans les liturgies de la semaine sainte, nous rafraîchit notre mémoire chaque année, depuis le lavement des pieds jusqu’au matin de Pâques en passant par la croix.
Que ne fait-il pas encore pour nous aujourd’hui à travers la Parole qu’il nous adresse à chaque messe, jusqu’à l’eucharistie dans laquelle il continue de donner sa vie pour ses brebis, pour nous. Sans oublier ce qu’il réalise dans la communauté de l’Eglise afin qu’il y ait, de plus en plus, un seul troupeau et un seul pasteur. Et tout cela, évidemment, par amour. On comprend mieux alors l’exclamation de l’apôtre Jean quand il écrit : « Mes bien-aimés, voyez comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu - et nous le sommes. »

Chers chanteuses et chanteurs, dans ce contexte, qui êtes-vous, vous ?

Avec tous les autres chrétiens, vous êtes d’abord les fidèles brebis du bon pasteur. Motivés par votre foi, portés par votre joie de chanter, vous êtes dans les premiers rangs de ce troupeau biblique qui écoute la voix de son berger, qui apprend toujours mieux à le connaître et à le reconnaître, qui accueille sa vie toujours redonnée pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Et vous ajoutez votre propre voix en écho à la sienne quand, après avoir entendu sa parole, vous lui répondez par la musique et par les chants. Vous brodez de beauté la Parole faite chair, vous ornez de splendeur l’écrin de son corps livré, vous contribuez au rayonnement de son Esprit par les halos de vos harmonies.

Mais dites-vous bien d’abord qu’il s’agit là pour vous d’une grâce, celle de pouvoir, tout près du berger, accueillir sa présence toujours offerte en y ajoutant le lyrisme de la musique, le charme des chants, les couleurs de vos voix, la symphonie de vos cœurs.
Oui, d’abord une grâce pour laquelle, surtout à l’occasion d’une fête comme celle-ci, nous voulons rendre grâces, avec vous, à cause de vous.

Une grâce, mais aussi un service. Et là, j’en suis persuadé, vous entrez dans la pastorale, je veux dire : vous collaborez à la mission du pasteur. Sans cesser d’être les heureuses brebis du Christ, vous devenez aussi, quelque part, des pasteurs avec lui et pour lui.
Je le crois d’autant plus par les temps qui courent. Le troupeau devient plus petit, c’est un fait. Des brebis s’en vont loin du pasteur, au risque d’errer dans des champs piégés ou de se perdre dans les montagnes de tous les dangers. Il ne manque même pas de faux pasteurs –ceux que Jésus appelle des mercenaires- qui abandonnent les brebis au lieu de les protéger. Quant aux loups de l’évangile, je crois qu’il n’y a pas besoin de faire un dessin : ils ne sont pas qu’en Valais ou dans le parc national. Ils peuvent aussi sévir chez nous et même en nous, quand ce n’est pas peut-être…nous.

Vous, les chanteurs et les chanteuses, et celles et ceux qui vous dirigent, vous entraînent et vous accompagnent : vous êtes appelés à demeurer proches du bon pasteur, imparfaitement certes, mais sincèrement, de toute votre foi, de toute votre voix, de toute votre joie.

C’est peu dire de vous répéter que l’Eglise a plus que jamais besoin de vous, de votre présence fidèle, de votre enthousiasme contagieux, de votre ardeur à répandre de la ferveur priante au milieu de nous. Je le sais : vous pourriez vous décourager quand vos effectifs diminuent, quand vous remarquez parfois que vous êtes plus nombreux à la tribune que les autres participants dans la nef.

C’est une épreuve pour vous et, j’ose le dire, d’abord pour vos prêtres, diacres et assistants pastoraux. Mais être chrétien, dans ces circonstances, c’est précisément tenir ensemble, persévérer dans le service, garder le souci de la qualité, prendre conscience de cette vérité proclamée par Jésus lui-même : « Ne crains pas, petit troupeau, car il plu à votre Père de vous donner le Royaume des cieux. » Vous n’êtes pas là seulement pour vous. Vous êtes là d’abord pour le Seigneur. Vous êtes là pour édifier la communauté, si petite qu’elle soit. Et vous portez avec vous dans la prière les absents, les lointains, les oublieux ou les paresseux pour lesquels le Seigneur a aussi donné sa vie.

Chers chanteuses et chers chanteurs, ce n’est pas le moment de faiblir. C’est toujours le moment de fleurir, sous le soleil de l’évangile, en nous laissant guider par le vrai berger de nos cœurs et en nous donnant la main fraternelle de la communion ecclésiale.
Ne soyez pas des chrétiens bêlants, mais des brebis chantantes, heureuses de se savoir aimées par le meilleur des pasteurs.

Claude Ducarroz

mardi 24 avril 2012

Visitez la cathédrale de Fribourg

La cathédrale St-Nicolas de Fribourg
« Chef d’œuvre du gothique européen »


Petite histoire

Fribourg a été fondé en 1157 par le duc Bertold IV de Zaehringen. Aussitôt une première église a été érigée, en style roman, déjà dédiée à saint Nicolas, évêque de Myre autour de l’an 300 (Turquie actuelle).
En 1283, les travaux ont démarré pour ériger un sanctuaire plus vaste, en style gothique. Cette église a été terminée en 1490. La tour mesure 80 m. de hauteur, accessible par 365 marches, et compte 13 cloches.
Notons que le chœur a été achevé seulement en 1630 et orné de 32 écussons de familles et corporations locales.
De sa fondation à 1512, cette église était l’église paroissiale de la ville de Fribourg. En 1512, par un décret du pape Jules II, elle est devenue une collégiale confiée à un collège de chanoines. Enfin, depuis 1924, elle est une cathédrale, autrement dit l’église de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.

Comme des bandes dessinées…

Pour apprécier ses merveilles de l’intérieur, on peut visiter la cathédrale comme on parcourt 4 bandes dessinées.

1. Ce qui frappe –et souvent éblouit-, ce sont d’abord les vitraux.
Les plus anciens, au dessus des portes latérales, sont de 1530.
Les grandes verrières, œuvre du peintre polonais Josef Mehoffer, ont été réalisées entre 1896 et 1936. Elles couvrent 240 mètres carrés et se distribuent en 4 thèmes principaux :
- des vitraux hagiographiques qui évoquent des figures de saints et saintes
- des vitraux dogmatiques qui illustrent des grandes vérités de la foi, comme la Sainte Trinité (dans le chœur) ou l’Eucharistie
- des vitraux bibliques, par exemple l’adoration des mages
- des vitraux historiques, par exemple l’évocation de saint Nicolas de Flue qui fit entrer Fribourg dans la Confédération suisse en 1481, ou la victoire de la bataille de Morat en 1476, ainsi que les principaux évènements qui ont jalonné l’histoire de l’Eglise et de l’Etat à Fribourg (dans le choeur).

Le peintre français Alfred Manessier a complété la décoration de la cathédrale entre 1976 et 1988 en réalisant les vitraux des fenêtres hautes de la nef, ainsi que les 2 vitraux de la chapelle du Saint-Sépulcre (le mystère de la mort et de la résurrection du Christ), et la superbe rosace de la tour sur le thème du Cantique de Marie (Magnificat).

2. La deuxième bande dessinée est constituée par les monuments de pierre.
Il faut admirer les fonts baptismaux (1499) et la chaire (1515), ainsi que la scène de la crucifixion au dessus de l’entrée du chœur (1430).
Les plus belles sculptures se trouvent dans la chapelle du Saint-Sépulcre (1433). Elles représentent, en 13 personnages, la mise au tombeau du Christ.
Enfin il ne faut pas manquer de contempler le portail d’entrée. Il illustre la scène du jugement dernier du Christ qui, du haut du ciel, distribue les hommes de toutes conditions sociales, tantôt vers la porte du Paradis, tantôt vers l’enfer où les attendent d’horribles diables.
Dans les voussures, la communauté innombrable des saints et saintes prient pour nous. Et les apôtres, dans les parois, nous rappellent que nous formons l’Eglise apostolique à partir du mystère de l’Annonciation à Marie par l’ange Gabriel.
Saint Nicolas, au centre, continue de veiller sur sa bonne ville.

3. La bande dessinée des tableaux ponctue les parois de la grande nef, avec les apôtres assis et les prophètes debout, pour montrer la correspondance entre l’Ancien et le Nouveau Testament (vers 1650). On peut aussi admirer les tableaux des autels baroques (17ème siècle).

4. La bande dessinée en bois se trouve dans le chœur. A travers la grande grille (1465), on peut apercevoir les 50 stalles des chanoines. De style savoisien, elles ont été sculptées entre 1462 et 1464. Après la description de la scène de la création et du péché originel (sur la droite), on retrouve le rythme de l’alternance des apôtres et prophètes, tous différents, chacun portant une inscription de son message biblique ou théologique.

Il ne faut pas quitter la cathédrale sans remarquer la splendeur du grand orgue romantique (1834).

Claude Ducarroz, prévôt

Pour plus d’informations : www.chapitre-stnicolas.ch

samedi 21 avril 2012

Homélie du 3ème dimanche de Pâques

Homélie du 3ème dimanche de Pâques 2012

Comme on les comprend, n’est-ce pas ? ces hommes frappés de stupeur et de crainte, qui croyaient voir un esprit. Parce que, aujourd’hui comme jadis, croire à la résurrection relève du défi. Que ce soit la résurrection de Jésus dans le passé ou notre résurrection à nous dans l’avenir.

Une enquête sérieuse, menée par un journal catholique en France avant la fête de Pâques, montre que seuls 10% des Français croient en la résurrection auprès de Dieu, tandis que 7% préfèrent la réincarnation, alors que 33% croient en quelque chose après la mort sans pouvoir le définir et 43% ne croient en rien. Il faut certes nuancer : chez les catholiques pratiquants réguliers, 57% s’attendent à la résurrection après la mort, mais les 43 autres % sont fort embarrassés dans leurs réponses, partagés entre quelque chose -29%- et même rien – 8%. Décidemment, la résurrection, qui est au cœur de la foi chrétienne, ne va pas de soi par les temps qui courent, même –semble-t-il - parmi de nombreux chrétiens.

Jésus lui-même parait étonné par la réaction de ses disciples, qui ont de la peine à se rendre à l’évidence de sa nouvelle présence au milieu d’eux après sa mort. « Pourquoi êtes-vous bouleversés ?, leur dit-il, et pourquoi ces pensées qui surgissent en vous ? »
Il leur montre alors ses mains et ses pieds, et leur propose de manger avec eux, avec cette remarque très réaliste : « C’est bien moi, touchez-moi, regardez ! » Jésus ne veut pas les laisser dans le doute ni les abandonner aux mirages du fantôme ou de l’illusion.

Mais ce qui suit est encore plus décisif, car c’est bien là que nous en sommes, nous, qui n’avons pas pu manger et boire avec Jésus après sa résurrection. Finalement, il les renvoie, eux aussi, à l’intelligence des Ecritures. Car « il fallait que s’accomplisse en lui ce qui était annoncé dans la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes. »
Autrement dit, personne –et pas même les Apôtres au soir de Pâques- ne peut faire l’économie du passage par la Bible. Plus précisément encore, personne ne peut éviter, quand il s’agit du mystère pascal de Jésus, le saut de la foi à partir de la confrontation aux Ecritures, proclamées, expliquées et comprises dans la communauté de l’Eglise. « Heureux plutôt ceux qui croient sans avoir vu », dit Jésus à Thomas, alors même qu’il était invité à toucher le corps du Ressuscité.
C’est notre situation à nous : nous avons le témoignage des prophètes et des apôtres tel qu’il nous est accessible dans les Ecritures. Après cela, il nous reste à faire le pas personnel de la foi, celui que personne ne peut faire à notre place. On peut alors comprendre –sans les juger évidemment- que beaucoup n’y parviennent pas, ou pas encore, tant cette démarche est intime, personnelle et finalement mystérieuse.

Après la foi pascale, Jésus propose une deuxième étape, ce qu’il appelle la conversion. On pourrait traduire cela ainsi : quand on croit à la résurrection, ça change, ça doit changer la vie. On ne peut plus vivre comme avant. Exister en ce monde comme des promis à la résurrection, c’est un sacré bouleversement dans notre destinée.
D’une part notre vie ne conduit pas à une mort qui aurait le dernier mot puisque celui qui a vaincu la mort nous offre sa résurrection, lui l’aîné d’une multitude de frères et sœurs, à savoir nous. Nous savons –ou du moins nous croyons- que notre existence transcende la fatalité de la mort pour déboucher sur une existence éternelle dans la maison de Dieu, là où il y a de la place pour beaucoup de monde.

Mais cette espérance, jaillie au matin de Pâques avec la résurrection de Jésus, a aussi une influence énorme sur la manière de conduire notre vie –tant personnelle que communautaire- dès ici-bas. De nouvelles valeurs s’imposent, ou alors le Christ est mort et ressuscité pour rien. Ce qui doit nous guider dans nos choix dorénavant, c’est l’amour de Dieu et du prochain, la recherche de la paix entre les hommes et les peuples, la justice sociale, et d’abord au bénéfice des plus faibles et des plus pauvres. C’est la construction d’une humanité nouvelle, plus solidaire, plus fraternelle, plus respectueuse de la vie, de la création, de la dimension spirituelle de tout être humain créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tout un programme concret pour les enfants de la Pâque, que nous sommes.

Enfin, Jésus ressuscité ne nous laisse pas tranquilles, car nous ne sommes pas ici-bas comme des voyageurs qui somnolent dans une salle d’attente dans l’espérance qu’arrive le train de l’éternité. Les promis à la résurrection sont des envoyés à toutes les nations. Vous l’avez entendu : « De tout cela, c’est vous qui en êtes les témoins. »

Ce noble devoir de témoigner pour le Christ, d’oeuvrer en Eglise, est d’autant plus urgent dans le contexte d’aujourd’hui. Nous avons la chance de vivre dans une société où la liberté de conscience, de religion et de culte est globalement assurée. Une telle liberté vaut évidemment pour tout le monde, dans le cadre du respect des lois démocratiques. Il me semble que d’autres religions et idéologies en profitent largement, parfois avec un certain zèle frisant la propagande, alors que les chrétiens sont devenus bien timides, souvent gênés, parfois honteux dans l’affirmation de leur foi. Il ne s’agit pas de mener de grandes démonstrations triomphalistes, mais d’exprimer, humblement mais sans mauvaise pudeur, quelle est notre foi, en rendant témoignage à celui qui donne un sens à notre vie et à notre mort. Pourquoi serions-nous les seuls à nous gêner de rendre compte devant les autres de notre foi religieuse ?

De cette foi, même si elle est devenue une parmi d’autres, c’est vous qui en êtes les témoins, nous répète Jésus. Il n’y a pas à en rougir, dans la mesure où elle nous invite à mieux servir Dieu et à mieux aimer nos frères et sœurs, quels qu’ils soient, y compris celles et ceux qui ne pensent pas comme nous ou pratiquent d’autres religions, à moins qu’ils n’en aient aucune, ce qui est de plus en plus fréquent chez nous.

« Devant tout le peuple, Pierre prit la parole », racontent les Actes des apôtres. Pierre, aujourd’hui, ce n’est pas seulement le pape. C’est chacun de nous.

Claude Ducarroz

dimanche 15 avril 2012

Homélie pour le dimanche de la miséricorde

Homélie pour le dimanche de la miséricorde


Miséricorde. Un seul mot, et tout est dit. Il y a tout dans ce mot-là, et Dieu et nous. Et surtout la rencontre entre nous deux.
La miséricorde ou le cœur sur une misère. Le cœur de Dieu sur nos misères. Et tout est transfiguré.

La misère, les misères : on connaît ça.
* Il y a celles du corps, pas faciles à assumer, quand il s’agit de l’âge, du handicap, de la maladie. Il vaut mieux être jeune, beau et en bonne santé, n’est-ce pas ?, si l’on en croit les slogans des publicités à la mode. Savent-ils, ces top modèles, qu’un jour aussi, comme tout le monde, ils seront vieux, moches ou malades ?
* Il y a les misères du cœur, connues ou cachées, quand on se sent trahi, exclu ou ignoré, quand les liens affectifs se relâchent, jusqu’à la solitude, quand on finit par s’estimer « de trop » au milieu de la foule indifférente, parce qu’on est non rentable ou étranger, ou tout simplement différent.
* Et puis il y a ces misères de l’esprit, le non-sens d’une existence sans but ou sans perspective, le vertige philosophique, la détresse spirituelle de ceux qui se retrouvent sans foi ni loi, pauvres feuilles sèches ballottées sur le torrent des passions ou des cultures du néant.

Et il y aurait, en réserve quelque part, un cœur ouvert pour ceux-là, pour nous, pour chacun de nous ? Sur toutes ces misères, il y aurait encore un amour plus fort qui viendrait les collecter pour les digérer et les éliminer ?
Il y aurait donc encore une tendresse, un pardon, une rédemption ?
Ecoutons une parole, regardons un cœur, et laissons-nous enfin aimer, tels que nous sommes, y compris avec nos misères.

* La parole est brève, mais les effets sont immenses, explosifs. « Dieu est amour », et tout est dit. C’est sa carte d’identité, c’est sa définition, c’est son ADN. Dieu est Amour, rien que cela, tout cela. Celui qui nous a créés à son image et à sa ressemblance ne peut lâcher son portrait vivant, même quand nous l’avons abîmé par nos misères justement. Car Dieu ne peut cesser d’aimer, même ceux qui ne l’aiment pas. Sans les forcer évidemment –ou alors il cesserait de les aimer en piétinant leur liberté-, Dieu tient toujours en réserve, dans un recoin de son cœur de père, un rendez-vous pour le retour, la réconciliation, un baiser pour ses enfants prodigues.
* Une parole, mais aussi un cœur. Là, tout est dit dans le silence, à condition d’oser regarder une croix ou plutôt un crucifié. Après la mort de Jésus, c’est la grande mise en scène de la miséricorde, jusque dans le réalisme le plus violent.
Regarde. Il y a bel et bien un cœur. « Un soldat s’approcha et d’un coup de lance, il lui perça le côté. Aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » Humaine et divine miséricorde à jamais exprimée parce que imprimée sur le corps du Christ.

Les misères, elles étaient toutes là, à ses pieds, toutes celles dont nous avons parlé auparavant. Des misères en personne, par cercles concentriques autour de la croix, qui nous représentaient comme les symboles vivants de toutes nos pauvretés de corps, de cœur et d’esprit.
C’est sur ces personnes, et donc sur nous, qu’ont coulé, à partir d’un certain cœur ouvert, l’eau qui noie les péchés, le sang qui purifie les âmes, l’Esprit qui refait du neuf avec toutes nos vieilleries. Dans la piscine du baptême, dans le calice de l’eucharistie, l’eau et le sang de Jésus en croix continuent de nous laver, de nous relever, de nous ressusciter.

Comment est-ce possible ? Il faut alors rejoindre les apôtres, et singulièrement le fameux Thomas qui nous ressemble tellement. Cette fois, c’est après Pâques. Le Christ est ressuscité. Qu’est-ce qu’il fait ? Il montre à nouveau son cœur, celui qui fut ouvert sur la croix, encore marqué des cicatrices de sa transfixion. « Avance ta main, lui dit Jésus, mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule, sois croyant. »

Il n’y a pas en ce monde les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, tant il est vrai que nous sommes tous des êtres mélangés. Il y a ceux qui osent encore croire à l’amour, et ceux qui n’y arrivent pas ou plus. Celui qui est venu par l’eau, le sang et l’Esprit veut nous faire tous entrer et nager dans l’océan de sa miséricorde. Il nous y invite sans cesse. Une invitation d’amour, pas une contrainte par la force, évidemment. Jusqu’à quand allons-nous résister à la divine attraction de sa tendresse ?

« Si je ne mets pas ma main dans son côté, disait le fier Thomas, non, je n’y croirai pas » Eh ! bien, nous redit Jésus aujourd’hui, avance ton doigt, avance ta main, ouvre ton cœur à mon coeur, toi qui as tant besoin d’être aimé pour être toi-même, croyant, meilleur, sauvé.
Mets le doigt dans le livre de la Parole de Dieu et lis les lettres d’amour que Dieu ne cesse de t’adresser. Avance ta main, en forme de creux pour recueillir en mendiant choyé le pain de l’eucharistie, élargis ton cœur pour que puisse souffler en toi l’Esprit qui veut faire toutes choses nouvelles, pour ton bonheur.
Et puis, la miséricorde, vois-tu, fait nécessairement des miséricordieux. Il y a une contagion de la grâce, il y a une fécondité du pardon.
Nous ne pouvons pas devenir les enfants de la miséricorde de Dieu sans devenir les frères et sœurs indulgents de tous ceux et celles qui ont besoin de miséricorde autour de nous. L’évangile de ce jour a commencé par le don réitéré de la paix du Christ. Il continue par le pouvoir de remettre les péchés dans le souffle décoiffant de l’Esprit.
Pardonnés par la miséricorde de Dieu, nous pouvons goûter cette joie délicate et profonde : pardonner à notre tour. Autrement dit participer ici-bas à la joie de Dieu dont Jésus disait « qu’il y avait plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur » qui revenait se mettre au chaud dans le cœur de Dieu « que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin » du pardon de leur Père céleste.

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » : que voilà la promesse d’un bonheur original, qui fait vivre et revivre en même temps celui qui donne et celui qui reçoit.
A déguster sans modération. C’est la grâce que nous devons nous souhaiter ….miséricordieusement !

Claude Ducarroz

jeudi 5 avril 2012

Méditation du Vendredi Saint 2012

Homélie du Vendredi-Saint 2012

Cette fois, c’est la fin. Encore un mince filet de force, comme les dernières goutte d’eau qui glissent sur le sable brûlant de l’aridité et de la douleur.
C’est là qu’il va puiser un extrême élan de courage pour exprimer ses dernières paroles encore audibles, avant le râle, avant l’étouffement, avant le silence.
Seulement quelques mots arrachés au fond de sa gorge sèche, pour nous délivrer son message final, son suprême testament.

1. C’est d’abord l’Eglise qui est visée, et donc nous. C’est qu’elle est là, tout près de lui, au pied de la croix, l’Eglise dans sa concentration la plus fragile et la plus intense à la fois. Ils sont deux, seulement deux, le minimum communautaire. L’homme et la femme, la mère courage et l’ami rescapé de la peur, la toute sainte laïque et l’apôtre en ministère : la quintessence de l’Eglise au Golgotha du monde.
Et que dit Jésus ? Il les donne l’un à l’autre, il les rend définitivement solidaires, il en fait une communauté fraternelle. Femme, voici ton fils ! Marie reçoit l’Eglise en cadeau d’alliance. Voici ta mère ! L’Eglise devient mariale dans les noces de sa naissance.
Et désormais, c’est la cohabitation –plus encore, c’est la communion- qui fera l’Eglise : les vrais disciples prennent Marie chez eux. C’est dans nos maisons qu’elle se sentira à la maison. Nous serons bien avec elle, tout en étant chez nous, dans cette demeure ecclésiale, sous le regard de Jésus, avec la variété des charismes et des services tout ruisselant d’évangile pascal.


2. Il a soif. La soif banale de l’agonisant. Mais une autre aussi, profonde et vaste comme l’océan. Dans le miroir de son Père, Jésus contemple toute l’histoire, l’immense horizon du salut. Ses yeux de fièvre embrassent toute l’humanité. Le temps s’estompe, les siècles défilent. De la création à la parousie, c’est un seul battement de son cœur, un seul baiser d’amour pour la multitude.
Il a soif de nous, et son souffle ramène à lui et en lui tous les enfants de Dieu dispersés, dans une divine respiration. Oui, le souffle, l’Esprit, jusqu’à ce qu’il le remette dans la confiance entre les mains de son Père et le transmette à nous dans l’espérance d’un improbable accueil.
Il regarde encore. L’humanité de beautés et d’horreurs, de lumière et de ténèbres, le monde tel qu’il est -ou plutôt tel que nous l’avons fait- dans le creuset de nos merveilles et de nos tragédies mélangées. Il est là, notre monde, dans ceux qui regardent de loin, ceux qui rient, ceux qui hochent la tête, chez ces soldats qui s’amusent, chez ces autorités qui écrasent sous toutes les violences, aujourd’hui comme hier. Mais aussi, là, dans ces femmes qui pleurent et qui prient, dans toutes les Madeleine de toutes les conversions, dans les Simon de Cyrène de toutes les compassions, dans les centurions de toutes les confessions de foi –Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu- . Et jusque dans le contraste de ces deux larrons, les deux faces de la liberté humaine, que seul un amour infini peut encore rattraper au bord du dernier souffle pour un premier partage : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis. Et l’autre avec, espérons-le.
Il fallait une divine soif pour que coule d’un cœur ouvert par l’amour, sur eux et sur nous, tant d’eau baptismale et tant de sang rédempteur.

3. Maintenant c’est la fin. Tout est accompli. Aux yeux de ceux qui ont mis en scène le cruel spectacle de la croix, c’est terminé, tout simplement. Ils sont soulagés. Jésus de Nazareth est mort, bien mort. Même pas besoin de lui briser les jambes pour achever cette œuvre d’extermination.
Mais pour Jésus, c’est tout autre chose. Tout est accompli parce qu’il a mené jusqu’au bout sa mission de salut, celle que le Père lui avait confiée dès son entrée dans le monde. Maintenant, il a terminé sa tâche, en laissant s’échapper les dernières gouttes d’une tendresse jusqu’au boutiste. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux et celles qu’on aime. Et c’était nous. Et c’est encore nous.
Tout est accompli, et pourtant il accomplit encore. Oui, dans les paroles qu’il nous adresse encore par son évangile de feu, dans ses sacrements qu’il célèbre encore pour la gloire de Dieu et le salut du monde, dans cette eucharistie qu’il nous demande de refaire en mémoire vive de lui.
Et dans toutes les rencontres aux couleurs variées de l’amour, dans les couples, dans les familles, dans les engagements sociaux, entre les Eglises, les religions, les peuples et les cultures, chaque fois que brille au firmament du monde l’arc-en-ciel de la paix, ou ne serait-ce qu’une seule étoile illuminée par le soleil de Pâques, un dernier soupir qui sorte de son corps livré.

Puis, inclinant la tête, il remit l’Esprit.



Claude Ducarroz

mercredi 4 avril 2012

Méditation du Jeudi Saint 2012

Méditation du Jeudi-Saint 2012

Ceci est mon corps. Quel corps ?
Faites cela. Quoi, cela ?

Ce premier corps de Jésus, nous le recevons des bras de sa mère, tel que le Verbe l’a cueilli comme le fruit de son libre oui, à l’Annonciation. Jésus n’est pas un fantôme. Il est le Fils de Dieu fait chair, né d’une femme d’Israël. Jésus n’avait pas un corps, il était son corps, le cadeau du premier Noël, le fils de Joseph le charpentier.
Et pour quoi faire ? Une femme dans la foule s’est permis cette béatitude à la fois charnelle et mystique, qu’il faut entendre dans sa version originelle : « Heureux le ventre qui t’a porté et les seins que tu as sucés ! » (Lc 11,27).
Pour la joie de Marie et pour le réalisme de l’incarnation, avec Elisabeth à la Visitation, redisons : « Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de ton sein est béni ! » Lc 1,42.
Faites cela, c’est admirer, respecter, vénérer le corps humain, en toutes ses dimensions, car Dieu a pris vrai corps en Jésus-Christ. En un mot se souvenir sans cesse que « notre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en nous » et faire ce qui est rappelé là-haut : « Glorifiez donc Dieu par votre corps ! » ICo 6,19 et 20.

Ceci est mon corps. Quel corps ?
Faites cela. Quoi, cela ?
Le deuxième corps de Jésus, nous le recueillons ce soir des mains de l’Eglise, notre mère à sa façon. Il est remis à notre coeur de croyant en passant par le corps à corps eucharistique. Dans le geste du partage du pain, dans le signe du vin offert, c’est ce même corps qui nous est donné, pour jeter en nous une semence de vie éternelle.
Jésus a voulu rester au milieu des siens non pas seulement dans un souvenir de mémoire intellectuelle, mais dans le mémorial de sa présence concrète. Désormais, parce qu’il est ressuscité, son corps jadis mortel est encore disponible pour ceux qui ont faim et soif de lui. Car la résurrection n’est pas l’évaporation de Jésus, mais la fixation réaliste de sa proximité humaine avec nous.
Entré dans sa gloire, le Christ ne meurt plus. Il demeure donc sous ces humbles signes qui lui permettent d’être partout à la fois, là où des croyants, entrainés par des serviteurs consacrés, appellent sa venue, accueillent son actualité, communient à sa palpitante cordialité intérieure. Il nous faut seulement, faire et refaire comme lui, et lui fait tout le reste. « Prenez, mangez, prenez, buvez… » Prenez…

Ceci est mon corps. Quel corps ?
Faites cela. Quoi, cela ?
Le troisième corps de Jésus, c’est l’extension mystérieuse de son corps eucharistique, c’est l’Eglise, c’est nous.
Un apôtre exceptionnel –pourtant il n’était pas à la première Cène- s’est permis une révélation merveilleuse. Le corps de la messe engendre un corps communautaire. Paul l’écrit aux chrétiens de Corinthe : « Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, à nous tous, nous ne formons qu’un seul corps… ICo 16-17. Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. » ICo 12,27.
L’eucharistie a une étonnante fécondité. Si quelque part l’Eglise fait l’eucharistie, par ses ministres et pour le peuple de Dieu, c’est l’eucharistie qui ne cesse de faire Eglise, de bâtir l’Eglise, dans le rassemblement multicolore de ses membres solidaires, dans la variété des services et des charismes.
L’Eglise est secouée, parfois critiquée, souvent remise en question. Que faire ? D’abord se laisser façonner en Eglise par le pain de vie, se laisser pétrir de manière eucharistique pour devenir peu à peu ce que nous sommes depuis notre baptême, dans la dynamique de l’Esprit : le corps fraternel du Seigneur.
A condition qu’il soit fraternel, évidemment.

Ceci est mon corps. Quel corps ?
Faites cela. Quoi, cela ?
Alors là, il faut accepter d’accompagner le Christ au plus bas, en sachant que personne d’autre que lui ne prendra jamais la dernière place. Il l’a squattée pour toujours, de la crèche à la croix, et ce soir dans la grande démonstration du lavement des pieds.
Etait-ce avant ou après l’eucharistie ? Peu importe, c’était le même mouvement d’amour, la même mise en cène -en sainte cène-, et la même invitation toujours actuelle : « C’est un exemple que je vous ai donné. Ce que j’ai fait pour vous, faite-le, vous aussi. » En ajoutant cette béatitude dont on n’abusera jamais parce qu’elle doit être mise en pratique sans modération : « Sachant cela, heureux serez vous si vous le faites. » Jn 13,15 et 17.

Laver les pieds de son prochain, c’est toucher le corps béni du Seigneur lui-même, en allant avec Jésus dans quelques détails complémentaires. « J’avais faim, j’avais soif, j’étais nu, j’étais étranger, j’étais prisonnier, j’étais malade » etc…
Il faut sans cesse réactualiser la liste, mais la conclusion est toujours la même : « Tout ce que vous faites à ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. Mt 25,40. Ou pas !


Du corps de Jésus l’enfant de Marie, au corps eucharistique de chacune de nos messes, en passant par le corps communautaire de l’Eglise, jusqu’au corps brisé des pauvres que l’on aime à cause de Jésus : tout devient corps en transfiguration vers la gloire sous les poussées de l’amour en actes, dans le baiser de toutes les formes de charité.

Il nous faut faire du Jeudi-Saint le quotidien de notre existence chrétienne, car c’est le jour de tous les cadeaux.
Oui, il y a toujours un corps qui nous aime, - celui du Christ ressuscité- et un corps à aimer -celui de notre prochain encore crucifié.

Claude Ducarroz