jeudi 5 avril 2012

Méditation du Vendredi Saint 2012

Homélie du Vendredi-Saint 2012

Cette fois, c’est la fin. Encore un mince filet de force, comme les dernières goutte d’eau qui glissent sur le sable brûlant de l’aridité et de la douleur.
C’est là qu’il va puiser un extrême élan de courage pour exprimer ses dernières paroles encore audibles, avant le râle, avant l’étouffement, avant le silence.
Seulement quelques mots arrachés au fond de sa gorge sèche, pour nous délivrer son message final, son suprême testament.

1. C’est d’abord l’Eglise qui est visée, et donc nous. C’est qu’elle est là, tout près de lui, au pied de la croix, l’Eglise dans sa concentration la plus fragile et la plus intense à la fois. Ils sont deux, seulement deux, le minimum communautaire. L’homme et la femme, la mère courage et l’ami rescapé de la peur, la toute sainte laïque et l’apôtre en ministère : la quintessence de l’Eglise au Golgotha du monde.
Et que dit Jésus ? Il les donne l’un à l’autre, il les rend définitivement solidaires, il en fait une communauté fraternelle. Femme, voici ton fils ! Marie reçoit l’Eglise en cadeau d’alliance. Voici ta mère ! L’Eglise devient mariale dans les noces de sa naissance.
Et désormais, c’est la cohabitation –plus encore, c’est la communion- qui fera l’Eglise : les vrais disciples prennent Marie chez eux. C’est dans nos maisons qu’elle se sentira à la maison. Nous serons bien avec elle, tout en étant chez nous, dans cette demeure ecclésiale, sous le regard de Jésus, avec la variété des charismes et des services tout ruisselant d’évangile pascal.


2. Il a soif. La soif banale de l’agonisant. Mais une autre aussi, profonde et vaste comme l’océan. Dans le miroir de son Père, Jésus contemple toute l’histoire, l’immense horizon du salut. Ses yeux de fièvre embrassent toute l’humanité. Le temps s’estompe, les siècles défilent. De la création à la parousie, c’est un seul battement de son cœur, un seul baiser d’amour pour la multitude.
Il a soif de nous, et son souffle ramène à lui et en lui tous les enfants de Dieu dispersés, dans une divine respiration. Oui, le souffle, l’Esprit, jusqu’à ce qu’il le remette dans la confiance entre les mains de son Père et le transmette à nous dans l’espérance d’un improbable accueil.
Il regarde encore. L’humanité de beautés et d’horreurs, de lumière et de ténèbres, le monde tel qu’il est -ou plutôt tel que nous l’avons fait- dans le creuset de nos merveilles et de nos tragédies mélangées. Il est là, notre monde, dans ceux qui regardent de loin, ceux qui rient, ceux qui hochent la tête, chez ces soldats qui s’amusent, chez ces autorités qui écrasent sous toutes les violences, aujourd’hui comme hier. Mais aussi, là, dans ces femmes qui pleurent et qui prient, dans toutes les Madeleine de toutes les conversions, dans les Simon de Cyrène de toutes les compassions, dans les centurions de toutes les confessions de foi –Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu- . Et jusque dans le contraste de ces deux larrons, les deux faces de la liberté humaine, que seul un amour infini peut encore rattraper au bord du dernier souffle pour un premier partage : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis. Et l’autre avec, espérons-le.
Il fallait une divine soif pour que coule d’un cœur ouvert par l’amour, sur eux et sur nous, tant d’eau baptismale et tant de sang rédempteur.

3. Maintenant c’est la fin. Tout est accompli. Aux yeux de ceux qui ont mis en scène le cruel spectacle de la croix, c’est terminé, tout simplement. Ils sont soulagés. Jésus de Nazareth est mort, bien mort. Même pas besoin de lui briser les jambes pour achever cette œuvre d’extermination.
Mais pour Jésus, c’est tout autre chose. Tout est accompli parce qu’il a mené jusqu’au bout sa mission de salut, celle que le Père lui avait confiée dès son entrée dans le monde. Maintenant, il a terminé sa tâche, en laissant s’échapper les dernières gouttes d’une tendresse jusqu’au boutiste. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux et celles qu’on aime. Et c’était nous. Et c’est encore nous.
Tout est accompli, et pourtant il accomplit encore. Oui, dans les paroles qu’il nous adresse encore par son évangile de feu, dans ses sacrements qu’il célèbre encore pour la gloire de Dieu et le salut du monde, dans cette eucharistie qu’il nous demande de refaire en mémoire vive de lui.
Et dans toutes les rencontres aux couleurs variées de l’amour, dans les couples, dans les familles, dans les engagements sociaux, entre les Eglises, les religions, les peuples et les cultures, chaque fois que brille au firmament du monde l’arc-en-ciel de la paix, ou ne serait-ce qu’une seule étoile illuminée par le soleil de Pâques, un dernier soupir qui sorte de son corps livré.

Puis, inclinant la tête, il remit l’Esprit.



Claude Ducarroz

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