dimanche 28 novembre 2010

Les deux alliances

Fleur de vie

Les deux alliances

A la bénédiction de l’abbé du monastère de Hauterive. Plus précisément à la fin de la prière eucharistique.
Le nouvel abbé présente solennellement le Pain consacré tandis qu’un diacre fait de même avec le calice à ses côtés. Ces mains si proches, tout au service du peuple de Dieu, comme réunies par le mystère eucharistique, me touchent et m’émeuvent. Je remarque alors deux alliances côte à côte, celle du nouvel abbé entièrement voué désormais à sa communauté monastique et celle du diacre marié, consacré d’abord à sa famille, mais aussi pleinement au service de la communauté chrétienne comme le Christ du lavement des pieds.
J’ai aimé la proximité de ces deux alliances d’or, l’anneau du pasteur et l’anneau de l’époux, tous les deux donnés par amour. La grande Hostie et le calice du salut les unissaient dans un même geste de communion, « à cause de Jésus et de l’évangile ». Et ces deux chrétiens en pleine « démonstration eucharistique» manifestaient à merveille la richesse des ministères et la beauté de leur collaboration, sous le signe de la présence de Jésus à son Eglise. Il y avait quelque chose de conjugal chez le nouvel abbé et quelque chose d’eucharistique chez ce diacre marié. Leurs alliances, différentes mais complémentaires, se donnaient la main pour signifier finalement le même amour, celui du Christ qui nous appelle tous à accueillir et à vivre le mystère de l’alliance nouvelle et éternelle en son corps livré et en son sang versé.
Que d’amour ! que de services ! que de fêtes au goût d’eucharistie.
Pendant mais aussi après la messe.
1594 signes Claude Ducarroz

lundi 15 novembre 2010

La joie du pardon

La joie du pardon

C’est humain !

« Je ne suis qu’un homme, moi aussi. » Cette petite phrase de Pierre au centurion Corneille qui se prosternait à ses pieds m’aide souvent à être plus indulgent à l’égard des autres …et de moi-même aussi ! Oui, nous ne sommes tous que des humains, et par conséquent il nous arrive de faire du mal, plus ou moins consciemment. Inévitablement se pose alors la question : que vais-je faire du mal que j’ai commis ? et du mal qu’on m’a fait ? Il est là, devant moi, marqué dans ma sensibilité, imprimé dans ma conscience, à vive chair, comme une blessure subie ou provoquée.
Cette lésion est sans doute d’autant plus saignante ou infectée qu’elle est le fait de quelqu’un qu’on aime et qui nous aime. Les amoureux s’aiment plus fort que les autres, et peuvent aussi se blesser plus profondément. Il y a les petites égratignures quotidiennes, inévitables dans toutes les cohabitations humaines. Il y a, plus douloureux, ces bleus au cœur, qui proviennent des manques de respect, des colères injustes, de ces oublis qu’on nomme parfois « impardonnables ». Et puis, il peut y avoir ces coups de poignard que sont les infidélités ou les mensonges, capables de remettre en question une relation qu’on avait rêvée stable parce que sincère et exclusive.
Et la même question revient toujours, que je sois le fauteur ou la victime : qu’est-ce que je fais de cela ? Est-ce que je puis en faire quelque chose de positif, alors que tout me semble négatif ? Est-ce que nous pouvons, ensemble, en tirer un supplément de vie et d’amour, alors que tout paraît menacer, voire contredire, notre projet de bonheur en commun ? En termes chrétiens, est-ce qu’il y a, cachée au creux de la souffrance légitime et de l’échec apparent, une source de résurrection qui puisse faire refleurir, ne serait-ce qu’un brin en forme d’espérance, le désert de notre relation ?
Oui, nous dit le Seigneur Jésus. On appelle cela le pardon. Demandé, donné, reçu et même célébré.

Le mot et la chose

Le par-don, ce très beau mot qui peut aussi devenir un bon moment. Un don « par-dessus », surajouté et donc gratuit. Un cadeau qui redonne vie, un présent tout pascal. Mais à certaines conditions quand même.
Le pardon suppose une vérité partagée, celle qui s’exprime et s’écoute jusqu’au bout d’elle-même. Pour le fauteur, c’est reconnaître le mal commis, avouer humblement mais sans se sentir humilié, avec ce premier bonheur qu’est une certaine libération. « J’ai reconnu, je me sens mieux, c’est moins pesant » Nous avons tous éprouvé ce sentiment qui nous aide à mieux respirer dans notre conscience. Mais l’aveu n’est jamais à sens unique. La brûlure du lésé doit aussi pouvoir se dire, avec toutes les nuances du ressenti forcément subjectif et peut-être exagéré dans ses interprétations. Qu’importe ! Il faut que cette bile délétère puisse sortir. Là aussi, c’est une libération. Et un premier baume de tendresse lorsque l’aveu comme la souffrance trouvent chez l’autre un cœur qui écoute, qui compatit et peut-être finit par comprendre à défaut d’excuser déjà. Le pardon est réalisé lorsque deux douleurs avouées finissent par s’embrasser pour devenir des douceurs partagées. Il y a dans cette nouvelle alliance une étonnante puissance de recommencement, de renouveau, de résurrection. Peut-être la mémoire va-t-elle demeurer comme une cicatrice vigilante qui mettra du temps à s’effacer. Nous ne maîtrisons pas complètement nos souvenirs, et nos sentiments peuvent parfois relever la tête en forme de ressentiments. C’est humain, c’est normal. Mais l’essentiel aura été accompli : le pardon a fleuri en miséricorde, un mot magnifique qui recouvre une réalité encore plus belle. Oui, un cœur qui absorbe une misère au point de la digérer sous le feu d’un amour plus fort que l’offense, une charité capable de redonner vie à ce qui semblait mort, une opération de type pascal.

Comme Jésus, avec Jésus

Pâques ! Nous y voilà. Le pardon n’est possible en profondeur et durable en réalité que s’il vient puiser sa sève au pied de la croix du Ressuscité.
Jésus était l’innocent parfait. Il avait tout à pardonner et rien à se faire pardonner, ce à quoi personne parmi nous ne peut prétendre. Même les plus saints sont aussi parfois des coupables. Ou l’ont été. Donc…
Jésus a voulu aussi faire la vérité quand il dit à ses bourreaux : « Si j’ai mal parlé, dis-moi où est le mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn18,23). Mais surtout, à ceux qui reconnaissaient leurs fautes comme à ceux qui ne savaient pas tout le mal qu’ils avaient fait –ça arrive aussi dans les couples-, Jésus a prié le Père de leur pardonner, au point de dire au larron repentant : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » La grande icône du pardon qui redonne vie est présentée par l’apôtre Jean après la mort de Jésus, quand le sang et l’eau ont coulé de son côté transpercé par le coup de lance. Là, c’était vraiment la miséricorde, le cœur de Jésus ouvert sur nos misères, pour les brûler toutes dans le brasier de son amour vainqueur. Et deux jours après, il était ressuscité et pouvait dire à ces pauvres pécheurs d’apôtres contrits : « La paix soit avec vous ! Les péchés seront remis à qui vous les remettrez ». (Jn 20, 19 et 23).
Je ne puis m’empêcher d’évoquer l’une des plus belles joies du ministère du prêtre, à savoir le sacrement de la réconciliation célébré en couple. Après les épreuves des éraflures, voire des entailles faites à l’amour conjugal, il est si beau, fût-ce dans les larmes, de se retrouver ainsi à trois pour faire le point, pour accoucher de la vérité -ce mal causé ce mal subi- et finalement de tout déposer au pied de la croix pour repartir ensemble en fils et fille de la résurrection, dans la force du pardon reçu ensemble. Car ce sacrement n’est pas seulement celui qui efface un passé triste ou décevant. Il confère la grâce de la conversion et le fortifiant de la guérison.
Alors, en toute vérité et humilité, dans la conscience de leurs fragilités humaines, mais appuyés sur les énergies du sacrement de mariage ranimé, les époux peuvent à nouveau s’embrasser. Après l’amour et avant de s’endormir, ils peuvent re-prier ensemble cette prière que le Seigneur nous a enseignée : « Notre Père, pardonne-nous comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, et délivre-nous du Mal. »
Le bonheur retrouvé !

Claude Ducarroz

Un sur vingt

Fleur de vie

Un sur vingt

Visite sur un chantier-école où se forment les ouvriers de la construction. Grutiers, machinistes, conducteurs de trax et autres engins impressionnants s’affairent sur le terrain. Il s’agit d’acquérir la compétence nécessaire tout en assurant l’indispensable sécurité. Je regarde avec une curiosité mêlée d’admiration ces hommes qui se préparent à construire nos maisons, nos routes, nos ponts etc… Un grand sérieux, presque grave, chez ces apprentis, et une conscience professionnelle rigoureuse chez leurs moniteurs.
Dans la maison qui sert de lieu d’enseignement et de rencontre, j’engage la conversation. Un chiffre m’étonne au point que j’ai demandé qu’on me le répète : chez nous, dans ce genre de travaux, il y a seulement un Suisse sur vingt. Autrement dit, 95% sont des étrangers.
Certains ajouteront aussitôt : la Suisse est bien généreuse, elle donne du boulot à beaucoup d’étrangers qui doivent être contents d’échapper au chômage chez eux en venant travailler chez nous. Mais on peut aussi regarder par l’autre bout de la lorgnette. Que ferions-nous dans le secteur de la construction sans ces étrangers qui accomplissent souvent les travaux les plus pénibles et les moins prisés par nos compatriotes ?
Et si l’on en finissait avec ces classements de type nationaliste ? Il y a des êtres humains, différents mais si semblables aussi, qui gagnent vaillamment leur vie en rendant de grands services à notre communauté humaine. Nous devons être solidaires, jusqu’à une convivance multicolore qui exclut toute discrimination.
C’est ça, le vrai chantier d’une humanité enfin fraternelle.
1616 signes Claude Ducarroz

lundi 8 novembre 2010

Les maienzettes

Fleur de vie

Les maïentzettes

Peut-être ne connaissez-vous pas cette charmante tradition fribourgeoise. Pour saluer le retour du printemps, les enfants passent de maison en maison afin de « chanter le 1er mai ». Ce qui met de la joie dans l’atmosphère de ce jour et garnit l’escarcelle des petits chanteurs de quelques sous bienvenus. C’est pour la bonne cause puisque -normalement- la récolte est destinée à faire un cadeau lors de la fête des mères et à enrichir la caisse de la prochaine course d’école.
Marinette est fière de ses deux filles. De bonnes chanteuses qu’elle observe en souriant depuis sa fenêtre. Que voit-elle ? Ces deux hirondelles du printemps vont d’abord chanter dans le cimetière, en s’arrêtant près de la tombe de la grand-maman récemment décédée. Ce qui étonne et en même temps édifie leur maman. « Alors, grand-maman vous a-t-elle donné quelque chose ? », interroge Marinette, mi curieuse mi ironique. Et la réponse fusa aussitôt : « Oui, grand-maman nous a donné beaucoup de bonheur quand elle était parmi nous. On est allé chanter pour lui dire merci. »
Certains chrétiens -pas tous- prient pour leurs morts dans l’esprit de la communion des saints. Mais, quelle que soit notre confession, nous pouvons tous dire merci à celles et ceux qui nous ont précédés dans le Royaume de Dieu après nous avoir fait tant de bien sur cette terre. Une fleur sur la tombe, une bougie allumée devant une photo, un moment de recueillement : il y a bien des manières de faire mémoire et de remercier.
Pourquoi pas ? On peut même chanter en souvenir de nos chers défunts.
Comme les maïentzettes de Fribourg.
1613 signes Claude Ducarroz